• l’année dernière
À considérer le temps long de la civilisation, nous vivons un moment de grands bouleversements culturels, scientifiques et politiques. Du culte à la culture et au culturel, c'est toute l'histoire de l'art, de la crise de l'art que nous observons, même si les chefs-d 'oeuvres du passé demeurent des vigies artistiques. Des arts aux sciences, le XIXe siècle consacre avec Darwin l'origine animale de l'homme, avec Freud c'est l'inconscient qui éclaire sa part d'intimité dans l'élucidation des rêves. On pourrait évoquer les autres transformations, de l'économie à la physique quantique. Au XXe siècle et résultant de toutes ces évolutions, l'exploration des neurosciences bat son plein et imprime un rythme biologique à la psychologie. Tout cela est sommairement cadré, on pourrait toutefois trouver un fil rouge d'élucidation, un pari d'humanisme aux évolutions passées et présentes de notre homo sapiens, si l'on accepte de se mettre à l'écoute de la « parole folle », j'emprunte l'expression au philosophe Michel Foucault, si l'on examine la part de folie qui se tisse dans le caractère sacré de la vie et dont le lien avec la créativité semble scientifiquement fondé. En témoignent avec majesté la créativité immortelle des grands artistes, mais pas que, dans la mesure où la créativité est aussi à l'oeuvre au détour de la vulnérabilité humaine quand elle s'exprime pour se libérer de ses entraves et de ses tourments. Tout est comme dans la vie, en quelque sorte, dès lors que nous vivons pour oeuvrer.

Émile Malet reçoit :
Raphaël Gaillard, psychiatre, directeur du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie, hôpital Sainte-Anne
Marc Lambron, écrivain, Académie française
Clotilde Leguil, psychanalyste, philosophe
Camille Laura Villet, philosophe, psychanalyste

L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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Transcription
00:00 Générique
00:02 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:26 "Créativité et folie, ou le coup de hache dans la tête".
00:30 À considérer le temps long de la civilisation,
00:34 nous vivons un grand moment de bouleversement
00:37 culturel, scientifique et politique.
00:40 Du culte à la culture et au culturel,
00:44 c'est toute l'histoire de l'art, de la crise de l'art
00:47 que nous observons,
00:48 même si les chefs-d'oeuvre du passé
00:50 demeurent des vigies artistiques.
00:54 Des arts aux sciences, le XIXe siècle
00:56 consacre avec Darwin l'origine animale de l'homme,
01:00 avec Freud, c'est l'inconscient qui éclaire sa part d'intimité
01:04 dans l'élucidation des rêves.
01:07 On pourrait évoquer les autres transformations,
01:10 de l'économie à la physique quantique.
01:13 Au XXe siècle, et résultant de toutes ces évolutions,
01:17 l'exploration des neurosciences bat son plein
01:21 et imprime en quelque sorte un rythme biologique
01:26 à la psychologie.
01:28 Alors, de tout cela, et de manière sommairement cadrée,
01:33 on pourrait toutefois trouver un fil rouge
01:36 d'explications, d'élucidations.
01:39 Un pari d'humanisme aux évolutions passées et présentes
01:44 de notre Homo sapiens.
01:46 Si on accepte de se mettre à l'écoute de la parole folle,
01:50 chère au philosophe Michel Foucault,
01:54 si l'on examine la part de folie qui se tisse
01:58 dans le caractère sacré de la vie
02:00 et dont le lien avec la créativité
02:03 semble scientifiquement fondé,
02:06 en témoigne avec majesté
02:09 la créativité immortelle des grands artistes,
02:12 mais pas que.
02:14 Dans la mesure où la créativité est aussi à l'œuvre au détour
02:18 de ce qu'on peut appeler la vulnérabilité humaine,
02:21 quand elle s'exprime pour se libérer
02:24 de ses entraves et de ses tourments.
02:27 Tout est comme dans la vie, en quelque sorte,
02:29 dès lors que nous vivons pour œuvrer,
02:32 pour faire quelque chose.
02:34 Pour en parler, je vous présente mes invités.
02:37 Raphaël Gaillard, vous êtes psychiatre,
02:40 vous êtes directeur du pôle hospitalo-universitaire
02:44 de psychiatrie à l'hôpital Saint-Anne.
02:48 Camille Lauravillé, vous êtes philosophe et psychanalyste.
02:52 Clotilde Le Guil, vous êtes psychanalyste et philosophe.
02:56 Marc Lambron, vous êtes écrivain de l'Académie française.
03:00 Vous venez de voir cette citation de Diderot.
03:13 "Les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tête."
03:17 Commençons par cette citation qui donne son titre,
03:21 Raphaël Gaillard, à votre dernier ouvrage.
03:24 Qu'est-ce qu'elle nous dit ?
03:26 Et plus personnellement,
03:28 qu'est-ce qui vous a conduit à vous pencher sur ce coup de hache ?
03:32 -Personnellement, c'est avant tout mon étonnement,
03:36 chaque matin renouvelé, devant la fréquence des troubles mentaux.
03:41 Pourquoi sont-ils si fréquents ?
03:42 Le pôle que je dirige à Saint-Anne reçoit 12 000 patients par an.
03:46 Peut-être ne le savez-vous pas,
03:49 mais la schizophrénie affecte 1 % de la population générale.
03:53 La dépression touche une personne sur cinq sur l'ensemble de sa vie.
03:56 Pourquoi c'est si fréquent ?
03:59 Et quand on s'interroge sur cette fréquence,
04:01 en ayant comme canevas dans notre réflexion biologique
04:06 le darwinisme que vous avez évoqué,
04:09 on se dit qu'il y a quelque chose qui porte les troubles mentaux,
04:12 qui porte la folie, qui en ferait peut-être un avantage,
04:16 et rapidement, ce qui se dit, ce qui se pense,
04:19 c'est l'idée que folie et créativité sont liées.
04:22 -Et alors, le coup de hache ?
04:25 -Evidemment, Diderot l'exprime à sa façon,
04:28 avec ce petit coup de hache dans la tête.
04:30 J'ai toujours été gêné par cette hypothèse
04:34 d'un lien entre folie et créativité,
04:36 car au quotidien de mon exercice, je vois bien
04:38 les liens entre folie et créativité,
04:40 et au quotidien de mon exercice,
04:42 je vois surtout des personnes en grande souffrance,
04:45 et ma vocation de médecin est de les soulager
04:47 plutôt qu'être fasciné par une hypothétique créativité.
04:51 J'ai voulu renouveler cette question,
04:53 en tout cas, m'y confronter très concrètement,
04:56 et j'ai été étonné de découvrir que les sciences,
04:59 différentes sciences, l'épidémiologie, la génétique,
05:01 les neurosciences, amènent à renouveler la question,
05:05 notamment en faisant un pas de côté,
05:07 c'est toujours utile en matière de psy,
05:09 de faire un pas de côté,
05:11 en constatant que ce lien, il existe, il est avéré,
05:15 mais ce n'est pas un lien de superposition,
05:17 c'est un lien de parenté.
05:18 -On va en parler dans le détail.
05:20 Cette créativité liée à l'esprit qui déraille,
05:24 en quoi elle est présente dans votre propre vocation,
05:28 Marc Lambron ? Vous êtes écrivain, romancier,
05:30 d'où ça vient ?
05:32 -Vous me demandez d'emblée si je ne suis pas un peu dérangé.
05:36 -D'une certaine manière.
05:38 -Ecoutez, d'abord, je voudrais saluer le livre de Raphaël Gaillard,
05:41 qui est remarquable, que l'Académie française a couronné.
05:45 En décembre dernier.
05:47 Dire aussi que Raphaël Gaillard anime une association
05:51 qui, chaque année, en janvier, réunit, je crois,
05:54 300 ou 350 psychiatres. -Plus que ça, même.
05:56 -Ou 400.
05:57 Chaque année, en hommage à Jean Delay,
06:00 qui était à la fois psychiatre, académicien,
06:02 et père de Florence Delay, un académicien est entendu.
06:05 Ce qui m'est arrivé début 2020, et j'en suis ressorti libre.
06:09 Il est assez rare d'être entendu par 400 psychiatres à la fois.
06:14 -C'est ce que disait Thomas Bernhardt,
06:16 que la folie rendait quelque part plus libre.
06:19 -Eh bien, c'est le cas.
06:20 Après, auto-analyse,
06:23 je voudrais quand même avoir la modestie
06:25 de parler des autres, pour commencer.
06:27 Ce qui intéresse un auteur, qui est d'abord un lecteur,
06:31 c'est précisément...
06:33 Moi, ce qui m'intrigue, je vais vous dire,
06:35 ce sont, partons du XIXe siècle,
06:38 des écrivains ou des philosophes
06:40 qui, au cours de leur vie,
06:43 et dans le début de leur vie, ne sont pas, en quelque sorte,
06:46 signalés comme étant sujet à des troubles mentaux,
06:49 et puis, ça survient.
06:50 Je pense à deux, dans le domaine allemand,
06:53 au germanique, à Hölderlin,
06:54 qui va passer les 30 dernières années de sa vie
06:57 dans une sorte d'hébétude, hébergée par un menuisier,
07:01 près d'une écart, et qui est un des plus grands poètes,
07:04 ou à Nietzsche, l'incident, ou l'accident de Turin,
07:08 qui, voyant un cheval rudoyé dans la rue,
07:12 verse dans un état qui, semble-t-il, va devenir irréversible.
07:15 C'est assez intéressant.
07:17 Puis, il y a, puisque nous sommes en France,
07:20 la question aussi de la naissance de la clinique,
07:22 comment est-ce qu'au XIXe siècle, essentiellement,
07:25 des états pathologiques rencontrent des praticiens ?
07:28 Il y a deux exemples éminents, c'est Nerval
07:31 et c'est Maupassant,
07:32 qui, les deux, vont être traités, d'ailleurs,
07:35 par le même docteur Blanche, le célèbre docteur Blanche.
07:38 Mais il semble, vous nous le direz,
07:40 que dans le cadre de Maupassant, il y avait des raisons organiques.
07:44 Une syphilis qui dégénère et qui déclenche
07:47 précisément cette pathologie.
07:48 Dans le cas de Nerval, c'est moins sûr.
07:53 Ca finit par un suicide.
07:55 -On va rentrer dans le détail.
07:57 Clotilde Le Guilbeault, vous êtes psychanalyste.
07:59 Comment ça se manifeste, ce coup de hache ?
08:02 Vous le constatez dans votre exercice
08:04 et même dans votre vocation ?
08:06 -Je trouve que ce...
08:09 Ce lien, effectivement, entre folie et créativité
08:12 et la façon dont Raphaël Gaillard propose de le réinterroger
08:16 est tout à fait précieux.
08:18 Parce que c'est vrai qu'on pourrait dire
08:21 que d'un côté, il faut bien un grain de folie,
08:24 il faut une certaine excentricité,
08:26 il faut consentir à une forme de déraillement
08:29 pour créer quelque chose,
08:31 mais en même temps, quand on est psychiatre
08:33 ou quand on est psychanalyste
08:35 et qu'on est confronté à la psychose,
08:38 quand on est confronté à des patients
08:40 qui sont hospitalisés,
08:42 qui sont dans des états de grande vulnérabilité psychique,
08:46 on sait bien qu'on ne peut pas, effectivement,
08:49 juxtaposer la créativité et la folie.
08:52 Il faut savoir de quelle folie on parle.
08:54 Néanmoins, je trouve intéressant aussi
08:58 de penser la créativité
09:01 comme ce qui peut, chez certains sujets fragiles,
09:04 faire rempart à une certaine folie,
09:08 même si c'est provisoirement,
09:11 qui peut, en quelque sorte, faire tenir quelque chose.
09:14 On peut penser à Camille Claudel,
09:16 qui a pu quand même créer,
09:19 a pu quand même se sortir d'un certain ravage
09:22 de sa relation folle avec Auguste Rodin,
09:27 mais finalement, la folie a été plus forte
09:30 et son sentiment de persécution l'a emporté.
09:34 Mais on voit quand même
09:36 que la puissance de ses sculptures,
09:39 la puissance de son style
09:41 a à voir aussi avec quelque chose de sa folie.
09:45 -Oui. Camille Lauravillet,
09:47 vous vous êtes penchée sur cette question à travers les arts.
09:50 J'aimerais avoir votre avis.
09:52 -Euh... Déjà, là, spontanément,
09:55 je pense aux artistes
09:57 qui m'ont confiée
10:00 sans le théâtre, sans la peinture.
10:04 J'aurais versé dans la folie.
10:06 Et c'est quelque chose qui m'a toujours touchée,
10:09 mais au-delà de touchée, bouleversée,
10:11 et sans doute conduite à cette interrogation.
10:14 Qu'est-ce qui distingue une oeuvre qui sauve,
10:18 ou qu'une oeuvre que j'appellerais une oeuvre symbole,
10:22 d'une oeuvre symptôme ?
10:25 Et je crois que cette différence
10:27 entre l'ordre du symbole et de l'ordre du symptôme
10:29 m'a vraiment intéressée
10:32 et a été le point de départ de mon questionnement sur le sujet.
10:35 Qu'est-ce que c'est que le sujet humain ?
10:37 Donc, c'est de... L'artiste est marqué par...
10:42 Vous en parlez très bien dans votre ouvrage "Raphaël Gaillard",
10:45 par cette schize qui caractérise le sujet humain,
10:49 par le fait d'être séparé de la réalité
10:52 et de ne pas l'avoir parfaitement recouvert
10:55 et refoulé, cette séparation,
10:58 et de devoir sans cesse jeter un pont.
11:01 Et c'est le fait de jeter un pont,
11:02 l'acte créatif comme le fait de jeter un pont.
11:04 Permettez-moi de profiter de votre science de l'Antiquité
11:08 pour voir si vous retrouvez ça dans l'Antiquité.
11:14 C'est vrai que je suis une passionnée de mythologie.
11:17 Alors, il y a deux choses.
11:19 D'abord, le coup de hache dans la tête, forcément.
11:23 Vous en parlez à la fin de votre livre.
11:26 C'est le coup de hache que subit le malheureux Zeus
11:30 pour donner naissance à sa fille, Athéna.
11:32 Et cette naissance a quelque chose d'éminemment prometteur et créatif,
11:38 puisqu'on voit naître une femme
11:43 qui détient un principe masculin.
11:45 Et elle naît d'un homme qui a intégré, avalé, carrément,
11:49 un principe féminin métis, la ruse.
11:52 Et donc, vont se trouver mis l'un en face de l'autre,
11:56 masculin et féminin, en miroir l'un de l'autre,
11:59 contenant l'autre de soi.
12:01 Et une promesse de dialectique, d'échange, de réciprocité,
12:06 me semble être posée à l'occasion de cette naissance.
12:11 Et le deuxième point, une fois que j'ai dit ça,
12:13 il y en a quand même un, il y en a plusieurs,
12:15 mais il y en a un dans la mythologie.
12:18 On ne cesse, pendant toute une partie de la tragédie,
12:22 on ne cesse de se demander s'il est fou,
12:26 victime d'un syndrome de persécution,
12:30 ou bien si, véritablement, les Érynées lui courent à presse
12:34 et au reste.
12:35 Et la résolution de la tragédie passe par Athéna,
12:40 qui va inventer le premier tribunal public.
12:44 Et donc, voilà, là, il y a véritablement création
12:48 d'un nouvel ordre politique,
12:51 et je ne m'étendrai pas davantage.
12:53 -Ca vous interpelle, Marc Lambront, ces mythologies ?
12:56 -Ce qui m'intéresse dans les premiers échanges,
12:59 c'est, question,
13:01 est-ce que l'extraversion du symptôme
13:05 à travers une oeuvre d'art peut être salvatrice ?
13:08 Parce que là, on parle d'une oeuvre d'art
13:11 comme quelque chose qui serait presque curatif,
13:14 comme un exutoire ou une libération
13:16 d'un trouble ou d'un tourment intérieur.
13:19 Et ça, c'est le praticien ou les philosophes
13:22 qui, peut-être, peuvent nous dire si l'art soigne
13:26 ou, au contraire, si c'est une sorte de pisalet
13:30 et de spirale,
13:32 voilà, sans issue ou sans recours.
13:35 -Alors, l'art soigne, Raphaël Gaillat ?
13:38 -Oui, l'art soigne,
13:40 et il y a beaucoup à dire de la façon
13:43 dont ce pont jeté,
13:47 dont cet exercice,
13:49 ce tissage dans l'oeuvre d'art
13:52 peut permettre de consolider,
13:56 conduire et stabiliser
14:01 ou même permettre d'accomplir
14:04 chez une personne fragile.
14:06 Mais dans le même temps, j'ai une petite réticence
14:09 parce qu'au motif
14:13 de cette vertu potentielle de l'art,
14:16 il est volontiers dit qu'il faudrait ne pas soigner.
14:20 Vous voyez, je reviens à ma contradiction interne initiale.
14:24 Il est volontiers dit
14:26 que le chemin de résolution
14:30 d'un trouble mental ou d'une fragilité
14:33 serait l'art et pas le soin.
14:36 Et ce discours-là,
14:38 que tout psychiatre a entendu
14:41 chez ses patients, l'entourage de ses patients,
14:44 éloigne ces mêmes patients des soins
14:47 et donc les fait davantage souffrir.
14:49 J'y souscris en même temps que je m'en méfie.
14:52 -Ecoutez, moi, ce que je voudrais,
14:54 c'est qu'on va parler un peu des traumatismes, etc.,
14:58 mais je voudrais d'abord évoquer la question de la jouissance.
15:02 Est-ce qu'il faut un petit coup de hache
15:06 pour être créatif ?
15:08 Et je voudrais vous soumettre cette réflexion de Tchékov.
15:13 J'imagine que pour celui qui a goûté
15:16 au délice de la création artistique,
15:19 il n'existe pas d'autre jouissance.
15:21 Qu'en pensez-vous, Clotilde Guil ?
15:23 -J'aime beaucoup Tchékov.
15:25 C'est une phrase qui nous touche.
15:27 On a envie d'y croire,
15:29 que la création artistique procure une jouissance
15:32 qui est aussi intensification de la vie,
15:36 de la pulsion de vie,
15:38 mais c'est vrai que, disons qu'au cas par cas,
15:41 dans la clinique, les choses sont aussi plus complexes.
15:45 Par exemple, je pense,
15:47 puisqu'on se demandait si cette jouissance de la création,
15:51 elle soigne, est-ce qu'elle est curatrice ?
15:54 Par exemple, si on pense à Marguerite Duras
15:58 quand elle a écrit "L'Olwechtein".
16:00 Elle écrit sur un personnage
16:02 qui est en proie à une forme de folie,
16:04 d'ailleurs, elle s'est inspirée pour ce personnage
16:07 d'une patiente qu'elle a vue
16:09 dans un hôpital psychiatrique lors d'un bal.
16:12 Et alors, est-ce que l'écriture de "L'Olwechtein"
16:17 l'aide, elle, finalement,
16:19 à faire tenir quelque chose de son propre être et de son corps
16:24 ou est-ce que, finalement, ça ne la fragilise pas davantage ?
16:27 À la fois, elle a écrit un texte inouï
16:30 qui nous traverse chacun quand on le lit,
16:32 qui nous fait éprouver une forme de ravissement
16:35 et elle témoigne après,
16:36 je trouve ça très intéressant dans ses écrits, dans son journal,
16:39 qu'elle a eu du mal à en revenir de ce texte,
16:42 qu'elle reste habitée par l'ol
16:45 et qu'après avoir écrit "L'Olwechtein",
16:48 elle s'est mise à parler d'elle-même à la troisième personne,
16:51 c'est-à-dire qu'elle ne retrouvait plus, en quelque sorte, son jeu.
16:54 Je trouve que c'est intéressant
16:55 parce qu'à partir du témoignage singulier, là, de Duras,
17:00 on aperçoit qu'effectivement,
17:02 il y a une jouissance inouïe dans la création
17:06 qui peut aller jusqu'à se perdre soi-même,
17:08 se laisser traverser par quelque chose
17:10 et en même temps, il y a aussi un risque pris par le sujet.
17:15 -Vous constatez cette jouissance, Raphaël Gaillard ?
17:17 -Oui.
17:19 -D'ailleurs, est-ce que vous avez pris...
17:21 J'allais dire, est-ce que ça a procuré une jouissance chez vous
17:25 d'avoir écrit "Le coup de hache" ?
17:27 Pardonnez cette... -Question indiscrète.
17:30 -Interpellation indiscrète.
17:32 -La jouissance du style, elle se sent.
17:35 -Merci.
17:36 J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire
17:38 parce que mon écriture est habituellement de scientifique
17:42 et l'écriture de scientifique est une écriture très pauvre
17:45 puisqu'elle a vocation uniquement à transcrire des idées très simples
17:49 et poser des hypothèses auxquelles on répond
17:52 de la façon la plus simple et la plus directe possible,
17:55 évidemment en anglais.
17:56 Donc j'ai pris du plaisir à l'écriture
17:59 et à une sorte de vagabondage
18:02 qui n'est pas mon écriture scientifique.
18:05 Ensuite, sur la question de la jouissance,
18:07 là aussi, nous pourrions répondre
18:10 à un grand russe par un grand russe
18:12 quand on lit, par exemple,
18:15 les descriptions que Dostoïevski faisait
18:18 de l'aura de l'épilepsie.
18:21 L'aura de l'épilepsie, c'est le premier temps
18:24 qui précède la crise d'épilepsie,
18:26 qui est décrit comme étant un moment d'une félicité incroyable,
18:29 quelque chose que personne d'autre ne peut connaître,
18:32 où on peut parler probablement de jouissance,
18:35 mais de jouissance même qui consiste à embrasser l'univers entier
18:39 et à l'excitation initiale de tous les neurones
18:41 qui fait les prémices de la crise d'épilepsie.
18:45 Eh bien, voilà un grand auteur
18:48 qui décrit un mouvement pathologique, l'épilepsie,
18:52 qu'on ne lui souhaite pas,
18:54 comme étant source d'une félicité infinie.
18:58 Et je me demande, ce faisant,
19:00 si on ne se trompe pas d'objectif
19:05 en pensant en termes de jouissance,
19:08 parce que je ne suis pas sûr que ce soit là
19:11 que l'oeuvre se fasse,
19:13 il faut qu'elle se tienne,
19:15 beaucoup plus qu'elle soit la marque d'une jouissance.
19:18 -Je voudrais vous interroger sur un cas clinique.
19:20 J'ai rencontré une grande dame de la peinture
19:24 qui habitait dans un faubourg de Jérusalem.
19:27 Elle avait une maladie de Parkinson très accusée
19:33 et très tôt.
19:35 Mais quand elle peignait, ça disparaissait complètement.
19:39 Qu'est-ce que vous pouvez en déduire ?
19:43 -Je ne vais pas en déduire grand-chose
19:46 sans connaître la grande dame. -C'est une impression.
19:49 -Deux choses d'abord.
19:52 Dans la clinique de la maladie de Parkinson,
19:54 le tremblement est un tremblement
19:58 qui, classiquement, s'arrête à l'action.
20:01 C'est quelque chose qui entrave, sauf au moment de l'action.
20:05 Par exemple, nous avons vu des chirurgiens
20:09 continuer à opérer et bien opérer,
20:11 pourtant en terme de maladie de Parkinson.
20:13 Dans l'action même, quelque chose se remet en place.
20:18 Ensuite, il y a une sorte de mémoire du corps,
20:21 de quelque chose qui traverse l'individu,
20:25 qui, à ce moment-là, le met en mouvement,
20:28 en passant outre le handicap,
20:31 qui est un handicap très moteur dans la maladie de Parkinson.
20:35 C'est pas très étonnant d'avoir ces moments paradoxaux
20:39 de grande fluidité motrice
20:42 chez une personne très handicapée.
20:44 -Qu'est-ce que vous pensez de cette sublimation par les arts ?
20:48 Il faut dire un mot, là-dessus, Marc Lambron ?
20:51 -Je sais pas si c'est seulement de la sublimation.
20:53 Prenons le cas des auteurs, des écrivains.
20:56 Je crois qu'il y a plusieurs situations,
20:59 plusieurs postures par rapport à la folie.
21:01 Il me semble que, ce qu'on appelle la folie,
21:04 c'est que nous commencions à parler de ceux,
21:06 souvent des grands artistes ou des grands auteurs,
21:09 qui écrivent depuis la fournaise d'un état intérieur.
21:13 Ça peut être Nietzsche,
21:15 ça peut être le homal, comme on disait au XIXe siècle,
21:18 c'est-à-dire l'épilepsie, et le cas d'Arthaud
21:21 est pris en compte par la clinique.
21:23 On peut parler de ce qu'était la clinique à ce moment-là
21:26 et du rapport qu'il en sort,
21:27 et de ce qu'il écrit quand il en sort.
21:30 Ca, c'est la première chose.
21:31 À mon avis, ça s'accompagne des états de souffrance intérieure.
21:35 La question de la jouissance, à mon avis, elle n'est pas là.
21:38 Il y a une deuxième famille d'écrivains,
21:41 et vous les évoquez dans votre livre,
21:43 ce sont ceux qui, mettons, "saints d'esprit",
21:47 je dis entre guillemets,
21:49 cessaient à ce qu'on peut appeler des psychoses expérimentales,
21:54 c'est-à-dire les stupéfiants, les drogues.
21:57 Et il y a des écrivains éminents,
22:00 qui n'ont jamais été regardés comme fous,
22:02 au sens clinique, qui sont par exemple Huxley,
22:05 "Les portes de la perception",
22:08 qui sont Michaud, dont vous parlez,
22:11 les écrits mescadiniens de Michaud,
22:13 et même Junger, le prussien Junger,
22:17 qui écrit dans les années 70
22:19 un livre qui s'appelle "Approche, drogue et ivresse",
22:22 ce qu'avait fait Walter Benjamin.
22:24 Avant lui, il y a des textes de Walter Benjamin
22:26 sur le hashish et sur la morphine.
22:28 Bon, donc, ces écrivains-là, qui en reviennent,
22:31 qui ne vont pas être traités,
22:33 ils vont chercher quelque chose, en tout cas.
22:36 Ce sont des voleurs de feu
22:37 où ça fait partie de leur stratégie,
22:40 mettons, d'écriture,
22:41 que d'aller vers des états psychiques
22:44 provoqués sous substance.
22:46 Et puis, il y aurait une dernière façon
22:50 de s'approcher de la folie,
22:52 qui serait peut-être la mienne
22:54 dans quelques-uns de mes livres,
22:56 c'est d'aller, en toute connaissance de cause,
22:59 inventer un personnage un peu cynoque,
23:01 si vous me permettez l'expression.
23:03 Prenez Malraux, par exemple.
23:05 Malraux était lui-même, évidemment,
23:07 sujet à toutes sortes d'états polymorphes.
23:10 Mais il y a dans son œuvre un personnage
23:12 qui s'appelle Clapique.
23:14 Il est, si je ne me trompe, dans la condition humaine,
23:17 et on le revoit 30 ans plus tard dans les "Antimémoires",
23:20 qui est une sorte d'illuminé colonial
23:22 qui vit au milieu des tribus
23:24 et qui a un discours très efflorescent,
23:27 très délirant.
23:28 Malraux adorait ce qu'il appelait les farfelus.
23:31 Là, on voit qu'il y a un plaisir,
23:33 une jouissance d'écrivain,
23:34 depuis un socle tout de même de rationalité,
23:37 à inventer un délirant.
23:39 Il y a plusieurs régimes d'écriture
23:42 et plusieurs approches, plusieurs possibles,
23:44 dans la gamme.
23:45 - Clotilde Guil, vous constatez cette jouissance ?
23:48 - Je voudrais poursuivre cette typologie
23:50 du rapport à l'écriture et à la folie.
23:53 Il y a aussi certains écrivains, mais c'est très rare,
23:56 qui témoignent, dans leur écriture même,
23:59 d'un moment de folie véritable
24:01 et non pas de psychose provoquée par les stupéfiants,
24:05 c'est-à-dire de recherche d'un état, au fond,
24:08 d'une sorte d'extase
24:11 qui leur permettrait de créer.
24:13 Je pense quand même à un témoignage qui est rare.
24:16 Moi, cliniquement, ça m'a beaucoup intéressée.
24:19 Je ne sais pas ce que Raphaël Gaillard va en penser,
24:22 mais il y a un témoignage d'Emmanuel Carrère
24:24 dans son livre "Yoga".
24:25 Bon, Emmanuel Carrère a écrit "Le royaume",
24:29 on peut dire qu'il y a un effet de sublimation
24:32 où il parvient à être connu,
24:36 au moment où le livre sort,
24:38 comme surplombant la rentrée littéraire.
24:41 Il y a quelque chose du grand auteur.
24:43 Il parle de cette nomination de grand auteur
24:46 qui lui fait un certain effet de jouissance.
24:49 C'est assez extraordinaire, quand même,
24:51 ce personnage qu'il a eu dans "Yoga",
24:53 de témoigner de quelque chose, finalement,
24:56 qui n'a pas tenu pour lui,
24:59 de ce moment d'effondrement mélancolique.
25:01 Il ne décrit pas toute la causalité,
25:04 puisqu'il la garde pour son histoire intime,
25:07 mais il décrit quand même ce moment de souffrance intense
25:12 où, effectivement, il demande là à être soigné.
25:15 Il ne demande pas juste, il ne cherche pas là
25:18 à s'en sortir par la création
25:20 du moment où il est dans cet effondrement mélancolique.
25:23 Il faut qu'il soit soigné pour pouvoir écrire à nouveau.
25:26 - On a ça chez Virginia Woolf, par exemple.
25:28 Et même chez Philippe Labron,
25:30 prenez un auteur qui a écrit assez courageusement
25:33 sur cette dépression,
25:34 qui écrivent au coeur d'eux,
25:36 et là, qui sont comme des témoins, des téléscripteurs,
25:39 si j'ose dire, en tout cas, des témoins, des diaristes
25:42 d'état intérieur douloureux et souvent incurable, d'ailleurs.
25:46 - Merci.
25:48 (Générique)
25:51 ---
25:55 - Alors, Camille Auravillé,
25:56 vous vous êtes intéressée, dans votre travail sur les arts,
26:00 notamment sur Brancusi,
26:01 sur la question de l'héritage et de l'identité.
26:07 Vous voyez ce que dit Picasso ?
26:09 "Un peintre a toujours un père et une mère,
26:12 "ils ne sortent pas du néant."
26:14 Est-ce que vous pensez que la folie ne sort pas du néant ?
26:17 - Hum.
26:19 - Hum.
26:20 Hum...
26:21 Je pense que la folie, je dirais comme ça,
26:26 c'est l'épreuve du néant
26:29 qui ne peut être surmontée.
26:31 Hum...
26:33 L'homme est traversé constamment par le néant.
26:39 C'est son défi, en tant qu'homme,
26:41 que de devoir le surmonter,
26:43 que de devoir, à partir de ce néant qu'il traverse,
26:46 tisser quelque chose,
26:48 faire émerger ce que j'appelle le logos, la parole,
26:51 qu'on a traduit souvent par "raison",
26:53 et il n'y arrive pas forcément.
26:56 - Alors, pour prolonger cette question du néant,
27:00 Raphaël Gaillard,
27:03 d'après René Char,
27:05 les êtres blessés ont plus facilement accès
27:09 aux sphères, je veux dire, supérieures, en tout cas,
27:13 disons, à une intelligence plus proche du soleil.
27:16 Comment vous expliquez cet accès privilégié
27:21 chez les personnes qui sont un peu fêlées,
27:25 j'ai pu dire, vers...
27:27 - La lucidité, les blessures la plus rapprochées du soleil.
27:31 Hum... Je...
27:33 En fait, je persévère dans mon souhait
27:39 de faire un pas de côté,
27:41 parce que je pense, en fait,
27:44 que...
27:45 plutôt qu'aller chercher forcément chez l'artiste
27:51 ce qui fait, chez lui,
27:55 un cassis singulier,
27:59 ce qui...
28:01 pourrait être l'origine de son oeuvre,
28:05 je pense qu'il vaut mieux qu'on s'intéresse
28:09 à ce qu'il représente de nos facultés,
28:12 à nous tous, êtres humains.
28:14 Et évidemment, il y a quelque chose d'exacerbé chez l'artiste,
28:18 évidemment qu'il y a quelque chose qui est radicalisé
28:23 par rapport au commun des mortels,
28:25 mais je pense que c'est plus intéressant d'aller regarder
28:29 ce qui appartient aux êtres humains
28:32 et qui n'est pas le seul fait de l'artiste.
28:35 Et donc, ce pas de côté,
28:37 il nécessite de considérer
28:39 que ça n'est pas toujours folie-créativité,
28:42 mais qu'est-ce qui pourrait exister
28:45 qui lie folie et créativité ?
28:47 Je pense que si on se décale un tout petit peu,
28:51 la réflexion nous permet
28:54 de ne pas simplement considérer
28:57 tous ces artistes qui manifestement
28:59 ont un petit coup de hache dans la tête,
29:01 ou bien la question de l'accomplissement,
29:05 comme nous y avons réfléchi,
29:07 dans une oeuvre d'art,
29:08 pour une personne ayant une vulnérabilité,
29:10 pour un trouble mental,
29:12 et ce qu'elle peut consolider,
29:14 en quoi elle est thérapeutique.
29:16 Je pense que l'idée qu'il puisse y avoir
29:19 chez chacun une faculté
29:23 à perdre la raison,
29:26 en tout cas dériver,
29:28 nous éloigner du réel,
29:35 et par là aussi créer quelque chose,
29:38 et donc que nous autres êtres humains
29:41 puissions à la fois créer et nous perdre,
29:45 ça, ce serait peut-être le lien
29:47 qui nous intéresse pour revisiter
29:50 cette question folie et créativité.
29:52 -Ca tombe très bien.
29:53 On va parler du commun des mortels,
29:55 qui possèdent souvent un grain de folie.
30:00 Les troubles mentaux font partie de la condition humaine.
30:05 Clotilde Le Guil,
30:06 quand vous êtes à l'écoute de cette parole folle,
30:10 si je puis dire, dont parle Foucault,
30:12 comment on en sort
30:15 pour ne pas s'égarer dans la folie ?
30:17 Alors, je peux vous aider en vous disant
30:20 que Philippe Roth, à propos de sa dépression,
30:24 il dit que le supplice épouvantable
30:27 s'avéra libérateur.
30:29 Alors, comment...
30:30 -C'est-à-dire que moi, vous avez prononcé là
30:33 le terme important, c'est le terme de parole.
30:36 Il me semble que la folie,
30:38 moi, je ne l'aborderais pas nécessairement
30:41 comme un rapport au néant.
30:42 Je l'aborderais plutôt,
30:44 depuis la référence qui est la mienne,
30:47 celle de la psychanalyse lacanienne,
30:49 celle de ce que dit Lacan sur la folie très tôt,
30:52 d'ailleurs, dès 1946,
30:54 dans les débats avec Henri Hay, que vous citez aussi,
30:57 c'est que la folie a à voir
31:00 avec la signification,
31:03 elle a à voir avec un certain rapport au sens,
31:06 elle a à voir avec une souffrance
31:08 qui est liée au sens que l'on peut donner
31:12 à ce qui nous arrive,
31:14 une souffrance qui est liée, au fond,
31:16 à la façon dont la parole de l'autre
31:20 peut nous percuter et ouvrir une faille dans notre être,
31:23 la façon dont nous pouvons nous sentir persécutés
31:26 par une parole. La folie a donc à voir
31:29 avec la dimension de l'interprétation.
31:32 Et effectivement, il y a quelque chose de l'ordre d'une faille
31:36 qui peut s'ouvrir chez certains sujets
31:39 dans ce rapport à la signification
31:41 et qui peut ouvrir sur une dimension délirante.
31:45 Alors, je distinguerais, disons, la faille qui existe en chacun
31:49 dans le rapport à la parole
31:51 et à ce qui peut nous faire souffrir,
31:53 de ce qui nous revient des paroles des autres,
31:55 et puis cette faille qui peut confronter un sujet
32:00 à une forme de trou,
32:02 une forme de disparition subjective
32:05 et qui fait en effet qu'il va ne plus reconnaître,
32:08 si vous voulez, ses propres productions psychiques
32:11 dans ses pensées,
32:13 dans les hallucinations qui vont l'assaillir,
32:16 dans les automatismes mentaux dont il va être la proie.
32:19 Mais tout ça, je définirais,
32:21 enfin, ces manifestations de la folie,
32:25 depuis un certain rapport à la parole et au langage.
32:27 Et en fait, rencontrer le fou,
32:29 c'est déjà rencontrer une certaine parole
32:32 et pouvoir laisser aussi le sujet témoigner
32:36 de ce qui lui arrive.
32:37 -Alors, Marc Lambron, je voudrais pas
32:40 vous mettre dans un schéma schizophrénique
32:44 dont a parlé Raphaël Gaillard,
32:46 mais vous êtes romancier.
32:48 Est-ce que les personnages
32:50 que vous inventez, que vous créez,
32:54 viennent interpréter,
32:57 si je puis dire,
32:59 ce qu'on vient d'évoquer ?
33:02 Et est-ce que c'est plus facile,
33:05 à travers des personnages,
33:07 qu'à travers vous-même, par exemple,
33:09 qui êtes l'écrivain,
33:11 de corriger ces failles
33:13 et de les mettre, de les normaliser,
33:16 en quelque sorte ?
33:17 -Là, on pourrait prendre peut-être l'artiste comme faussaire.
33:21 C'est-à-dire, il peut y avoir des bénéfices
33:24 de la folie simulée.
33:26 On parlait de Picasso,
33:28 mais si vous prenez quelqu'un comme Dali, par exemple,
33:31 est-ce que vous allez le caractériser
33:33 comme un personnage insensé
33:35 ou est-ce qu'il n'y a pas une part d'histrionisme jouissive
33:39 chez lui, qui précisément campe un personnage
33:42 qui va être cet Avida de l'art
33:44 dont parlaient les surréalistes ?
33:46 Si vous prenez le rock, par exemple,
33:48 et les groupes de hard rock,
33:50 la façon dont, scéniquement,
33:53 très souvent, il y a une sorte de folie dionysiaque
33:57 qui est organisée, mais qui est parfaitement contrôlée,
34:00 avec toutes les postures, toutes les...
34:02 Voilà une folie, et on parle, on dit,
34:04 "Ce concert a été fou", etc.,
34:06 qui, en réalité, est tout à fait incorporée
34:08 dans des circuits commerciaux.
34:10 Et même, plus modestement,
34:12 quand j'étais jeune et qu'il y avait encore
34:15 un service militaire,
34:16 il y avait un certain nombre de mes contemporains
34:19 qui simulaient, qui apprenaient,
34:21 qui prenaient des fiches sur quelle pathologie
34:24 ou tel symptôme,
34:25 pour être réformés, je crois, P4,
34:27 ou, enfin, il y avait une nosographie.
34:31 Donc, c'est assez intéressant d'entendre
34:33 ce qu'on regarde là-dessus,
34:35 sur la folie qui peut être instrumentalisée,
34:38 qui peut être simulée,
34:39 et qui peut être, après tout,
34:41 jouissive ou libératrice,
34:43 parce que faire le foufou, comme on dit des enfants,
34:46 ça peut aussi être agréable,
34:47 voire libérateur.
34:49 -Voire rémunérateur, pour certains artistes.
34:51 -Camille Laura Villéa.
34:53 Alors, en continuant là-dessus...
34:55 À propos de cette folie créatrice,
35:00 la part du traumatisme...
35:04 On dit que le trauma
35:07 et la folie
35:09 et la création, quelquefois,
35:11 ont partie liées.
35:13 Dans un échange
35:16 avec le conservateur de musée Jean Clerc,
35:20 il observait qu'après la guerre,
35:24 on avait un certain retour dans la peinture
35:27 à la figuration.
35:29 Qu'est-ce que ça évoque pour vous ?
35:31 C'est-à-dire retrouver le sens de l'humain
35:35 après le traumatisme.
35:37 On a besoin de ça ?
35:39 -Je pense que l'homme est profondément inachevé
35:43 et qu'un traumatisme,
35:45 comme le traumatisme qui survient au cours d'une guerre,
35:49 peut ébranler si fortement cette image,
35:52 la conscience d'une identité,
35:54 qu'il est nécessaire de la réinventer.
35:57 D'où, peut-être,
35:59 le besoin
36:02 de reformuler les contours
36:05 d'une figure.
36:08 Et incontestablement,
36:09 les arts réfractent
36:13 les traumatismes.
36:14 Le traumatisme peut être
36:15 une sorte de...
36:18 de catalyseur,
36:19 mais également
36:21 ce qu'il va falloir mettre à distance,
36:26 conjurer par l'exercice de l'art.
36:28 Récemment, l'exposition Kokoschka m'a beaucoup troublée
36:32 au musée d'art moderne.
36:34 -Très grande exposition.
36:35 -Toute la période de la guerre,
36:37 on sent une défiguration.
36:39 C'est pas l'après-guerre
36:41 où la figure va pouvoir revenir,
36:43 mais il y a une défiguration.
36:45 J'ai même trouvé, c'est très personnel,
36:47 une laideur,
36:50 mais pas une laideur au sens d'un mauvais peintre,
36:53 une laideur au sens de...
36:54 Comme si la laideur du monde s'emparait du passeau du peintre.
36:57 Donc, le traumatisme vient parler.
37:00 Peut-être que les artistes,
37:02 justement, parce qu'ils ont cette extrême sensibilité,
37:06 touchent à certains moments
37:08 ce que les philosophes appellent l'immédiateté sensible,
37:10 ils reviennent.
37:11 Donc, ils sont...
37:13 La médiation est réduite à presque zéro
37:16 et ils vont réfracter ce qui se joue autour d'eux.
37:19 -Vous voulez dire quelque chose, Raphaël ?
37:21 -Je pense que dans le traumatisme de la guerre,
37:25 il y a quelque chose, effectivement,
37:27 qui désorganise,
37:29 qui fait perdre
37:31 la forme et les structures.
37:35 On pourrait considérer que le modèle même
37:38 de l'expérience de la guerre, c'est la bombe à fragmentation.
37:41 Et on conçoit que la réponse à cette fragmentation,
37:46 cette perte des contours,
37:49 soit une forme de figuration,
37:53 de retour à la forme.
37:55 Comme vous le disiez tout à l'heure,
37:57 quelque chose de l'ordre du symbole,
37:59 quelque chose qui, en étymologie du mot "symbole",
38:02 vient unir, faire un chemin commun.
38:04 Comme vous le savez,
38:06 l'antonyme serait le mot "diabolique".
38:09 Et donc, on voit bien comment il y a un effort de synthèse
38:13 dans la possibilité de penser quelque chose
38:17 qui figure et qui matérialise
38:20 là où, jusqu'ici, c'était la fragmentation.
38:23 En tout cas, dans l'expérience du traumatisme de guerre,
38:27 cliniquement, là, je parle en clinicien,
38:29 ce qui est toujours frappant,
38:32 c'est la reviviscence,
38:35 c'est-à-dire que les personnes ayant connu la guerre
38:39 revivent ce qu'ils ont traversé
38:43 comme au moment présent.
38:44 Il suffit d'entendre une détonation,
38:47 une porte qui claque pour qu'ils soient,
38:50 à l'instant même, comme ils étaient sous les bombes.
38:54 C'est-à-dire qu'il y a quelque chose qui annihile le temps
38:57 et, en même temps que ça annihile le temps,
38:59 ça annihile l'espace.
39:01 Il y a quelque chose qui les plonge là où ils étaient.
39:04 Et donc, le travail est un travail de reconstitution,
39:08 finalement, d'une trame narrative.
39:10 D'ailleurs, beaucoup de nos démarches psychothérapeutiques
39:14 fonctionnent autour de cette perspective narrative
39:17 pour permettre une forme de synthèse,
39:20 j'utiliserai à nouveau le mot symbolique,
39:23 qui leur permette de reconstruire quelque chose.
39:29 Et quant à la mise en scène dont Marc Lambront en parlait,
39:32 je pense que, là aussi,
39:35 il faut bien penser que pour mettre en scène, projeter,
39:39 il faut quand même avoir une intuition
39:41 de ce que vit le personnage.
39:43 Donc, c'est l'anime, le romancier comme des mûrges,
39:47 qui donne vie à ce personnage qui lui échappe un peu,
39:52 une sorte de Frankenstein.
39:54 Mais il y a quand même quelque chose qui lui prête de lui.
39:58 En psychiatrie, nous utilisons le terme de sursimulation.
40:02 La sursimulation, c'est l'idée que ce n'est pas que simuler,
40:07 c'est avoir vécu quelque chose que l'on simule en plus.
40:10 Peut-être qu'il y aurait quelque chose de cet ordre
40:13 qui, là aussi, est un chemin vers une existence hors de soi
40:18 qui pose des grands cas dans le temps, dans l'espace,
40:22 là où les choses ont été fragmentées,
40:25 dans l'expérience de la guerre, par exemple.
40:27 -Alors, Clotilde Le Guil, sans faire de la psychanalyse sauvage,
40:32 par rapport à ce qui vient d'être dit,
40:34 cette reconstruction après le désastre, si je puis dire,
40:38 est-ce qu'en psychanalyse, c'est pas un peu le cheminement ?
40:41 C'est-à-dire on déconstruit, on revisite ces traumatismes,
40:46 et ensuite, il faut reconstruire.
40:48 -Il y a un cheminement de cet ordre, oui,
40:50 et d'ailleurs, certains artistes qui se confrontent
40:54 à leur trauma ou au traumatisme de guerre,
40:56 comme on venait d'en parler, nous apprennent aussi quelque chose
41:00 sur ce qu'est le chemin d'une analyse.
41:03 Le chemin d'une analyse, je dirais qu'il va consister
41:07 à pouvoir déchiffrer quelque chose de son trauma
41:11 jusqu'à affronter
41:14 ce qui va être de l'ordre de l'indicible du trauma.
41:18 Il s'agira pas seulement de pouvoir dire,
41:20 mais de pouvoir repousser les frontières de l'indicible
41:25 pour pouvoir déchiffrer des traces qui ont à voir
41:28 avec ce qui s'est, disons, écrit dans le corps même du sujet.
41:32 Et je pense, en vous écoutant sur la guerre,
41:35 je pense au parcours de l'artiste allemand Richter,
41:40 sur lequel il y a eu un très beau film
41:43 qui s'intitule "L'œuvre sans auteur",
41:46 qui est un peu passé inaperçu en France,
41:49 et justement, qui témoigne de cette rencontre,
41:52 à la fois avec la folie dans la famille,
41:57 pas sa propre folie à lui, mais la folie de sa tante,
42:00 et la question du trauma infantile.
42:03 Très rapidement, c'est un garçon
42:06 qui découvre l'art sous le nazisme
42:10 grâce à sa tante, qui l'emmène à l'âge de 6 ans
42:13 voir une exposition qui est qualifiée d'art dégénéré,
42:16 et sa tante va faire une bouffée délirante aiguë
42:20 suite au fait d'avoir été choisie
42:23 pour remettre un bouquet au Führer,
42:25 et sous ses yeux, il voit sa tante arrêtée
42:28 et emmenée par les services psychiatriques
42:30 qui sont aussi entre les mains de la politique nazie.
42:34 Et en fait, tout le parcours de Richter
42:36 va consister à essayer de trouver comment peindre,
42:41 comment trouver son style, comment dire quelque chose
42:44 de cet événement où il a vu ça, où il a 6 ans,
42:47 et il voit sa tante qui lui est arrachée,
42:50 qui lui a fait découvrir l'art,
42:52 et en même temps, avec qui il ne peut plus parler.
42:55 Je trouve que c'est un très beau film
42:57 sur ce qu'est la création, justement,
42:59 puisqu'elle est rencontre là avec la folie de l'autre,
43:02 et en même temps, il va chercher dans la figuration,
43:05 justement, dans un moment où, à l'école d'art de Düsseldorf,
43:09 la figuration n'est plus tellement à la mode,
43:12 et il cherche dans la figuration une solution
43:15 pour dire quelque chose de ce trauma
43:17 qu'il a laissé sans voix.
43:19 - Marc Lambron, vous avez choisi ?
43:21 - Même chose avec Stockhausen,
43:23 dont la mère lui est arrachée dans les années 30,
43:26 internée psychiatrique, il ne la reverra jamais.
43:28 Je crois qu'elle meurt en 1941 en détention.
43:31 Ça donne Richter, ça donne Stockhausen.
43:34 Bon, alors après, l'art et la folie, si on veut,
43:37 il y a quand même, au XXe siècle, en tout cas,
43:41 des mises en cause d'un certain usage de la psychiatrie,
43:45 et ça n'est pas mince,
43:47 parce que la psychiatrie eugéniste du régime nazi,
43:51 la psychiatrie carcérale du régime soviétique,
43:55 bon, ça donne notamment Solzhenitsyn.
43:58 Il y a d'ailleurs des films
44:00 où le psychiatre, ou l'asile,
44:03 apparaît comme un lieu méphistophélique,
44:06 choc-corridor, ou vol au-dessus d'un île Toukou,
44:09 qui sont des infiltrés, des journalistes
44:11 qui veulent aller enquêter,
44:13 et qui, finalement, vont rester prisonniers,
44:15 ils vont passer de l'autre côté.
44:17 Et il y a eu même des correctifs, si l'on veut, internes,
44:21 c'est-à-dire, je me souviens très bien,
44:23 dans les années 70, de l'anti-psychiatrie,
44:25 Basalia en Italie, Leng, Cooper, etc.,
44:29 qui était comme une façon,
44:30 et même Guattari, de deux, en France.
44:32 Donc il y a aussi cela comme enjeu,
44:35 dans l'histoire du "fou", entre guillemets,
44:38 et du regard qu'on porte sur la folie
44:40 et sur la façon de la traiter.
44:42 -Marc Lambron, juste un mot.
44:44 Quand vous écrivez,
44:45 il y a des moments de blocage qui arrivent,
44:50 c'est-à-dire, est-ce que...
44:52 Comment vous les surmontez ?
44:54 -Des moments de blocage ? -Oui.
44:56 C'est-à-dire quand la plume s'arrête.
44:58 -Par exemple, en dormant.
45:00 -Vous attendez que les rêves viennent ?
45:02 -Nous avons peu parlé des rêves.
45:04 Les rêves, c'est très intéressant,
45:06 parce que ce sont évidemment des images déraisonnables
45:09 qui sont produites par des personnages, nous tous,
45:13 qu'on peut regarder comme normaux.
45:15 Donc c'est assez intéressant,
45:17 cette efflorescence de folle de l'esprit
45:21 qui, pour autant, ne porte pas à conséquence
45:23 quand on se réveille.
45:25 Et ça, depuis l'Antiquité,
45:26 il y a des textes qui, très tôt, témoignent de cela.
45:29 Et Freud, évidemment, va sur la science des rêves.
45:32 En tout cas, c'est une des portes d'entrée
45:35 dans la naissance de la psychologie.
45:37 -On part davantage de l'artiste au rêveur qu'au fou.
45:40 Il dit que la création est comme un rêve,
45:43 sauf qu'elle va pouvoir rejoindre le monde de l'autre
45:47 et toucher la situation.
45:49 -Quand je suis en panne, je rêve.
45:51 -Raphaël Gaillard, on va terminer là-dessus,
45:54 sur une question que vous évoquez dans votre livre
45:57 et que beaucoup de gens se posent la question.
46:01 Cette folie créatrice, est-ce qu'elle se transmet
46:06 de génération en génération
46:09 et selon quel mode de transmission ?
46:11 Parce que, vous savez, il y a beaucoup de débats.
46:14 Il y a des gens qui pensent qu'il y a des gènes de l'autisme,
46:17 de la schizophrénie,
46:19 il y a des gens qui pensent qu'il y a des gènes pour tout.
46:22 Mais vous, à votre avis, comment tout ça se transmet ?
46:25 -En tout cas, ce qu'on peut dire, dans les termes de la science,
46:31 c'est qu'il n'y a pas de gène de la schizophrénie,
46:35 comme il existe un gène de la mucoviscidose,
46:37 et donc de transmission génétique,
46:40 comme il existe une transmission de la mucoviscidose.
46:43 Pour autant, il y a des gènes de vulnérabilité
46:46 aux troubles mentaux.
46:48 Et c'est justement intéressant de constater
46:52 que, par exemple, la probabilité d'exercer un métier créatif,
46:57 ce qui est une mesure assez grossière de la créativité,
46:59 mais elle vaut ce qu'elle vaut,
47:01 la probabilité d'exercer un métier créatif,
47:03 est plus élevée chez les parents, frères et soeurs et enfants
47:07 d'une personne souffrant d'un trouble mental
47:09 que chez cette personne elle-même.
47:12 -Vous voyez qu'on fait ce pas de côté
47:14 et on constate que ce lien est un lien de parenté.
47:18 -Mais pas forcément à la génération qui suit.
47:20 -Pas forcément, et peut-être même davantage
47:22 encore la génération d'au-dessus.
47:24 -Et sans toucher toute la fratrie.
47:26 -Bien sûr, là, on l'a évoqué pour Richter ou Stockhausen,
47:30 mais la littérature ou l'histoire
47:32 des hommes et des femmes fourmis de ces représentations,
47:36 il y aurait quelque chose comme un air de famille.
47:40 Et encore une fois, c'est plus intéressant
47:42 de penser en termes d'air de famille
47:45 autour de la créativité
47:47 plutôt que, de façon forcenée,
47:49 aller chercher quelque chose qui superpose folie et créativité,
47:53 qui vient exiger des patients souffrants de troubles mentaux
47:57 qui deviennent créatifs, c'est une double peine,
48:00 il faudrait en plus de souffrir d'un trouble mental
48:02 se révéler créatif ou bien assubler tout artiste
48:06 d'une étiquette diagnostique en disant "c'est un artiste,
48:09 "il a telle ou telle diagnostic",
48:11 alors que Marc Lambron nous a bien expliqué
48:14 que devant 4 000 psychiatres au congrès d'encéphales...
48:17 -400, attention. -4 000, hein ?
48:19 Vous avez été trop modeste.
48:20 Vous êtes sortis parfaitement libre
48:23 et même très applaudi.
48:25 Oui, alors, écoutez...
48:27 -Juste sur ce point, il y avait quand même
48:29 une démonisation qui était le discours sur la tare,
48:32 on voit ça chez Zola, par exemple,
48:34 sur les lignages, les filiales et la malédiction.
48:38 C'est-à-dire le fatum qui devient organique,
48:40 en passant par le fait qu'on soit taré
48:43 et que l'alcool, etc., se transmet.
48:45 Je pense que tout ça est démenti, tout de même.
48:48 -Ecoutez, j'aurais terminé cette émission.
48:51 Je voudrais pas sexuer le débat ou le genrer,
48:56 mais je vais vous poser une question
48:59 à vous, Clotilde Le Guil,
49:01 et à vous, Camille Lauravillet, pour terminer cette émission.
49:04 Est-ce qu'il faut accepter de se perdre
49:07 pour faire oeuvre, notamment dans la relation amoureuse ?
49:11 -Moi, j'ai beaucoup travaillé
49:13 sur ce que Lacan appelle la folie féminine.
49:17 Donc j'aime beaucoup cette idée que, finalement,
49:21 dans l'amour, effectivement,
49:23 on peut consentir à une forme de perte,
49:28 et que c'est même la définition du consentement,
49:31 ce dessaisissement.
49:33 Néanmoins, il y a aussi une dimension de ravage
49:37 en l'amour qu'il ne faut pas méconnaître
49:40 et qui a été aussi au coeur de ce qui a intéressé Lacan
49:45 sur la façon dont aussi l'amour peut rendre une femme folle.
49:50 -Et vous, Camille Lauravillet ?
49:53 -Alors, moi, je dirais...
49:55 Se perdre, peut-être pas,
49:58 mais s'abandonner sûrement,
50:00 au sens de laisser la conscience qu'on a de soi
50:03 pour aller rejoindre son autre.
50:05 Je pense que l'homme qu'on choisit d'aimer,
50:07 c'est pareil pour les hommes,
50:09 peut-être que là, c'est un point où on se rejoint.
50:12 Mais bon, je ne suis pas sûre.
50:13 Mais l'homme qu'on choisit d'aimer, il n'y a pas de hasard.
50:17 Il est là pour nous révéler quelque chose.
50:19 Et si on ne s'abandonne pas à lui...
50:21 -Bon, je vais pas...
50:23 Je vais pas empêcher les hommes d'intervenir.
50:26 Vous croyez qu'il faut se perdre
50:28 pour être amoureux, Raphaël Gaillat ?
50:30 Un peu ?
50:32 -Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, voulez-vous dire.
50:36 -Oui.
50:37 Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie.
50:40 -Oui. Marc Lambrond ?
50:42 -Tout à l'heure, vous évoquiez
50:44 le ravissement de L'Oliver Stein,
50:46 qui est un livre, on peut dire, d'amour.
50:48 Et dans "ravissement", il y a le fait d'être ravi,
50:51 au sens de la jubilation,
50:53 mais le fait d'être enlevé, d'être emporté.
50:55 On pourrait faire du néologisme lacanien en disant
50:58 "ravissement, ravagement",
51:00 puisque vous alliez aussi du côté du ravage.
51:02 Donc, ça commence par R-A-V,
51:05 comme une rêve partie...
51:06 Rires
51:08 ...amoureuse.
51:09 -Viens, on va faire un coup. -Vive la rêve.
51:12 -Une rêve partie... -On finit avec cette plaie.
51:14 -L'amour fou. -L'amour fou.
51:16 -Le parti du rêve, je crois qu'il y en a un fondé.
51:19 -Voilà. -Voilà.
51:20 Bah, écoutez, je vous remercie.
51:22 Je vais vous suggérer une bibliographie.
51:25 Alors, je commencerai, évidemment, par Raphaël Gaillat.
51:29 Donc, vous avez publié ce fameux coup de hache
51:33 dans la tête.
51:35 Et...
51:36 Juste une impression,
51:38 depuis que le livre a été publié,
51:40 parce qu'il y a une année, je crois,
51:42 est-ce que quelque chose a évolué chez vous
51:46 par rapport à...
51:47 cette publication ?
51:50 Est-ce que vous...
51:53 Des commentaires que vous avez reçus,
51:55 des éloges, des critiques, etc.,
51:58 ou il y a quelque chose de...
52:00 -Bah... Personnellement,
52:03 c'est pas le plus important,
52:04 c'est la chance de rencontre telle que celle-ci.
52:08 Mais je pense qu'au-delà de ma propre personne,
52:11 qui n'est pas très importante,
52:12 c'est aussi la possibilité de changer le regard
52:17 sur ceux qui souffrent de troubles mentaux.
52:20 Et puisque ce lien entre folie et créativité
52:24 est avéré différemment,
52:27 comme un lien de famille, comme un lien de parenté,
52:30 je crois que ça nous amène
52:32 à placer ces personnes au centre de la société
52:36 et pas dans une position excentrique,
52:39 marginale, comme on l'a trop fait.
52:41 -Merci, oui...
52:43 -Si je lacanise... -Ne lacanisez pas,
52:45 parce que ça sera trop long.
52:48 -C'est le bio, B-I-2-L-E-T,
52:50 mais c'est aussi le bio-bio.
52:52 Et Raphaël est aussi un pionnier, on peut dire,
52:56 de la biopsychiatrie, me semble-t-il.
52:59 -On peut dire ça comme ça. -Marc Lambrond,
53:01 vous avez publié "Le monde d'avant".
53:04 -Oui. -Bon, bientôt,
53:06 ça sera "Le monde de demain",
53:08 puisque vous êtes... Vous aimez...
53:10 Publier... -Un journal.
53:13 -Un journal. -Un journal, c'est juste avant.
53:15 -Et donc, et après ?
53:17 -Et après ? -Oui.
53:18 -Je n'en sais rien.
53:20 Vous parliez du commun des mortels.
53:22 Comme disait Cocteau, j'appartiens au commun des immortels.
53:25 Donc ma destinée va être commune,
53:27 et je vais me transformer en fauteuil après ma mort.
53:30 Voilà ce qui va se passer après.
53:32 -Bon, alors, je voudrais rappeler quand même
53:35 la crise de la culture d'Anna Arendt,
53:37 qui est un classique.
53:38 Je voudrais rappeler "Terre natale"
53:42 de Jean Clerc,
53:44 qui raconte un petit peu son itinéraire.
53:47 -Son enfance dans la Nièvre. -Oui, son enfance,
53:50 son itinéraire, ses rapports, etc., chez Gallimard.
53:53 Alors, je voudrais rappeler Clotilde Le Guin,
53:55 qui raconte son enfance.
53:57 -Claude Le Guin,
53:58 c'est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:01 -Claude Le Guin, oui.
54:03 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:06 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:08 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:11 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:14 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:17 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:20 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:23 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:26 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:28 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:31 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:34 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:37 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:40 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:42 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:45 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:48 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:51 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:54 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:57 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
54:59 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:02 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:05 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:08 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:11 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:14 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:17 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:19 -Il est un des plus grands artistes de l'Histoire.
55:22 -Je voudrais vous remercier. Merci, mesdames, merci, messieurs,
55:26 d'avoir brillamment illustré ce thème de créativité et folie.
55:31 Je voudrais remercier l'équipe d'LCP
55:35 d'avoir permis sa réalisation.
55:37 Et je vous laisse avec cette citation.
55:41 "À défaut d'être tous géniaux,
55:45 "ce qu'on regrette néanmoins,
55:47 "nous sommes doués d'une grande plasticité,
55:51 "car nous sommes très inachevés."
55:54 Est-ce que vous savez de qui c'est ?
55:57 -Euh... Non.
55:59 Un homme ou une femme ? -Un homme.
56:01 -Mort ? -Vivant.
56:03 Psychiatre.
56:05 -Un psychiatre vivant ?
56:07 -Voilà, Raphaël Gaillard.
56:09 -On l'avait reconnu. -Voilà.
56:13 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
56:17 Générique
56:19 ...

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