Face à Bock-Côté du 13/05/2023

  • l’année dernière
Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote
Transcript
00:00 Bonsoir à tous, très heureuse de vous retrouver pour votre rendez-vous du samedi soir face à Bocote,
00:05 avec moi évidemment pour m'accompagner Mathieu Bocote, bonsoir.
00:08 Bonsoir.
00:09 Et avec nous également Arthur de Vatrigan, bonsoir.
00:11 Bonsoir.
00:12 Directeur de la rédaction de L'Incorrect et justement on en profite pour rappeler la une de L'Incorrect de ce mois de mai,
00:18 la bataille de l'histoire de l'université aux médias, comment raconter la France.
00:23 Et puis au sommaire de cette émission, on va évoquer d'abord ce que vous appelez Mathieu,
00:27 un événement éditorial majeur, la réédition de La Décadence de Juin Freud.
00:31 Pourquoi cet ouvrage est-il essentiel ? Qu'est-ce qu'il dit de notre société ?
00:35 Vous nous donnerez votre point de vue.
00:36 Et puis on parlait à l'instant de la une de L'Incorrect, justement on va en débattre,
00:40 comment raconter notre histoire, est-ce qu'elle intéresse encore autant ?
00:43 Et puis en dernière partie, vous recevrez Richard de Cez pour son ouvrage Le rond de serviette,
00:48 est-il de droite face à Bocote ?
00:50 C'est parti.
00:51 Ces dernières semaines, nous avons été témoins sans le savoir d'un événement éditorial majeur.
00:55 Les éditions du CERF ont décidé de rééditer un ouvrage majeur et oublié d'un auteur lui-même,
01:00 majeur et oublié.
01:00 Nous parlons de La Décadence de Juin Freud.
01:02 Et c'est à la fois sur ce penseur et cet ouvrage que vous souhaitez revenir pour votre premier éditorial.
01:06 Oui, de temps en temps, je crois, il faut prendre un peu de temps dans les grands médias
01:10 pour s'intéresser aux grands penseurs qui nous permettent de jeter un regard profond,
01:15 un regard perspicace, un regard qui coupe en fait de transversal sur notre réalité,
01:20 qui sont capables, même s'ils sont morts depuis quelques décennies déjà,
01:23 de jeter un regard neuf sur notre société.
01:25 Et ce penseur, c'est Julien Freud.
01:28 Julien Freud, en 1921-1993, je dirais un des grands philosophes politiques français du 20e siècle.
01:35 Un des grands philosophes qui aura examiné, mené une réflexion de fond sur qu'est-ce que c'est la politique,
01:40 qu'est-ce que c'est la politique volontairement,
01:41 quelles sont les catégories qui permettent de comprendre la politique,
01:44 quels sont les grands enjeux pour comprendre la politique.
01:47 Une réflexion de fond qui nous sortait justement du commentaire en superficie
01:51 lorsqu'on traverse son œuvre, lorsqu'on explore son œuvre, lorsqu'on en sort,
01:55 on en ressent avec une lecture beaucoup plus riche de ce que ça veut dire vivre en société, vivre politiquement.
02:00 Je donne quelques-uns des titres qui constituent son œuvre.
02:03 L'essence du politique, je crois que c'est son classique.
02:06 Politique et impolitique, la fin de la Renaissance, violence et utopie, le nouvel âge.
02:11 Je souligne que ce penseur est un penseur oublié parce que Julien Freud n'était pas de gauche.
02:16 N'étant pas de gauche, il n'a pas été traité comme un grand penseur par une bonne partie de l'intelligentsia
02:21 qui le traitait plutôt comme une espèce de réactionnaire sulfureux,
02:25 un réactionnaire nauséabond, un réactionnaire infréquentable,
02:28 même s'il avait eu comme maître notamment Raymond Aron,
02:31 même si au moment de la Deuxième Guerre mondiale, c'était un résistant admirable,
02:35 il s'est engagé dans la résistance de la plus belle manière avec le plus grand courage.
02:40 Qu'est-ce qu'il y a au cœur de la réflexion de Julien Freud, donc la réédition de ce livre,
02:44 La Décadence, sur laquelle je reviendrai dans un instant,
02:46 c'est une réflexion fondamentalement réaliste.
02:49 Quoi qu'on en pense aujourd'hui, la pensée politique dominante est utopiste.
02:53 C'est le fameux « il suffirait de » et « si on changeait notre conception de l'être humain »
02:57 et « s'il suffisait de vouloir s'y, suffirait de telles mesures, suffirait de telles philosophies,
03:01 suffirait de telles doctrines, suffirait d'investir des milliards et de milliards d'euros »
03:04 pour que d'un coup la société se transforme.
03:07 Julien Freud ne dit non.
03:08 Une société, c'est fondamentalement conflictuel.
03:11 Une société, c'est fondamentalement contradictoire.
03:13 Une société, c'est fondamentalement en tension.
03:16 Une société, c'est chercher à tenir ensemble des gens qui n'ont pas les mêmes valeurs,
03:20 qui n'ont pas les mêmes philosophies, qui n'ont pas les mêmes principes,
03:23 qui n'ont pas les mêmes aspirations, et réussir à tenir tous ces gens-là ensemble.
03:28 Donc, il nous dit que l'art politique, c'est un art qui consiste à être capable de tenir ensemble
03:32 des gens qui autrement se taperaient sur la tête.
03:34 Disons que c'est comme ça.
03:36 Et grande méfiance chez lui envers toutes les utopies.
03:38 Vous savez, tous les vendeurs d'utopies qui nous disent « ma solution est telle
03:41 que si on l'applique, il n'y aura plus de problème ».
03:43 Julien Freund nous disait « le drame de l'utopisme, c'est que si vous avez une solution idéale,
03:49 les autres, vous ne débattez pas avec eux.
03:51 Vous les congédiez, vous dites soit on ne débattra pas avec vous, on vous condamne aux marges,
03:54 soit on vous enferme parce que ma société est parfaite,
03:57 et bien votre société n'est pas parfaite, on ne veut pas débattre avec vous.
03:59 Donc, c'est un homme qui avait un grand, grand sens des réalités.
04:03 La vie de Julien Freund, la vie intellectuelle de Julien Freund,
04:06 tourne autour d'un concept, c'est le concept d'ennemi.
04:08 Alors ça, c'est fondamental.
04:09 Et je vais vous raconter une scène qui est assez connue dans le milieu intellectuel,
04:12 mais qui a ressurgi dans la vie publique il y a quelques années.
04:16 En 1965, c'est la soutenance de Thèse de Julien Freund,
04:19 soutenance de Thèse, grand moment dans la vie de ceux qui l'ont connue.
04:22 Soutenance de Thèse, et là, la question de base dans cette soutenance,
04:25 c'est qu'est-ce que c'est le politique, qu'est-ce que c'est le politique fondamentalement ?
04:28 Et Julien Freund nous dit « il n'y a pas de politique sans ennemi.
04:31 Au cœur de la politique, il y a un ennemi,
04:33 et vous devez être capable de faire quelque chose, vous devez être capable de nommer cet ennemi,
04:35 vous devez être capable de vous défendre contre cet ennemi,
04:38 vous devez être capable de lutter contre cet ennemi,
04:40 mais vous devez être capable de le reconnaître. »
04:42 Dans sa soutenance de Thèse, il y a un grand philosophe de l'époque, Jean Hippolyte, qui dit
04:46 « mais c'est une conception pessimiste, tragique, inacceptable, je ne peux pas l'accepter.
04:51 Si elle est vraie, je vais me retirer dans mon jardin. »
04:54 Et Julien Freund répond de manière absolument tragique « vous n'avez pas compris, M. Hippolyte,
04:58 si l'ennemi le veut, il ira vous chercher jusque dans votre jardin. »
05:03 Je pense que cette réflexion-là, qui était connue par les aficionados de Julien Freund,
05:06 est remontée à la surface quelque part à l'automne 2015, au moment des attentats du Bataclan.
05:12 Quand on a constaté que des gens qui étaient pour la plupart, probablement des pacifistes,
05:15 des idéalistes, des gens qui croyaient qu'il suffirait d'aimer pour ne pas être en conflit,
05:19 des gens qui avaient cru finalement à la promesse d'un monde sans ennemis, sans conflit,
05:24 un monde, autrement dit, où ils résistaient en terrasse, comme on dit,
05:27 ils ont constaté qu'il était possible que l'ennemi décide d'aller les chercher en terrasse,
05:32 qu'il décide d'aller les chercher en salle de spectacle,
05:35 autrement dit, la figure de l'ennemi est arrivée et là, cette conversation, cet échange,
05:39 l'ennemi ira vous chercher jusque dans votre jardin, elle est réapparue à ce moment-là,
05:43 réaction, soit d'ici en passant, de Jean Hippolyte en 1965,
05:45 « Si tout cela est vrai, il ne me restait plus qu'à me suicider. »
05:48 Et ça, c'est la réaction des intellectuels de gauche, trop souvent, devant la réalité,
05:52 « Si la réalité est trop dure, je préfère fuir le monde que d'affronter ce monde difficile. »
05:57 Dans cet esprit, nommer l'ennemi, on l'a vu, après le 11 septembre aux États-Unis,
06:01 on dit « C'est quoi l'ennemi ? C'est la démocratie contre la terreur. »
06:04 D'autres, on dit « Non, c'est la république contre ses ennemis. »
06:07 La difficulté à nommer l'ennemi véritable, l'islam radical,
06:10 la difficulté à nommer l'ennemi véritable, l'islamisme,
06:12 c'était probablement un signe du fait qu'on n'avait pas suffisamment lu Julien Freund
06:16 qui nous apprenait à nommer l'ennemi sous le signe du réalisme.
06:20 - Et pourtant, vous voulez nous parler d'un autre ouvrage, vous le disiez.
06:22 - Oui, alors je ne pouvais pas parler de Freund sans faire ce petit parcours,
06:26 mais d'un autre ouvrage, « La Décadence ».
06:28 « La Décadence » est paru en 1984, une première fois.
06:31 C'est un livre qui, pendant des années, je peux en témoigner,
06:34 c'était impossible de le trouver, il fallait se ruiner
06:36 pour être capable de mettre la main sur l'édition d'origine.
06:38 Qu'est-ce qui est intéressant dans ce livre ?
06:40 C'est que vous savez, aujourd'hui, quand on parle de décadence chez les intellectuels,
06:43 souvent, quand on parle de décadence, on nous dit « Ah, concept d'extrême droite,
06:46 concept qui ne veut rien dire, concept des phases. »
06:48 On nous dit « Toutes les sociétés sont mortes.
06:50 Rome est tombée, la chrétienté est tombée, le monde des nations est tombé,
06:54 l'empire américain va tomber, on va tous tomber. »
06:56 La question, cela dit, c'est que lorsqu'on est dans cette société qui, aujourd'hui, tombe,
07:00 ce n'est pas agréable.
07:02 Et Julien Freund propose une réflexion sur la décadence.
07:05 Il avait déjà commencé dans un premier livre en 1980,
07:07 « La fin de la Renaissance ». Je vais vous citer un extrait.
07:09 « Il y a, malgré une énergie apparente,
07:12 comme un affaiblissement de la volonté des populations de l'Europe.
07:15 Cet amonissement se manifeste dans les domaines les plus divers,
07:18 par exemple, la facilité avec laquelle les Européens
07:20 acceptent de se laisser culpabiliser,
07:22 ou bien l'abandon à une jouissance immédiate et capricieuse,
07:25 ou encore les justifications d'une violence terroriste
07:28 quand certains intellectuels ne l'approuvent pas directement.
07:31 Les Européens seraient-ils même encore capables de mener une guerre ? »
07:34 Alors franchement, ce qu'on pourrait dire, c'est que 1980,
07:36 ça décrit quand même très bien le climat des temps présents
07:39 et même le climat post-attentat.
07:41 Et donc, il nous propose une réflexion,
07:43 non seulement sur la décadence des temps présents,
07:45 mais une histoire du concept de décadence
07:47 qui, finalement, nous convainc que nous sommes probablement, aujourd'hui, décadents.
07:50 - Julien Freund, on le devine, savait que nos sociétés, elles-mêmes,
07:53 étaient emportées par ce qu'il appelait justement la décadence.
07:55 - Oui, c'est exactement cela.
07:56 Il en propose quelques critères.
07:59 Premier critère de la décadence, selon Freund,
08:01 la perte du sentiment d'identité.
08:04 Petite citation, vous me le permettrez encore une fois.
08:07 « Quel que soient les groupements et la civilisation,
08:09 quelles que soient les générations et les circonstances,
08:12 la perte du sentiment d'identité collective
08:15 est génératrice et amplificatrice de détresse et d'angoisse.
08:18 Elle est annonciatrice d'une vie indigente et appauvrie
08:21 et à la longue d'une dévitalisation, éventuellement,
08:24 de la mort d'un peuple ou d'une civilisation.
08:26 Mais il arrive heureusement que l'identité collective
08:28 se réfugie aussi dans un sommeil plus ou moins long,
08:31 avec un réveil brutal si durant ce temps elle a été trop asservie. »
08:35 Julien Freund, c'est qu'il était aussi des grandes migrations,
08:38 des grandes migrations d'étant présentes, début des années 90 ici.
08:41 « S'il y a encore une multiplication des diasporas,
08:44 la stabilité des sociétés peut-elle être mise en cause?
08:47 Évolueront-elles vers l'intégrisme religieux
08:49 pour préserver leur identité? »
08:51 Et pour c'est même la question la plus difficile qui soit,
08:53 la juxtaposition d'éléments aussi hétérogènes
08:55 ne peut que susciter une désarticulation du corps social.
08:59 Julien Freund s'inquiétait de la perte d'identité,
09:01 il s'inquiétait des grandes migrations,
09:02 il s'inquiétait d'un politique qui s'effondre,
09:04 impuissant, qui se perd dans le rationalisme juridique.
09:07 Un politique incapable de décider,
09:09 un politique incapable de nommer l'ennemi,
09:10 un politique incapable de défendre la société
09:12 dont il a la responsabilité.
09:14 Il s'inquiétait d'une société trop idéologisée,
09:17 trop bureaucratisée, une société qui écroule sous les règles,
09:20 les normes, les documents administratifs
09:23 et qui perd de sa vitalité.
09:24 Julien Freund est un des grands philosophes du dernier siècle.
09:28 On peut le redécouvrir aujourd'hui à travers plusieurs livres,
09:31 mais notamment à travers « La Décadence »
09:32 qui paraît aux éditions du Serre.
09:34 Un livre magnifique qui permet, je le redis,
09:35 de faire l'histoire du concept de décadence
09:37 et qui permet de jeter un regard sur la décadence des temps présents.
09:41 Arthur de Vatrigon, pour vous aussi,
09:42 c'est un événement éditorial majeur,
09:44 comme l'a dit Mathieu Bocoté.
09:45 Écoutez, nous avons affaire à un homme
09:47 qui a combattu le nazisme, les armes allemandes,
09:50 qui a été fait prisonnier, qui s'est évadé,
09:52 qui a fini la guerre dans le maquis de la Drôme.
09:55 On a affaire à un homme qui, une fois devenu professeur de philosophie,
09:58 a été le principal introducteur de Max Weber en France,
10:01 qui a fait découvert Karl Schmitt et qui s'est lié d'amitié,
10:06 qui l'a fait connaître Harémon Aron.
10:09 Mathieu l'a rappelé, il a présenté sa grande thèse en 1965
10:12 face à Aron, Ricœur, entre autres,
10:15 qui aujourd'hui, des esprits aussi opposés
10:18 que le sociologue Michel Maffesoli,
10:19 que la philosophe Chantal Delsol se réclament de lui,
10:23 et qui selon Pierre-André Taguef,
10:25 est l'un des rares penseurs politiques
10:27 que la France a vu naître au XXe siècle.
10:30 Et pourtant, si on fait un sondage,
10:31 99% des Français ne le connaissent pas,
10:34 il n'est pas étudié à l'université,
10:35 il n'est jamais cité par les hommes politiques,
10:37 et ces livres, comme Mathieu l'a rappelé,
10:38 sont extrêmement difficiles à trouver.
10:41 C'est assez étonnant finalement.
10:43 Malheureusement non, parce que Mathieu l'a rappelé,
10:45 il n'est pas de gauche.
10:45 Et non seulement il n'est pas de gauche,
10:47 mais il a été mis au banc intellectuellement,
10:50 parce que justement, il a eu le courage de dénoncer
10:54 le socialisme révolutionnaire soviétique
10:56 et les intellectuels français,
10:58 qui étaient assez bienveillants à l'égard de cette dictature.
11:03 Et donc, c'est-à-dire que la vérité se paye au prix fort,
11:07 ça on le sait depuis longtemps,
11:09 alors qu'on devrait célébrer les personnes
11:11 qui cherchent la vérité et qui cherchent à la décrire
11:14 et à la comprendre.
11:15 Et justement, par son œuvre et le sort qui lui a été réservé,
11:19 Freud finalement, illustre parfaitement ce que c'est qu'un philosophe.
11:23 Un philosophe, c'est quelqu'un qui, au moyen de la réflexion,
11:26 prend la mesure des choses et recourt à l'art de la critique
11:28 pour comprendre et non pour militer.
11:30 Le problème, c'est qu'il s'est retrouvé contemporain,
11:32 intellectuel, militant.
11:34 Alors, heureusement, quelques rares courageux
11:36 ont essayé de faire en sorte qu'ils ne disparaissent pas complètement.
11:40 On a cité Chantal Delsolme, Fézoli, Taguiaf,
11:42 mais aussi Mathieu, qui dans son essai "Le nouveau régime"
11:45 en a fait un chapitre.
11:47 Il faut aussi également citer la nouvelle librairie,
11:49 et François Bousquet, qui, en plus d'être attaqué physiquement
11:52 par l'extrême gauche, passe son temps à être attaqué
11:55 médiatiquement par des incultes,
11:56 et qui a eu l'excellente idée de rééditer, il y a deux ans,
12:00 les lettres, d'éditer pardon, même pas de rééditer,
12:03 de publier les "Lettres de la Vallée",
12:05 recueil épistolaire de Freud,
12:06 sachant que l'année d'avant, il avait republié
12:08 "La politique ou l'art de désigner l'ennemi".
12:10 Justement, le combat culturel dont on parle souvent,
12:13 et dont la droite parle souvent, ça commence par là,
12:14 c'est-à-dire réhabiliter des penseurs proscrits
12:17 par la bienveillance de la gauche,
12:18 non pas par militantisme, justement,
12:21 mais par le souci de la vérité,
12:22 et pour essayer de comprendre ce qui nous arrive aujourd'hui
12:25 en politique intérieure comme en politique extérieure.
12:27 On va passer au deuxième thème de votre édito.
12:30 On le disait tout à l'heure, le "Mensuel, l'incorrect"
12:31 propose un échange, un débat même, entre trois historiens
12:34 à propos de la place de l'histoire dans notre société.
12:37 Et c'est à partir de ce dossier que vous souhaitez mener
12:39 votre second édito, M. MacLeod.
12:41 - Parce qu'il s'agit d'un formidable dossier.
12:43 Trois historiens, Franck Ferrand, Christophe Dicasse
12:45 et Olivier Dard, une conversation menée
12:48 sur le rapport à l'histoire dans nos sociétés.
12:50 Et je ne prétends pas résumer le dossier,
12:52 mais ajouter une réflexion à cela, tout en disant
12:54 qu'il faut d'abord lire le texte pour voir...
12:56 On est vraiment devant le genre de texte qui permet,
12:59 justement, de pousser un peu plus loin la réflexion
13:01 au-delà du commentaire du jour.
13:03 Toutes les sociétés occidentales, aucune ne fait exception,
13:06 à aujourd'hui, un débat existentiel
13:08 par rapport à son histoire.
13:09 Quel est le sens de l'histoire collective?
13:11 Est-ce que l'histoire, c'est simplement
13:13 une discipline érudite, réservée à quelques professeurs
13:16 en veste de tweed qui sont absolument heureux
13:18 de découvrir une notice oubliée sur je ne sais quel phénomène
13:22 oublié et dire "Pah! Enfin, j'ai trouvé le petit élément
13:25 de plus qui justifiera la publication d'une monographie
13:27 de plus que personne ne lira."
13:29 Non. L'histoire, c'est un champ de bataille existentiel.
13:33 C'est d'abord à travers l'histoire que se raconte
13:36 l'existence d'une société.
13:37 C'est parce qu'une société est capable de dire un "nous"
13:40 qui se déploie au fil des générations.
13:42 Ça permet quoi? Ça permet de s'inscrire
13:44 dans une identité profonde.
13:45 Vous connaissez cette formule qui revient toujours,
13:47 le droit à la continuité historique.
13:49 Mais pour qu'il y ait continuité historique,
13:51 je ne dois pas voir les générations passées
13:53 comme de purs étrangers.
13:55 Je ne dois pas voir les générations qui me précèdent
13:57 comme des gens qui sont top, qui n'ont rien à voir avec moi
14:00 ou pire encore, comme une collection de béossiens,
14:02 comme une collection d'individus préhistoriques
14:05 qui n'aurait rien à nous apprendre à nous modernes
14:07 parce qu'on est si éclairés, on est si libres,
14:10 on est tellement supérieurs moralement
14:11 aux générations qui nous ont précédés.
14:13 Ce débat, on le voit aux États-Unis, par exemple.
14:15 Ce débat sur le rapport à la civilisation occidentale.
14:18 Aux États-Unis, depuis les années 90, on se demande
14:20 est-ce que les États-Unis, c'est un pays issu de l'Occident
14:22 ou c'est une civilisation nouvelle au-delà de l'Occident?
14:26 Débat qui est pareil au Canada, soit dit en passant.
14:28 Un débat en Allemagne.
14:29 C'est compliqué pour les Allemands.
14:31 Que peuvent-ils faire de leur histoire
14:33 avec les crimes commis au nom de l'identité allemande,
14:37 du nationalisme naziste, dans ce cas-là, au XXe siècle?
14:40 L'Allemagne a un débat identitaire existentiel
14:42 avec son histoire.
14:44 Mais c'est vrai aussi dans un pays comme Israël.
14:46 C'est absolument passionnant, le débat en Israël.
14:49 Pour construire la définition de l'identité collective,
14:51 c'est un débat qui traverse des pays depuis 30 ou 40 ans.
14:54 C'est vrai au Québec, si je peux me permettre.
14:56 C'est vrai, autrement dit, dans tous les pays occidentaux
14:58 aujourd'hui, chaque fois avec des enjeux différents.
15:00 Et c'est vrai en France aussi immédiatement.
15:03 Question de base pour ce qu'on s'intéresse à l'histoire,
15:05 c'est une question toute simple, on peut le dire par deux pôles.
15:08 Quelle est la place de la liberté humaine dans l'histoire?
15:10 On a quelquefois l'impression,
15:11 si on s'intéresse aux historiens des annales,
15:13 que tout se déploie comme une espèce de mouvement profond,
15:16 mouvement technique, mouvement économique, mouvement socio.
15:20 Et puis l'être humain, finalement,
15:21 n'est qu'à la surface des choses.
15:22 Il s'agite et il n'y a aucun pouvoir
15:24 sur les courants profonds de l'histoire.
15:26 C'est une lecture qui existe.
15:28 Mais il y a une autre lecture possible de l'histoire,
15:30 et je pense que c'est celle à laquelle
15:31 le commun des mortels est attaché.
15:33 C'est une histoire qui reconnaît, par exemple,
15:34 son droit à la biographie.
15:35 Je ne sais pas si vous êtes comme moi,
15:36 mais moi, j'adore, j'adore la lecture des biographies.
15:39 Pour une raison toute simple,
15:41 quand on a une biographie, on raconte l'histoire.
15:43 Si cet homme-là, à ce moment-là, n'avait pas été présent,
15:47 eh bien l'histoire serait tout autre.
15:49 L'histoire serait très différente.
15:51 Si Roosevelt n'est pas le président américain
15:53 au moment de la Deuxième Guerre mondiale,
15:54 il se peut que les Américains aient une politique isolationniste.
15:57 De même, si Churchill n'est pas à la tête des Britanniques
16:00 à ce moment-là, si, imaginons qu'en 1957,
16:04 le général de Gaulle a une crise cardiaque,
16:06 il ne puisse pas reprendre le pouvoir en 1958,
16:08 l'histoire de France est tout autre.
16:10 On pourrait multiplier les exemples.
16:11 Et je pense que pourquoi l'histoire est aussi passionnante,
16:14 parce que c'est justement le lieu qui met en scène
16:16 la liberté humaine, la liberté de faire en sorte
16:18 que si on prend cette décision-là plutôt qu'une autre,
16:20 l'histoire sera tout autre.
16:22 Le problème, c'est que depuis, disons, 50 ans,
16:25 le mouvement s'est radicalisé ces dernières années,
16:28 on a de plus en plus présenté, je le disais,
16:30 l'histoire comme une matière morte.
16:31 Et vous connaissez la logique de la déconstruction
16:33 qui s'est imposée.
16:34 Alors, soit c'est une matière morte
16:35 ou alors c'est une matière toxique.
16:37 Il fallait arracher les individus à l'histoire
16:39 pour leur permettre une forme de renaissance virginale,
16:42 délivrer de la tradition, délivrer de la coutume,
16:43 délivrer de la culture, délivrer de l'identité
16:46 pour reprendre le monde à zéro selon la logique de l'utopie
16:48 dont nous parlait Julien Freund.
16:50 Eh bien, fondamentalement, ce qui est absolument essentiel
16:53 aujourd'hui, c'est de se réapproprier l'histoire
16:55 non pas comme, je dirais, un environnement purement muséal
17:01 et non pas simplement comme quelque chose
17:02 dont on doit se délivrer,
17:04 mais comme une histoire à poursuivre,
17:05 une histoire à s'approprier,
17:06 qui est la condition même de l'identité.
17:08 - À suit votre raisonnement, les minorités ne doivent plus
17:10 être les seules à raconter de manière existentielle l'histoire.
17:13 - Oui, je résumerais d'une manière simple.
17:15 Est-ce qu'il est possible, si on s'identifie
17:17 au monde occidental, de dire 1492, fin de la Reconquista,
17:21 bravo, grand moment dans la reconquête
17:24 du monde occidental par lui-même?
17:25 Où est-ce qu'on doit traiter ça?
17:26 Parce que vous voyez, il y a deux jugements aujourd'hui là-dessus.
17:28 Soit on dit que ça ne nous engage pas, soit on dit que c'est terrible,
17:30 c'est un moment tragique pour la diversité.
17:32 Notez que quand on raconte comme ça l'histoire,
17:34 on la raconte de manière existentielle,
17:35 mais d'un point de vue non occidental.
17:37 Est-il possible, lorsqu'on raconte l'histoire de France,
17:39 lorsqu'on raconte l'histoire du Québec,
17:40 lorsqu'on raconte l'histoire des différents pays,
17:42 de se l'approprier justement comme une histoire vivante?
17:44 On va nous dire quelquefois, oui, il ne faut pas avoir
17:46 une histoire trop franco-centrée.
17:47 Vous l'entendez souvent ça.
17:49 Ou pas trop euro-centrée, parce que ça serait dangereux.
17:51 Avez-vous déjà entendu un Chinois dire qu'il faut une histoire
17:53 qui ne soit pas trop sino-centrée?
17:55 Imaginez-vous des Africains aujourd'hui nous dire
17:58 qu'il faut une histoire qui ne soit pas trop africano-centrée.
18:01 Le monde s'écrit sous le signe de la diversité,
18:04 et la diversité, la vraie, c'est que chacun assume
18:06 son point de vue sur le monde.
18:07 Il accepte la légitimité de notre point de vue,
18:09 mais il accepte son propre point de vue sur le monde.
18:12 Sinon, quand on nous dit que la condition
18:13 d'une histoire libérée aujourd'hui,
18:15 c'est qu'elle ne soit pas franco-centrée,
18:16 pas occidentalo-centrée, ce que ça veut dire,
18:19 dans les faits, c'est qu'on doit se désincarner
18:20 pour avoir le droit d'exister.
18:22 Triste destin.
18:23 - Et est-ce que vous croyez, comme d'autres,
18:24 que les Français sont encore des passionnés
18:26 de l'histoire de France?
18:27 - C'est le moins qu'on puisse dire.
18:28 Moi, ça me fascine, quand on vient de l'étranger,
18:29 la passion de l'histoire, elle est partout présente.
18:32 Et c'est de ce point de vue que je crois
18:33 qu'une certaine historiographie officielle
18:35 a trahi la passion historique des Français.
18:38 Et de là le caractère très intéressant
18:39 du dossier de l'incorrect, parce qu'on se trouve
18:41 avec trois historiens qui, eux, tendent la main
18:43 aux Français en leur disant, cette histoire vous appartient,
18:45 vous pouvez vous l'approprier.
18:46 Et à travers cela, vous redécouvrez
18:47 deux concepts essentiels, votre identité et votre liberté.
18:51 - Arthur de Vatrigon, qu'est-ce que vous retenez
18:53 justement de ce dossier?
18:55 - Écoutez, la semaine dernière, on a assisté
18:57 au Sacre de Charles III.
18:58 Je sais que ça ne fait pas plaisir à Mathieu,
19:00 si je le rappelle, mais ça nous a quand même rappelé
19:02 que la royauté portait le sceau de l'immémoriel,
19:05 de l'éternel, de la continuité des temps
19:06 et donc de la permanence.
19:07 Et c'est dans cette monarchie multinationale
19:11 qu'est la monarchie du Britannique,
19:13 qu'il n'y a pas de patriotisme de drapeau.
19:14 En fait, c'est le roi qui incarne la nation.
19:16 Donc, on peut se poser en France aujourd'hui,
19:18 qu'est-ce qui incarne la nation, justement?
19:19 Qu'est-ce qui est le garant de cette continuité historique,
19:21 de cette permanence qui fait que chaque Français
19:23 se sente appartenir à un même corps?
19:25 Justement, vous en avez deux, c'est la langue et l'histoire.
19:28 Et l'histoire, on l'oublie souvent,
19:30 même si on a eu les célébrations
19:31 la semaine dernière du 8 mai, c'est la place
19:34 faite à l'imaginaire et au sentiment,
19:36 qui sont une donnée essentielle de la vraie
19:38 et de la grande politique.
19:40 Et c'est justement la raison du pourquoi de ce dossier,
19:43 c'est qu'on voulait réunir trois historiens
19:45 aux profils et aux métiers différents
19:47 qui partagent cette même passion
19:49 et ce même désir de transmission.
19:51 Parce que toutes les nations de l'Occident,
19:53 la nôtre, je pense, est celle où le roman
19:56 est le plus long et le plus riche.
19:57 Le problème, c'est qu'il est tellement riche
19:59 et tellement long qu'il en devient parfois
20:01 un objet d'instrumentalisation.
20:03 Et c'est justement l'indispensabilité
20:05 de redonner l'importance de l'historien,
20:09 quel que soit son domaine,
20:10 qu'il soit un historien journaliste,
20:11 qu'il soit un historien universitaire,
20:13 mais l'importance de son travail
20:15 pour ne pas, surtout pas, laisser ça aux idéologues.
20:18 On me parlait de Julian Froome
20:19 plus tôt, qui avait été proscrit,
20:21 mais on a connu récemment des historiens proscrits.
20:24 On se rappelle de Guggenheim, évidemment,
20:25 on s'appelle de Grenouillot,
20:27 et pourtant spécialiste de la traite négrière.
20:29 Et je me rappelle de Christine Taubira,
20:31 à l'époque députée du Parti radical de gauche,
20:34 et qui s'était étonnée qu'une, je la cite,
20:36 selon L'Express, qu'un professeur des universités
20:39 payé par l'éducation nationale sur fond public
20:41 puisse enseigner ses thèses aux étudiants.
20:43 Donc ça s'appelle un badissement
20:44 et une demande d'exclusion d'un historien reconnu.
20:48 Et le problème, c'est justement,
20:49 c'est que l'histoire est fondamentale
20:51 pour comprendre où nous en sommes
20:52 et encore plus pour avancer,
20:53 et je dirais encore plus important aujourd'hui
20:55 dans cette période assez trouble,
20:57 où on a des questions civilisationnelles qui se posent.
21:00 Et malheureusement, on a au pouvoir des politiques
21:02 qui sont globalement un culte et qui pensent à court terme.
21:05 Et comme le rappelle Christophe Dicas dans notre dossier,
21:07 qui est un bainvillien,
21:09 il cite évidemment l'historien Jacques Bainville
21:10 qui dit que l'histoire est un laboratoire
21:13 pour l'homme politique pour qu'il puisse épuiser
21:15 des leçons et des lois.
21:17 Et je vais juste conclure en disant
21:19 qu'il n'y a pas d'identité sans histoire,
21:21 il n'y a pas d'assimilation possible sans histoire,
21:23 et vous pouvez inventer toutes les stratégies juridiques,
21:26 toutes les lois que vous voulez,
21:27 ça ne se substituera jamais à l'histoire.
21:29 On marque une pause, on se retrouve dans un instant
21:31 pour la deuxième partie de Face à Boccote.
21:33 De retour pour la deuxième partie de Face à Boccote.
21:38 Vous recevez ce soir Richard de Cez,
21:40 notamment pour son ouvrage "En arrivant au paradis"
21:42 et "Le rond de serviette est-il de droite".
21:44 Mathieu, pourquoi avoir choisi de le recevoir ce soir ?
21:47 Alors, ça faisait un bon moment en fait
21:48 que je voulais recevoir Richard de Cez
21:49 pour lui parler d'un livre paru il y a quelque temps,
21:52 et l'occasion ne se présentait pas.
21:53 Et là je me suis dit, allons-y, il faut y aller.
21:55 Entre temps, le nouveau livre est sorti,
21:56 donc "En arrivant au paradis".
21:58 Donc le premier livre dont je voulais lui parler,
21:59 c'est "Le rond de serviette est-il de droite",
22:01 et donc "En arrivant au paradis" dans un deuxième temps.
22:03 Richard de Cez, bonsoir.
22:04 - Bonsoir Mathieu.
22:05 - Alors, question toute simple,
22:06 la raison pour laquelle on m'a posé la question,
22:08 pour laquelle je vous ai invité.
22:09 Gauche-droite, gauche-droite, gauche-droite,
22:11 ces termes reviennent toujours,
22:12 on cherche à distinguer qu'est-ce que la gauche,
22:14 qu'est-ce que la droite,
22:15 mais pour les uns c'est la liberté, l'égalité,
22:17 ou l'identité, ou la... peu importe.
22:19 Et là vous nous proposez une lecture
22:20 de la gauche et de la droite,
22:21 et surtout de la droite tout à fait différente,
22:23 à travers l'examen de plusieurs formules,
22:26 des éléments de la vie quotidienne.
22:27 Et j'aimerais donc vous poser la question,
22:29 quel est selon vous le coeur du clivage gauche-droite
22:31 qui est sous-entendu dans votre ouvrage ?
22:34 - C'est le fait que le réel existe ou pas.
22:37 Donc dès qu'on est en présence de quelque chose
22:40 qui surinterprète le réel,
22:41 ou même qui nie son existence,
22:43 on est à peu près certain qu'on est à gauche.
22:45 Chat GPT par exemple,
22:46 c'est une intelligence artificielle
22:48 qui n'est pas programmée pour dire la vérité,
22:51 qui produit des synthèses consensuelles,
22:52 et qui dit des mensonges.
22:53 OK, c'est à gauche, voilà, donc c'est très simple.
22:56 Alors en revanche, le rond de serviette,
22:57 c'est quelque chose de tangible,
22:59 c'est quelque chose qui sert, qui est utile,
23:01 qui est utile tous les jours,
23:02 à un niveau complètement prosaïque.
23:04 Bon ben ça c'est à droite, voilà, c'est assez simple.
23:07 - Alors distinction, quand je vais vous citer,
23:09 pour prendre un peu plus loin à votre distinction des choses,
23:14 c'est quand même pas mal.
23:15 Il est assez facile d'éprouver,
23:16 et même de démontrer que le réel est de droite,
23:18 c'est votre thèse,
23:19 par le simple fait qu'il existe,
23:20 et qu'il y a quelque chose plutôt que rien.
23:22 Ainsi que la charité de droite,
23:24 et quelques autres vertus sociales,
23:26 ainsi que des objets, des notions et des faits assez évidents,
23:29 comme les cathédrales, la cérémonie du Sacre de Reims,
23:32 ou le goût d'une vie tranquille,
23:33 qui est le véritable bien commun.
23:35 De même, les clitoris sans pâte à sel,
23:37 les sacrifices humains,
23:38 et l'ivresse de citoyens tout anti-rangis
23:40 sous la tutelle de l'État,
23:41 sont de gauche.
23:42 N'est-ce pas un peu manichéen ?
23:44 - C'est extrêmement manichéen,
23:46 mais on se rend compte que dans la vie de tous les jours,
23:49 on n'est pas dans l'indécision, au contraire,
23:51 on est obligé de prendre parti ardiment, régulièrement.
23:54 Voilà, je vais chez McDonald's ou chez Starbucks,
23:57 ou je ne vais ni chez McDonald's ni chez Starbucks,
23:59 je vais à droite ou je vais à gauche,
24:01 et on est entraîné en fait dans un flux
24:03 qui ne nous maintient pas dans cette espèce de nuage indécis
24:07 qui serait le propre de l'anatome aujourd'hui,
24:09 d'être toujours suspendu et jamais actualisé.
24:12 Au contraire, voilà,
24:13 tout ce qui s'est passé de grand est limité.
24:16 Il est limité dans le temps, il est limité dans l'histoire,
24:18 il est limité par les choix qui ont été faits.
24:21 On a décidé de bâtir une cathédrale ou le Parthénon,
24:24 on n'a pas décidé d'élever très lentement,
24:27 en piser une tour dont on ne savait pas exactement les contours,
24:31 ou plutôt si on l'a fait, rien n'en reste, rien n'en demeure.
24:34 Donc oui, c'est manichéen,
24:35 mais c'est normal parce que la vie est manichéenne.
24:38 - Alors la vie est manichéenne,
24:39 souvent les gens de droite reprochent aux gens de gauche
24:42 d'être justement manichéen,
24:44 en disant qu'ils ont pour eux, c'est la formule,
24:46 le monopole du vrai, du bien et du juste,
24:48 et à droite, il y aurait,
24:50 ce serait une forme de version dégradée de l'humanité.
24:52 Je me trompe ou vous renversez simplement la proposition,
24:55 en disant que la droite pour vous, elle est juste, bonne et vraie,
24:58 et la gauche fondamentalement, c'est la version dégradée,
25:00 sinon l'humanité a tout le moindre de la pensée ?
25:01 - Alors de la pensée sûrement, de l'humanité non,
25:04 parce que dans le système de la pensée droite,
25:06 l'homme de gauche a parfaitement sa place.
25:07 D'abord, il peut devenir de droite,
25:09 il y a la possibilité du salut et de la rédemption,
25:11 ce qui est quand même extrêmement important,
25:12 mais surtout, c'est effectivement,
25:14 l'homme de droite s'attache à déterminer
25:15 ce qui est juste beau, bon, bien et vrai.
25:18 Et ça, c'est quelque chose que la gauche refuse.
25:21 La gauche, en fait, passe son temps à dire,
25:23 d'une part, qu'il faut être totalement relatif sur ces concepts-là,
25:26 et en revanche, qu'elle détient la clé de l'absolue justesse,
25:29 de l'absolue justice, de l'absolue beauté,
25:31 "Ic et nunc".
25:32 Donc, d'un côté, le beau, le bon, le bien,
25:35 sont indiscernables dans l'éternité,
25:38 mais en revanche, la gauche est capable,
25:41 elle, d'en posséder la seule jouissance présente.
25:44 Et ça, c'est insupportable.
25:45 L'homme de droite considère qu'en fait,
25:46 tout le monde peut arriver au beau, au bon, au bien,
25:49 y compris à travers le rond de serviette,
25:50 et des choses plus simples, comme les ronds-points,
25:53 les sémaphores, les marrons, les moules mous.
25:56 - Et oui, et la blanquette de veau, nous y arriverons dans un instant.
25:59 Mais dernière question sur le plan politique,
26:01 avant d'arriver sur les exemples dans votre ouvrage.
26:04 Est-ce que le problème de la démocratie,
26:06 c'est d'accepter la pluralité des points de vue ?
26:08 Le problème de la démocratie, c'est d'accepter que tout le monde
26:09 a au moins juste un peu raison.
26:11 C'est-à-dire que chacun est légitime dans l'espace public,
26:13 j'ai davantage raison que mon adversaire,
26:15 mais j'accepte l'idée qu'il est légitime dans son point de vue.
26:17 De quel point de vue, pour quelle raison selon vous,
26:19 la gauche serait aussi légitime quand même ?
26:22 À moins que vous ne le pensiez pas.
26:24 - Oui, je ne pense pas que la gauche soit légitime
26:26 à partir du moment où elle pose comme principe
26:29 que, par exemple, le débat est en soi une grande valeur
26:33 et qu'il faut infiniment débattre
26:35 sans jamais arriver à une proposition certaine.
26:37 - Mais le débat n'est pas en tant que tel une bonne chose pour vous ?
26:39 - Si, le débat est quelque chose de bon,
26:40 pourvu qu'on arrive à une conclusion.
26:42 Et donc le fait qu'on repousse sans cesse le débat
26:45 ou qu'on encherche sans cesse les termes,
26:47 c'est vraiment typique de l'histoire de la gauche
26:49 qui a réussi à la fois à justifier la colonisation et la décolonisation,
26:54 qui, avec Thiers, fait tirer sur le peuple de Paris
26:58 pour ensuite expliquer que Thiers était un type de droite
27:01 alors qu'en fait c'était un progressiste à l'époque.
27:03 On est dans une perpétuelle falsification de l'histoire.
27:07 Et donc ça, c'est vraiment gênant.
27:09 Et donc si la démocratie consiste à dire que chacun a un peu raison
27:15 et donc qu'il a le droit de dire n'importe quoi,
27:17 alors oui, la démocratie, ça paraît pas génial.
27:20 Si la démocratie, c'est de dire qu'on a tous le droit de débattre
27:22 mais qu'à un moment donné, on finira par siffler la fin de la récréation,
27:25 alors oui, la démocratie, c'est bien.
27:27 Et du coup, la gauche sera éliminée à l'arrivée.
27:28 - Et vous avez néanmoins l'esprit,
27:30 au moment où la gauche aurait eu raison sur la droite ?
27:33 - Non, là, comme ça, totalement pas du tout.
27:35 - Ah d'accord, quand même.
27:36 Arthur de Matrigan.
27:38 - Donc là, c'est le rond-point, est-il de droite ?
27:40 Mais vous faites une liste très longue,
27:42 vous parlez des soutifs, des tuyats, des rond-points.
27:46 Une question, c'est, est-ce que vous pensiez qu'un des objets était de gauche
27:48 et que vous avez finalement découvert qu'il était de droite et inversement ?
27:51 - Alors le totbag, j'étais persuadé.
27:53 Le totbag, pour moi, c'était, vous savez, ces espèces de gypsières en toile.
27:58 Déjà, c'est un mot anglais, donc j'arrivais avec un a priori complet.
28:02 Et en se pensant sur l'histoire du totbag,
28:05 car évidemment, ça paraît, il y a des recherches incroyables,
28:10 il y a une science historique dont le lecteur ne peut pas avoir conscience
28:12 quand il lit mes 3000 signes sur le totbag.
28:15 En se penchant sur l'histoire du totbag, je me suis dit,
28:17 ben non, en fait, pas du tout.
28:18 Ce totbag est profondément de droite, il est pratique.
28:21 Même si on en vend à la boutique de l'Elysée, c'est pas grave.
28:24 On va faire en sorte de sauver le totbag de la boutique de l'Elysée.
28:28 On va le rendre à sa vérité, qui est d'être pratique, quotidien,
28:31 aimable, facile, économe.
28:34 Il était, les postiers l'utilisaient.
28:36 Il renvoie à des gypsières médiévales.
28:38 Avec un peu de chance, ce sont les Gaulois qui l'ont inventé.
28:40 Donc le totbag est devenu de droite au fur et à mesure que je m'attachais à lui.
28:45 En revanche, quelque chose que je pensais être de droite
28:48 et qui est devenu de gauche, non, là, objectivement,
28:51 peut-être que je choisis un peu exprès des objets
28:53 dont intuitivement, je sais qu'ils sont excellents.
28:55 Et donc, évidemment, je me contente même pas de démontrer.
28:58 Je montre, je montre à quel point ils sont de droite.
29:01 Et l'électeur est cordialement emporté.
29:04 - Alors, un exemple parmi d'autres.
29:06 Le plat du jour est de droite.
29:08 - Oui. - Pourquoi ?
29:10 - D'abord parce que c'est un pari...
29:12 - On est en train ici qu'on parle d'un élément de la vie quotidienne.
29:13 Pour vous, la gauche et la droite traversent non seulement les principes,
29:16 les politiques, mais la vie quotidienne.
29:17 Le plat du jour ou la cuisine fusion sont de droite ou de gauche.
29:21 - Voilà. Alors le plat du jour, s'il s'agit du bulot mayonnaise,
29:25 du harampe, pomme à l'huile et de la blanquette de veau,
29:27 ils sont à droite parce que, d'une part, c'est un pari que je fais
29:31 avec le mastroquet dans lequel j'ai mes habitudes.
29:34 Je vais voir et le patron me dit "je te sers le plat du jour".
29:37 Je dis oui. Et voilà, c'est une confiance.
29:38 C'est une fraternité.
29:40 Donc on est déjà dans un univers de droite qui n'est pas
29:43 le jugement que je vais poser avec une grille idéologique
29:48 sur ce que va me proposer le patron.
29:50 Ce sont des harampe, pomme à l'huile.
29:51 J'accepte ces harampe, pomme à l'huile.
29:53 Et si ça se trouve, ces harampe, pomme à l'huile,
29:54 ils sont dégueulasses ce jour-là, ben c'est pas grave.
29:56 Je fais quand même confiance au patron quand il me proposera
29:59 des bulots mayonnaise ou peut-être un truc de fou,
30:01 il a tenté un nouveau type de tarte salée,
30:04 ben j'accepterai.
30:06 Et par ailleurs, je suis inscrit dans une histoire
30:08 qui est la longue histoire de la blanquette par exemple.
30:11 Moi je suis capable de comparer la blanquette que je mange
30:12 avec celle que me préparait maman,
30:14 celle que me préparait ma grand-mère,
30:15 celle que j'ai mangée chez mon cousin Paul.
30:17 Et donc il y a une espèce de communauté de la blanquette de veau
30:20 qui traverse cette blanquette précise
30:22 pour me renvoyer à une idée de la blanquette de veau,
30:24 à la nécessité de la blanquette de veau.
30:26 Et donc je m'inscris dans une tradition, dans une comparaison,
30:30 et pas du tout dans une espèce de perpétuel renouvellement
30:33 qui m'empêche en fait de me fixer quelque part.
30:36 La blanquette de veau manque au réel,
30:38 alors que la cuisine fusion qui change en permanence de ressources
30:42 et qui brûle le péruvien après l'avoir adoré
30:44 avant de mettre le japonais au pinacle
30:46 et brusquement de tout faire disparaître au profit de l'australien,
30:49 ben ça m'empêche en fait d'avoir un goût qui soit formé.
30:52 Je suis perpétuellement sollicité par la nouveauté
30:54 mais jamais capable en fait de former un raisonnement
30:58 et surtout de définir une esthétique.
31:00 C'est ça la blanquette de veau, c'est une esthétique.
31:03 J'ai bien compris, il y a une esthétique de la blanquette de veau chez vous
31:05 qui est une esthétique de la droite,
31:06 qui est une esthétique du réel si je comprends bien.
31:08 Mais diriez-vous de votre livre,
31:09 "Le rond de serviette et celle de droite",
31:11 qu'il s'agit finalement de petit guide sur la vie quotidienne
31:14 pour savoir être un homme de droite dans un monde qui ne l'est plus ?
31:16 Absolument.
31:17 Alors c'est un manuel politique pratique
31:21 qui permet en fait, en considérant la moindre des choses,
31:26 y compris un micro, une paire de boucles d'oreilles,
31:30 une cravate, de se dire voilà,
31:32 est-ce que je suis en face de quelque chose de droite ou pas ?
31:34 Et de s'exercer en fait à penser en permanence
31:38 à ce qui est de droite et de gauche.
31:40 Pourquoi ? Non pas pour cliver le monde et le séparer,
31:43 juste pour être en permanence en contact avec le réel.
31:45 Et toujours renvoyer au fait que le réel existe
31:48 et que la véritable nature de l'honnête homme,
31:50 c'est d'adhérer sans cesse au réel
31:52 et non pas de se perdre dans les fumées gauchistes.
31:54 Alors cela dit, ensuite je passe la parole à Arthur Le Matrigan.
31:56 Vous parlez des fumées gauchistes,
31:58 mais est-ce qu'on ne pourrait pas nommer aussi,
31:59 ce que vous avez nommé fumée gauchiste,
32:01 la part de l'espérance, la volonté de nouveauté,
32:03 cette idée de dire que la tradition peut s'amender,
32:05 la tradition peut se transformer,
32:06 quelquefois la tradition peut être étouffante.
32:08 Est-ce que quelquefois la gauche,
32:10 dont je n'ai pas l'habitude de me réclamer,
32:12 est-ce qu'elle n'est pas porteuse néanmoins
32:13 d'un souffle des libertés dans une société un peu trop cadenassée ?
32:18 Non, je ne pense pas du tout.
32:19 La gauche a prétendu là aussi capturer la volonté d'émancipation
32:25 et en faire quelque chose qui soit spécifiquement de gauche,
32:27 pas du tout.
32:28 La véritable tradition est critique,
32:30 comme a dit un excellent penseur.
32:31 Et quand je regarde la manière dont
32:34 Saint-Augustin considère le travail manuel
32:36 ou dont le roi Charles V considère les eaux et forêts
32:43 et publie des ordonnances sur la soutenabilité des forêts,
32:46 je vois que la véritable tradition consiste en permanence
32:50 justement à s'adapter à un réel qui change
32:52 pour être capable de maintenir ce qui forme la cohésion du corps social.
32:56 La gauche sous prétexte d'émanciper détruit.
32:58 Voilà, le Chapelier à l'art
33:01 rend l'intégralité des travailleurs prétendamment libres
33:05 et donc ça veut dire en fait qu'il crée le prolétaire
33:07 totalement assujetti au capitalisme.
33:10 C'est ça la tradition de gauche.
33:12 Et pendant ce temps-là, toute la droite sociale,
33:14 pendant tout le 19ème, va batailler avec les républicains
33:17 pour interdire le travail des enfants,
33:19 faire en sorte qu'il y ait l'ancêtre de la sécurité sociale,
33:23 faire en sorte que les femmes enceintes
33:25 ne soient pas assujetties à des travaux pénibles.
33:27 C'est pas du tout la gauche qui a fait ces révolutions-là.
33:30 Ce sont les légitimistes à la Chambre des députés.
33:32 Vous connaissez la formule de Simone Veil, je crois,
33:34 pas Simone de Beauvoir, pardonnez-moi,
33:38 qui disait "la vérité est une et l'erreur est plurielle,
33:42 voilà pourquoi la droite croit au pluralisme".
33:45 Est-ce que de ce point de vue, vous vous réinversez,
33:46 vous faites de Simone de Beauvoir de droite ?
33:47 C'est une excellente citation de Simone de Beauvoir
33:51 et d'une certaine manière, la droite aujourd'hui,
33:55 telle qu'elle est représentée, me donne l'effet
33:58 de gens qui sont attachés au pluralisme,
34:01 de peur de dire que la vérité est unique
34:03 et ils sont uniquement capables de produire
34:07 une bouillie intellectuelle en fait,
34:09 sans qu'il y ait de véritables directions
34:11 qui permettent une fois de plus à quelqu'un
34:13 de se gouverner dans la vie, de se dire
34:15 voilà, est-ce que je choisis l'assistanat,
34:18 est-ce que je choisis la liberté,
34:20 est-ce que je choisis l'égalité,
34:22 est-ce que je choisis les libertés ?
34:23 On ne sait pas en fait, on attend
34:25 et on attend que tout vienne de l'État,
34:27 y compris les prétendues parties de droite.
34:30 Arthur de Matrigan.
34:32 Pour faire le lien avec votre nouveau livre,
34:34 qui je le conseille est vraiment une petite pépite
34:36 d'une très drôle, fine, intelligente,
34:38 et je ne dis pas ça parce que vous nous faites l'honneur
34:40 d'écrire dans l'incorrect tous les mois.
34:42 Vous aussi Arthur de Matrigan,
34:43 vous êtes quelqu'un de très intelligent et gentil.
34:44 Le paradis est-il de droite ?
34:46 Alors, l'idée de paradis est...
34:49 Histoire de mettre en scène ce que vous dites,
34:50 de publier un nouveau livre en arrivant au paradis,
34:52 qui paraît aux éditions du CERN,
34:54 vous proposer une petite exploration du paradis
34:55 tel que vous le représentez.
34:57 L'idée du paradis est une idée de justice absolue.
35:01 Et donc ça c'est vraiment un concept de droite
35:03 d'une certaine manière.
35:04 Voilà, le fait que de toute éternité,
35:07 Dieu est capable d'arriver à un jugement
35:09 qui équilibre l'intégralité des placodos d'un seul coup.
35:12 Ça, on est dans une idée de droite.
35:15 Là où la chose est vraiment à droite,
35:18 c'est que dans cette manière de juger,
35:20 il y a énormément de miséricorde.
35:22 Dans cette manière de juger,
35:24 le juge s'est mis lui-même en balance.
35:26 Dans cette manière de juger,
35:27 le juge a risqué sa vie pour faire en sorte
35:29 que la plupart des accusés, sinon la totalité, soient sauvés.
35:33 Donc c'est là où on voit la différence
35:34 avec un tribunal révolutionnaire,
35:36 où on envoie au trou des gens
35:38 en ayant supprimé les droits de la défense.
35:40 Donc voilà, la justice de gauche,
35:42 ce sont les tribunaux révolutionnaires
35:43 et ce sont les procès de Moscou.
35:44 La justice de droite, c'est le jugement dernier,
35:47 précédé du jugement particulier.
35:48 Donc l'idée de paradis, oui, est de droite.
35:50 En revanche, il y aura énormément de gens de gauche.
35:52 La plus grande surprise pour nous,
35:53 ce sera de trouver des gens de gauche
35:55 et de trouver ça normal,
35:56 parce qu'on aura compris pourquoi ils y sont.
35:58 Et notre plus grande joie sera aussi de voir
35:59 qu'eux sont au paradis auquel ils ne croyaient pas
36:02 et de nous découvrir en face d'eux
36:04 et de se rendre compte, et eux aussi, de le comprendre,
36:06 qu'en fait c'est nous qui avions raison.
36:07 Donc ce sera vraiment délicieux, ce sera un moment épatant.
36:10 - Alors, vous connaissez la formule de Max Weber
36:12 qui parlait du polythéisme des valeurs.
36:14 C'est-à-dire qu'il y a en ce monde, sinon des vérités,
36:16 à tout le moins des points de vue irréductibles les uns aux autres,
36:18 qui témoignent que chacun a une aspiration
36:19 d'une partie de l'âme humaine.
36:22 Romandie, c'est la condition même du pluralisme.
36:24 Dans votre lecture, est-ce qu'il y a,
36:26 dans votre vision du monde,
36:27 est-ce qu'il y a quelque chose comme une forme de
36:29 polythéisme des valeurs,
36:31 ou est-ce qu'il y a une vérité vraie, unique,
36:32 à laquelle tous sont appelés à se rallier
36:34 d'une manière ou de l'autre ?
36:35 - Alors, moi je suis catholique romain.
36:37 Donc oui, il y a une vérité unique,
36:39 et c'est Jésus-Christ, Fils de Dieu,
36:42 descendu sur Terre pour nous sauver, c'est le crédo.
36:44 Ça, c'est une vérité unique.
36:46 - Mais est-ce que politiquement, ça veut dire quelque chose ?
36:48 - Alors non, c'est ça qui est intéressant,
36:49 c'est que politiquement, on voit bien que la proposition chrétienne
36:52 a été adaptée par énormément de politiques différentes
36:57 pour en produire des systèmes très différents.
36:59 Et c'est l'intérêt d'ailleurs de voir que la cité de Dieu
37:03 n'est pas la cité des hommes.
37:04 C'est que tout en essayant d'atteindre la cité de Dieu,
37:07 la cité des hommes teste des routes absolument différentes,
37:10 contradictoires et même opposées.
37:12 Et on a inventé au XIXe un Christ des barricades
37:15 qui évidemment était inconcevable au XVIIe siècle.
37:18 Mais je ne peux pas dire aujourd'hui que ce Christ des barricades
37:23 socialiste, humaniste et anticapitaliste
37:26 était une erreur par rapport à un Christ d'ancien régime.
37:29 Parce qu'à chaque fois, la société catholique,
37:31 ou plutôt les penseurs catholiques, se sont efforcés de faire en sorte
37:35 de corriger, si j'ose dire, la société humaine
37:37 telle qu'elle se présentait.
37:38 Et donc, il y a une plasticité du catholicisme,
37:42 même si la vérité est unique.
37:43 Et effectivement, tout l'intérêt de la proposition catholique,
37:46 c'est d'expliquer que le monde a un terme
37:48 et que passer ce terme, là en revanche, la vérité sera certaine.
37:52 Il nous reste cinq minutes, je poursuis avec vous l'exploration
37:55 de notre vie quotidienne sous le sein des catégories que vous nous proposez.
37:58 Donc si j'ai bien compris, il peut y avoir une cuisine de droite,
38:01 une cuisine de gauche, des vêtements de droite, des vêtements de gauche,
38:04 des amitiés de droite, des amitiés de gauche.
38:06 Mais en dernière instance, est-ce que finalement, le commun est mortel
38:08 parce qu'il y a des hommes de gauche et des hommes de droite ?
38:10 Est-ce que ces gens-là sont pas seulement appelés à cohabiter
38:12 tout simplement avec une forme d'indifférence aux catégories que vous proposez ?
38:16 Bien sûr, c'est une cohabitation.
38:18 En fait, c'est pour ça que c'est intéressant de se poser la question
38:20 du rond de serviette est-il de droite ?
38:22 C'est que même un homme de gauche est capable de le posséder.
38:24 Donc il possède chez lui une espèce de parcelle de droite, de dextérité,
38:28 qui va enchanter son quotidien presque malgré lui.
38:31 Si le malheureux était uniquement environné d'objets de gauche,
38:35 autrement dit de sacrifices humains par exemple,
38:37 il mènerait une vie pénible.
38:40 Non, le fait qu'une partie du réel soit de droite, les marrons sont de droite,
38:45 le rond de serviette qui est absolument emblématique,
38:48 les ronds-points sont de gauche, tout ça fait en sorte que les gens peuvent coexister
38:53 en n'ayant pas besoin de s'entréprer sur des principes qui prétendument les guideraient
39:00 et qui en fait au quotidien ne les guident pas du tout.
39:02 On peut considérer la beauté, la bonté, la divinité, la justice,
39:06 mais enfin voilà, je me lève le matin, j'y pense cinq minutes, je me couche le soir,
39:10 le reste du temps a été occupé par des tâches beaucoup plus simples
39:13 et par des objets beaucoup plus sensibles.
39:17 Je vous ferai violence, vous me pardonnerez.
39:19 Si vous deviez dire néanmoins quelque chose de bien qui nous vient de la gauche,
39:24 c'est-à-dire dans cet univers pluraliste qui est le nôtre
39:26 où l'adversaire n'est pas nécessairement un ennemi,
39:28 il n'est quand même pas toujours dans l'erreur,
39:29 si vous deviez reconnaître un apport particulier à la gauche,
39:32 sinon sa prochaine conversion à la droite, si j'ai bien compris votre logique,
39:35 quel serait cet apport particulier de la gauche qui aurait fécondé pour le mieux le bien commun ?
39:40 Oui, essayez, essayez.
39:42 Là comme ça, là c'est compliqué, je ne sais pas.
39:48 Arthur, un cinéaste de gauche qui aurait une valeur ?
39:54 Je pense qu'il y a des gens qui sont de gauche et qui se réclament de la gauche
39:57 et qui esthétiquement ont réussi à produire des œuvres tout à fait intéressantes.
40:00 Parce que Pasolini n'est pas de gauche.
40:02 Ben voilà, Pasolini, très bien.
40:04 Mais ça ne rend pas votre propos inintelligible pour certains.
40:06 C'est-à-dire cette idée qu'il y a,
40:08 j'entends que sur le plan théologique pour vous il y a une vérité, V majuscule, très bien,
40:12 mais plus on descend dans les choses humaines,
40:14 moins nous sommes dans le domaine de la vérité et davantage dans le domaine du relatif.
40:17 Est-ce que vos arguments ne sont pas, ne risquent pas de ne pas être entendus
40:20 dès lors que vous expliquez qu'ils ne sont pas simplement la meilleure défense
40:23 de certaines traditions, de certaines coutumes, de certains usages,
40:26 mais c'est la vérité que vous assenez devant des gens qui sont seulement dans l'erreur ?
40:30 C'est certain de prétendre qu'il y a une vérité absolue du rond de serviette
40:35 et en même temps sans doute un peu ironique.
40:39 Je ne suis pas absolument certain de...
40:42 On est dans le domaine du relatif.
40:44 L'intérêt c'est de montrer qu'on peut avoir une pensée,
40:46 on peut exercer notre pensée sur des objets simples.
40:49 Et donc c'est ça tout le jeu.
40:52 Comme dans le, si vous me permettez, dans les deux minutes qui restent,
40:54 en arrivant au paradis, l'idée n'est pas d'écrire un traité de théologie,
40:58 l'idée de traiter du temps, de la rétribution, du sort des prières, de la charité,
41:05 sous une forme amusante et joyeuse.
41:08 D'abord parce qu'on en a besoin, d'abord parce que Dieu est joyeux,
41:11 et ensuite parce que, voilà, il ne s'agit pas d'obliger les gens
41:15 à lire tout Saint-Augustin et tout Saint-Ambrose.
41:17 - Oui, d'ailleurs, on l'évoque dans votre ouvrage à la fin,
41:19 ce qui est particulier c'est de l'arriver au paradis tel que vous le représentez.
41:22 C'est un monde finalement assez bureaucratiquement complexe,
41:25 un monde infiniment moins simple qu'on ne pouvait l'imaginer.
41:28 - Mais parce que...
41:28 - C'est une projection céleste de la République française.
41:30 - Oui, ou de tous les États organisés.
41:34 Il y a des hiérarchies célestes, c'est ce que nous dit la tradition.
41:38 Il y a neuf types d'anges.
41:40 Donc j'ai imaginé à quoi servait cette hiérarchie céleste.
41:43 Et ça sert notamment à expliquer que quand on prie,
41:45 qu'on n'est pas immédiatement exaucé,
41:47 c'est sans doute parce que la prière est en train de cheminer
41:49 dans les rayons de la bureaucratie.
41:51 Donc c'est au moins une explication satisfaisante, je trouve,
41:53 au fait qu'on a tous prié et que là, pour le moment, on n'est pas tous exaucés.
41:56 - Et un dernier mot sur votre livre.
41:58 Donc en arrivant au paradis, lorsqu'on y arrive,
42:00 ce qui est assez particulier, vous nous l'expliquez,
42:02 c'est l'homme qui s'y présente,
42:03 ne sait pas exactement, il croyait que tout serait simple,
42:06 il croyait qu'il serait exaucé.
42:07 Il arrive dans un univers qui lui est finalement plus étranger que la vie terrestre.
42:10 - Il arrive dans un univers qui est aussi complexe que la vie terrestre.
42:13 En fait, je trouvais détestable l'idée qu'on arrive au paradis,
42:17 on oublie tout, on oublie le corps et on est là, assis sur un nuage,
42:21 en train de contempler une divinité qui est comme un spot ultra brillant
42:24 et il ne se passe rien pendant l'éternité.
42:25 C'est juste l'enfer.
42:27 Dieu s'est fatigué à créer l'intégralité du monde,
42:30 depuis les galaxies jusqu'à Gérard Larcher.
42:32 Eh bien, on va faire en sorte que cette magnifique création
42:37 soit sauvegardée dans le delà,
42:38 parce qu'il n'y a pas de raison qu'elle soit abolie.
42:40 Donc, ce n'est pas plus complexe.
42:42 C'est au moins aussi complexe, mais en plus c'est mieux.
42:44 Par exemple, il pleut la nuit, pas le jour,
42:48 les guêpes ne vous piquent pas,
42:49 mais il y a quand même des guêpes parce que c'est joli.
42:51 Non, c'est plaisant.
42:54 - Merci à vous d'avoir été notre invité.
42:55 Merci Arthur de Vintrigan.
42:56 Merci Mathieu Bockcôté.
42:57 On vous retrouve demain pour le grand rendez-vous.
43:00 Et évidemment, tout de suite, c'est la suite de nos programmes.
43:02 Restez avec nous sur CNews.
43:03 ♪ ♪ ♪