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Aujourd'hui, dans « Les 4 V », Julien Arnaud revient sur les questions qui font l’actualité avec François Molins, ancien procureur de la République de Paris.

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Transcription
00:00Merci beaucoup Monsieur le Procureur, on dit toujours Monsieur le Procureur, même quand vous êtes à la retraite, dans le titre honorifique, sans doute, sans doute, voilà, votre modestie vous pousse à faire nom de la tête mais on comprend que c'est oui.
00:12C'est l'union sacrée ce matin contre le narcotrafic, c'est ce qu'on voit en une du Parisien, on voit les ministres de la Justice et de l'Intérieur côte à côte avec des parlementaires.
00:20Il y a des lois qui vont être présentées cette semaine, alors évidemment on ne vous attend pas sur le commentaire politique mais sur l'efficacité de cette mesure.
00:26Et surtout, on nous dit beaucoup du côté de la place Beauvau que l'idée pour lutter contre le narcotrafic, c'est d'appliquer les méthodes qu'on a appliquées contre le terrorisme.
00:34Et ces méthodes, vous les connaissez par cœur. Est-ce que cette comparaison, elle vous semble pertinente et efficace ?
00:39Oui et non. On pourrait dire comparaison n'est pas raison. Il y a bien sûr des points communs.
00:44Il y a bien sûr des points communs qui sont que dans les deux cas, il faut une spécialisation des acteurs pour lutter contre le phénomène.
00:51Il faut des services d'investigation véritablement spécialisés et il faut des techniques d'enquête qui soient dérogatoires et qui aient une plus grande efficacité dans ce qu'on appelle le droit commun,
01:01ce qui sert à lutter contre la criminalité moins grave. Mais à côté de ça, il y a bien sûr des spécificités propres au terrorisme et des spécificités propres au narcotrafic.
01:14Est-ce que le narcotrafic, il est en train de devenir un fléau d'une ampleur là aussi comparable avec ce fléau du terrorisme ?
01:21Est-ce qu'il est en train de déferler sur la France dans des proportions que peut-être on n'imagine pas forcément ?
01:26J'allais dire beaucoup plus parce qu'en termes de volumétrie, il y a eu je crois l'an dernier 84 ouverts en matière de terrorisme.
01:33En matière de criminalité organisée, il y en a des milliers. Les indicateurs de consommation ont explosé.
01:41Il y a plus d'un million de consommateurs de cocaïne. Ça a doublé.
01:44Pour le cannabis, c'est certainement pareil. Et si vous voulez, on a de plus en plus effectivement de trafic, de plus en plus de lieux de deal.
01:54Aucune commune n'est aujourd'hui à l'abri de l'extension de ces phénomènes.
02:01C'est ce qu'on voit dans Medilib ce matin, aussi à la campagne.
02:03L'explosion des règlements de Compton qui était il y a 20 ans localisé.
02:08Je pense que quelque part, ça signe une forme d'échec de la politique publique qui est menée sur ces thèmes depuis 30 ou 40 ans.
02:18Vous expliquez comment ? Parce que les moyens sont importants.
02:20Je pense qu'on a trop laissé tomber la prévention par rapport à ce que j'avais connu il y a 30 ou 40 ans avec ce que faisait la milte.
02:28Il y a des messages à faire passer qu'on a peut-être trop abandonné.
02:32Et puis je pense qu'on est confronté aujourd'hui à des insuffisances au niveau du système.
02:37Je pense qu'en matière de trafic de supéfiants, on ne peut pas se contenter d'enquêtes de surface.
02:42Ce sont des enquêtes longues, complexes, qui nécessitent un exigeant et lourd travail de police judiciaire.
02:49Les opérations de place nette par exemple ?
02:51C'est utile, mais ça sert à ramener la tranquillité publique et ça ne suffit pas.
02:54On sait que les trafiquants s'adaptent.
02:56On a aujourd'hui, et c'est ça je pense qu'il faut arriver à surmonter, une véritable crise de l'investigation.
03:01Il n'y a pas assez d'officiers de police judiciaire.
03:04Pas assez d'enquêteurs.
03:05Les postes sont vacants, effectivement.
03:07Il y a quelques jours, la direction de la police judiciaire a indiqué que la moyenne était la suivante.
03:15Chaque dossier a en moyenne, chaque enquêteur a en moyenne 126 dossiers.
03:19Comment voulez-vous travailler en ces conditions ?
03:21Donc il faut effectivement davantage d'enquêteurs, davantage d'enquêteurs spécialisés,
03:25notamment en matière financière, où il n'y en a pas assez.
03:28Et il faut aussi, je vais dire quelque part à côté de ces projets de loi, peut-être une forme de révolution numérique.
03:35Aujourd'hui, la preuve, elle est numérique.
03:37Il faut donner, les procédures sont un peu des océans de données numériques.
03:43Il faut donner aux magistrats les moyens de faire des liens entre ces procédures
03:47et de pouvoir tracer effectivement les monnaies virtuelles, les actifs numériques.
03:52Et tout ça, ça doit venir avec le projet de loi.
03:55Sinon, ça ne fonctionnera pas.
03:57Il y a un parquet national financier, il y a un parquet national antiterroriste
04:00et il y aura bientôt un parquet national contre le crime organisé.
04:03C'est une bonne idée ou pas ?
04:05Il existe déjà ce parquet national.
04:07Personne ne le sait, mais depuis 2019,
04:10le parquet de Paris a reçu une compétence nationale en matière de crime organisé
04:14qui lui permet de traiter les affaires les plus complexes.
04:16Donc je pense qu'il faut approfondir la réflexion là-dessus.
04:19Je pense que la question, elle est avant tout politique.
04:23Et effectivement, un parquet national peut peut-être permettre de mieux incarner tout ça.
04:28Le parquet de Paris n'a pas démérité dans sa lutte contre le narcotrafic depuis 4 ans.
04:32Vous nous avez parlé aussi de nécessité d'avoir des mesures différentes par rapport au régime général.
04:39Il y a des mesures prévues dans la loi qui sont d'ailleurs très contestées par les avocats,
04:42notamment le fait de ne pas divulguer certaines méthodes d'investigation,
04:45que les avocats n'y aient pas accès.
04:47Est-ce que ça vous choque ou est-ce que c'est nécessaire ?
04:49Dans ce projet de loi, il y a des choses très intéressantes avec le statut des repentis,
04:53des cours d'assises spéciales pour juger les crimes en bande organisée.
04:56Il y a des tas de choses extrêmement intéressantes qui peuvent fonctionner
05:00si elles reçoivent plus d'enquêteurs et cette révolution numérique que j'évoquais tout à l'heure.
05:06Pour ces instruments procéduraux, je vais refaire la comparaison avec le terrorisme que vous faisiez au début.
05:11En matière de terrorisme, on applique le principe du contradictoire,
05:15c'est-à-dire qu'il n'y a pas de zone secrète.
05:17Tout ce qui est dans le dossier est accessible aux avocats.
05:20Moi, à titre personnel, je ne vois pas comment on peut se lancer dans des dispositifs pareils
05:26et je pense que le contradictoire, ça doit être véritablement une vertu fondamentale et capitale de la procédure.
05:32Je ne vois pas comment on peut mettre en place des choses comme ça,
05:36sauf à fouler au pied certains principes essentiels de la procédure.
05:40On compare beaucoup avec le terrorisme.
05:42Le garde des Sceaux s'inspire aussi beaucoup de l'exemple italien.
05:44Il va aller en Italie d'ailleurs, il y a là-bas des prisons de très haute sécurité
05:47et il dit que les prisons où sont rassemblées les fameux 100 plus gros narcotrafiquants,
05:52en gros, ça s'inspire de l'exemple italien.
05:54Ça vous semble une bonne idée, cette prison spéciale ou pas ?
05:57Je pense que oui, puis ça renvoie effectivement à la question qu'on a eue en matière de terrorisme.
06:01Est-ce qu'il faut concentrer les terroristes ou au contraire les disperser ?
06:05Je pense que dans une situation dans laquelle on sait qu'il y a eu 45 000 téléphones portables saisis,
06:11en 2023 dans les prisons françaises, ça ne peut pas durer comme ça.
06:16Les prisons ne doivent pas être un lieu qui permette aux trafiquants de continuer leur trafic.
06:21Donc je pense, moi personnellement, que c'est effectivement une bonne idée
06:25d'avoir un lieu très sécurisé, mais après il faudra assumer,
06:28où on concentre des moyens pour mieux surveiller les gens
06:33et faire en sorte que la peine soit effectivement une punition
06:39et qui prépare aussi peut-être mieux à la réinsertion,
06:42mais pas quelque chose qui permette de faire perdurer les trafics en aucun cas.
06:45On veut vous entendre aussi ce matin, François Mollins, sur la délinquance des mineurs
06:49parce qu'il y a eu ce drame épouvantable, la mort du jeune Elias, 14 ans,
06:52qui a été tué par, semble-t-il en tout cas l'un des deux à avouer,
06:56deux jeunes gens de 16 et 17 ans qui ont été interpellés.
06:59Ils étaient connus de la justice, ils avaient interdiction d'être ensemble
07:02et pourtant voilà, ils étaient ensemble et ils ont tué manifestement,
07:05l'enquête le confirmera ou pas, un adolescent de 14 ans.
07:10Il y a un sentiment d'impunité totale chez les mineurs ou pas ?
07:13Et comment y remédier surtout ?
07:16Il y a un sentiment d'impunité qui peut exister chez certains mineurs
07:19alors que d'autres entendent les messages des juges et ne recommencent pas.
07:23Le problème c'est que, moi je vois ça dans la justice des mineurs depuis des années,
07:28le problème c'est qu'on a une petite partie qui n'arrête pas de récidiver
07:31et c'est celle-là effectivement qui pose problème
07:33et qui reste finalement totalement imperméable à tous les messages
07:36que c'est de leur adresser les magistrats des services éducatifs.
07:39Effectivement c'est dramatique cette affaire, moi je ne connais pas ces détails
07:43mais d'après ce que j'ai entendu sur les journaux télévisés,
07:46ça signe effectivement une perte des valeurs,
07:49mourir pour un téléphone portable ça n'a aucun sens.
07:52Mais alors que faire ? Est-ce qu'il faut les mettre en prison ?
07:54Il y a par exemple un débat sur les très courtes peines,
07:56je ne sais pas si vous avez lu hier dans le journal du dimanche,
07:58une magistrate et un parlementaire qui plaident pour ça,
08:01pour qu'il y ait dès le début une peine de prison très courte,
08:047 jours, 15 jours mais appliquée immédiatement.
08:06Parce qu'ils disent le problème, la justice elle est rapide
08:08mais derrière la sanction il faut attendre des mois.
08:10Je pense que c'est des choses qu'il faut expertiser
08:12mais pour des mineurs il faut bien comprendre qu'on ne peut pas poursuivre
08:15et juger un mineur comme un adulte,
08:16un mineur c'est une personne dont la personnalité est en construction.
08:20Mais même à 16 ans, à 17 ans où ils sont très aguerris ?
08:22Il faut des réponses qui conjuguent à la fois les messages fermes
08:26avec de la répression mais aussi l'éducation
08:29parce qu'on ne peut pas considérer qu'à 16 ans,
08:33on va tomber en dehors de la société.
08:35Il faut à tout prix, j'allais dire, avoir des messages
08:37qui conjuguent les deux réponses, éducatives et répressives,
08:40pour essayer de les ramener dans la société et dans le droit chemin.
08:42Donc on garde l'excuse de minorité ?
08:44Pour moi nécessairement, encore une fois,
08:46on ne peut pas juger un mineur comme un adulte.
08:48C'est deux personnes tout à fait différentes.
08:52Un mineur, encore une fois, il a une personnalité qui se construit
08:55et il y a des messages qu'il faut essayer de faire passer
08:58et de conjuguer prévention, éducation et répression.
09:02On entend ce matin vos préconisations, vos recommandations, votre analyse.
09:07Vous êtes complètement retiré ou bien vous pourriez revenir peut-être
09:10dans d'autres fonctions, peut-être gouvernementales, ministérielles ?
09:13Je suis passé à une autre vie.
09:15Aujourd'hui, j'ai beaucoup d'activités.
09:18J'enseigne, je fais de la formation à l'étranger
09:21en matière de lutte contre le blanchiment et je fais du bénévolat.
09:24Donc j'ai une vie qui me convient tout à fait
09:26et qui m'occupe bien assez comme ça.
09:28Et vous faites de l'escalade aussi, l'une de vos grandes passions.
09:30De temps en temps.
09:31J'imagine.
09:32Merci beaucoup Monsieur le Procureur Mollins.
09:33Vous êtes venu ce matin dans les quatre verts.
09:35Merci.