Guerre en Ukraine : "Poutine a déjà perdu", estime Frans Timmermans

  • l’année dernière
Selon Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, "aucun des objectifs" fixés par les Russes il y a un an "n’a tenu" et "Poutine a déjà perdu" la guerre en Ukraine. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-10-mai-2023-1186542
Transcript
00:00 Notre premier invité ce matin est une grande voix européenne, ancien ministre des Affaires
00:03 étrangères des Pays-Bas, aujourd'hui premier vice-président de la Commission européenne.
00:07 Bonjour, Franz Timmermans.
00:08 Bonjour.
00:09 Merci d'être avec nous ce matin.
00:10 Avec plaisir.
00:11 Il y a quelques jours à ce micro, on recevait à votre place Robert Banninter qui regrettait
00:15 que nous ayons quelque peu oublié, nous, Français, qu'il y avait une guerre au cœur
00:19 de l'Europe à deux heures et quart de vol de Paris, que des jeunes mourraient tous
00:24 les jours sur le front et même parfois des journalistes, journalistes français comme
00:27 hier Arman Soldin, le journaliste de l'AFP.
00:30 Avez-vous le sentiment, Franz Timmermans, que les Européens se sont habitués à cette
00:34 guerre en Ukraine, qu'il y a comme une forme de lassitude, qu'on commence à oublier au
00:38 fond et que c'est ça qu'espère Poutine ?
00:41 Heureusement, je n'ai pas ce sentiment mais il y a toujours ce danger après une année
00:46 de guerre qu'on s'y habitue et donc je comprends très bien le sentiment de Robert
00:51 Banninter que j'admire d'ailleurs énormément.
00:54 Mais je vois quand même une volonté politique à l'échelle européenne de tous les États
01:00 membres de continuer à soutenir l'effort des Ukrainiens de se défendre.
01:05 Parce que tout le monde est très conscient du fait que ce n'est pas seulement une guerre
01:08 en Ukraine, c'est une tentative de Poutine de s'imposer, de s'imposer aux voisins
01:14 et puis il veudra aussi s'imposer à nous.
01:17 Et donc c'est un combat aussi pour notre liberté, pour notre futur comme pays libre.
01:24 Mais alors la dernière fois que je vous interviewais c'était il y a trois mois en février et
01:27 vous nous disiez cette guerre sera une défaite de Poutine, il va perdre c'est sûr, c'est
01:31 clair.
01:32 Est-ce que vous le dites encore aujourd'hui, trois mois après, vous avez des doutes comme
01:36 on l'entend parfois ces derniers jours dans les chancelleries occidentales.
01:41 L'Ukraine peut ne pas gagner cette guerre, Poutine peut la remporter ?
01:45 Franchement, je crois qu'il a déjà perdu.
01:47 C'est seulement, on peut perdre une guerre mais on peut quand même continuer à combattre.
01:52 On l'a vu aussi dans la deuxième guerre mondiale, les Allemands ont perdu en fait
01:56 déjà en 1943 mais ils ont continué encore deux ans.
01:59 Donc là aussi il y a la possibilité de continuer.
02:02 Pour vous il a déjà perdu ?
02:03 Oui, il a déjà perdu parce qu'aucun objectif qu'il avait il y a un an a été
02:07 attenu.
02:08 Il voulait montrer hier pendant sa grande fête nationale la conquête de Barmout.
02:14 Ils ont échoué, ils ont échoué partout, ils ne sont plus capables de foncer.
02:18 Ça démontre un désespoir avec ces drones etc.
02:23 Il n'a pas les moyens de foncer.
02:25 Et les Ukrainiens ont des moyens pour repousser les Russes et je crois qu'ils le feront.
02:30 Ont-ils assez de moyens ? C'est toujours et encore et toujours la question.
02:34 C'est de ça dont Ursula von der Leyen a parlé hier à Kiev avec Volodymyr Zelensky
02:39 qui lui répond et qui lui dit "les armes manquent, on en a besoin tous les jours sur
02:43 le terrain".
02:44 Thierry Breton de la commission, vous regrettez il y a quelques jours la
02:48 lenteur en disant "en matière de défense, nos industriels européens doivent désormais
02:52 passer en mode économie de guerre, ils n'y sont pas encore".
02:55 Vous êtes d'accord avec ça ?
02:56 Ils y arrivent, grâce à Thierry Breton, ils y arrivent.
02:59 Donc on est quand même en mesure de mobiliser des fonds et de mobiliser une volonté industrielle
03:06 de fabriquer ces munitions qui sont nécessaires en Ukraine.
03:11 Donc je vois, les démocraties sont toujours plus lentes que les dictatures.
03:16 Pourquoi ?
03:17 Parce qu'on décide par consensus, on décide par des décisions démocratiques et ça prend
03:23 du temps.
03:24 Et c'est aussi une beauté de la démocratie.
03:27 Mais dans une situation de guerre, et là je rejoins Thierry Breton, il faut adopter
03:35 une attitude vraiment très active parce que c'est une guerre et c'est une guerre qui
03:41 nous implique.
03:42 Et c'est une guerre de mouvements.
03:43 Vous connaissez bien la Russie, vous parlez russe et pas seulement français.
03:46 Vous suivez ce qui se dit à la télé russe, vous regardez tous les jours la télévision
03:51 russe.
03:52 Comment vous interprétez les déclarations de Yevgeny Prigojin, le chef de la milice
03:55 Wagner qui tous les jours, depuis quelques semaines, critique l'armée russe, critique
04:00 la faiblesse des soldats russes et critique même il y a deux jours Vladimir Poutine
04:04 lui-même, il l'a traité de grand-père.
04:05 Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça dit de ce qui se passe aujourd'hui
04:08 en Russie ?
04:09 C'est clair qu'il y a des tensions entre les dirigeants.
04:11 C'est clair que tout le monde a peur de Poutine et en même temps tout le monde est critique
04:16 de Poutine.
04:17 Lui, Prigojin, il veut éviter d'être blâmé pour le manque de succès.
04:23 Tout ce qu'il a annoncé de faire, il n'a pas fait.
04:26 Donc ce n'est pas de sa faute, c'est la faute de l'armée, etc.
04:29 Donc il y a cette dynamique et puis aussi il y a une désinformation.
04:33 C'est déjà Churchill qui l'a dit.
04:35 Dans toute guerre, la première victime c'est la vérité.
04:38 C'est aussi une tentative de créer une réalité inexistante pour nous mettre sur une fausse
04:47 piste.
04:48 Et la désinformation, elle continue tous les jours à la télévision russe.
04:51 C'est Goebbels.
04:52 A force de répéter les mensonges, ça devient la vérité.
04:56 Si on regarde aussi le discours de Poutine d'hier, c'est quand même hallucinant.
05:01 Les mensonges.
05:03 Et hallucinant aussi parce que c'est accepté et cru par une majorité de la population russe.
05:09 Aujourd'hui, la question qui vous obsède en ce moment à la Commission européenne,
05:12 c'est comment faire pour que des pays comme la Turquie, comme la Chine et leurs entreprises
05:17 arrêtent de contourner nos sanctions ?
05:19 C'est ça qui est en train de se passer.
05:22 Pour être très clair, aujourd'hui vous avez des entreprises chinoises qui achètent
05:26 les produits qui sont bannis et qui les revendent aux Russes.
05:29 Vous visez notamment, la Commission vise, 8 entreprises chinoises qui sont en train
05:34 de faire ça.
05:35 Ça veut dire quoi ? Il faut les sanctionner ? Il faut sanctionner plus durement certaines
05:39 entreprises chinoises ou turques ou viser carrément l'Etat ?
05:43 Il faut quand même démontrer qu'on est en mesure de leur mettre en position d'être
05:47 accusés.
05:48 Donc quel est leur intérêt ? Leur intérêt est d'être productif.
05:53 Si on peut démontrer que par des actions européennes, ils ne sont plus en mesure d'exporter
05:57 ça en Russie, ou ça coûte cher, ça peut aider d'éviter ces exportations parallèles.
06:03 Mais alors, ce qu'on dit sur la Chine a fait bondir le ministre des Affaires étrangères
06:07 chinois hier.
06:08 La Chine apportera la réplique nécessaire pour protéger fermement les intérêts légitimes
06:12 des entreprises chinoises.
06:13 Donc arrêtez de nous viser, arrêtez de viser nos entreprises.
06:15 Le chancelier allemand Olaf Scholz soulignait hier combien la rivalité et la concurrence
06:19 de la part de la Chine s'était accrue ces derniers temps, la décrivant comme un partenaire
06:23 certes, mais un concurrent et un rival systémique.
06:26 Ce sont les mots que vous employez ce matin.
06:27 Vous pensez que la Chine aujourd'hui est un rival systémique de l'Europe ?
06:30 Oui, parce qu'il y a eu, sous la direction de Xi Jinping, il y a eu quand même une renaissance
06:36 de l'idéologie.
06:37 La Chine pendant une période assez longue était vraiment orientée vers le commerce,
06:43 vers la restructuration industrielle.
06:45 Et maintenant, lui, il a réintroduit l'idéologie.
06:47 Et c'est une idéologie qui va dans une autre direction que la liberté et l'ouverture
06:54 que nous connaissons.
06:55 Donc il y a une rivalité idéologique entre les deux systèmes.
06:59 Et nous, on est quand même dans une position de devoir protéger notre système, notre
07:04 liberté.
07:05 Est-ce qu'on est assez dur ? Est-ce qu'on le protège assez, notre système de liberté
07:07 par rapport aux Chinois ? Vous avez l'impression qu'on s'est réveillé ?
07:09 On est, parce qu'on a besoin des Chinois et eux, ils ont besoin de nous.
07:13 Donc cette dépendance des deux côtés doit être la base pour une discussion.
07:18 Moi, je n'irai pas dans la même direction comme les Américains.
07:21 On a une position européenne, autonome.
07:24 Et là, je rejoins quand même aussi le président de la République qui a dit ça clairement.
07:28 Emmanuel Macron.
07:29 Francis Merman, c'est vous qui vous occupez à la Commission européenne.
07:33 C'est vous qui avez même théorisé ce qu'on appelle le "Green Deal", c'est-à-dire l'alliance
07:36 entre l'écologie et l'industrie, pour faire simple, pour organiser la transition écologique
07:41 de l'industrie.
07:42 Et finalement, c'est vous qui le théorisez.
07:44 Et finalement, c'est les Américains qui vous piquent l'idée.
07:46 Biden a repris votre idée avec son IRA, son grand plan d'investissement pour une industrie
07:50 verte.
07:51 Il a déboursé des milliards et des milliards sur la table de subvention aux entreprises.
07:55 Vous n'êtes pas un peu jaloux qu'on n'y arrive pas, nous, en Europe ?
07:58 Ben non, ben non.
07:59 C'est quand même…
08:00 Ben un peu quand même.
08:01 Si on voit le total des dépenses européennes, c'est encore plus que ce que font les Américains.
08:07 Et puis d'être copié par les Américains, c'est quand même un compliment.
08:11 Et même les Chinois sont en train de nous copier.
08:14 L'introduction d'un prix sur le carbone, c'est une invention européenne qui est aussi
08:20 copiée par les Chinois, maintenant.
08:22 Oui, mais enfin, on n'arrête pas de parler de notre souveraineté, qu'on met des subventions
08:24 pour que les entreprises restent en Europe et produisent en Europe et qu'on réindustrialise
08:27 notre continent.
08:28 Et on apprenait la semaine dernière que Volkswagen a finalement choisi d'installer sa nouvelle
08:33 usine de production de batteries au Canada et pas en Europe.
08:36 On vient d'entendre qu'il y aura un investissement à Dunkerque aussi pour produire des batteries.
08:42 J'ai vu la PDG de… j'ai écouté la PDG de Peugeot hier qui dit « on va vers l'électrique
08:49 d'ici 2030 ».
08:50 Donc l'Europe, finalement…
08:51 Vous trouvez franchement que c'est assez ? Ou vous me faites de la langue de bois ?
08:55 On attendait parce que les Chinois et les Coréens, ils sont allés plus vite.
08:58 Ils ont fait le choix de l'électrique plus tôt.
09:01 Mais nous, maintenant, on a quand même un peu de fierté européenne sur ces sujets.
09:07 On est capable de s'adapter.
09:09 On est capable d'une performance ultérieure.
09:11 Très rapidement, vous avez vu qu'en France, ici, on se divise à l'Assemblée nationale
09:15 sur les drapeaux européens.
09:17 Faut-il rendre les drapeaux européens obligatoires sur le fronton des mairies en plus des drapeaux
09:20 français ? Beaucoup de partis sont contre cette proposition du groupe Renaissance.
09:24 Qu'est-ce que ça vous inspire ?
09:25 Pour moi, dans mon pays, on ne fait pas.
09:28 C'est à chaque pays de décider de le faire ou non.
09:30 Pour moi, le drapeau européen, je le vois surtout en dehors de l'Union européenne,
09:34 comme symbole de la liberté.
09:36 Ce drapeau européen, il fait peur à Poutine.
09:38 Donc c'est un beau drapeau.
09:40 C'est un beau symbole.
09:41 En tout cas, merci, Franz Zimmermann, d'avoir été avec nous ce matin.

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