• l’année dernière
Transcription
00:00 Je me disais qu'il m'arriverait sans doute, parlant de mon amour pour elle, de cet amour
00:21 si important pour moi, si décisif, de findre qu'il eut un commencement, une fin, une
00:25 progression. Que je saurais m'y connaître, ce dont maintenant j'étais sûr, qu'il
00:30 n'y a pas d'histoire, que rien ne commence ni ne finit vraiment, que certains êtres
00:35 présentent un visage, un caractère toujours ouvert, et voudrait-on les obliger à prendre
00:40 partie, à jouer un rôle ? Il ne semblerait pas vous comprendre. Comme si le fait qu'il
00:45 doit se passer quelque chose alors qu'en réalité il ne se passe rien était une notion
00:49 apprise, une image truquée du temps que nous substituons autant, et qui pour ces êtres
00:54 immobiles sans destin doit paraître ridicule, inopportune. Êtres inlassables qu'on a
01:00 toujours envie d'assaillir de question, qu'on aimerait secouer comme ces objets inanimés
01:04 où nous ne voyons, lorsqu'ils semblent moutoisés, qu'une preuve irréfutable de
01:09 notre désarroi et de notre sottise.
01:11 * Extrait de « La voix » de Philippe Solaire *
01:27 Un hommage pour ouvrir ce book club, « La voix » du jeune Philippe Solaire, ce qui
01:32 lie à un extrait de son tout premier roman, « Une curieuse solitude ». C'était en
01:37 1958, il avait tout juste 22 ans. Critique, essayiste, romancier, Solaire n'a jamais
01:43 cessé d'écrire jusqu'à son dernier roman, « Graal » paru l'an dernier. L'écrivain
01:47 est mort vendredi. À l'âge de 86 ans, Philippe Solaire, ce qu'il disait écrire
01:52 pour respirer. Eh bien, on va prendre l'air, c'est l'expérience du jour. Dans le book
01:56 club, nous grimpons au sommet ce midi, sur le toit du monde, l'Everest. Si on considère
02:02 souvent l'exploit physique et sportif, il ne faut pas oublier que, comme pour la conquête
02:08 de la lune, son ascension représente en quelque sorte un Graal. Certaines ascensions sont
02:12 farfelues, merveilleuses, d'autres riment avec échec et même parfois mensonges. Entre
02:18 le Tibet et le Népal, en pleine guerre froide, y planter son drapeau est un acte politique.
02:24 On va réfléchir à tous ces thèmes, à toutes ces questions que cela pose, avec la
02:27 communauté du book club bien sûr, et avec nos invités.
02:30 *Générique*
02:37 Bonjour Jean-Michel Asselin.
02:38 Bonjour.
02:39 Vous êtes journaliste, écrivain et alpiniste. Vous animez chaque semaine une chronique
02:42 montagne chez nos confrères et amis de France Bleu Isère et Pays de Savoie et vous publiez
02:47 aujourd'hui une histoire de l'Everest aux éditions Glena. Vous insistez Jean-Michel
02:52 Asselin sur le "une" car vous dites que ce n'est pas vraiment un travail d'historien,
02:56 bien que très sérieux, mais c'est celui d'un passionné de montagne d'abord.
03:00 Oui, c'est ça. C'est parce que je me suis senti non pas une légitimité, mais un rapport
03:05 à l'Everest très spécial. Je suis allé cinq fois sur cette montagne. Je vous le dis
03:09 tout de suite, je n'ai pas atteint le sommet. Donc je suis un loser de l'Everest. Mais en
03:13 revanche, j'ai aimé vraiment être avec elle, avec cette déesse la plus haute. J'ai passé
03:21 un an de ma vie au total sur ses flancs et c'était très très étonnant.
03:25 Vous dites que ces cinq dates, donc 89, 90, 91, 92 et 2003, ont été des bornes étranges
03:32 du mi-temps de votre vie. C'est si marquant que ça ?
03:35 Oui, c'est très marquant parce que c'était des expéditions à l'époque où nous partions
03:40 pendant deux mois, deux mois et demi. Il n'y avait pas encore beaucoup de systèmes de
03:45 communication comme aujourd'hui. Aujourd'hui, au sommet de l'Everest, vous pouvez envoyer
03:49 un SMS, etc. Ça n'existait pas à l'époque. Donc on était quand même assez isolé. Et
03:54 c'était un moment étrange où on a froid, on respire mal, on n'est pas très bien, on
04:00 mange mal. Mais en même temps, c'est tellement un univers fantastique, fantastiquement beau
04:06 qu'on est pris, on est séduit. Comme tous les gens qui sont allés à l'Everest, on
04:12 devient addict.
04:13 Alors on va lui demander si lui aussi il est addict, puisqu'on va parler également de
04:17 l'Everest et de ces monts enneigés avec Cédric Graa. Bonjour.
04:21 Bonjour.
04:22 Vous êtes géographe, alpiniste et écrivain également. Vous avez publié "Alpiniste"
04:28 de Staline qui vous a valu le prix Albert-Hollande, c'était en 2020. Et aujourd'hui "Alpiniste"
04:33 de Mao aux éditions Stock. Et vous le dites d'entrée de jeu, ce n'est pas la suite du
04:38 premier livre que vous avez écrit. Mais c'est difficile de ne pas faire le lien, d'autant
04:43 que les Soviétiques ne sont pas étrangers évidemment à cette aventure maoïste. Vous,
04:48 c'est plus l'aspect historique qui vous intéresse dans l'Everest. Pourquoi vous
04:53 penchez sur ces sujets-là très précis ?
04:55 Moi, je n'ai pas du tout le même niveau que Jean-Michel Asselin. Je pratique la montagne
05:00 de manière amateur. En revanche, effectivement, j'ai peut-être la même fascination, la
05:04 même passion. Cela dit, je n'avais pas la légitimité pour écrire que sur des ascensions.
05:09 Et ce n'est pas forcément non plus ce qui m'intéresse le plus. Ce qui m'intéressait
05:12 effectivement dans ces deux livres, et j'ai réappliqué le même principe à "Alpiniste"
05:16 de Mao, c'était de remettre dans leur contexte géopolitique, voire idéologique, puisqu'il
05:21 s'agit du communisme en URSS comme en Chine, de remettre dans ce contexte les grandes ascensions
05:26 des régimes. En l'occurrence, là pour "Alpiniste" de Mao, du régime maoïste.
05:30 Je disais, c'est un peu comme la conquête de la Lune. On a tous en tête ces images
05:36 et cette bataille durant la guerre froide aussi. C'est le même système de pensée ?
05:42 On veut grimper en haut de l'Everest de la même manière, faire cet exploit et obtenir
05:49 ce graal-là ?
05:50 Dans les années 50, les grandes puissances occidentales étaient dans une quête de prestige
05:56 avec ces ascensions. Mais elles étaient loin de leur territoire. Pour les Chinois, pour
06:00 le régime de Mao, il m'a semblé qu'on était dans quelque chose de prestigieux aussi.
06:06 Bien sûr, il s'agissait d'affirmer la supériorité de l'homme socialiste. Mais on était dans
06:09 une occupation du territoire. C'était de la géographie politique. Où passait la frontière
06:14 dans l'Himalaya ? La Chine venait d'envahir le Tibet. Elle contestait les frontières
06:18 héritées de l'Empire britannique avec l'Inde. Et aujourd'hui encore, vous avez des escarmouches
06:24 en Himalaya, à très haute altitude, entre l'armée chinoise et l'armée indienne.
06:27 Oui, il y a des escarmouches, par exemple, sur un col qui s'appelle le Langpa. Et c'est
06:32 incroyable parce que vous avez encore quelques patrouilles chinoises qui errent à droite
06:37 à gauche pour éventuellement tirer sur quelques Tibétains qui essaieraient de passer ce col
06:43 pour faire du commerce ou s'enfuir tout simplement du Tibet.
06:45 Peut-être pour nous décrire, pour ceux qui n'ont jamais mis les pieds ni en montagne
06:49 et encore moins sur le mont et en haut de l'Everest, Jean-Michel Asselin, on croise
06:54 du monde quand on part à l'ascension de l'Everest.
06:57 Oui, parce que l'Everest est forcément une montagne prisée. C'est un absolu. C'est
07:02 la plus haute du monde, 8848,86 cm aux dernières mesures. Et donc, il y a beaucoup de gens
07:10 qui y vont. Par exemple, si vous vouliez vous rendre à l'Everest en ce moment...
07:15 Avec vous alors, parce que je n'y vais pas seul.
07:18 438 permis ont été accordés par le gouvernement népalais, simplement. Ce qui représente,
07:24 imaginez, à peu près 10 personnes par expédition, au bas mot. Ça fait donc une petite ville
07:29 de 4000 et quelques personnes qui se trouvent au pied de la montagne pour tenter de la gravir.
07:33 Donc c'est sûr que vous ne serez pas seul.
07:35 Il y en a eu du monde. Donc des milliers d'ascensions dont on va parler durant ce Book Club.
07:41 On va commencer par écouter Agnès qui a lu Alpiniste de Mao. Agnès, elle est libraire
07:46 à la Toute Petite Librairie à Paris et elle a lu votre livre Cédric Graff.
07:49 Bonjour, c'est Agnès de la Toute Petite Librairie. J'ai lu Alpiniste de Mao et à chaque page,
07:56 je n'ai cessé de m'exclamer de ce que je lisais. Tantôt incrédule, tantôt hilar,
08:01 souvent terrifié, admiratif parfois, j'imaginais ces alpinistes débutants, partant pour la
08:06 gloire de Mao à l'assaut de la face nord réputée imprenable de l'Everest. J'ai ressenti
08:11 l'ambiance d'une époque, mieux saisie les enjeux géopolitiques de la guerre froide
08:16 appliquée à l'Himalaya. Cédric Graff connaît bien ces paysages du Népal, du Tibet et de
08:20 la Chine et les récits y gagnent vraiment, en chair et en profondeur. J'ai enfin eu
08:25 l'impression de lire un véritable polar avec son lot de victimes, de mensonges et
08:28 d'indices à recueillir, à recouper et à contester. Car finalement, ont-ils été
08:33 les premiers à réussir cette ascension les alpinistes de Mao ? Rien n'est moins sûr.
08:37 Et vous, qu'en pensez-vous Cédric Graff ?
08:39 Est-ce qu'ils ont été les premiers alors ? Parce que la question est la suivante dans
08:47 Alpiniste de Mao. Vous racontez comment deux ouvriers, vous allez nous les décrire et
08:52 nous les présenter, qui n'ont jamais vu de montagne de leur vie, ont donc été choisis
08:57 par le parti communiste chinois, pas seulement pour grimper au sommet de l'Everest, mais
09:02 ils ont une tâche très précise à accomplir, ils emmènent des choses avec eux.
09:06 Ils ont un bus de Mao dans leur sac à dos. En 1960, la Chine qui vient d'embailler le
09:11 Tibet se retrouve avec la plupart des 8000, 14 sommets les plus hauts du monde sur son
09:17 territoire. Ils sont souvent frontaliers avec l'Inde, le Népal, le Pakistan aussi d'ailleurs.
09:21 Mais elle se fait évidemment un objectif que de planter son drapeau sur tous ces sommets,
09:29 à commencer par l'Everest. La face nord à l'époque, la voie nord plutôt de l'Everest.
09:34 Alors vierge, j'aime pas dire ça, je sais pas ce qu'en pense Jean-Michel, parce qu'il
09:37 y a eu des tentatives, elles ne sont pas abouties, mais il y a quand même des gens qui sont
09:38 allés morts, qui sont allés mourir sur cette voie. Et donc il y a un enjeu de prestige
09:42 très fort, il faut monter à l'Everest. Et donc en 1959, ils devaient y aller et puis
09:47 les troubles, les soulevements de la Sa, la fuite de la Laila Mah, empêchent cette ascension
09:51 qui aurait dû avoir lieu sous la houlette des soviétiques. Et en 1960, ils y vont,
09:55 tout seuls. Et on a un récit de cette ascension qui est assez étrange, polluée par la propagande.
10:01 Et donc pour répondre rapidement, mon sentiment personnel c'est qu'à l'époque, ils ne
10:06 sont pas montés jusqu'aux sommets. Mais Jean-Michel n'est pas d'accord, je crois.
10:08 - Alors, c'est vrai que je suis pas d'accord. Je dis, c'est possible qu'ils aient grimpé.
10:13 Pas quand on lit leur récit, parce que leur récit est tellement fantaisiste. Vous avez
10:17 quand même un type qui à un moment se met nu-pied à 8500 mètres pour gravir une dalle
10:22 de 3 mètres, il y passe plusieurs heures, ils arrivent au sommet à 3 heures du matin.
10:26 Ça me paraît un peu exagéré. Mais pourquoi pas ? En tout cas, il n'y a pas de buste
10:34 de Mao au sommet, ça c'est clair. Et on n'oubliera pas que quand même en 1924, Malory et Irvine
10:43 sont peut-être eux montés au sommet. On ne sait pas, on ne sait rien de tout ça.
10:49 Peut-être qu'un jour on retrouvera le fameux appareil photo avec les documents qui attesteraient
10:55 de l'ascension victorieuse de ces deux Anglais. - Ce qui est intéressant, on va parler des
10:58 Anglais dans un instant évidemment, mais ce qui est intéressant et ce que vous dites
11:02 c'est qu'il y en a eu une en 1975 d'ascension par les Chinois, qui a été beaucoup plus
11:07 documentée que celle dont il faut parler au conditionnel, comme dit Jean-Michel Asselin,
11:13 de 1960. Qu'est-ce que ça représente ? Il fallait cette idée d'être les premiers
11:20 à grimper tout là-haut ? - C'est les premiers par la voie nord, parce
11:25 qu'en 1953, Hillary et Tenzing, dans une expédition britannique, sont arrivés au
11:31 sommet. Et en 1956, je crois, les Suisses ont fait la deuxième ascension. Ça aurait
11:35 été au conditionnel la troisième, mais la première par cette fameuse voie nord sur
11:41 laquelle tout a commencé. Les premières expéditions à l'Everest se passent pas côté
11:44 népalais, mais se passent côté tibétain, qui n'était pas à l'époque chinois.
11:48 - Donc c'était une ascension politique, c'est une façon aussi de mettre en avant
11:54 l'idéologie maoïste ? - Oui, mais pas que. On avance les pions très
11:59 concrètement, on met le drapeau, on repousse les bornes du territoire chinois. Il faut
12:03 savoir qu'en mai 1960, exactement en même temps, sur l'autre versant, côté népalais,
12:09 c'est une expédition indienne qui est en train de faire la même chose, d'essayer
12:13 de planter le drapeau indien au sommet de l'Everest, sachant que le Népal est dans
12:17 le giron indien et que l'Inde considère ça comme sa zone d'influence. Donc vous
12:21 avez vraiment New Delhi et Pékin qui étaient en train, au même moment, jour pour jour,
12:26 sur chaque versant, en train d'essayer d'arriver le premier là-haut. Et on dit, j'ai pas
12:29 pu le vérifier, mais on murmure que les Chinois avaient par exemple, à côté du bus de
12:33 Mao, dans le sac à dos, avaient un pistolet au cas où ils rencontraient là-haut les
12:36 Indiens. - Comment vous arrivez, Cédric Graa, à vous
12:40 intéresser à ces deux hommes dont on va citer le nom ? Xu Jing, c'est l'un des deux premiers
12:45 alpinistes, le second s'appelle Liu Lian Man. Comment vous arrivez, vous, à vous saisir
12:51 de leur histoire ? - C'est un choix que j'ai fait de narration
12:54 parce que très rapidement je me suis retrouvé avec une fouletitude de, permettez-moi le
12:58 néologisme de nom, ce sont des ascensionnistes qui ne sont pas passés à la postérité.
13:04 Donc j'ai fait ces choix-là pour deux raisons. D'abord parce que j'ai retrouvé sur eux
13:09 beaucoup plus de documentation que sur d'autres. C'est la première chose. Ensuite parce qu'ils
13:13 traversent toute cette période. Donc à partir du début des années 50, ils sont les premiers
13:17 alpinistes chinois choisis par le régime, envoyés en URSS pour être formés. Et ils
13:23 vont ensuite participer aux expéditions à l'Everest, à l'ascension du Shisha-Pangma
13:27 qui était le dernier 8000 vierge. Pour cause, il était en territoire chinois-tibétain
13:31 intégralement et donc les occidentaux ne pouvaient pas y aller, ni les japonais d'ailleurs.
13:35 Et donc ensuite ils vont d'ailleurs, c'est ça qui m'a fasciné dans leur histoire, c'est
13:39 aussi pour ça que j'ai commencé à écrire, c'est ça qui m'avait décidé d'écrire
13:41 alpiniste de Staline. Ils vont être rééduqués en remerciement de tous leurs exploits. Ils
13:46 vont terminer dans des camps de rééducation pendant la révolution culturelle. Et puis
13:50 ils ont vraiment fait partie de cette génération pionnière et ils traversent toute cette époque.
13:55 C'est pour ça que je les ai choisis. - C'est surprenant que leur nom ne soit
13:57 pas resté dans la postérité, Jean-Michel Asselin ? - Non, c'est pas très surprenant.
14:02 Il y a beaucoup de gens dont les noms ne sont pas restés dans la postérité malheureusement.
14:06 Mais voilà quoi. Même les noms de ceux qui ont réussi en 75, heureusement qu'il y a
14:14 eu cette femme, cette Tibétaine qui s'appelle Pantog, qui du coup a failli être la première
14:19 femme au sommet de l'Everest, mais qui a malheureusement été battue, si on peut dire, par Junko Tabei,
14:25 une japonaise qui est montée 8 jours avant elle au sommet de l'Everest et qui est donc
14:29 devenue la première femme à gravir le toit du monde.
14:33 - Vous dites, Jean-Michel Asselin, à propos de cette ascension de 1960, qu'il y a très
14:38 peu de photos, les photos sont très rares. Ces photos, à l'époque, on ne pensait pas
14:45 à prendre des photos quand on grimpait, quand on faisait l'ascension de l'Everest ?
14:50 - Alors, on a toujours pensé à prendre quand même des photos, parce qu'on savait bien
14:56 qu'il fallait documenter. C'était le cas déjà en 1924 pour Mallory et Irvine, ils
15:01 avaient un petit appareil photo. Donc tout le monde a toujours tenté de prendre des
15:04 photos. Mais il faut bien savoir que c'est un peu compliqué de sortir un appareil qui,
15:10 à l'époque, n'est pas un appareil numérique, c'est un argentique. Il faut enrouler la pellicule,
15:16 faire des réglages. Je peux vous garantir qu'avec des moufles, par une température
15:20 de -30 et un vent de 100 km/h, ouf, il faut avoir le moral.
15:25 - Puisqu'on parle de photographie, Cédric Graa, si vous nous présentez ces deux alpinistes,
15:31 ils ont une histoire assez commune, ce sont des anonymes qui ont été choisis par ce
15:35 parti communiste chinois. Et vous dites par ailleurs que la première photo de Xu Jing
15:41 ne le montre même pas en Chine, mais justement à Moscou, en 1955, avec d'autres jeunes
15:47 chinois, ils sont sur la place rouge.
15:49 - Oui, ce sont des néophytes. Les Chinois n'ont pas d'alpinistes à l'époque, et donc
15:53 la nécessité de grimper à l'Everest, ça nécessite aussi de former les premiers himalayistes.
15:59 On va chercher des gens. De manière assez idéologique, on choisit des prolétaires,
16:06 souvent, qui sont redevables au régime et à la révolution. Il y a plus de zèle qui
16:12 émane de ces gens-là que peut-être de ce qu'on appelait les droitiers, qui auraient
16:16 pu être meilleurs ou qui auraient eu la chance de pratiquer l'alpinisme parce qu'ils étaient
16:19 d'extraction plus aisée. Donc ces gens-là qu'on envoie en URSS sont ensuite ceux qui
16:24 vont former les premières cordées à l'Everest.
16:28 - L'idée aussi, c'est ce 28 mai 1960, l'annonce faite de cette réussite, puisqu'on l'a dit,
16:39 il y en a beaucoup qui se sont essayés pour grimper à l'Everest, et évidemment il y
16:44 a eu beaucoup d'échecs. Donc il y a eu une annonce qui est faite en Chine sur cette réussite.
16:51 - À travers le monde entier. En plus, il faut imaginer qu'à l'époque, le communisme
16:54 est beaucoup plus répandu qu'aujourd'hui. Il y a des relais médiatiques à travers
16:56 le monde, dans tous les pays qui ont des sympathies communistes. Et donc très rapidement, la
17:02 nouvelle fait le tour du monde et dans plusieurs langues. Et donc les doutes qui sont émis
17:05 très rapidement par les himalayistes de l'époque sont un petit peu, je pense, étouffés par
17:12 cette grosse machine. Et c'est vrai que c'est intéressant, la presse, l'écriture, c'est
17:18 un pouvoir énorme. En fait, finalement, être allé au sommet ou pas, ce n'était pas si
17:22 important. Ce qu'il fallait, c'était le clamer. C'est ça qui a joué un rôle.
17:24 - Qu'est-ce qu'on a comme document sur leur histoire ? Je sais que vous avez retrouvé
17:28 notamment une biographie de l'un d'entre eux, de Liu Yanman. Qu'est-ce qu'elle contient
17:34 et comment vous avez mis les mains dessus ?
17:36 - Ça, c'était une mine d'or, bien sûr, parce que d'abord, il a apporté quelques
17:40 informations d'ordre factuel, mais c'était aussi ce qu'on appelle aujourd'hui son ressenti,
17:45 je préfère dire son sentiment, parce que c'est très impersonnel, les relations officielles
17:50 qu'on a des expéditions maoïstes. Donc Liu Yanman, il a écrit dans les années 80,
17:55 visiblement après la mort de Mao, ça c'est sûr, une petite autobiographie. Il n'était
17:59 pas très lettré, Liu Yanman, c'était un ouvrier qui venait d'une famille extrêmement
18:03 misérable, qui était clairement redevable à la Révolution. Il le dit, il dit "moi,
18:06 je serai toujours redevable à Mao". Et donc Liu Yanman, il raconte sa vie de manière assez
18:12 candide et puis il a confirmé des choses que j'avais pu trouver, à savoir que notamment
18:16 en mars 1959, quand la ville de Lhasa se soulève contre l'occupation chinoise, que le Dalai
18:22 Lama s'enfuit, que les monastères sont détruits, il a participé. C'est-à-dire qu'à l'époque,
18:26 les alpinistes chinois qui devaient partir à l'Everest, l'expédition est annulée,
18:30 on leur dit de poser des piolets, de prendre des mitraillettes et ils ont participé à
18:34 la répression tibétaine. Liu Yanman, il le dit, il explique "moi, j'ai fait partie
18:39 de l'assaut sur le monastère de Sera", qui est un des grands monastères de Lhasa.
18:42 - Qu'est-ce qu'on trouve dans ce document sur, justement, 1960 et l'ascension ?
18:46 - Alors, moi, j'ai reçu de Chine ce livre, photographié page par page, et il manquait
18:54 des pages. Et j'ai demandé pourquoi il manquait des pages. On m'a dit qu'elles avaient été
18:59 arrachées du livre, et ces pages-là, ce sont celles de l'ascension à l'Everest en 1960.
19:04 - Donc on ne saura pas. Pour l'instant. - Voilà.
19:08 - L'autre symbole politique, Jean-Michel Asselin, c'est évidemment le nom de l'Everest aussi,
19:16 que vous qualifiez du plus beau "hold up linguistique". Expliquez-nous.
19:19 - C'est quelque chose d'étonnant parce qu'en fait, lorsque Andrew Vaughan, qui est un des
19:26 maîtres du Survey of India, cet organisme qui est chargé de cartographier l'Himalaya,
19:33 découvre qu'il y a un pic 15 qui est apparemment le sommet le plus haut du monde, parce qu'ils
19:38 ont de très bons géomètres et autres qui ont réussi à déterminer que ce pic faisait
19:45 8840 mètres. Et donc cet Andrew Vaughan, il va tout simplement remercier son prédécesseur
19:54 qui s'appelle George Everest, qui était à la retraite. Et il va dire "on va donner
19:59 le nom de ce pic 15, on va lui donner le nom d'Everest". Mais s'il avait regardé Andrew
20:04 Vaughan, il aurait vu que les gens, les locaux, les Tibétains, avaient déjà donné un nom
20:12 à l'Everest. Ils l'avaient appelé Chomolungma. Et on trouve ça sur des cartes chinoises
20:17 dès le 15ème siècle. Et voilà. Et Everest, il faut le noter quand même, n'était pas
20:22 très d'accord qu'on donne son nom à cette montagne. Il disait "non, mais personne
20:27 n'arrivera à prononcer ça. Les locaux, les Népalais, les Tibétains ne pourront pas
20:32 dire Everest". Bon, il a eu un peu tort, parce que finalement c'est le nom qui est
20:36 resté par-dessus tout.
20:38 - Everest, c'est donc en hommage à cet arpenteur général des Indes britanniques. C'est
20:43 un contexte, Cédric Gray, qui est un contexte colonial, puisque là aussi on est dans un
20:50 contexte d'affrontement.
20:51 - Oui, c'est une toponymie occidentale. Et les Chinois, qui par ailleurs sont vendeboues
20:59 contre tout ce qui est religieux, le marxisme est contre la religion, ils vont conserver
21:04 le nom tibétain Chomolungma, qui fait référence à une déesse du panthéon bouddhiste tibétain,
21:12 alors même que la logique idéologique aurait voulu qu'ils prennent un nom plus profane.
21:17 Mais ça les arrange bien sûr de garder le nom tibétain, puisqu'ils estiment que le
21:21 Tibet est lié à la Chine depuis des siècles et que l'Everest c'est un Roland colonial.
21:28 C'est une toponymie qu'il faut effacer.
21:29 - On ne peut pas se séparer de l'histoire du Tibet, Jean-Michel Asselin.
21:32 - Et non. On ne peut pas se séparer d'une chose, c'est que l'Everest commence par une
21:35 petite guerre. Une guerre qui va faire quand même du côté tibétain plusieurs centaines
21:40 de morts. Et c'est comme ça. Il ne faut pas s'imaginer que tout va bien et que les gens,
21:45 les Anglais, rentrent très facilement au Tibet. Non, non. Il y a un général qui s'appelle
21:50 Bruce et qui y va, Youngsband, et ils vont littéralement envahir le Tibet parce qu'ils
21:57 ne rencontrent presque aucune résistance. Les Tibétains ont des armées qui se battent
22:02 avec des lances, des mousquets, des choses comme ça. Et eux, ils ont des mitraillettes
22:08 déjà, des Enfield très lourdes. Bon, voilà. Ça commence par une guerre.
22:12 - 1885, donc cette guerre dans l'histoire du Tibet. On va écouter à présent dans le
22:17 book club Agnès qui a également lu votre livre "Une histoire de l'Everest". Agnès
22:22 qui est une passionnée de montagne. Jean-Michel Asselin, voici ce qu'elle retient de votre
22:26 livre.
22:27 - C'est une histoire de l'Everest parce qu'il y aurait pu en avoir d'autres. L'auteur
22:31 est un passionné, simplement guidé par sa mémoire et son cœur, qui se promène dans
22:36 l'album photo d'une montagne comme si c'était un peu le sien. À sa suite, j'ai tourné
22:40 les pages de cette encyclopédie sérieuse et légère. Et je me suis arrêtée sur les
22:44 clichés mythiques, sur ces sacrées gueules aux sourires radieux ou aux traits tirés,
22:48 en pull de laine puis en doudoune fluo. L'Everest est un puissant aimant pour ses hommes et
22:53 femmes, fragiles et émouvants, qui tentent à tout prix de faire sien l'un des superlatifs
22:58 dont la litanie semble infinie. Le premier homme, la première femme, le premier sans
23:02 oxygène ou en solitaire, le premier de son pays, le plus vieux, le plus jeune. Les tentatives,
23:07 les records, le nombre de prétendants ne le tournit. C'est à se demander, cette histoire
23:11 n'aura-t-elle donc jamais de fin ?
23:12 - Il y aura toujours des hommes et des femmes pour grimper ?
23:16 - Absolument. Comme sur le Mont Blanc, comme sur toutes les montagnes qui ont un prestige
23:23 d'être les plus hautes. Il y aura toujours du monde.
23:26 - Par deux fois, Jean-Michel Asselin, vous avez été à deux doigts d'atteindre son
23:29 sommet. Vous le racontez dans le livre. À deux reprises, vous avez renoncé à votre
23:33 rêve. C'est un rêve véritablement d'arriver là-haut ?
23:36 - Ah oui, oui. Je pense que j'avais vraiment ce rêve dans la tête. J'y tenais. J'y
23:41 avais consacré beaucoup de temps, d'argent, de tout ce qu'on veut. C'est un peu bête
23:48 à dire, mais le rêve reste.
23:49 - Le rêve reste. C'est presque un joli jeu de mots. 50 mètres de dénivelé du sommet.
23:55 Et vous dites, ça paraît pourtant peu, 50 mètres, c'est con de s'arrêter là.
24:01 - C'est con de s'arrêter là, mais je ne serais peut-être pas là si je les avais
24:04 fait ces 50 mètres pour parler de tout ça. Parce que c'est comme ça, les vrais. Ça
24:10 n'a pas beau être pas très compliqué comme montagne. Il n'y a rien d'extraordinaire.
24:15 C'est juste un problème d'altitude quelque part et de mauvais temps. Mais si vous avez
24:19 les bonnes conditions, si vous vous mettez comme aujourd'hui, vous dépensez à peu
24:24 près, je ne sais pas, 150 000 dollars, on vous met un cher pas devant, un cher pas derrière,
24:30 25 bouteilles d'oxygène. Bon, vous avez quand même beaucoup de chance d'aller en haut.
24:34 Mais il vous reste quelques chances d'y mourir.
24:35 - Et il y en a de nombreuses personnes qui sont mortes. Vous racontez notamment cette
24:41 momie de Maurice Wilson qui est mort en 1934 et qui échoue à vos pieds, au pied de votre
24:47 tante en 1989. C'est la première ascension, je crois.
24:51 - Oui, c'est ma première tentative.
24:53 - Qu'est-ce que ça veut dire ces cadavres qui vous tombent presque au-dessus ?
24:57 - Écoutez, c'est assez marrant parce que Wilson, c'est un personnage ératique puisqu'il
25:03 va être retrouvé par les Chinois en 1975. Il a été avant retrouvé par des Anglais
25:07 en 1938 peut-être. Et en fait, à chaque fois, on le retrouve vers 7000 mètres. Et
25:14 donc, on le place dans une crevasse avec sa tante, etc. Il est mort là. Donc, voilà,
25:19 on ne l'enterre pas, on le jette dans une crevasse. Sauf que le glacier avance. Et Wilson
25:24 avance avec le glacier. Et en 89, donc en l'espace de quelques dizaines d'années,
25:30 il a parcouru 600 mètres de dénivelé et il s'est retrouvé en bas du glacier. Et
25:35 effectivement, un matin, à côté de ma tante, je vois un espèce de tas un peu bizarre.
25:38 J'ai d'abord cru que c'était un yak qui était là, couché. Et puis non, je me suis
25:43 rendu compte que c'était bien un personnage. Et j'ai tout de suite reconnu, parce que je
25:47 connaissais un peu l'histoire des Vresques, qu'il s'agissait de Maurice Wilson, le solitaire,
25:52 qui était complètement un personnage totalement fantasque.
25:55 - Cédric Rara, racontez-nous. Vous dites que c'est un alpiniste néophyte et illuminé.
26:00 - Ah bah totalement, Wilson, oui. - Allez-y, Cédric Rara.
26:03 - Jean-Michel connaît aussi bien l'histoire. Mais il y a eu, sur les flancs nord de l'Everest,
26:08 se sont succédés pas mal de personnages comme ceux-là. Parce qu'on connaît surtout les
26:11 expéditions britanniques. Mais il y a eu pas mal de solitaires. Et le dernier, d'ailleurs,
26:15 c'était un Danois qui est là juste au moment de la révolution maoïste. Et donc, il finit
26:22 finalement par se cacher au monastère de Rongbu, qui est juste sous la face nord de
26:26 l'Everest. Parce que les Chinois le recherchent. Et ça sera le dernier Occidental à aller
26:30 tenter le coup avant que la face nord de l'Everest soit confisquée quelque part géopolitiquement
26:35 par les Chinois. C'est seulement en 1978-79, après la mort de Mao, que les Chinois vont
26:41 rouvrir le territoire tibétain à des expéditions occidentales. Il y aura notamment Reinold
26:48 Messner qui viendra signer un exploit en 1980. - On parlait tout à l'heure de Mallory,
26:54 c'est celui qui a certainement incarné le plus cette quête de l'Everest. Vous nous
26:59 racontez là aussi comment son corps a été retrouvé, recherché par des alpinistes
27:04 américains ? - Oui, on avait un témoignage d'un Chinois
27:07 justement qui s'appelle Wang Hongbao, un nom comme ça. Et en fait, ce personnage avait
27:13 dit qu'il avait vu un jour le cadavre d'un vieil Anglais. Et il y en a qui ont bien
27:18 sûr noté tout ça. Et il y a un jeune Allemand, entre autres, qui s'appelle Joachim Enmleb,
27:24 qui est un historien de l'Everest, patient, et qui a décidé de rechercher Mallory et
27:32 Irvine. Et donc, il avait à peu près la zone décrite par le Chinois en question. Et effectivement,
27:39 en 99, il y a une équipe menée par Conrad Anker, un Américain, qui sont à un moment
27:46 tombés sur un corps qui était couché dans la neige. On aurait dit presque une statue
27:50 de marbre, c'est incroyable. Il avait le dos tout blanc, il était légèrement dénudé.
27:55 Et ils ont d'abord cru que c'était Irvine. Et quand ils ont fouillé dans ses poches,
27:59 ils ont trouvé un mouchoir avec des fleurs magnifiques et le nom de Mallory. Et donc
28:05 là, ils étaient tous agenouillés devant Mallory. C'était une découverte incroyable.
28:10 Et ils ont ramené, y compris, même un tout petit morceau de peau de Mallory pour qu'on
28:15 puisse avoir une identification ADN certaine.
28:19 - J'imagine qu'il y a autant de personnalités qui s'attaquent à l'Everest que de tentatives.
28:25 Évidemment, c'est Edric Grimm, mais il y a un brin de folie aussi chez chacun d'entre
28:32 eux sans vouloir insister. Jean-Michel Asselin, évidemment. Mais il y a quelque chose qui
28:36 est commun à toutes ces personnes.
28:38 - C'est une question que je me suis posée en travaillant sur les alpinistes maoïstes
28:41 parce que la motivation des alpinistes à cette époque-là, soulachés de Maoïst,
28:47 c'était politique. Et on est allé chercher des gens qui n'avaient parfois jamais vu
28:50 de montagne. On ne les a pas envoyés directement à l'Everest. Ils sont passés par le Caucase,
28:54 par le Pamir. Ils allaient souvent s'entraîner sur un gros volcan au Tibet qui s'appelle
28:58 le Mustakata, dans la région ouïghour, le nord du plateau. Et puis après, ils allaient
29:03 à l'Everest. Mais c'était quand même des gens qui n'avaient pas eu de vocation
29:06 au départ et qui étaient d'ailleurs dans les récits. On sent qu'il y a une exaltation
29:10 politique. En 1975, on va mettre en scène jusqu'à 8000 mètres d'altitude des adhésions
29:16 au Parti communiste. Sur le col Nord, à 7000 mètres, on met en scène l'étude du Petit
29:21 Livre Rouge par les alpinistes. Donc, on est loin de la nature, de l'amour de la montagne
29:26 et même de l'exploit personnel. Tout est collectif. C'était des expéditions très,
29:29 très lourdes. C'est pour ça d'ailleurs que j'ai voulu, moi, en choisissant Lu Lanman
29:33 et Xu Jing, m'emparer d'individualité pour essayer quand même de retrouver des
29:38 choses un peu de l'ordre de l'intime, de faire exister le destin de ces gens qui étaient
29:42 complètement noyés dans l'exploit collectif. - C'est pour ça aussi, évidemment, qu'on
29:46 parlait de leur nom non resté à la postérité. C'est parce qu'ils étaient très nombreux.
29:50 Ils étaient combien dans cette expédition ? - C'était une expédition de 150-300.
29:54 Alors, il y a énormément de Tibétains qu'on recrutait comme porteurs. Dans la version
29:58 officielle en 1960, ceux qui arrivent officiellement au sommet, ils sont trois. Il y a un Tibétain,
30:05 il s'appelle Gompo et d'ailleurs, il est toujours vivant. C'est le dernier. Et en
30:08 2008, c'est lui qui portait la flamme olympique dans les rues de Lhasa pour les Jeux olympiques
30:12 en Chine. Et il était là avec deux Chinois de l'ethnique Han. Enfin, je ne sais pas
30:16 comment on peut les appeler des Odontiques chinois. En tout cas, les colonisateurs du
30:20 Tibet. Et donc, c'est ce trio-là qui a été mis en scène dans les récits et dont
30:26 on ne sait pas s'ils sont montés ou pas en réalité.
30:29 - Ce qui est aussi intéressant, on parlait tout à l'heure du nom de l'Everest qui
30:34 a aussi un symbole très politique, mais il y a aussi la taille et la difficulté en
30:39 permanence de mesurer ce nom Everest et aussi de presque le faire grandir, si je puis dire
30:46 de la manière de chercher à cela. - Oui, en général, on évite de le diminuer.
30:49 Et donc, c'est devenu un peu un jeu parce que de la même façon qu'on mesure systématiquement
30:56 le Mont Blanc, on mesure l'Everest régulièrement. Alors, il y a toutes les façons de le mesurer.
31:02 Il y a du satellite, il y a plein de choses. Il y a de la triangulation depuis le sol.
31:07 C'est ce qu'avait fait Andrew Vaughn en 1875. Ils avaient carrément des espions qui
31:14 déguisés en moines utilisaient des systèmes pour trianguler la montagne. C'était extraordinaire.
31:22 Alors maintenant, c'est un petit peu plus basique. On a le GPS, on a tout ça. Donc
31:27 voilà, on le mesure en espérant qu'il ne baisse pas trop.
31:31 - Qu'est-ce que ça change s'il augmente ? Notamment, ça change le prix, je crois,
31:36 pour l'ascension, c'est ça ? - Ah ben oui, oui. Plus c'est haut, plus
31:39 c'est cher. Non, en réalité, les Chinois étaient un tout petit peu plus bas que les
31:43 Népalais concernant les royalties du sommet qui s'élèvent au Népal à peu près à
31:48 10 000 dollars par personne. - Ça, c'est un permis d'ascension.
31:53 - Ça, c'est un permis. C'est-à-dire que vous n'avez rien. Vous avez un ticket pour
31:56 monter sur la montagne. C'est tout. Mais aucune infrastructure, rien. En revanche, les Chinois
32:03 étaient moins chers. Et là, ils se sont dit « Oh ben, on va peut-être augmenter les
32:07 prix parce que vu que de toute façon, la montagne a été mesurée un peu plus haute,
32:11 alors voilà, pourquoi pas ? » - Ça nous arrange. Cédric Graa ?
32:15 - Sur la tarification ? - Ou en tout cas, sur cette idée de mont
32:20 qui s'élève presque. - Ah ben, il s'élève même en termes de
32:23 tectonique. J'ai vu dans le livre de Jean-Michel, il parle d'érection tectonique. C'est ce
32:27 qui se passe. La plaque indienne s'enfonce sous la plaque tibétaine et donc l'Himalaya
32:30 normalement devrait grandir encore de quelques centimètres, si je ne dis pas de bêtises.
32:33 - Non, non, c'est ça. - Mais après la mort de Mao, sous... Comment
32:38 s'appelle ? Deng Xiaoping, on commence à commercialiser l'Everest, ce qu'on ne faisait
32:43 pas avant. Et d'un coup, l'Everest devient une source de devise. Et c'est toujours un
32:47 petit peu le cas côté chinois pour les expéditions occidentales. Donc ce sont des tarifs assez
32:53 importants, effectivement. - Jean-Michel Asselin, à la fin de votre livre,
32:56 vous racontez les nombreuses bonnes âmes qui veulent débarrasser l'Everest des déchets
33:01 laissés par plus de 70 ans d'expédition. Et vous citez notamment l'étonnante Marion
33:07 Chéniot-Dupuis. C'est quoi son histoire ? Qu'est-ce qu'elle fait ?
33:10 - Alors c'est une jeune femme qui a vécu au Tibet pendant plusieurs années. Il n'y
33:16 en a pas beaucoup. Et elle n'était pas vraiment alpiniste ou autre, mais elle s'est lancée
33:24 à la quête de l'Everest. Et elle a gravi l'Everest une première fois. Elle y est retournée
33:29 deux autres fois, mais avec l'idée effectivement de débarrasser la montagne d'un certain nombre
33:34 de déchets, etc. - Qu'est-ce qu'on y trouve ? Ce que laissent
33:38 les alpinistes ? - On y trouve tout ce qu'on jette, comme
33:41 dans les bronzés font du ski, la neige recouvrira tout. Les gens jettent pas mal. Faut pas non
33:47 plus exagérer, c'est pas non plus une poubelle. Mais c'est vrai qu'il y a des vieilles bouteilles
33:52 d'oxygène, de moins en moins, parce qu'elles sont consignées désormais. Il y a des bouteilles
33:58 de gaz, il y a des tentes qui sont réduites à l'état de charpie. Et puis il y a des
34:03 cadavres. Il y a quand même presque 300 personnes qui sont mortes sur l'Everest et toutes ne
34:08 sont pas redescendues. Comme Wilson. - L'Everest racontée par Jean-Michel Asselin,
34:14 une histoire de l'Everest. C'est aux éditions Glenda. Merci d'être venu dans le studio
34:18 du Boucle. Merci à vous, Sadiq Grah également. Votre récit alpiniste Mao est disponible
34:23 aux éditions Stock. Et j'ajoute que vous serez d'ailleurs l'invité du festival Étonnant
34:27 Voyageur. C'est à Saint-Malo et ça se déroule les 27, 28 et 29 mai prochain. Merci à tous
34:33 les deux d'avoir accepté cet échange.
34:34 * Extrait de « L'Everest » de Charles Dantzig *
34:39 Dans un instant l'épilogue du Boucle. Mais d'abord, voici les 4 items de la semaine
34:43 avec Charles Dantzig.
34:44 « Quand on n'est pas en forme, deux solutions. Premièrement, écouter des chansons de Lana
34:49 Del Rey pour se bercer de mélancolie. Deuxièmement, contredire cette mélancolie en lisant un
34:55 dictionnaire d'injures. Je recommande tout particulièrement celui d'Edouard Robert,
35:01 écrit par Tchou en 1967. On le trouve assez difficilement chez les bouquinistes, plaisir
35:07 supplémentaire. Pendant des mois ou des années, on cherche, puis on oublie. Et un jour, par
35:12 hasard, il est là, ce gros parallèle épipède avec, dessiné sur sa couverture, un homme
35:19 qui crie un énorme « merde », le mot des Français. Tellement qu'un magazine satirique
35:24 américain a pu publier une carte de France où tous les noms de villes sont modifiés.
35:29 « À la place de Paris ? Merde. À la place de Bordeaux ? Merde. À la place de Strasbourg ? Merde.
35:36 Et ainsi de suite. » Les Français sont des emmerdeurs. C'est probablement parce qu'ils
35:41 se considèrent comme des emmerdés. Ce que ce dictionnaire a de très amusant, c'est
35:46 qu'il est « peint-s'en-rire ». Grossièreté et « peint-s'en-rire » ne sont pas contradictoires.
35:51 Il présente chaque mot ou chaque locution très sérieusement, en donnant des exemples
35:57 tout à fait comme le Robert ou le Larousse. C'est d'un effet comique achevé. Par exemple
36:01 « Pelle à merde » c'est une vraie pelle à merde. Ou « Regarde-moi cette pelle à
36:06 merde » se dit d'une personne qui ramasse avec avidité tout ce qui traîne autour d'elle.
36:11 Plus rarement d'un individu qui se livre à de troubles et basses besognes, n'hésitant
36:16 jamais à se salir les mains. Voire « fouille-merde ». Du latin « pala » « bèche » et de
36:21 « merbe ». Ce dictionnaire, que l'on pourrait appeler par raccourci le dictionnaire Chu,
36:27 est précédé d'un petit traité d'injurologie tout à fait incontestable. Voici le titre
36:33 d'un de ses chapitres « Un profond besoin de réaction ». Et en effet, qu'est-ce
36:37 qu'une injure et d'autre ? Une injure n'est pas nécessairement insultante. C'est une
36:42 hyperventilation. On suffoque d'indignation, on a très vite besoin de déboucher son
36:47 moi par une parole qui fuse comme un bouchon. Une des injures envers les politiciens les
36:53 plus réussis a été muette. L'auteur a né Zodaxa, un anarchiste français de la
36:59 belle époque de l'anarchisme en France, les années 1890. Aux élections législatives
37:06 de 1898, Zodaxa a présenté le candidat officiel de son journal La Feuille, un âne qui l'a
37:14 emmené dans Paris pour le faire bien connaître aux électeurs. Quand on a vu certains candidats,
37:19 chacun mettra un nom à son goût, celui-ci n'était pas le pire.
37:23 Les 4 items de Charles Danziger retrouvés sur France Culture.fr et sur l'application
37:28 Radio France. Un grand merci à toute l'équipe du Book Club qui prépare cette émission,
37:32 Oriane Delacroix, Zora Vignet, Jeanna Grappard, Didier Pinault et Alexandre Alaï-Bégovitch.
37:36 C'est Thomas Beau qui réalise cette émission et elle a prise de son ce midi, Dali et Yaa.
37:41 Vous retrouvez évidemment le Book Club sur notre compte Instagram, Book Club Culture.
37:45 Et on tourne ensemble la dernière page de ce jour. Voici l'épilogue.
37:49 « Chomolungma, je suis allé 5 fois sur cette montagne. Je vous le dis tout de suite, je
37:54 n'ai pas atteint le sommet. Donc je suis un loser de l'Everest. Mais en revanche,
37:58 ils ont un bus de Mao dans leur sac à dos. Oui mais pas qu'eux. Ils ont un petit appareil
38:01 photo. Oui mais pas qu'eux. On murmure que les Chinois avaient un pistolet au cas où
38:04 ils rencontraient là-haut les Indiens. Oui mais pas qu'eux. Et eux, ils ont des mitraillettes
38:08 très lourdes. Oui mais pas qu'eux. On vous met un sherpa devant, un sherpa derrière.
38:12 Oui mais pas qu'eux. 25 bouteilles d'oxygène. Sauf que le glacier avance. Oui mais pas qu'eux.
38:17 C'est un peu bête à dire mais le rêve reste. »

Recommandations