Présidentielle en Turquie : "La dynamique sociale et électorale est du côté de l'opposition"

  • l’année dernière
Jean-François Colosimo, historien et essayiste, auteur de "Le sabre et le turban. Jusqu’où ira la Turquie ?" (Cerf), Ahmet Insel, politologue, professeur émérite à l’université Galatasaray, Claude Guibal, productrice du podcast "Erdogan, la tentation de l’empire" sont les invités du Grand entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-10-mai-2023-5124072

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00:00 Et ce matin, le grand entretien en forme de table ronde sur l'avenir de la Turquie
00:04 à quelques jours d'une élection présidentielle cruciale pour le pays, mais aussi pour la
00:07 région et pour toute l'Europe.
00:09 Pour en parler, nous recevons ce matin Jean-François Colosimo, historien et séiste.
00:14 Bonjour, vous avez notamment écrit « Le sabre et le turban, jusqu'où ira la Turquie »
00:18 aux éditions du Cerf.
00:19 Ahmed Incel, bonjour.
00:21 Vous êtes politologue et économiste.
00:24 Vous êtes professeur émérite à l'université de Galatasaray.
00:26 Et Claude Guibal, bonjour à vous.
00:28 Grand reporter à la rédaction internationale de Radio France, vous êtes l'autrice de
00:32 l'excellent podcast « Erdogan, la tentation de l'empire » qui est toujours disponible
00:36 sur l'application France Inter.
00:38 Alors les Turcs vont-ils changer le destin et le visage de leur pays dimanche prochain ? Premier
00:43 tour de l'élection présidentielle très disputée, très serrée entre Recep Tayyip
00:48 Erdogan, le président sortant qui règne sur la Turquie depuis 20 ans, et une coalition
00:52 de six partis d'opposition qui sont unis et qui sont unis derrière un seul mot d'ordre
00:57 « tout sauf Erdogan », ils sont emmenés par le candidat Kemal Kiliç Darulu.
01:02 Avant de vous donner la parole à tous les trois, allons à Istanbul retrouver notre
01:06 correspondante permanente, Marie-Pier Veyraud.
01:08 Marie-Pier, quelle est la température à quatre jours de ce premier tour ? Y a-t-il
01:12 de la crispation, de la tension dans l'ère turque ?
01:15 Des petites tensions, mais ce sont des incidents isolés.
01:19 On est ici dans un pays qui s'apprête à voter massivement dimanche.
01:22 Vous savez, les Turcs sont un peuple très politique, comme les Français.
01:26 Ils aiment à débattre dans les cafés, mais la différence c'est qu'ici on vote
01:29 beaucoup.
01:30 On s'attend donc à une participation d'environ 80%.
01:33 C'est un scrutin dont en fait tout le monde connaît l'enjeu.
01:36 Les Turcs savent bien que dans quatre jours ils vont décider du visage, vous le disiez,
01:40 du pays dans lequel ils vivront ces prochaines années.
01:42 Ce sera soit avec le régime autoritaire incarné par un homme, l'actuel président Erdogan,
01:46 ou alors une démocratie, plus de liberté.
01:48 C'est ce que leur promet l'opposant, Kiliç Darulu.
01:51 Alors, ici sur les rives du Bosphore, comme dans tout le pays, il y a d'immenses affiches.
01:55 Bleu pour le candidat d'opposition avec son slogan "Je vous promets", en résumé,
01:59 "un nouveau printemps".
02:00 Il y a d'immenses portraits d'Erdogan et un slogan "la bonne personne au bon moment".
02:05 Le vote se résume en fait à un plébiscite pour ou contre sa personne.
02:09 Il y a des caravanes qui sillonnent les rues avec les hymnes de campagne.
02:13 Parfois une certaine cacophonie sur les places quand les stands des différents partis mettent
02:17 le volume chacun au maximum pour couvrir la musique de l'autre.
02:20 On tracte bien sûr, les meetings s'enchaînent.
02:23 Mais cette campagne, elle se joue aussi, Léa, beaucoup sur les réseaux sociaux.
02:26 Vous savez, la presse libre ici, elle n'est plus qu'un souvenir.
02:29 Alors le candidat d'opposition fait des vidéos TikTok.
02:32 Il diffuse une vidéo par jour sur son compte Twitter, depuis sa modeste cuisine ou son
02:36 salon.
02:37 Et dans la dernière, il appelle les Turcs à lui donner la victoire dès le premier tour.
02:41 La joie de vivre revient doucement, dit-il.
02:43 Et c'est là-dessus que je souhaiterais terminer.
02:45 Il y a cette ambiance de campagne électorale.
02:48 Mais la société est assommée par la crise économique.
02:50 Et cela pèse beaucoup sur le moral des Turcs.
02:52 Et on va parler de tout ça.
02:54 Merci Marie-Pierre Veyraud, en direct d'Istanbul ce matin.
02:57 Jean-François Colosimo, vous vous demandiez dans une tribune au Figaro il y a quelques
03:00 jours, la Turquie a-t-elle enfin rendez-vous avec la démocratie ?
03:03 Alors, pensez-vous que les Turcs peuvent sortir Erdogan du pouvoir après l'avoir élu et
03:08 soutenu pendant 20 ans ?
03:09 Alors évidemment, d'abord, on souhaite, on n'est pas Turcs, on ne vote pas, rappelons-nous
03:14 ça tout de même, mais on souhaite la victoire de cette coalition parce qu'elle mettrait
03:19 un stop, un arrêt à cette ascension vertigineuse vers des pleins pouvoirs et vers toujours
03:24 plus d'arbitraires qu'incarne Erdogan.
03:26 Et pour tous les Turcs pris de liberté, qui sont soit en prison aujourd'hui, soit en
03:30 exil, n'est-ce pas, et bien évidemment, on espère qu'il y aura cette bouffée d'oxygène.
03:34 Maintenant, la véritable question, c'est Erdogan peut-il concevoir de perdre ?
03:39 Et nous voyons bien que son exercice du pouvoir depuis à peu près deux décennies, c'est
03:46 l'élimination non seulement de ses rivaux, mais parfois aussi de ses alliés, avec un
03:52 exercice du pouvoir totalement, je dirais, solitaire.
03:56 Quels mots que vous employez ?
03:58 Autocratique, vous diriez ?
03:59 Oui, alors, le problème, c'est qu'en fait, la bonne comparaison, ce serait Erdogan et
04:04 Poutine, mais la comparaison ne vaut pas parce que les Turcs ne sont pas les Russes et que
04:08 ce n'est pas du tout la même société, c'est une société qui a beaucoup plus, je dirais,
04:12 de capacité de résistance qu'il y a des élites qui sont effectivement beaucoup plus
04:18 à même de dire non à l'autocratie.
04:20 Mais à part ça, le parallèle vaut tout de même sur le fait, vous voyez, Erdogan, il
04:26 en est où aujourd'hui ?
04:27 Il dit "je suis le salut de la nation face à un Occident qui veut notre mort et qui
04:32 veut apporter chez nous", quoi ? "le mouvement LGBT".
04:35 Enfin, du point de vue des rhétoriques, on est à peu près au même niveau, c'est ça
04:39 qu'il faut bien comprendre.
04:40 Ahmed Tinsel, vous pensez qu'il peut sortir du pouvoir, Erdogan ? Cette fois-ci, c'est
04:47 possible ?
04:48 D'abord, c'est possible puisque les sondages d'opinion montrent parmi les instituts les
04:52 plus fiables une légère avancée, évidemment pas une grande avancée, mais une légère
04:57 avancée du candidat de l'opposition sur Erdogan.
04:59 Il est fort possible que les élections présidentielles, cette fois-ci, ne se termineront pas au premier
05:04 tour, alors qu'Erdogan s'était fait élire au premier tour 2014-2018.
05:08 Maintenant, deuxième chose, c'est que l'écart est tellement faible aujourd'hui qu'il est
05:14 difficile de faire une pronostic solide.
05:16 La seule chose qu'on sait, c'est que la dynamique électorale cette fois-ci, la dynamique sociale
05:22 et électorale, est du côté de l'opposition.
05:24 Et Erdogan, pour la première fois dans une campagne présidentielle ou législative, est
05:29 en position défensive.
05:31 Donc pour la première fois, vous diriez, il y a une forme d'espoir ?
05:33 Il y a une forme d'espoir.
05:34 Il y a des possibilités que l'opposition gagne, le candidat d'opposition gagne au
05:39 premier tour ou essentiellement au second tour.
05:42 Et au législatif, il perd la majorité.
05:45 Cette probabilité n'est pas forte pour le moment, mais elle est plutôt du côté de
05:52 l'opposition.
05:53 Claude Guibal, les derniers sondages, effectivement, qui sont désormais interdits jusqu'au vote,
05:56 prédisaient une élection très serrée.
05:58 Erdogan peut-il être battu ? Joue-t-il en tout cas son élection la plus difficile,
06:02 la plus incertaine ?
06:03 Et puis une petite question, ces élections en Turquie, elles sont libres et transparentes
06:07 ou il y aura de la triche, de la fraude ?
06:09 Alors, par quoi commencer ?
06:10 Oui, c'est effectivement l'élection la plus incertaine que Erdogan ait connue depuis
06:18 son accession au pouvoir il y a 20 ans.
06:21 Et c'est une élection qui s'est complètement modifiée pendant les cinq derniers mois.
06:27 J'étais en janvier à Ankara, au moment où la plateforme de l'opposition se réunissait
06:33 pour trouver un candidat qui se trouvait à être Kemal Kiliçderelou.
06:36 Et honnêtement, à ce moment-là, personne ne misait un copec.
06:40 Mais c'était juste avant le séisme.
06:42 Entre-temps, la Turquie s'est complètement modifiée.
06:45 La dynamique a complètement inversée.
06:46 C'est-à-dire qu'en cinq mois, il y a eu effectivement ce séisme qui a fait plus
06:50 de 50 000 morts, un des pires séismes.
06:52 Et tout le monde a accusé Erdogan d'avoir mal géré les choses.
06:55 Il y a aussi cette inflation, on parle de 60-80% d'inflation.
06:59 Les prix ont augmenté de manière délirante.
07:01 Erdogan a ces derniers mois, à but électoral, essayé de compenser avec des mesures sociales,
07:09 des augmentations de salaires, comme encore celle qu'il a annoncée il y a deux jours
07:13 pour les fonctionnaires.
07:14 Mais malgré tout, en Turquie, à Istanbul, même, vous pouvez avoir des gens qui achètent
07:19 des tomates à l'unité parce que le prix varie tous les jours et prend des proportions
07:23 énormes.
07:24 Et alors, vous parliez, Léa, de ce tremblement de terre qui a changé les choses.
07:28 Et là, je rebondis sur la deuxième partie de votre question.
07:30 Il va falloir des élections libres dans un pays où une partie du pays est complètement
07:35 déstruite, dévastée, où les gens vont avoir du mal à aller voter.
07:39 Comment est-ce que ça va se passer ?
07:40 Oui, la Turquie a des institutions, malgré le fait qu'Erdogan, notamment depuis qu'il
07:46 a pris les pleins pouvoirs, depuis le changement de régime, Erdogan a verrouillé le système.
07:53 Malgré tout, il reste une vitalité démocratique très forte en Turquie.
07:56 Là, vous parliez d'un bilan de 50 000 morts.
07:58 Il est probablement bien plus élevé, Léa.
08:00 Est-ce qu'on va faire voter les morts ?
08:02 C'est une question que beaucoup de gens se posent.
08:03 En tout cas, il y a à la fois en Turquie et les observateurs internationaux qui seront
08:08 sur place pour scruter ce scrutin.
08:10 Jean-François Collegy.
08:11 Un biais déjà acquis de l'élection, c'est que cette élection, elle ne se joue pas entre
08:18 deux candidats qui sont à égalité.
08:20 Erdogan a monopolisé tous les moyens de l'État.
08:24 On le sait.
08:25 Je veux dire, à la télévision, Erdogan intervient 60 fois plus que son opposant.
08:33 Tous les moyens de l'État sont là et ça montre bien quel est le problème de la Turquie
08:37 aujourd'hui, mais ça montre bien aussi, en quelque sorte, quelle est la vitalité de
08:41 cette opposition, parce qu'en fait, elle est dépourvue des moyens dont dispose Erdogan.
08:45 Et elle compte sur les jeunes.
08:47 L'opposition, elle compte sur les jeunes.
08:48 La grande question, c'est est-ce qu'ils iront voter ou pas ?
08:51 Oui, les jeunes votent autant que les personnes plus âgées.
08:54 En Turquie, pas en France.
08:57 Malheureusement.
08:58 Effectivement, la correspondante a bien signalé, le taux de participation en Turquie dans ces
09:03 élections est toujours très élevé.
09:06 La dernière fois, c'était 87% de participation et les jeunes votent aussi massivement que
09:11 les autres.
09:12 Et deuxième chose, sur les élections, il y a un contrôle social politique relativement
09:19 important sur le dépouillement.
09:20 Et par rapport à ce que vient de dire Jean-François Colussimon, Tahir Erdogan sature effectivement
09:26 l'espace public avec ses journaux, sa télévision, etc.
09:31 Mais en même temps, il y a une saturation de perceptions.
09:34 Et donc, du coup, il arrive simplement à consolider sa base électorale, mais n'arrive
09:39 pas à élargir parce que l'autre moitié de la Turquie ne l'écoute plus.
09:43 Cette base électorale, c'est qui sociologiquement ?
09:45 C'est 25-30% de Turcs qui continuent à soutenir.
09:48 Plutôt même 35.
09:49 Plutôt même 35 qui continuent à soutenir Erdogan.
09:52 Il y a trois raisons.
09:53 Il y a d'abord une adhésion idéologique-religieuse parce que pour une partie de la population,
09:58 il représente vraiment la défense de l'islam.
10:02 Deuxièmement, il y a une dimension nationaliste.
10:05 D'ailleurs, en Turquie, la religiosité va avec le nationalisme en même temps.
10:10 Et puis, il y a une troisième composante, c'est l'homme qui sécurise.
10:17 La volonté de se mettre derrière l'homme fort.
10:22 Claude Guibal, c'est ce que vous dites.
10:25 Vous dites sa grande qualité aujourd'hui, son point fort, c'est son charisme.
10:29 Vous parlez d'Erdogan, certes il sature peut-être l'espace public, mais il le fait.
10:33 C'est une bête politique.
10:34 Il harangue les foules dans ses meetings.
10:37 Vous parlez même, je crois, dans votre podcast, de Rockstar.
10:40 Vous dites, il faut vraiment se dire, c'est vraiment un animal politique.
10:43 Il a un génie politique.
10:44 Alors c'est ça, il ne faut pas oublier qu'Erdogan est un politicien de carrière.
10:49 C'est peut-être le premier d'ailleurs en Turquie à ce point-là.
10:52 Et c'est un homme qui aussi, il ne faut pas l'oublier, a été formé dans un lycée religieux.
10:57 Un lycée d'imam et de prédicateur où il a appris justement l'art oratoire.
11:01 C'est un homme qui, on ne le sait pas toujours, mais ferut de poésie et qui sait parler aux foules,
11:07 qui module sa voix.
11:09 C'est vous, Armet Insel, qui m'avez fait remarquer que lorsque il fait des meetings,
11:13 on peut retrouver cette scansion du prédicateur, de l'homme qui sait emporter les foules avec lui.
11:18 Il a appris à parler.
11:19 Il a appris à parler.
11:20 Et alors, c'est vraiment impressionnant à voir.
11:22 Vous êtes dans une foule qui est chauffée à blanc.
11:24 Il arrive sur scène, il raconte des histoires, il met les gens presque au bord des larmes.
11:28 Il est capable de déclamer des poèmes.
11:31 Et d'un coup, la voix change.
11:33 Alors moi, je ne parle pas de Turquie, je me fais traduire ça, mais d'un coup,
11:35 le discours devient d'une radicalité, d'une haine violente.
11:38 Et hop, la foule est embarquée.
11:40 C'est vraiment très impressionnant.
11:41 - Il y a une haine contre l'opposition.
11:42 Il clive énormément dans cette campagne.
11:43 Il est traité de poutchiste, de terroriste, d'ivrogne.
11:45 - C'est un populiste.
11:46 Il sait cliver la population.
11:48 Et jusqu'à présent, il avait toujours gagné des élections en élargissant sa base.
11:52 Et aujourd'hui, il n'arrive plus à élargir sa base.
11:54 Alors dans ce cas-là, on divise.
11:56 - Il remplit un vide.
11:57 Il remplit un vide.
11:58 C'est le vide qu'a laissé Atatürk, le père des Turcs, le père Turc, le fondateur, n'est-ce pas ?
12:02 Et en fait, on sait par des études que dans les années 60, 70, 80, 90,
12:08 la Turquie, les Turcs étaient en attente d'un homme qui allait les incarner.
12:12 Et c'est là où il insiste aujourd'hui beaucoup.
12:14 C'est qu'il les incarne à l'extérieur en relevant l'humiliation, n'est-ce pas ?
12:18 Et là encore, on est sur des registres qu'on connaît ailleurs.
12:21 - Qu'on connaît avec poutine.
12:22 - En relevé l'humiliation.
12:24 - En relevé la tête de la nation.
12:26 - Et donc lui, il relève l'humiliation comment ?
12:29 En s'affirmant comme un acteur malgré tout régional, voire planétaire.
12:33 Et là-dessus, il compte beaucoup là-dessus
12:35 parce que la fierté turque, elle est là aussi.
12:38 Maintenant, est-ce que l'inflation, le séisme, etc. vont avoir raison
12:41 de cette tentation de la fierté ?
12:43 - Ahmet Insel, il est charismatique, il l'incarne,
12:46 mais aussi il change beaucoup d'avis sur l'Union européenne,
12:49 sur la Russie, sur les Kurdes, sur les LGBT.
12:51 Il a changé diamétralement à 180 degrés de position pendant ces 20 dernières années.
12:56 Ses retournements de veste, son opportunisme politique
12:59 fait aussi partie du personnage ardogable.
13:01 Et vous avez une expression intéressante, vous dites "c'est un joueur de backgammon".
13:04 - Oui, c'est un joueur de backgammon.
13:06 Pour nos auditeurs, il faut faire la distinction avec le jeu d'échec
13:12 où on joue sur 10-12 coups à venir.
13:16 Alors le backgammon, à chaque coup, vous jetez les dés et c'est les dés qui décident.
13:20 Et le bon joueur de backgammon, c'est celui qui s'adapte à chaque coup au destin qui arrive.
13:26 - Et c'est ce qu'il fait.
13:27 - Et c'est ce qu'il fait.
13:28 Et donc, du coup, il peut changer totalement d'attitude, de position,
13:32 beaucoup plus sur la politique extérieure que sur la politique intérieure,
13:34 parce que sur la politique intérieure, sa base électorale n'est pas aussi amovible.
13:39 Sur la politique extérieure, la base électorale...
13:41 - En fait, sur les LGBT, c'est étonnant, il y a 20 ans, il disait "je vais protéger les homosexuels"
13:45 et aujourd'hui, il a des discours terribles sur les homosexuels.
13:47 - Parce que Erdogan aussi, il faut reconnaître une chose, c'est que Taip Erdogan, à partir de 2015,
13:52 il a perdu la capacité de se faire élire seul contre tous.
13:59 À partir de 2015, pour pouvoir avoir la majorité parlementaire et pour être élu président de la République,
14:05 il a été obligé de s'allier avec l'extrême droite nationaliste.
14:09 Donc du coup, Taip Erdogan n'est plus le même en composition.
14:12 Il a beaucoup glissé vers la droite, il a beaucoup glissé vers les thèmes
14:16 de ce qu'on peut appeler de l'extrême droite globale au niveau international.
14:21 - Claude Guibal.
14:22 - Oui, puis il faut regarder les 20 ans d'Erdogan comme presque, j'allais dire, un Erdogan 1, un Erdogan 2, en fait.
14:28 Au tout début, on ne s'en souvient plus, mais il y a 20 ans, on a regardé Erdogan, y compris ici en Europe,
14:33 avec des yeux émerveillés en se disant "enfin, l'islam compatible dans la démocratie".
14:37 Parce que Erdogan était porteur d'un certain nombre de valeurs, pro-européenne, démocratique, etc.
14:42 - Et on lui a promis une entrée potentielle en Union européenne au début, vous le rappelez-vous ?
14:46 - Le référendum à Chypre est arrivé et a cassé énormément de choses dans cette dynamique-là.
14:50 Et c'était aussi au moment où Erdogan est arrivé au pouvoir qu'effectivement,
14:55 il y avait eu cette phrase notamment à la télévision sur le droit des homosexuels.
15:01 Il faut se souvenir aussi qu'Erdogan est le chef d'État turc qui a fait le plus d'avancées à un moment envers les Kurdes.
15:09 On l'oublie complètement, mais il y a eu un moment des négociations avec les Kurdes qui étaient très fortes.
15:13 Moi, je suis allé dans des écoles aux Kurdistan en langue kurde autorisée par Erdogan.
15:17 Il faut s'imaginer qu'aujourd'hui, c'est complètement terminé.
15:20 Il est allé aussi assez loin dans une forme non pas de reconnaissance, mais d'admission d'un génocide arménien.
15:27 Mais simplement, allez.
15:29 - Jean-François Collegi, vous pensez à ça parce qu'on n'y est pas à la reconnaissance du génocide arménien ?
15:33 - Non, non, bien sûr que non.
15:35 - Il a avancé, il a permis de faire...
15:37 - C'est impossible. Et c'est tout le problème d'ailleurs que moi j'ai avec cette opposition.
15:42 Évidemment, je souhaite sa victoire encore une fois, bouffée d'oxygène, enfin je veux dire indéniable.
15:46 Mais en même temps, cette opposition, elle a ses nationalistes, elle a ses islamistes.
15:51 Les nationalistes et les islamistes sont des deux bords.
15:54 - Oui, c'est une coalition totalement disparate qui va de la gauche à l'extrême droite.
15:56 - Le parti de la Félicité, super islamiste comparé à l'AKP, c'est une scission de l'AKP, le parti d'Erdogan.
16:03 Le bon parti, qui est le mauvais parti tellement il est racialiste, etc.
16:07 C'est une scission du parti d'Action Nationaliste qui est l'allié d'Erdogan.
16:12 C'est-à-dire véritablement, on est vraiment à l'extrême droite de l'échiquier.
16:17 Deuxièmement, le véritable problème, c'est comment les Turcs peuvent faire, véritablement,
16:22 pour affronter leur acte de naissance de la Turquie moderne.
16:26 Ils ne sont pas responsables du génocide des Arméniens, c'était des jeunes Turcs, c'était des Ottomans.
16:30 Mais en attendant, ce fait reste totalement nié.
16:33 Alors on ne devient pas européen parce que, même on fait des élections ou parce qu'on construit des drones.
16:38 On devient européen quand on affronte son passé.
16:41 Et là, vous dites qu'ils ne sont pas capables.
16:43 Ce n'est pas dans le programme de l'opposition.
16:45 Nous avions commencé à partir de l'assassinat de Hrant Dink en 2007,
16:49 à pouvoir faire des manifestations pour la reconnaissance du génocide des Arméniens.
16:53 Et le 24 avril, on a commencé à faire des manifestations publiques, de commémorations publiques.
16:58 Et les choses ont commencé à évoluer.
17:01 Et puis Tayyip Erdogan et son gouvernement n'étaient pas favorables, mais ne nous empêchaient pas.
17:06 Mais d'aujourd'hui, depuis deux ans, trois ans, tous ces acquis ont été remis en cause.
17:10 Et vous pensez que s'il est réélu, il va durcir encore l'exercice du pouvoir ?
17:15 Mais normalement, je pense qu'il est prisonnier de sa trajectoire.
17:19 Sa tendance.
17:20 Et en même temps, maintenant, il est allié.
17:22 Pour pouvoir gagner désormais, il a besoin de l'appui de l'extrême droite nationaliste.
17:27 Et il s'est allié avec deux petits partis d'extrême droite religieuse et ultra-nationaliste.
17:34 Donc du coup, je pense qu'il est un peu prisonnier de sa trajectoire.
17:37 Avant d'aller au standard, juste un mot, puisqu'on parlait de l'opposition, de cette opposition hétéroclite qui est face à lui.
17:41 À sa tête, il y a cet homme, donc Kemal Kiliç Daroğlu.
17:45 On apprend à prononcer le nom.
17:47 Qui est-il ? On a l'impression que c'est le parfait opposé de caractère, d'attitude, de style, de conviction d'Erdogan.
17:53 On pourrait presque faire le parallèle, alors grondez-moi si je me trompe, entre Trump et Biden.
17:59 C'est-à-dire qu'Erdogan étant le populiste charismatique et face à lui, on a Kiliç Daroğlu qui est âgé.
18:07 Il a plus de 70 ans, qui n'est pas super charismatique.
18:11 Est-ce que le parallèle vous semble sensé ou complètement à côté de la plaque ?
18:16 Oui, il y a cette idée d'être l'homme sage, qui rassure surtout, qui rassure et qui est là, qui apaise.
18:26 Quand il fait ses vidéos dont parlait Marie-Pierre Veyrault, l'envoyée de Radio France en Turquie,
18:32 dans sa cuisine, avec les manettes sur son frigo derrière lui, c'est un gentil papy qui vous parle et qui vous dit
18:39 "Bon allez, on se calme, surtout on va juste se réunir, se rassembler".
18:43 La Turquie, elle est épuisée. Elle est épuisée par l'inflation, elle est explosée par ce séisme, elle a juste envie de se poser.
18:51 Il peut y avoir la tentation du calme ?
18:53 Oui, tout à fait. D'ailleurs, lui, il propose le calme, il propose la sérénité.
18:57 Le terme utilisé, c'est la sérénité. Ce n'est pas simplement par l'inflation et par le tremblement de terre,
19:02 c'est aussi la sérénité par ce bruit de Taï-Perdohan qui occupe l'espace public du matin au soir,
19:09 et qui crie, qui insulte, etc.
19:11 Donc, du coup, il y a une demande de la moitié de la Turquie, pas de la totalité évidemment,
19:16 mais de la moitié de la Turquie qui est légèrement majoritaire,
19:19 de retrouver un peu de calme et de sérénité et de trouver un peu de normalité, je crois, en même temps.
19:24 Question au Standard, on va rejoindre Frédéric qui nous appelle de Pau.
19:28 Bonjour Frédéric, votre question.
19:30 Bonjour à tous. La question de l'Europe vient d'être évoquée.
19:33 J'aimerais savoir et demander à nos invités si cette demande d'adhésion est toujours administrativement valide,
19:40 si le fait qu'elle ait été repoussée de façon humiliante a pu contribuer à radicaliser la Turquie, monsieur Erdogan,
19:47 et si un rapprochement et une évasion de tendances est possible, utile, inutile ou réaliste ?
19:52 Alors Frédéric, vous restez en ligne.
19:54 Une autre question aussi sur l'Europe, au Standard d'Inter.
19:58 Alain, on vous écoute, vous avez un peu la même question.
20:01 Oui, bonjour. Alors, la Turquie c'est un grand pays.
20:05 Je ne parle pas là des élites politiques,
20:10 qui c'est comme si on voulait analyser la France et qu'on parlait de Macron.
20:14 Je parle là des Turcs, qui sont des gens travailleurs.
20:17 Ce ne sont pas des Arabes.
20:18 Ils occupent une position centrale dans l'Europe.
20:26 Et la question est, quelle est la position de la Commission européenne ?
20:30 Est-ce qu'elle veut intégrer la Turquie selon les résultats des élections en Turquie ?
20:38 Merci Alain, merci Frédéric.
20:40 Ahmed Incel, je vous ai vu tiquer quand il a dit "ce ne sont pas des Arabes".
20:44 Oui, les Arabes ne sont pas pire que les Turcs ou quoi que ce soit.
20:48 Cette comparaison est un peu malheureuse.
20:50 Malheureusement, c'est par rapport aux Arabes, j'entends.
20:53 Mais malheureusement, en Turquie, il y a un certain racisme aussi qui se manifeste.
20:58 Alors, pour la question sur l'adhésion à l'Union européenne,
21:03 administrativement, si vous voulez, la Turquie est toujours un candidat à l'adhésion,
21:09 dont le processus d'adhésion est ouvert depuis 2005.
21:13 Mais il est de fait suspendu, bloqué et plusieurs chapitres ne sont pas ouverts.
21:19 Taï Perdoğan, dans le discours, il veut toujours que la Turquie devienne membre de l'Union européenne,
21:26 mais les conditions qu'il met dans la Turquie, ça devient impossible.
21:29 Alors, Kılıçdaroğlu s'est engagé à reprendre le dialogue et recommencer le programme de réforme.
21:37 Mais c'est trop tard maintenant, il y a eu énormément d'éloignements.
21:41 Et les pays européens ne veulent plus.
21:43 - Oui, c'est ça. - Jean-François Kolozimo, soyons clairs.
21:45 - Les pays européens n'en veulent plus, mais c'est qu'aujourd'hui,
21:47 la principale relation entre l'Union européenne et la Turquie,
21:50 c'est très malheureusement la question des réfugiés,
21:54 des 2-3 millions de réfugiés qui sont dans le sud-est de la Turquie,
21:57 et cette espèce de pacte invraisemblable d'un point de vue moral,
22:01 où en fait, l'Union européenne paye Erdogan pour que Erdogan garde ses réfugiés.
22:09 - Et ça, ça va changer, la question des 3 millions de réfugiés syriens ?
22:12 - Malheureusement, je crains que non, parce qu'il faudrait un véritable règlement international.
22:16 Et là, on est véritablement dans un échange de procédés sur du malheur humain,
22:21 qui d'ailleurs n'est pas à l'honneur de Bruxelles.
22:23 Je veux dire, soyons clairs.
22:24 - Question sur l'application d'Inter de François Kouïd,
22:29 d'éventuelles ingérences russes sur les élections turques.
22:32 Erdogan leur convient mieux que son opposant.
22:35 Et dit François, qui veut réagir ?
22:37 - Poutine est intervenu publiquement lors de l'inauguration de centrales nucléaires
22:43 construites par les Russes en Turquie, la semaine dernière, il y a une dizaine de jours.
22:47 Et il a vraiment vanté les qualités de Tayyip Erdogan.
22:51 Alors, est-ce qu'il y a des émissions ? Est-ce qu'il y a des interventions russes,
22:56 comme on soupçonne pour les élections américaines, etc. ?
22:59 Pour le moment, nous n'avons pas trouvé de traces.
23:02 - Daniel, sur l'appli d'Inter, j'ai entendu des interviews de Turcs de France
23:05 à un bureau de vote qui semblent tous soutenir Erdogan.
23:08 Comment est-ce possible, alors qu'ils profitent ici d'une démocratie ?
23:11 Et c'est aussi le sens, je vais donner la parole à Dominique, qui nous appelle du Val-d'Oise.
23:15 C'est un peu aussi votre question, Dominique. Bonjour.
23:18 - Bonjour. Bonjour France Inter. - On vous écoute.
23:23 - Oui, donc ma question était de savoir quel était le poids des votes des Français, des Turcs en France.
23:33 - Des Turcs en France ? Des Turcs de France ?
23:35 - Des Turcs en France, étant donné que d'après un reportage, en effet, que j'ai entendu sur votre antenne,
23:39 ils semblaient favorables à Erdogan. Voilà.
23:41 - Chloé Guibald. - En fait, les Turcs de l'étranger en France,
23:46 et encore plus en Allemagne où la communauté turque est encore plus élevée,
23:49 sont généralement très pro-AKP, très erdoganistes, votent majoritairement pour.
23:56 Et pourquoi ? Parce que c'est une population qui est très proche de l'électorat naturel de Recep Tayyip Erdogan.
24:03 Lui, né à Istanbul, mais qui vient d'une famille pauvre, de la mer noire,
24:07 de ses travailleurs de cette anatomie conservatrice qui, quand elle s'est expatriée,
24:14 a amené avec elle ces valeurs qui lui sont toujours très importantes.
24:19 Et ces Turcs-là sont des Turcs qui vont à la mosquée.
24:22 Et il y a en Turquie cette institution qui s'appelle la Diyanet, qui s'occupe des affaires religieuses,
24:28 qui nomme les prédicateurs qui partent à l'étranger, à qui on fournit tous les vendredis un prêche unique fait par Ankara, à la gloire d'Erdogan.
24:36 - Jean-François Colismo, une seconde.
24:38 - Pour les émigrés, pour les exilés, le lieu de culte, c'est un lieu de sociabilité.
24:42 Or, vous venez de le dire, ces lieux de culte sont complètement maillés par la Diyanet,
24:47 qui est un organe d'État, un département des affaires religieuses,
24:50 relié à la présidence, 110 000 fonctionnaires, 3 milliards d'euros.
24:55 Alors c'est pour s'occuper de l'islam sunnite en Turquie, mais aussi à l'étranger.
24:59 Et ce maillage profite à Erdogan.
25:01 Je vous rappelle qu'en Allemagne, il était venu quand même déclarer que l'assimilation de n'importe quel Turc immigré dans le pays où il vit serait un crime contre l'humanité.
25:10 - 5% des électeurs.
25:11 - Alors, ces 5% des électeurs, il y a 1,7 million de personnes qui ont voté, puisque les urnes sont fermées depuis hier soir.
25:18 Il y a 1,7 million de personnes qui ont voté à l'étranger.
25:21 Et en Turquie, au total, il va y avoir probablement 55 millions.
25:25 Donc du coup, le poids de l'électorat depuis l'étranger est relativement marginal.
25:29 - Merci à tous les trois. Merci Jean-François Colosimo.
25:32 Au dernier livre paru, "Le sabre et le turban, jusqu'où ira la Turquie ?" aux éditions du Cerf.
25:36 Et je crois que c'est sorti en poche.
25:37 Merci à Metin Sel d'avoir été avec nous et Claude Guibal.
25:40 Toujours votre podcast, Erdogan, la tentation de l'Empire.
25:43 On continue de suivre ces élections cruciales en Turquie sur les antennes d'Inter jusqu'à dimanche.

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