[1/2] Alice Guy, la première dame du cinéma

Europe 1

ABONNEZ-VOUS pour plus de vidéos : http://www.dailymotion.com/Europe1fr Découvrez l’histoire d’Alice Guy, la première femme réalisatrice de cinéma, racontée par l’historienne Virginie Girod dans un récit inédit en deux épisodes. À 21 ans, Alice Guy pousse la porte du Comptoir général de la photographie, à Paris, pour postuler en tant que secrétaire. Là-bas, elle rencontre Léon Gaumont, l’un des employés. Alors que ce dernier rachète la société en 1895, la même année, les frères Lumières projettent leur premier film grâce à un tout nouveau engin révolutionnaire : le cinématographe. Alice Guy travaille encore comme sténo-dactylo au sein de la société de production Gaumont, mais petit à petit, elle se prend au jeu de la création. En 1896, elle devient la première réalisatrice de l’Histoire avec un court métrage appelé "La fée aux choux". À seulement 23 ans, Alice Guy produit de nombreux films, réalisés en seulement une journée chacun. Loin d’être laissés aux oubliettes, ces derniers sont vendus à des exploitants et diffusés, notamment pas des forains. Les gags présents dans ses films ravissent le public, à tel point que de grands réalisateurs la plagient, comme Georges Méliès. "Au Cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio. Retrouvez "Au Cœur de l'Histoire - Des récits pour découvrir et apprendre l'Histoire" sur : http://www.europe1.fr/emissions/au-coeur-de-l-histoire                                 Retrouvez-nous sur :                                 | Notre site : http://www.europe1.fr                                 | Facebook : https://www.facebook.com/Europe1                                 | Twitter : https://twitter.com/europe1

Transcript

00:00 Bienvenue au cœur de l'histoire, je suis Virginie Giraud. Alice Guy a été la première femme

00:09 réalisatrice de cinéma. Elle est l'auteur de plusieurs centaines de films en France et aux

00:14 États-Unis entre la fin du 19e siècle et la première guerre mondiale. Mais ses succès ont

00:19 été minorés par les hommes avec qui elle a travaillé en France et rejetés dans l'oubli

00:24 aux États-Unis parce qu'elle n'est pas américaine. Alors Alice Guy a consacré la fin de sa vie au

00:29 rétablissement de la vérité. Les historiens commencent à peine à saisir l'importance de

00:33 son œuvre. À travers son destin exceptionnel, je vais vous raconter les débuts du cinéma.

00:39 Allumez les projecteurs sur madame Alice Guy, silence, ça tourne ! Alice Guy,

00:47 la première dame du cinéma. Épisode 1, des petites choses de filles.

00:54 Nous sommes à Paris vers 1894, c'est la belle époque. Cette période heureuse,

01:08 sans conflit, entre la guerre de 1870 et la première guerre mondiale. Paris est une fête,

01:13 mais Paris est aussi misogyne à l'époque. Les épouses sont à la maison et les putains au

01:20 bordel. Et entre ces deux catégories de femmes, il y a celles qui déchirent l'ordre établi,

01:25 celles qui veulent exister pour elles-mêmes. Oh, elles ne sont pas nombreuses, mais regardez,

01:31 il y en a une qui arrive là, rue Saint-Roch, une petite rue près de l'Opéra Garnier. Elle

01:38 s'appelle Alice Guy, elle a 21 ans, elle a un joli visage plein de rondeur, des yeux perçants bleu

01:44 vif et ses cheveux bruns mousseux sont coiffés en chignon au sommet de sa tête. Elle pousse la

01:49 porte du comptoir général de la photographie, une entreprise spécialisée dans la vente de

01:54 matériel photographique et de production de photos. Elle a le cœur qui bat la chamade,

01:59 elle vient pour un poste de secrétaire. Secrétaire, c'est un métier d'homme,

02:03 mais elle est bien formée et elle a de l'expérience. Ce poste, elle le veut. Au bureau

02:09 du comptoir général de la photographie, elle rencontre Léon Gaumont, l'un des employés.

02:13 Gaumont regarde sévèrement sa lettre de recommandation, il trouve Alice qualifiée,

02:19 mais il la pense bien jeune pour le poste. Alice ne se décontenance pas, elle rétorque que la

02:25 jeunesse, ça lui passera, comme à tout le monde du reste. Alors Léon décide de lui donner sa chance,

02:31 il ne sait pas encore qu'il vient de découvrir une perle rare.

02:34 Alice Guy naît en 1873 près de Paris. Sa mère la confie vite à sa grand-mère pour retourner

02:47 auprès de son mari au Chili. Emile Guy est en train de monter plusieurs librairies à Valparaiso

02:53 et à Santiago. Il gagne plutôt bien sa vie. Le Chili n'est plus une colonie espagnole depuis le

02:58 début du 19e siècle et la République, plutôt libérale en cette fin de siècle, est propice

03:03 aux affaires. Pendant que ses parents travaillent, Alice passe les trois premières années de sa vie

03:08 près de la Suisse avec ses grands-parents qu'elle adore. Puis sa mère vient la chercher et l'emmène

03:13 au Chili. La traversée transatlantique et le passage vers le Pacifique prend plus d'un mois.

03:18 C'est sur ce bateau qu'Alice prend l'habitude de se raconter des histoires fantastiques. Son

03:23 imagination est fertilisée par l'ennui du huis clos marin. Après trois ans au Chili, retour en

03:30 France en pension. Elle reçoit une bonne éducation, de petites filles bourgeoises, mais la vie lui

03:35 réserve une surprise étonnante. Alors qu'elle est adolescente, son père fait faillite et meurt

03:41 prématurément. Ce qu'il reste de la famille Guy risque de sombrer dans la misère. Alice doit

03:47 prendre un travail. On est à la fin des années 1880 et rien n'est simple pour les femmes ivraies

03:54 elles-mêmes. Elles pourraient être domestiques ? Ça non, certainement pas, elle est trop bien

03:58 élevée. Elles pourraient être couturières ? Oui, bon, elles useraient ses doigts et sa santé sur un

04:04 fil et arrondiraient les fins de mois en jouant les lorettes, ces filles qui se vendent en plus

04:08 de leur métier de cousette. La prostitution occasionnelle est partout à Paris à ce moment-là.

04:12 Vendeuse dans un de ces grands magasins alors ? Mais au bonheur des dames, tout compte fait,

04:17 c'est la version chic de la cousette trop précaire. Des études ? C'est ça la solution.

04:24 Alice a 18 ans et elle apprend un métier d'avenir, la sténodactylo. La sténographie est une technique

04:36 qui permet de prendre en note rapide grâce à une série de signes le discours d'une personne. Et la

04:41 dactylographie, c'est l'art de taper à la machine à toute vitesse et sans erreur. Le métier de

04:46 secrétaire sténodactylo est alors presque exclusivement masculin. C'est un de ces métiers

04:52 de bureau de col blanc qui se multiplient pendant la révolution industrielle. C'est l'ancêtre de

04:59 l'assistante de direction qui est devenu avec le temps un métier plutôt féminin. Alice Guy trouve

05:05 rapidement un poste dans une entreprise où elle n'a que des hommes pour collègues. C'était bien

05:09 avant Me Too et on peut dire que ses confrères ne lésinent pas sur les blagues grivoises. Tout

05:15 est bon pour la déstabiliser mais Alice ne se laisse pas impressionner. Cela dit, elle cherche

05:21 quand même un autre poste. C'est là qu'elle apprend que la compagnie générale de la photographie

05:25 cherche une secrétaire. Malgré son jeune âge, elle est embauchée par Léon Gaumont, un entrepreneur

05:31 trentenaire passionné de nouvelles technologies. D'ailleurs, comme les patrons de la compagnie

05:36 générale de photographie n'arrivent pas à gérer cette entreprise, Léon Gaumont la rachète en 1895

05:42 et la rebaptise Gaumont & Compagnie. Parmi ses associés, il y a un ingénieur dont tout pari fait

05:48 des gorges chaudes depuis l'exposition universelle de 1889. C'est le fameux Gustave Eiffel. Alice se

05:58 retrouve dans un environnement à la pointe fait d'hommes aussi doués pour les affaires que pour

06:02 l'innovation. Elle est heureuse. Elle sort souvent de son bureau pour regarder les photographes

06:06 travailler. Elle apprend les bases de leur métier. Et puis, elle pose aussi. Elle devient le visage des

06:13 appareils photo de la Gaumont sur les prospectus de l'exposition universelle de 1894. Ces grands

06:20 événements organisés tous les cinq ans permettent de faire découvrir au public des tas d'innovations.

06:25 Et Léon Gaumont, comme les frères Lumière, Thomas Edison et bien d'autres ingénieurs rêvent

06:30 d'animer les images. L'américain Thomas Edison a déjà un coup d'avance. En 1888, il a inventé le

06:42 kinétoscope. C'est la première machine de cinéma qui permet de voir le film par un œilleton. Il ne

06:48 peut donc y avoir qu'un seul spectateur à la fois. Il y a une pellicule de 35 mm perforée qui

06:54 défile. Le défilement d'images fixes donne une impression de mouvement. De son côté, le français

07:00 Georges Demeny invente le phonoscope. L'idée au départ est de créer un dispositif visuel mobile

07:07 pour apprendre aux sourds à lire sur les lèvres. Il imagine donc un disque qui tourne avec une

07:12 série d'images. Quand on regarde dans l'œilleton avec la bonne vitesse de défilement, on peut voir

07:18 un visage qui semble bouger et prononcer les mots "je vous aime" ou "vive la France". Vous l'aurez

07:25 remarqué, on avance mais on est encore loin des blockbusters hollywoodiens. Et puis enfin,

07:31 le 28 décembre 1895, les frères Lumière, deux ingénieurs basés à Lyon, invitent quelques amis

07:38 triés sur le volet à une projection privée. Parmi les heureux élus, il y a Léon Gaumont et Alice

07:44 Guy. Ça y est, les frères Lumière vont projeter le premier film sur un écran grâce aux cinématographes.

07:51 Alors ce premier film, c'est la sortie des ouvriers de l'usine Lumière. En terme de scénario, ça ne

07:58 nous émeut pas beaucoup, je suis d'accord avec vous. Mais rendez-vous compte de l'événement,

08:03 c'est la première fois qu'on voit un film sur un écran, des photos qui bougent, des gens qui

08:08 marchent là, sur la toile, et ça sort d'une petite machine dans laquelle défile une bande à 18 images

08:15 par seconde. C'est de la folie. Imaginez la tête des gens quand un peu plus tard on leur montrera le

08:21 premier film où un train avance en direction des spectateurs. La panique totale, les gens quittent

08:27 la salle avec effroi, ils craignent que le train ne les écrase. Bref, vous l'aurez compris, ce qu'il

08:34 se passe là, c'est une révolution. Dans l'année qui suit cette projection, Gaumont vend divers

08:44 appareils de prise de vue. Mais comme les ventes ne sont pas folles, Alice lui demande l'autorisation

08:49 d'utiliser des caméras pour faire des petits films qui pourront être offerts aux clients,

08:54 des petites fictions drôles et légères qui font rire le public. Ça commence à se faire, il n'y a

09:02 qu'à voir le succès de l'arroseur arrosé de Louis Lumière. Le pitch du film est inclus dans le

09:07 titre, c'est un gag où un jardinier se fait arroser parce qu'un petit blagueur a bloqué un instant son

09:13 tuyau d'arrosage. Et oui, les premiers succès du cinéma reposent sur le comique de situation,

09:19 dans l'esprit c'est plus vidéo gag que le festival de Cannes. Léon Gaumont ne voit donc pas

09:25 d'inconvénient à ce que sa secrétaire fasse des petites fictions, des petites choses de filles,

09:29 à condition bien sûr qu'elles ne prennent pas de retard dans son travail. Et voilà comment cette

09:35 année-là, en 1896, Alice Guy va devenir la première réalisatrice de films et mettre en scène son

09:42 premier court-métrage, La fée aux choux. Imaginez un plan fixe avec un décor de jardin peint sur

09:51 toile, des choux énormes en deux dimensions peints sur des planches de bois comme au théâtre et au

09:57 milieu une femme en robe tournure décorée de fleurs qui interprète une fée. Et que fait-elle

10:03 apparaître dans les choux ? Des bébés ! Alors n'allez pas me demander où Alice Guy a trouvé

10:09 des nourrissons pour la figuration, je n'en sais fichtrement rien. Quoi qu'il en soit, le résultat

10:14 est très kitsch à nos yeux mais ce petit court-métrage plaît beaucoup. Alice conçoit d'autres

10:21 films tournés en quelques heures et Gaumont, qui a du flair, se développe en société de production

10:27 filmographique. Pour permettre à cette nouvelle activité de devenir plus lucrative, Léon Gaumont

10:32 achète un terrain à Belleville, un quartier pauvre de Paris, pour faire construire des ateliers de

10:37 cinéma. Les décors sont rudimentaires. En général, il y a une toile peinte sur le fond, trois éléments

10:43 de décor chiné, quelques costumes empruntés et un scénario qui tient sur dix lignes, muet bien sûr

10:49 puisqu'on ne sait pas encore capter le son. Ce sont souvent les ouvriers de la Gaumont qui jouent

10:55 les acteurs. Côté technicien, chacun tripatouille le matériel, cherche de nouveaux concepts ou en

11:00 découvre par accident. Alice Guy s'amuse follement. C'est là qu'elle et ses collègues mettent au

11:07 point le fond du haut noir, les accélérations ou les ralentissements de l'image, les montages à

11:12 l'envers et les interruptions de caméras qui permettent de faire apparaître ou disparaître

11:17 un objet. Ce sont les débuts des effets spéciaux et les prémices du cinéma moderne. Et tous ces

11:24 petits films faits chez Gaumont en une journée maximum sont vendus à des exploitants. Un jour,

11:30 Alice se rend chez un forain qui projette un de ses films. Elle se glisse dans la petite salle,

11:35 dans le fond, pour observer les spectateurs. Leur réaction va la sidérer.

11:41 Pour découvrir la suite de ce récit, je vous donne rendez-vous très vite sur votre plateforme

11:51 d'écoute préférée. À bientôt.

11:56 – Sous-titrage : Le Crayon d'oreille -

12:00 Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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