Le Président Emmanuel Macron n'a pas exclu lundi soir d'envoyer des troupes occidentales en Ukraine à l'avenir. Il estime néanmoins qu'il n'y a "pas de consensus" à ce stade pour cette hypothèse. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-28-fevrier-2024-6846952
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00:00 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10.
00:06 Table ronde ce matin sur la guerre en Ukraine dans le Grand Entretien.
00:10 Guerre qui est entrée dans sa troisième année, situation sur le terrain, livraison d'armes
00:14 et puis cette déclaration lundi d'Emmanuel Macron évoquant l'hypothèse d'un envoi de troupes au sol.
00:19 Vos questions au 01 45 24 7000 et sur l'application France Inter.
00:24 Et ici en studio pour en parler, Léa.
00:27 Hubert Védry, un ancien ministre des Affaires étrangères, vous avez dirigé chez Perrin le livre
00:30 "Grand diplomate, les maîtres des relations internationales" de Mazarin à nos jours.
00:34 Bonjour à vous.
00:35 Pierre Servant, spécialiste des questions de défense et de stratégie militaire.
00:39 Votre prochain livre à paraître également chez Perrin dans quelques semaines.
00:42 Dien Bien Phu, les leçons d'une défaite, connaître hier pour comprendre aujourd'hui.
00:47 Bonjour à vous.
00:49 Et puis bonjour Isabelle Lasserre, correspondante diplomatique au Figaro, ancienne correspondante en Russie,
00:53 auteur de "Macron le disrupteur, la politique étrangère d'un président anti-système"
00:58 et de "Macron-Poutine, les liaisons dangereuses", tous deux aux éditions de l'Observatoire.
01:02 Bonjour.
01:02 Merci à tous les trois d'être au micro d'Inter.
01:04 Alors on va commencer évidemment par ces propos d'Emmanuel Macron
01:08 lors de la conférence de soutien à l'Ukraine qui s'est tenue à Paris lundi en présence de 27 pays invités.
01:15 Brisant ce qui était jusque-là un tabou, le président de la République a déclaré, je le cite,
01:20 "il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumer et endosser des troupes au sol,
01:26 mais en dynamique, rien ne doit être exclu".
01:30 Fin de citation.
01:31 Avez-vous été surpris, voire stupéfait par cette prise de parole du président de la République ?
01:36 Cette déclaration vous a-t-elle fait sursauter Pierre Servan ?
01:40 Oui, j'ai été surpris effectivement, puisque il y avait un tabou sur cette question.
01:46 Et dans le propos du président, que je trouve très pertinent, qui arrive à un moment important,
01:51 une petite ambiguïté sur le terme de "troupe".
01:53 S'il avait utilisé le terme de "force" par exemple, ça aurait élargi le champ.
01:58 Pourquoi ? Parce que "troupe" dans l'esprit commun, ce sont des régiments, des unités constituées.
02:03 Or il ne s'agit pas de cela pour l'instant.
02:06 Donc j'ai été effectivement surpris et heureux, parce qu'il est important, je dirais,
02:10 de ne pas rester dans une posture d'inhibition face à la Russie.
02:14 C'est vraiment le problème que l'on a depuis le départ.
02:17 Imaginez que le président Macron, il y a deux ans, ait expliqué, dès le départ de la guerre,
02:23 il faut envoyer des avions de combat, des chars lourds, des missiles de croisière.
02:27 Tout le monde aurait dit "mais non, mais non, on envoie déjà nos amis allemands des casques et des sacs de couchage".
02:34 On est au bout de notre vie avec cela, c'est pour montrer que les choses évoluent.
02:38 Et dernier point qui me paraît important, c'est que le discours du président,
02:41 c'est un discours stratégique d'un président français, membre permanent du conseil de sécurité,
02:47 à la tête d'une puissance nucléaire, à la tête de la seule armée européenne crédible,
02:51 qui envoie ce message à Poutine pour lui dire "vous ne pouvez pas tout faire, vous ne pouvez pas continuer comme cela".
02:59 Alors dernier point, est-ce que c'était le bon endroit, le bon moment pour le faire ?
03:04 C'est un peu dommage parce que ce sommet européen, Pierre Aschiladi, est important, a été rapidement constitué.
03:10 Ça a un peu occulté cela, mais cette déclaration est la bienvenue et donne une inflexion que je crois extrêmement salutaire.
03:17 Salutaire, heureux, dites-vous-même Pierre Servan.
03:20 Hubert Védrine, pas sûr que vous partagiez le point de vue de Pierre Servan.
03:23 Mercredi dernier, dans le Figaro, vous avez publié une déclaration avec Jean-Pierre Chevènement,
03:27 dans laquelle vous mettez en garde contre un engrenage que nous ne maîtrisons pas.
03:31 Les propos d'Emmanuel Macron, c'est le risque de l'engrenage ?
03:35 Ce que j'ai dit avec Jean-Pierre Chevènement, c'est avant.
03:37 Sur le principe, je pense qu'à un moment donné, il faut qu'il y ait un vrai débat, voire des votes.
03:42 Il va y avoir un débat, le Sommet national avec vote.
03:45 Ça concerne l'engagement immédiat, ça concerne la réflexion de l'avenir sur si Trump est élu, s'il met en oeuvre son programme.
03:52 Donc on ne peut pas y aller comme ça, coup de réunion, de communiquer.
03:55 Vous avez sursauté lundi soir quand vous avez vu la phrase d'Emmanuel Macron.
03:58 Je suis d'accord avec ce qui a été dit par Pierre Aschiladi tout à l'heure, mais je pense qu'il n'y a aucun message à Poutine en affaire.
04:03 D'abord, il faut vérifier la déclaration. Enfin, ce n'est pas une conférence là-dessus, il y a une phrase du président,
04:08 disons, complétée ou modifiée, corrigée après.
04:12 Il ne s'agit pas de troupes combattantes, donc il dit que militairement, ça n'a aucune signification du point de vue de Poutine.
04:18 Et moi, ce qui me gêne dans l'affaire, je comprends très bien que dans la réunion,
04:22 les uns et les autres réfléchissent à la situation, si l'armée ukrainienne est vraiment en danger, pour de vrai.
04:29 Après, il ne s'agit pas de tabou, il n'y a aucun tabou.
04:31 Il y a une ligne depuis le début, qui est celle de Biden.
04:35 Il a dit "on fera tout pour que Poutine ne gagne pas, mais on ne va pas se laisser entraîner dans l'engrenage à la guerre contre la Russie".
04:41 - Et donc dire ça, c'est une forme d'engrenage ? - Parce que l'opposition colonnaise et balte est de beaucoup de médias occidentaux.
04:45 - Mais dire ça alors ! - Donc il n'y a pas de tabou.
04:46 Il ne faut pas se vanter de tabous qui ont été surmontés, ce n'est pas le cas du tout.
04:51 Et moi, je suis frappé par l'inhibition par rapport à Washington, en fait.
04:54 - C'est-à-dire ? - Pourquoi les Européens se réunissent pour se convulser entre eux,
04:58 en intégrant complètement le fait que la décision à Washington est bloquée,
05:03 que peut-être il y aura Trump, et que donc c'est les malheureux Européens qui s'agissent entre eux,
05:08 sans aucune capacité de dissuader Poutine en vrai.
05:11 Et là, il y a la position de Biden depuis le début, et la position de Shultz, qui est tout à fait hostile à tout ça,
05:16 donc je comprends très bien qu'ils aient réfléchi, et qu'ils se disent "si vraiment l'arme ukrainienne est en danger, qu'est-ce qu'on fait ?"
05:24 Je pense que dans ce cas-là, il devrait, Shultz, Macron, le Britannique et d'autres, ils devraient aller à Washington,
05:30 et y rester le temps qu'il faut, pour mettre les Américains devant leur responsabilité,
05:35 la Maison-Blanche, c'est d'accord, mais le Congrès, même voir Trump, etc.
05:38 C'est pas possible qu'on intègre le fait que ça ne concerne que les Européens.
05:42 - Pierre Servan n'est pas d'accord, on va vous donner la parole, mais d'abord Isabelle Lasserre, sur les propos d'Emmanuel Macron.
05:47 - Écoutez, moi je les trouve tout à fait bienvenus.
05:51 Emmanuel Macron, pendant longtemps, a essayé de l'autre méthode avec Vladimir Poutine,
05:55 qui est de tendre la main et d'essayer de proposer des messages de paix et des négociations.
06:00 Ça n'a pas marché, la seule chose qui marche avec Vladimir Poutine,
06:03 c'est une démonstration de force, puisqu'il ne comprend que le rapport de force.
06:08 Donc je trouve ça bien que le président ait changé d'univers vis-à-vis de la Russie, de Poutine.
06:17 Il a vraiment, véritablement changé.
06:20 Je pense par ailleurs qu'avant d'en arriver à cette extrémité, que Macron ne propose pas,
06:27 dont il évoque juste la possibilité en dernier recours,
06:30 je pense qu'il y a d'autres choses à faire pour aider les Ukrainiens.
06:33 Par exemple, leur livrer ce qu'ils demandent, des missiles Taurus, des avions Mirage,
06:38 leur permettre, avec les équipements occidentaux, de lancer des frappes en profondeur en Russie.
06:44 Il y a beaucoup de choses qu'on pourrait faire, qui justement nous éviteraient d'avoir à envoyer des militaires sur le terrain,
06:51 et à participer justement à cet engrenage.
06:53 Et c'est ce qu'on ne fait pas depuis deux ans.
06:56 Et si on avait vraiment livré toutes les armes qu'on promettait,
06:59 les Ukrainiens devaient recevoir un million d'obus au printemps 2024.
07:04 Ils n'en ont reçu que 300 000.
07:06 Pendant ce temps, la Corée du Nord, en 2023, elle, a fourni un million d'obus à la Russie.
07:12 Si on avait, dès le début, mis le paquet en accordant nos actes à nos paroles politiques,
07:17 on n'aurait pas aujourd'hui à avoir ce débat de savoir s'il faut un jour envoyer des forces militaires.
07:27 Cela dit, au point où on en est aujourd'hui, je pense qu'il est sain d'évoquer la question
07:32 et d'envisager toutes les possibilités, mais surtout pour éviter d'avoir à le faire.
07:36 Isabelle Lasser évoque les missiles Taurus.
07:40 Olaf Scholz a rejeté lundi la demande de l'Ukraine de livraison de ces missiles de longue portée,
07:46 affirmant ne pas pouvoir suivre l'exemple de la France et du Royaume-Uni,
07:51 car ce ne serait pas responsable, ce sont les mots du chancelier allemand.
07:54 Les missiles Taurus ont une portée supérieure à 500 km
07:57 et ils pourraient atteindre des objectifs très à l'intérieur du territoire russe.
08:02 Est-ce que vous comprenez la prudence allemande, Pierre Servan ?
08:06 Intellectuellement, oui, parce qu'il y a le poids de l'histoire qui pèse sur les Allemands
08:11 et il y a le poids de l'OTAN.
08:13 Quand j'étais journaliste au Monde, il y a quelques années maintenant,
08:19 quand j'allais à l'OTAN, on me disait que les meilleurs élèves de la classe otanienne,
08:23 Hubert le sait très bien, ce sont les Allemands, ils sont complètement « NATO-minded »,
08:30 c'est-à-dire qu'ils sont totalement configurés mentalement pour l'OTAN,
08:34 parce que ça leur offre une protection, une sûreté grâce aux parapluies américains,
08:38 tout en les délivrant de la responsabilité d'avoir à former une armée
08:43 et d'avoir à imaginer demain la guerre.
08:45 Donc nos amis allemands sont coincés dans cette logique,
08:48 même s'ils ont fait énormément de chemin.
08:51 Et le problème de ce chancelier, qui est très respectable,
08:54 c'est qu'il est plutôt d'une taille « small », alors qu'il faut du XXL aujourd'hui,
08:59 face aux défis du moment.
09:01 Donc en termes de largeur d'épaule, il est coincé.
09:04 Par ailleurs, derrière le blocage sur les Taurus, il y a l'idée allemande
09:08 que pour pouvoir les mettre en œuvre de façon efficace sur le plan militaire,
09:12 il faudrait qu'il y ait à minima certains conseillers militaires allemands dans les États-majors,
09:17 pas nécessairement en position avancée, parce que le missile de croisière
09:21 n'a pas besoin d'un guidage laser avec des forces spéciales pour la partie finale du tir du Taurus,
09:27 mais qu'il faudrait en avoir.
09:29 Donc par là même, Olaf Scholz dit qu'il y a certainement des Français, des Anglais et des Britanniques
09:36 pour la mise en œuvre des missiles de croisière Scalp et Storm Shadow,
09:39 et nous, nous ne voulons pas rentrer là-dedans.
09:41 En ce sens, je crois que nos amis allemands n'ont pas compris la dimension
09:45 dans laquelle nous sommes entrés.
09:47 Et je ne partage pas du tout le point de vue du Berwiedrin,
09:50 qui je trouve est trop dans la main intellectuelle de Poutine,
09:53 d'une certaine façon, une forme de soumission.
09:55 La dimension d'escalade, elle est russe, elle n'est pas occidentale.
10:00 Nous, nous sommes dans une riposte graduée, on essaye de s'adapter avec lenteur,
10:05 le président Macron l'a dit, à la montée en puissance de la menace russe.
10:09 Il faut encore une fois se sortir de cette idée de soumission vis-à-vis de Poutine et vis-à-vis des Américains.
10:14 - Berwiedrin, répondez, soumission, vous êtes dans la main intellectuelle de Poutine.
10:19 Ce n'est pas moi qui dis, hein, c'est Pierre Saint-Jacques.
10:20 - C'est une formule idiote, ça.
10:21 Mais ce n'est pas du tout ce que je dis, de toute façon.
10:24 Ça fait longtemps que je dis que dans l'hypothèse, avant, longtemps avant,
10:27 dans l'hypothèse où l'Ukraine aurait gagné,
10:29 la question se posait jusqu'où les États-Unis les soutiendront,
10:32 dans l'éventuelle reconquête.
10:34 Parce que le chef d'état-major d'avant était tout à fait hostile
10:37 à la reprise de la Crimée, par exemple.
10:39 Mais ça, c'est avant.
10:40 Dans les sessions actuelles, c'est l'inverse.
10:42 Et ça fait longtemps que je dis, plusieurs mois, y compris d'ailleurs dans le Figaro, ça m'est arrivé,
10:46 que s'il y a une menace d'effondrement de l'armée ukrainienne,
10:50 il faudra vraiment un engagement supplémentaire en vrai.
10:53 Et là, je rejoins les commentaires sur les missiles, sur les avions,
10:56 pas évidemment l'envoi de troupes, ça ne veut rien dire.
10:58 — Mais vous dites aussi qu'on a tardé à l'allumage, ce que dit Isabelle Lasserre ?
11:04 — Ah non, non, non, mais il y a le débat... Ah oui, dans l'immédiat, oui.
11:06 Non, moi, j'ai un débat historique sur ce qu'il fallait faire dans les années 90,
11:09 mais ce n'est pas le sujet de maintenant.
11:10 Bon. Donc dans l'immédiat, c'est le contraire exact de l'approche de Poutine.
11:14 Et je pense que faire une déclaration, corriger le lendemain,
11:18 pour envoyer des troupes qui ne sont pas des troupes,
11:20 rejetées par quasiment tous les autres alliés en Europe,
11:22 c'est un signal de faiblesse envers Poutine.
11:25 Ça n'a aucun intérêt.
11:26 Et je reviens à l'idée qu'il ne faut pas être inhibé par rapport aux États-Unis.
11:29 C'est pas possible que... Je ne parle même pas de l'avenir de l'OTAN, hein.
11:32 C'est pas possible que les États-Unis, aujourd'hui, disent
11:35 « Ben, on est coincés, on n'y peut rien, blablabla ».
11:37 Ils font donc se retourner, être un peu courageux par rapport à Washington,
11:42 et plutôt que de faire des réunions simplement de sympathie par rapport à l'Ukraine,
11:45 en faisant des promesses intenables, genre « Entrez dans l'Europe bientôt »,
11:48 ce genre de trucs, c'est pas sérieux.
11:50 C'est pas du tout des signaux par rapport à Poutine.
11:52 La seule chose qui peut dissuader Poutine,
11:55 aujourd'hui, dans ce stade, c'est en effet un rehaussement de la capacité militaire
11:59 pour que l'Ukraine retrouve le contrôle, disons, de l'espace et les missiles.
12:04 Je suis tout à fait pour ça. Je l'ai dit depuis des mois, ça.
12:06 Il n'y a pas de raison que ce soit les Européens,
12:08 tout seuls, entre eux, qui n'ont pas les moyens, avec l'Allemagne qui ne veut pas.
12:12 Donc on parle dans le vide, là.
12:14 - Qu'est-ce que vous répondez à Hubert Védrine, l'un et l'autre, quand vous entendez dire...
12:18 - Oui, non mais... Je suis pas sûre qu'il appelle la soeur.
12:20 - Attendez. - D'accord. Oui.
12:22 - Annoncer qu'on va envoyer des troupes, ça veut dire co-belligérance,
12:25 entrée en guerre.
12:27 Vous voyez le vote des parlements dans toute l'Europe, là-dessus ?
12:30 Donc à quoi ça sert ?
12:31 Ça ne sert qu'à dire « Non, on n'y arrivera pas, donc,
12:34 on va faire des efforts sérieux que demandent les Ukrainiens sur les missiles ».
12:37 - Il appelle la soeur. - Là, on peut retomber sur nos pieds, là.
12:39 - Non, je crois que la co-belligérance, c'est Poutine qui décide quand il l'a choisie.
12:44 C'est-à-dire que c'est Vladimir Poutine qui, à un moment, ou pas d'ailleurs,
12:48 décidera « Là, pour moi, c'est une ligne rouge ».
12:52 Voilà, ce qu'il n'a pas fait jusque-là,
12:53 puisque toutes les lignes rouges qu'il avait dictées depuis le début
12:57 ont complètement glissé.
12:59 - Effectivement, pardon, mais en deux ans, on a dit « Si on envoie des missiles,
13:01 c'est la co-belligérance, ça ne l'a pas été ».
13:03 Puis ensuite, c'était les chars, ça ne l'a pas été.
13:05 Puis ensuite, c'était les avions.
13:06 Attention, on va être co-belligérant, ça ne l'est toujours pas.
13:08 - C'est exactement. - Donc, à ce stade, vous voulez le...
13:11 - Je le dis, depuis le début de cette guerre... - L'ampleur de trompe-clavier, la mort des gens.
13:14 - Depuis le début de cette guerre, Vladimir Poutine nous considère,
13:17 nous, les Européens, comme des pays extrêmement faibles,
13:23 incapables d'assumer leurs forces,
13:27 engagés dans une aventure européenne qui est en train de se dissoudre
13:31 et de se décomposer.
13:33 Pour la première fois depuis quelque temps, il y a un consensus européen.
13:37 C'est ça que je trouve très intéressant.
13:39 Jusque-là, le consensus européen, il était sur une victoire de l'Ukraine,
13:43 pas sur une défaite de la Russie.
13:44 Aujourd'hui, à l'Élysée et dans la bouche d'Emmanuel Macron,
13:47 on entend « la Russie doit perdre ».
13:49 Ça, il a mis deux ans à le prononcer.
13:52 Et aujourd'hui, en Europe, en plus du consensus sur une nécessaire victoire de l'Ukraine,
13:59 il y a cette idée que le destin de l'Europe se joue en Ukraine.
14:07 Et que les Ukrainiens, c'est ce qu'ils disent depuis le début,
14:09 quand ils se battent contre la Russie en Ukraine,
14:11 défendent aussi l'Europe.
14:13 Et qu'on ne peut pas les laisser tout seuls
14:15 défendre à la fois l'Ukraine et le continent européen.
14:18 En fait, Emmanuel Macron, il est en train aujourd'hui de reprendre exactement
14:23 la position des pays d'Europe de l'Est,
14:27 qui depuis le début de l'histoire pensaient ça.
14:31 C'est quand même assez frappant pour quelqu'un qui, encore il y a six mois,
14:34 disait « il ne faut surtout pas humilier la Russie ».
14:36 Et qui avait peur d'un effondrement du régime à Moscou.
14:38 C'était un peu plus tôt. C'était il y a un an et demi.
14:41 « Il ne faut pas humilier la Russie ».
14:42 Non, il l'a redit après.
14:44 Il l'a redit à six mois ?
14:46 Oui, juste une remarque et une réflexion.
14:48 D'abord, Hubert Wiedrin, je pense que dans le cas d'un débat contradictoire,
14:52 vous n'êtes pas obligé d'insulter vos contradicteurs.
14:55 Je ne l'ai pas plus insulté que vous, ce n'est pas grave.
14:56 Oui, non, mais ce n'est pas grave.
14:57 C'est grave justement parce que je pense qu'il faut faire très attention dans nos débats
15:01 à conserver justement la hauteur intellectuelle qui convient
15:05 et insulter quelqu'un qui est dans un débat, c'est la défaite de la pensée.
15:09 Mais ce que vous avez dit, vous n'avez aucun rapport avec ce que je dis.
15:12 La réflexion que je voulais faire, c'est le fait de dire que,
15:15 rappelez-vous quand le président Macron expliquait que l'OTAN était en état de mort cérébrale,
15:19 C'était sur la Turquie, rappelez-vous.
15:21 Ça avait suscité énormément de débats et de polémiques.
15:26 Or, il avait raison avant tout le monde.
15:28 Il y avait véritablement une question à questionnement sur le sens de l'OTAN.
15:32 Sur la Turquie-Grèce, hein ?
15:34 Oui, oui.
15:35 Vous vous rappelez ?
15:35 Oui, oui. Non mais je ne vous ai pas traité d'idiot parce que je ne suis pas d'accord avec vous.
15:38 C'est ça le problème.
15:40 Non, non, mais c'est la part de qui sur Turquie-Grèce.
15:41 Oui, oui, oui. Donc voilà.
15:43 Donc je crois que... Non, non, je pense qu'il faut vraiment prendre...
15:46 Non mais sur le fond de ce que dit Hubert Védrine, qui est relaté par une question qu'on a sur la pli, pardon,
15:50 mais c'est ce que vous dites peu ou prou, c'est Ancel vous demande, répondez Pierre Servan s'il vous plaît,
15:55 vous pensez vraiment que Poutine tremble ce matin ?
15:58 Écoutez, oui, moi je... Enfin, tremble.
16:02 Je veux dire, c'est un chef mafieux, c'est un ancien du KGB, c'est un personnage qui a du sang sur les mains,
16:09 qui a été le principal allié de Bachar el-Assad, qui est le plus grand criminel de guerre de la période,
16:14 donc c'est pas un gars qui tremble tous les quatre matins.
16:16 Mais c'est quelqu'un, Isabelle l'a très bien dit, qui est extrêmement sensible au rapport de force.
16:20 Vraiment, il sent le rapport de force.
16:22 Je me souviens d'une anecdote que m'avait rapportée l'équipe du président Hollande,
16:27 en me disant que lors de la première rencontre entre Hollande et Poutine,
16:30 la délégation française était surprise du regard de mépris de Poutine vis-à-vis de Hollande,
16:36 parce qu'il considérait Hollande comme vraiment le chef d'état européen, correspondant à la faiblesse incarnée.
16:41 Et lors de la rencontre du président Hollande après l'opération Serval,
16:46 donc opération militaire décidée par Hollande, à ce moment-là,
16:49 Poutine regardait Hollande comme véritablement un alter-ego, parce qu'il était devenu chef de guerre.
16:54 Parce qu'il lui avait résisté.
16:56 Parce qu'il avait incarné une dimension militaire, il avait eu le courage de faire la guerre.
17:00 Donc ce que je veux dire, et Isabelle a entièrement raison,
17:03 psychologiquement, depuis le début, on se met sous les lignes rouges.
17:07 J'ai passé un nombre de débats avec Isabelle au début de la guerre sur le point de savoir
17:11 si les missiles anti-chars étaient défensifs ou offensifs,
17:14 parce qu'on allait faire de la peine à M. Poutine.
17:16 Enfin, c'est complètement dément.
17:18 Donc il faut non pas avoir une posture belliciste, mais il faut être solide sur ses assises.
17:23 Et l'histoire nous montre, que chaque fois que les démocraties ont intégré la force des régimes totalitaires
17:30 et se sont soumis, quelque part, psychologiquement, à leur loi,
17:33 chaque fois nous avons perdu.
17:34 Donc nous devons conserver, je dirais, cette force intellectuelle et mentale.
17:38 Un mot, Hubert Védrine, et on passe au standard, juste après.
17:42 Oui, je voulais prioriter M. Serval, c'est sur la définition de ma position sur Poutine.
17:46 C'est tout à fait autre chose, ma position depuis le début, je l'ai dit souvent dans les Figaro, d'ailleurs.
17:50 Et là, je suis tout à fait d'accord qu'il faut rétablir le rapport de force.
17:53 Mais on ne va pas le rétablir avec l'annonce éventuelle de troupes qui n'en sont pas,
17:57 et ça n'est pas voté, etc.
17:58 Donc je reviens à l'idée, à ce moment-là, il faut faire le forcing sur Washington.
18:03 Il y a une sorte d'inhibition. On est complètement paralysé par rapport à Washington.
18:07 Et s'il faut des missiles à longue portée,
18:09 longue portée, et des avions, je suis d'accord.
18:12 Ça, ça parle à Poutine.
18:14 Alors, sur les armes, Didier, au standard, bonjour.
18:18 - Oui, bonjour. - On vous écoute.
18:20 - Je voulais vous demander pourquoi on n'a pas intégré des pilotes ukrainiens dès le début de la guerre,
18:25 les former sur des Mirage qui ne servent à rien chez nous, qui ont été remplacés par des Rafale.
18:29 - Merci. - Pourquoi ?
18:30 - Oui, pourquoi ? Pourquoi ?
18:32 - Pourquoi également, je suis d'accord qu'on fournisse des canons César,
18:36 mais on n'a pas d'obus à leur fournir.
18:37 Alors il y a quand même un problème, pourquoi on ne s'est pas mis à fabriquer des obus depuis deux ans,
18:42 alors qu'on les fabrique depuis quelques mois ?
18:45 - Merci donc pour ces questions. On va donner aussi la parole à Gilles
18:50 sur l'articulation, débat intérieur et politique internationale.
18:54 Gilles, bonjour.
18:56 - Oui, bonjour, très exactement.
18:58 Est-ce que vous ne pensez pas que le président Macron a fait une réponse aussi aux agriculteurs
19:05 qui se sont permis outrageusement de critiquer les sommes versées en aide,
19:10 les 3 milliards, les nouveaux 3 milliards à l'Ukraine ?
19:14 - Aider, bien entendu, par les extrémistes, notamment de l'extrême droite.
19:19 Et en fait, c'est une attaque contre l'aide que l'on doit apporter aux Ukrainiens,
19:26 puisqu'il faut arrêter d'avoir peur du mafieux, comme le dit très bien M. Servan,
19:31 excellent expert, le mafieux Poutine.
19:36 - Merci Gilles. Alors, on prend les questions dans l'ordre.
19:39 Didier, pourquoi ce retard sur les armes, retard au démarrage,
19:46 et puis retard maintenant dans la capacité à les produire et à les livrer, qui veut répondre ?
19:51 Isabelle Lasserre ?
19:52 - Tout simplement parce qu'il y a deux raisons.
19:55 Il y a une raison psychologique qui est que depuis le début, on livre des armes,
19:59 mais au compte-goutte, parce qu'il y a une espèce de peur, panique des Européens
20:04 de provoquer Vladimir Poutine.
20:07 Et la deuxième raison, c'est que depuis la fin de la guerre froide,
20:10 toute l'Europe a désarmé, on a cru que la paix serait éternelle,
20:14 on vivait grassement des dividendes de la paix, et on se réveille du jour au lendemain,
20:20 après avoir fermé les yeux pendant si longtemps,
20:22 Hubert Védrine dirait qu'on vivait dans le monde des bisounours,
20:25 on est en train d'en sortir, mais par contre, ça prend très très longtemps,
20:29 parce que reconstituer un système de défense à la hauteur,
20:35 faire repartir une machine industrielle qui a été mise à l'arrêt,
20:39 ça prend des années, ça ne prend pas plusieurs mois.
20:42 Donc c'est la raison pour laquelle aujourd'hui, les stocks sont vides,
20:45 d'ailleurs, par ailleurs, les caisses sont vides,
20:48 donc c'est très compliqué au niveau financier, quand il va falloir passer la vitesse supérieure,
20:54 et on n'a pas d'énergie financière, industrielle et militaire
21:02 pour aider suffisamment les Ukrainiens aujourd'hui, en tout cas, pays par pays.
21:08 Après, la solution sera peut-être un grand emprunt.
21:10 – Hubert Védrine, sur les questions des auditeurs...
21:13 – Il n'y en a aucune qui me concernait directement.
21:15 – Non, non, mais c'était pour...
21:16 – Les questions militaires, M. Servan doit savoir mieux, la première.
21:19 – Et sur les agriculteurs qui disent "on n'a pas d'argent,
21:22 mais on donne 3 milliards aux Ukrainiens".
21:26 – La situation globale de l'économie, l'endettement, c'est évident que ça joue,
21:30 mais l'élément clé c'est l'Allemagne.
21:32 L'Allemagne, le chancelier est encore plus sur la ligne.
21:35 On aide un peu l'Ukraine, mais on ne se laisse pas entraîner dans l'engrenage.
21:38 – Mais pardon, c'est paradoxal l'Allemagne, vous parlez de l'Allemagne,
21:40 mais il y a une petite musique qui est d'ailleurs de confrontation entre Paris et Berlin.
21:45 Il y a trois semaines, le même Olaf Scholz, qui critique Emmanuel Macron aujourd'hui
21:48 parce qu'il dit "on va envoyer des troupes", disait
21:50 "mais la France n'envoie pas assez d'armes, il faut envoyer plus d'armes".
21:52 – Oui, ça c'est la...
21:54 – Ça dépend du jour pour Olaf Scholz.
21:56 – Mais sur le point clé de notre débat de ce matin, l'Allemagne ne veut pas aller plus loin.
22:01 Donc c'est évident que la question c'est l'Allemagne, les États-Unis dont je parlais.
22:05 – Pierre Servant, Laurent pose la question de l'argent,
22:09 si vous pouviez éviter d'utiliser le mot "livrer" des armes.
22:13 On vend, on prête, on donne, qui paye ?
22:18 C'est une question qui revient très souvent maintenant au standard d'Inter.
22:22 – Absolument, la question est tout à fait pertinente.
22:24 Alors "livrer", c'est la fin de course pour apporter aux Ukrainiens,
22:30 dans les pays frontaliers ou dans le pays lui-même, à ce nombre de matériel.
22:33 Alors qui paye ? Les Européens payent, il y a un fonds spécial qui a été monté.
22:38 Il y a des grosses réflexions aujourd'hui sur un emprunt européen
22:41 à hauteur de 100 milliards d'euros qui permettrait de financer véritablement cet effort
22:46 parce que cet armement n'est pas gratuit.
22:49 Et puis après, pour ce qui est de la France, il y a eu des dons
22:52 par rapport à des dotations, des stocks.
22:54 Par exemple les AMX 10 RC, les blindés légers que la France a donnés,
22:58 ce qui a débloqué les chars lourds derrière.
23:00 C'est assez intéressant de voir que la France,
23:02 qui était accusée d'être en derrière de la main, a pu débloquer.
23:05 Donc c'est un vrai souci.
23:07 Mais faisons attention par rapport à ceux qui disent
23:09 "mais on donne de l'argent aux Ukrainiens et on les enlève de la bouche du paysan français", etc.
23:15 À la fois le mécanisme est compréhensible, c'est une vraie erreur
23:18 de ne pas étendre notre regard à des problèmes de sécurité globale
23:23 et aux problèmes des valeurs.
23:25 Nous devons nous réinterroger sur quelles sont les valeurs européennes auxquelles nous tenons
23:29 et finalement, d'une certaine façon, non pas pour quelles valeurs on est prêt à mourir,
23:33 mais pour quelles valeurs on est prêt...
23:34 Parce que mourir est embêtant parce que ça veut dire qu'on a perdu.
23:37 Donc quelque part ça montre l'engagement.
23:39 Moi je préfère qu'on gagne.
23:40 Mais de retoucher les dimensions citoyennes et qu'on soit paysans, agriculteurs, cadres, etc.
23:48 C'est quoi les valeurs européennes aujourd'hui qui sont menacées
23:51 et quelles sont ces valeurs pour lesquelles je suis prêt à m'engager d'une façon ou d'une autre.
23:55 - Merci à tous les trois. - Merci.
23:57 Hubert Védrine, Pierre Servan, Isabelle Lasserre d'avoir été à notre micro ce matin.
24:02 Il est 8h48.