Face à Bock-Côté du 22/04/2023

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Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote

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Transcript
00:00 Il est 20h, le point sur l'information avec Isabelle Puboulot.
00:03 Dans le Tarn, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées à Saïs pour s'opposer au projet de l'A69 entre Castres et Toulouse.
00:13 4 500 selon la préfecture, 8 200 selon les organisateurs.
00:17 Un individu a été placé en garde à vue après un refus d'obtempérer durant lequel un gendarme a légèrement été blessé.
00:24 Le préfet du Tarn appelle les participants au rassemblement à quitter les lieux demain soir comme ils s'y sont engagés.
00:30 En septembre, trois personnes seront jugées pour outrage envers Emmanuel Macron, deux hommes et une femme, sans antécédent judiciaire,
00:38 mis à qui il est reproché d'avoir fait des doigts d'honneur et insulté le président de la République lors de sa visite à Célestat en Alsace mercredi.
00:46 Une quatrième personne avait été interpellée et placée en garde à vue, mais son dossier a été classé sans suite.
00:53 Et puis la joggeuse disparue hier à Damartin-en-Guelle a été retrouvée saine et sauve dans la Marne,
00:59 localisée dans un camping selon le procureur de Maud Chloé, âgée de 20 ans, a fugué avec son ex-petite amie.
01:06 Elle n'avait plus donné signe de vie depuis hier matin.
01:09 Étant majeure, la jeune femme supposait que le dispositif de recherche allait être levé.
01:15 Merci chère Isabelle pour le point sur l'information.
01:19 Bonsoir Mathieu Bocoté.
01:20 Bonsoir.
01:21 Vous m'aviez manqué la semaine dernière.
01:22 Absolument, heureux de vous revoir.
01:24 Je vous ai regardé attentivement, c'était passionnant.
01:26 J'en suis très heureux.
01:27 Arthur de Vatrigan, bonsoir.
01:28 Bonsoir.
01:29 Ravi de vous retrouver à la une de l'incorrecte Immigration, un naufrage français.
01:34 Et à la une de face à Bocoté, de James Bond à Cléopâtre.
01:37 Pour les wokistes, même combat.
01:39 On déconstruit tout, on revisite l'histoire.
01:41 Et si on peut en faire une série ou un film à succès, tant mieux.
01:44 Netflix proposera en mai une fiction où la reine égyptienne sera noire.
01:47 La polémique enfle sur les réseaux sociaux, mais pas que.
01:50 Alors est-ce un fait marginal ou le symptôme d'un changement plus profond ?
01:53 On en parle dans un instant.
01:55 Accusé Hugo Clément, levez-vous.
01:57 La gauche mondaine cible le militant écolo pour avoir eu le malheur de débattre avec Jordan Bardella.
02:02 Haute trahison, scandent certains responsables politiques ou journalistes de la bien-pensance.
02:07 Comment expliquer un tel niveau de sectarisme ?
02:10 Ces mêmes censeurs, bien plus discrets quand on parle de communisme et de communisme.
02:14 Mathieu Bocoté nous explique tout dans un instant.
02:16 Enfin, vous recevez ce samedi Ophélie Roch pour son premier roman Black Mesa.
02:20 Vous allez parler littérature, bien sûr, de déconstruction aussi, et un peu, voire beaucoup de censure.
02:25 Voilà le programme de Face à Bocoté. Face à Bocoté, c'est parti.
02:42 Cléopâtre, Cléopâtre est-elle une reine noire ?
02:46 C'est cette question que Netflix a imposée au débat public ces derniers jours, Mathieu,
02:50 en proposant un documentaire qui sera diffusé en mai, où la dernière reine d'Égypte est présentée de cette manière.
02:56 Alors cette controverse, elle prend de plus en plus d'ampleur.
02:59 Elle condense, on le voit, plusieurs des obsessions idéologiques de notre temps.
03:03 Et c'est sur ces ressorts idéologiques que vous souhaitiez commencer cette émission.
03:08 Alors, Cléopâtre était-elle noire ? Enfin, reformulons.
03:12 Est-ce que le souci de la crédibilité historique, minimale, la crédibilité physique, la crédibilité des personnages,
03:18 est encore un souci légitime quand on décide de représenter des pièces de théâtre, des films, et ainsi de suite ?
03:24 Alors, Cléopâtre était-elle noire ?
03:26 C'est aussi cette question étrange qu'on se pose ces temps-ci, dans une société obsédée par la race.
03:30 La réponse est très claire. Non. On le sait. Elle n'était pas noire.
03:34 Il y a des théories qui reviennent en boucle de temps en temps,
03:36 mais vous savez, il y a aussi des théories qui reviennent en boucle sur les extraterrestres qui ont reconstruit les pyramides.
03:40 Il y a même des théories sur le fait que les pyramides étaient des centrales électriques. Comme quoi.
03:45 Donc, non, elle n'était pas noire, ce qui n'a fait ni une moins bonne personne, ni une meilleure personne.
03:50 C'était simplement pas le cas.
03:52 Mais, parce qu'il y a une espèce de possibilité, de brèche interprétative,
03:57 sur le fait que oui, mais on ne connaît pas exactement sa mère,
03:59 alors là, vous avez tout le courant woke qui cherche à s'emparer de l'histoire de Cléopâtre
04:04 et la recycler, justement, en fonction des obsessions aujourd'hui de la société inclusive et diversitaire.
04:09 Alors, qu'on se comprenne bien, il ne s'agit pas simplement ici de déconstruction, c'est le mot à la mode,
04:14 mais vraiment de réécriture de l'histoire, de falsification de l'histoire.
04:18 Je m'explique. Pendant longtemps, nos amis de la gauche radicale ont voulu déconstruire la civilisation occidentale.
04:25 Donc, il s'agissait d'abord d'en faire un portrait dévastateur.
04:28 Elle était raciste, sexiste, ensuite on a ajouté homophobe, transphobe.
04:33 Son existence même serait corrompue.
04:36 Il y a eu une nouvelle étape ensuite dans la déconstruction, c'est-à-dire que cette civilisation, en fait, n'existait pas.
04:41 Elle n'a jamais existé. D'ailleurs, si elle n'a jamais existé, elle ne risque pas de disparaître aujourd'hui.
04:45 Vous voyez le lien.
04:46 Voilà, on ne peut pas se contenter de déconstruire et de détruire, il faut proposer l'imaginaire woke.
04:52 La gauche radicale, la gauche diversitaire, en est rendue à ce moment où ils veulent proposer un imaginaire alternatif.
04:58 Qu'est-ce qu'on fait pour ça?
05:00 C'est désormais de s'emparer des faits de l'histoire et de les traiter à la sauce woke,
05:05 donc sacralisation des minorités, diabolisation du monde occidental.
05:09 Il s'agit aussi, c'est assez particulier, parce que le wokisme, ça vient des États-Unis, ne l'oublions pas,
05:14 mais il s'agit aussi d'imposer à l'ensemble des histoires nationales, aux autres civilisations,
05:19 les obsessions raciales américaines, ne l'oublions pas, dont on falsifie l'histoire,
05:24 on devient indifférent au vrai et au faux, et toujours avec cette idée que c'est justement
05:29 en changeant le caractère, le physique des personnages, qu'on serait capable de proposer une histoire plus positive,
05:34 par exemple, de l'histoire des peuples noirs, alors qu'on oublie que l'histoire des peuples noirs,
05:38 en elle-même, peut être racontée avec ses grandeurs, avec ses exploits, et ainsi de suite,
05:42 ses misères, ses douleurs, comme toutes les civilisations d'ailleurs.
05:45 Mais non, on se sent obligé de transformer l'histoire réelle, de la falsifier sur le mode soviétique.
05:51 Vous noterez, soit disant, en passant, que ça fait un peu penser à Maître James,
05:54 ou James, on l'appelle maintenant récemment, qui nous dit, moi ça m'avait frappé sa phrase,
05:59 parce qu'il parlait de sa théorie, les pyramides étaient des centrales électriques,
06:04 ça n'a pas vraiment de sens, il dit oui, mais c'est pas vrai que notre histoire a commencé seulement
06:08 dans les bateaux, dans les cales de négriers, mais c'est très juste qu'elle n'a pas commencé là,
06:12 et c'est très juste que c'est un moment atroce, mais pour répondre à ce moment atroce,
06:16 on ne peut pas inventer une histoire imaginaire alternative, on raconte d'autres pans de l'histoire
06:20 qui ont été oubliés, mais on ne falsifie pas la réalité historique, on ne confond pas le vrai et le faux,
06:25 c'est pourtant ce qui se passe en ce moment.
06:27 - Et ce n'est pas la première fois que l'histoire est ainsi réécrite.
06:30 - L'obsession raciale domine notre temps.
06:32 Alors on le voit à la fois dans la fiction et dans les personnages historiques réels.
06:37 Dans la fiction, il y a James Bond, il ne faut pas l'oublier, où on s'est dit que ce symbole,
06:41 James Bond, devait changer de visage, et on s'est dit que plutôt que d'avoir un homme blanc,
06:46 séducteur, qui accumule à la fois les conquêtes et les martiniers, les voitures d'exception,
06:50 et qui en plus le permet de tuer, on se dit que lui, on va le liquider.
06:54 Et comment on va le liquider? On va faire en sorte qu'il soit remplacé symboliquement
06:58 par un nouveau personnage, et on le sait, dans le dernier James Bond, c'était annoncé,
07:02 il fallait une femme noire pour le remplacer.
07:05 Alors moi je dirais, si on veut créer un nouveau personnage dans cet univers-là,
07:08 il n'y a pas de souci, créer un nouveau personnage c'est parfait,
07:10 et si c'est une femme noire, si c'est un, je ne sais rien moi, une femme asiatique,
07:14 si c'est un homme latino, je m'en fous, mais le personnage James Bond, ce n'est pas celui-là.
07:19 Mais on s'en fout, donc on décide de falsifier le personnage sur le mot de la conquête de guerre,
07:23 la prise de guerre. Sur le plan du cinéma, plus récemment, Anne Boleyn, on le sait,
07:28 dans l'histoire britannique, qui était présentée, encore une fois, comme une reine noire.
07:32 Alors c'est faux, c'est simplement faux. Le monde avait dit que c'était très bien cela dit,
07:38 parce que ça permet de faire la promotion de la diversité.
07:40 En Finlande, il y a quelques années, ça c'est pas mal, Mannerheim,
07:44 Mannerheim c'est un peu le De Gaulle des finlandais,
07:46 et bien, Mannerheim avait été aussi présentée en noir, pourquoi?
07:49 Sous le signe de la promotion de la diversité.
07:52 Alors là, l'argument qui est utilisé aujourd'hui pour faire la promotion de cette vision des choses,
07:56 c'est l'argument colorblind, c'est-à-dire on ne tient pas compte de la couleur des gens,
08:00 et on tient compte seulement de leur capacité, de leur mérite.
08:03 On verra que cet argument-là n'est pas appliqué dans le monde de l'entreprise.
08:06 Mais l'on nous dit ça, mais l'argument de la crédibilité historique minimale ne tient plus.
08:11 Donc là, ça devient un pur fantasme.
08:13 Madame Diallo, que l'on connaît bien, Rocaille Diallo,
08:15 explique que son objectif, c'est transformer les imaginaires collectifs.
08:19 Et là, on lui demande, alors si on voit si Cléopâtre peut être joué par une femme noire,
08:24 est-ce que Martin Luther King pourrait être joué par un homme blanc?
08:27 Ce serait amusant de savoir, ou Malcom X, est-ce qu'il peut être joué par un homme blanc?
08:30 Ou Nelson Mandela, pourrait-il être joué par Jean Dujardin? Pourquoi pas?
08:34 Et bien là, on dit non, parce que c'est seulement valable si ça permet de contester
08:39 les stéréotypes ratio-dominants dans le monde occidental.
08:42 Donc si une figure « blanche » peut être jouée par un acteur de minorité, pas de souci.
08:49 Mais si on est avec un personnage comme Pocahontas dans la fiction,
08:53 ou si on est avec Martin Luther King, là, c'est pas permis, c'est pas possible.
08:57 Et là, c'est assez fascinant cette logique, parce que qu'est-ce que ça nous dit?
09:00 C'est que dans le monde de l'entreprise, avocats, médecins, on va nous dire
09:04 qu'il faut choisir des gens en fonction de la couleur de peau pour remplir des quotas.
09:07 Donc dans le monde de l'entreprise, où il faudrait appliquer vraiment une logique du « colorblind »,
09:11 de l'indifférence à la couleur de peau, alors ça, ça a tombé.
09:14 Aujourd'hui, c'est la logique des quotas partout.
09:16 Mais quand on vient d'avoir un souci de crédibilité de la représentation historique
09:20 au cinéma ou au théâtre, bien ça, désormais, apparemment, là, le souci de crédibilité
09:24 doit tomber et on bascule dans la prétention à la neutralité. C'est le monde à l'envers.
09:28 Alors, je me tourne vers vous, Arthur de Batrigan, et après, je vous poserai la question
09:32 sur qui est la grande perdante. Mais est-ce que c'est un fait marginal
09:36 ou est-ce que c'est un symptôme bien plus profond?
09:39 C'est un symptôme bien plus profond. Là, on a affaire à une série documentaire.
09:43 C'est-à-dire, ce n'est pas une fiction. C'est un contenu qui ambitionne de présenter des faits authentiques.
09:48 Et c'est le problème, parce que sur Cléopâtre, les fact-checkers commencent à se mettre dessus
09:52 pour vérifier. Alors, ils nous disent, on connaît son père, il est macédonien,
09:55 mais pas sa mère. Donc, sa mère peut être égyptienne. Donc, peut-être qu'elle est noire.
09:58 Et vous savez d'où ça vient, l'idée des Égyptiens qui sont noirs?
10:01 C'est qu'à partir des années 50, un certain Tchèque Antadiop,
10:05 comprésentateur comme un scientifique, un historien, qui en fait, c'est juste un idéologue,
10:08 commence à pondre une série d'articles pour expliquer que les Égyptiens étaient éthiquement noirs.
10:13 Un exemple, il voyait dans les cheveux crépus des Égyptiens la preuve de leur "africanité",
10:17 comme il dit. Sauf que, manque de chance, on sait très bien qu'en fait,
10:21 elles portaient des perruques. Donc, ce n'était pas leurs cheveux qui étaient "africanité", comme ils disent.
10:25 Le problème, c'est que toutes ces thèses fumeuses, elles remontent à la surface,
10:28 elles remontent régulièrement, et là, avec les réseaux sociaux, ça explose de partout.
10:31 Alors qu'on sait, Mathieu l'a dit, tout est prouvé, toutes les études,
10:35 les études linguistiques, les études sur les momies, sur les squelettes,
10:37 même sur le génétique, prouvent le contraire. Mais si on s'intéresse un peu plus à ce fameux Diop,
10:41 on découvre que dans sa thèse, ça va plus loin, en fait.
10:44 Ce n'est pas que juste les Égyptiens sont noirs. C'est que ces Égyptiens imaginaires à lui,
10:48 sont à l'origine des mathématiques, sont à l'origine des arts, de l'agriculture,
10:51 en gros, de toutes nos civilisations. Donc si vous poussez le truc un peu loin,
10:54 ça signifie quoi ? Ça veut dire qu'en fait, que l'Occident, le Grec, tout ça, a piqué,
10:58 s'est approprié la culture et la civilisation qui en fait, est née en Afrique.
11:03 Et c'est là où ça rejoint la culture woke. Alors, si on sort du domaine de l'authenticité,
11:08 et qu'on va dans la fiction pure, le cinéma, on sait que par nature,
11:11 c'est la transfiguration d'une réalité ou d'un livre.
11:14 La question de couleur de peau participe-t-elle donc de cette transfiguration ?
11:17 Le problème, c'est qu'à partir où on a fait la promotion, ce qui est le cas chez les woke,
11:21 on n'a plus affaire à de l'art. On a affaire à un discours marketing.
11:24 Un discours marketing qui en fait, est fondé sur le truc le plus basique,
11:27 c'est-à-dire la reconnaissance d'une couleur. C'est le truc le plus bas niveau du monde.
11:30 Donc ça veut dire qu'on ne choisit pas un acteur ou une actrice en fonction de sa capacité à interpréter,
11:35 sa capacité à être crédible ou à être légitime, mais parce qu'elle est noire ou qu'elle est blanche.
11:39 Mathieu parlait d'Anne Boleyn, c'est aussi con que de demander à Depardieu de dire
11:43 « tu vas jouer Martin Luther King » ou de mettre des blancs dans la chaussure de coton dans « Non, porte-le-vent ».
11:47 C'est un truc, ça ne marche pas en fait. Il n'y a pas très longtemps, on a vu Cyrano incarné
11:51 par une personne de petite taille, comme on dit aujourd'hui.
11:53 C'est aussi débile que Hercule joué par un transgenre anorexique.
11:57 Mais bon, on nous dit c'est le cinéma. L'imagination est sans limite.
12:01 Ok, très bien, mais qu'en est-il du sens ? Là, on fait un film de patrimoine, par exemple.
12:04 C'est-à-dire qu'on filme dans une réalité historique.
12:07 Si vous voulez changer, si ce n'est pas important, faites-le dans un monde imaginaire.
12:10 Faites-le dans une adaptation contemporaine, ça ne sera pas un souci.
12:14 Mais c'est là où on découvre que c'est idéologique.
12:16 C'est le régime diversitaire comme cher à Mathieu.
12:19 C'est-à-dire qu'à la fois, on nous explique que seules les minorités peuvent faire incarner les minorités,
12:22 mais qu'en même temps, aujourd'hui, il faut que les minorités incarnent les dominés et les dominants.
12:26 Pourquoi ? Parce que le but, c'est que seuls les acteurs issus de la minorité doivent apparaître à l'écran,
12:33 pour que le public diminoritaire puisse se retrouver en eux.
12:37 C'est-à-dire qu'en fait, c'est la fin de l'universalisme.
12:39 C'est-à-dire qu'il faut un homosexuel pour que vous puissiez parler à un homosexuel.
12:42 Seules les femmes parlent à une femme. Seules les noires parlent à un noir.
12:45 Ça veut dire que l'on est à la fin de l'universalisme,
12:48 alors que pourtant, le cinéma, depuis son invention, c'est bien la preuve que l'universalisme marche.
12:52 Vous n'avez pas besoin d'être juif pour rire devant la vérité si je mens.
12:55 Vous n'avez pas besoin d'être noir pour pleurer devant la couleur pourpre.
12:58 Et vous n'avez pas besoin d'être un hétéro de plus de 50 ans, blanc,
13:00 pour se mettre à la place de Matthew McGonagall dans Interstellar.
13:04 Donc le drame, il est là. Ils veulent flinguer l'universalisme.
13:07 - Et justement, dans cette situation-là, quelle est la grande perdante, Matthew ?
13:11 - Mais c'est tout simplement la vérité. Le souci de la vérité.
13:14 Ça me frappe. Alors, il faut relire. Moi, c'est un auteur dont je parle souvent.
13:17 C'est Miloš La Pensée Captive, qui est un authentique chef-d'œuvre du XXe siècle.
13:21 Il dit le propre de l'idéocratie. L'idéocratie, c'est un régime fondé sur une idéologie.
13:25 Le vrai et le faux deviennent des catégories secondaires, qui peuvent être...
13:30 En fait, le vrai peut devenir le faux, le faux peut devenir le vrai, on s'en fout.
13:33 Mais l'essentiel, c'est que les œuvres, que ce soit la littérature, la philosophie,
13:38 la peinture, la littérature, soient fidèles au dogme, à l'orthodoxie.
13:44 Donc le vrai et le faux deviennent secondaires.
13:46 Ça crée une société indifférente à la vérité, dans le cas de Cléopâtre.
13:49 Et là, ça nous rappelle Orwell, qui dit quelle est la force du totalitarisme ?
13:52 C'est lorsqu'il réussit à nous faire admettre que 2 + 2 = 5.
13:56 De ce point de vue, on est dans une époque qui dit 2 + 2 = 5.
13:59 Et le disant, elle se croit plus ouverte que jamais.
14:02 On a un autre débat, et en tous les cas analyse, plutôt, ce soir,
14:05 sur la gauche mondaine, qui relativise les crimes communistes.
14:09 On a beaucoup parlé cette semaine de l'étrange polémique entourant Hugo Clément,
14:13 qui s'est fait reprocher par la gauche son débat, qui était d'ailleurs passionnant,
14:17 avec Jordan Bardella.
14:19 Doit-on débattre d'écologie avec ce que la gauche appelle l'extrême droite ?
14:22 Cette question en posait une, en creux est-il inversement permis,
14:27 avec l'extrême gauche ?
14:29 Il aura suffi qu'elle soit soulevée un instant, pour que la gauche s'indigne,
14:33 comme si cette question n'était pas autorisée.
14:36 Et c'est bien évidemment celle que vous souhaitez poser.
14:39 Est-ce qu'on a le droit de débattre avec l'extrême gauche ?
14:41 - Moi, surtout, je suis assez fasciné par la scène de cette semaine.
14:44 On s'en rappelle, je rappelle les éléments.
14:46 Hugo Clément va débattre avec Jordan Bardella, à la soirée des valeurs,
14:50 de Valeurs Actuelles.
14:52 Réaction paniquée dans le mouvement écolo, mais pas seulement,
14:54 en disant "Ah là là, un, on ne discute pas avec ces gens-là,
14:56 les gens du RN, et deux, on ne discute pas avec ces gens-là
14:59 chez Valeurs Actuelles, parce que c'est un magazine
15:01 qui est sur une ligne idéologique, qui est à l'écart du consensus progressiste.
15:05 Donc c'est inacceptable, c'est scandaleux.
15:08 On se transpose quelques jours plus tard, à l'émission C/Ce soir,
15:11 sur le service public, où il y a une scène lunaire.
15:15 La scène est la suivante, vous avez un débat, la question d'ailleurs,
15:19 c'est écologie, peut-on débattre avec l'extrême droite ?
15:22 Je précise que ce qu'ils appellent l'extrême droite a fait 42 %
15:25 à la présidentielle. Le service public se demande si on peut accepter
15:28 de débattre avec un courant qui a fait 42 % à la présidentielle.
15:32 On voit que ces gens-là ne sont pas conscients d'où vient exactement
15:35 l'argent qui leur permet de vivre, soit dit en passant,
15:37 leur conception du pluralisme est limitée.
15:39 C'est une table assez homogène. Il y a une figure qui représente
15:42 une forme de dissidence, c'est Laetitia St-Bonheur,
15:45 qui est une femme très intelligente, une centriste libérale pour l'essentiel,
15:48 et qui pose simplement une question.
15:50 Elle dit "Mais pourquoi on ne se pose pas la question de l'extrême gauche ?
15:54 Pourquoi on ne se dit pas que les crimes du communisme,
15:56 c'est quand même quelque chose ? Les crimes du communisme,
15:58 ils sont terribles, ils sont graves. Pourquoi ce ne serait pas un problème
16:01 s'il y avait un débat à la fête de l'Huma ?
16:03 Et je précise, soit dit en passant, que sur l'axe de la respectabilité
16:05 idéologique, notre valeur actuelle est un titre libéral conservateur
16:08 avec une dimension nationale, alors que l'humanité, c'est le communisme.
16:12 Le communisme, à l'échelle de l'histoire, ça a quand même tué beaucoup.
16:15 Je me permets de le rappeler.
16:17 Quoi qu'il en soit, scandale ! Comment pouvez-vous mettre sur le même pied
16:20 l'extrême gauche et l'extrême droite dans leur esprit ?
16:22 Comment pouvez-vous même poser la question ?
16:25 Moi, c'est leur esprit scandalisé qui m'intéresse.
16:29 La première chose, c'est qu'il y a Laura Adler, qui est exceptionnelle là-dedans,
16:33 qui en vient pas à son premier étonnement bénin,
16:37 qui dit « Comment pouvez-vous poser cette question ? »
16:39 Moi, ce qui me fascine, c'est premièrement l'incapacité de réfléchir
16:42 aux crimes du communisme. Les crimes du fascisme et du nazisme,
16:45 pour cette gauche-là, ils sont consubstantiels à l'idéologie.
16:48 Et c'est très vrai, soit dit en passant.
16:50 Mais les crimes du communisme ne seraient que des crimes accidentels.
16:53 Des crimes accidentels, c'est-à-dire que le communisme aurait tué malgré lui,
16:57 mais c'est fondamentalement une bonne idéologie, une idéologie généreuse.
17:00 Si on prend la peine de dire que partout, le communisme s'est implanté,
17:03 ça a donné un enfer bureaucratique, un enfer policier,
17:06 ça a donné des sociétés carcérales, des sociétés concentrationnaires,
17:09 que ce soit en Chine, que ce soit en Russie, que ce soit à Cuba,
17:12 que ce soit... faites la liste.
17:14 Ça a donné partout la même chose.
17:16 Mais partout, chaque fois, c'est un accident.
17:18 Donc, il n'y a aucune réflexion sur la nature criminelle de cette idéologie.
17:22 Pourquoi?
17:24 Eh bien, je dirais fondamentalement, dans cette séquence,
17:27 c'est qu'il y a une absence de réflexion sur la nature du communisme,
17:30 une absence de réflexion sur la nature, je dirais, de la part totalitaire
17:33 de la modernité et des idéologies auxquelles ces gens-là adhèrent directement.
17:36 Donc, quand on leur demande, extrême-gauche, extrême-droite,
17:39 au moins, ce sont deux pathologies équivalentes, deux pathologies meurtrières,
17:42 pas du tout. L'extrême-gauche tue malgré elle.
17:45 La dite extrême-droite tue volontairement parce qu'elle est très méchante.
17:48 - Et comment vous expliquez cet oubli, Mathieu?
17:51 - Il y a beaucoup de choses. Le premier élément, je crois,
17:54 c'est une lecture étonnante de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale.
17:57 Assurément que l'URSS a participé à la victoire contre le nazisme.
18:01 Et de ce point de vue, merci à l'URSS.
18:03 Mais il ne faut pas oublier que les peuples libérés par l'URSS,
18:06 tous les peuples d'Europe de l'Est, sont passés d'un totalitarisme à un autre.
18:09 C'est-à-dire, quand vous étiez en Europe de l'Est et que l'armée rouge venait vous libérer,
18:12 vous saviez que vous en aviez pour un demi-siècle à peu près
18:15 de bottes soviétiques sur la tête. Mais ça, on l'a oublié.
18:18 C'est comme si, finalement, l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale,
18:21 on avait oublié cette part, la part totalitaire du communisme.
18:24 On a oublié une autre chose. C'est que le communisme a été longtemps
18:27 l'idéologie dominante chez les élites. Donc, une partie de ces gens-là
18:30 et de leurs héritiers, qui fonctionnent selon les mêmes schèmes mentaux,
18:33 ne sont pas capables d'admettre que les fondements de l'idéologie
18:36 à laquelle ils adhèrent ont conduit à la société concentrationnaire,
18:39 a conduit à l'archipel du goulag, a conduit à des sociétés meurtrières.
18:43 Ils sont incapables de se l'imaginer. Au fondamentalement,
18:46 ils n'en ont pas fait leur deuil. Comme on le voit aujourd'hui
18:49 avec l'idéologie woke, dont on parle beaucoup, la matrice idéologique
18:52 du wokisme est la même que la matrice... On pourrait dire la matrice de base.
18:55 C'est la même que celle du marxisme, c'est la même que celle de toutes
18:58 ces idéologies qui ont traversé le XXe siècle. Il y a aussi un manque
19:01 de réflexion chez ces gens, je crois, sur la nature religieuse,
19:05 religieuse de leur entreprise. Comment fonctionne le progressisme radical?
19:09 Il dit qu'il y a une avant-garde éclairée de l'humanité.
19:12 Ce sont des gens remarquables, des gens lumineux.
19:14 Il y a tous ceux qui sont à la traîne, tous ceux qui ne vont pas assez vite,
19:17 tous ceux qui marchent trop lentement, tous ceux qui n'ont pas été éclairés
19:20 par la sainte révélation progressiste. Ça, c'est le bois mort de l'humanité.
19:25 Ça, c'est les gens qu'il faut soit rééduquer, et ça, c'est la longue histoire
19:29 de l'Union soviétique, mais rééduquer pour vrai. Quelques fois,
19:32 on les traitait comme sur le mode de la dissidence psychiatrique.
19:35 Soit qu'il faut exclure de la vie publique, et ça, on le voit encore
19:38 aujourd'hui avec les méthodes du terrorisme intellectuel qui consistent
19:41 à chasser de l'espace public légitime les contradicteurs en les diabolisant,
19:46 en les extrême-droitisant, ou alors simplement, quelques fois,
19:49 il y avait cette idée qu'on pouvait les liquider. Il ne faut pas l'oublier.
19:52 À l'échelle de l'histoire, le communisme est meurtrier.
19:54 Mais tout ça, tout ça, on l'a oublié, ce qui fait que quand on vient
19:57 le temps d'analyser la vie politique aujourd'hui, il y a une faille
20:00 qui fait qu'on ne comprend pas qu'il y a encore une idéologie
20:03 qui a fait des ravages et qui prétend encore donner des leçons de morale.
20:06 - Et comment ça se reflète dans le débat idéologique français?
20:09 - Bien, je le disais en un mot il y a un instant, c'est le statut de valeur actuelle.
20:12 Ça me fascine, moi, le fait qu'une valeur actuelle puisse accueillir des gens
20:15 de différents courants, Manuel Val, Sugo Klim, Jordan Bardet, Belhany.
20:20 Ce ne sont pas des gens qui communient tous à la même vision des choses.
20:23 Le seul fait qu'ils puissent se présenter comme un cadre de débat légitime,
20:27 c'est que la gauche ne l'accepte pas, alors que je l'ai dit,
20:30 valeur actuelle n'a rien, rien, rien à voir avec le fascisme ou le nazisme.
20:33 Mais rien du tout. C'est un journal qui appartient au mainstream
20:36 de la droite conservatrice, appelons ça comme ça.
20:39 De l'autre côté, on a l'humanité. De l'autre côté, on a combien de journaux
20:42 à gauche qui continuent d'entretenir une forme de complaisance coupable
20:45 pour les idéologies qui ont conduit à la catastrophe?
20:48 Ça, ça ne cause pas de problème. Alors, je vous dirais à la blague,
20:51 ces gens-là ont toujours peur, oui, mais il ne faut pas faire le jeu
20:54 de la vie, c'est de faire le jeu du monde, de faire le jeu de l'IBE
20:57 ou faire le jeu de l'Obs. Ça, franchement, j'aurais honte.
20:59 - Comment vous expliquez, Arthur Batrigan, cette complaisance,
21:02 presque ce romantisme qu'on peut avoir dans certains médias
21:05 lorsqu'on parle du communisme?
21:07 - Écoutez, moi, j'aime bien Laura Deler, peut-être ma passion
21:11 pour les reliques ou pour les choses en voie de disparition,
21:14 parce que je ne sais pas vous, mais moi, j'ai envie de la mettre
21:17 dans du coton, parce qu'honnêtement, si on raconte à nos petits-enfants,
21:20 l'histoire de cette gauche sublime d'inculture, de mauvaise foi,
21:25 d'autolatrie et d'immenses bêtises, ils ne nous croiront pas.
21:28 Et donc, je leur dirais, si, si, je vous promets, ça a existé.
21:31 Laura Deler, c'est l'incarnation merveilleuse de ces apparatchiks
21:34 qui ont fait de l'argent, de l'honneur, du pouvoir dans l'université.
21:38 Les médias, la politique, qui ont tout engrangé, évidemment,
21:41 souvent sur la dénonciation d'un vieux monde qu'ils détestent,
21:44 plus qu'ils ne craignent. Et donc, voilà, c'est quelque chose,
21:48 j'ai de l'affection pour ça. Après, si on prend le cas de Laura Deler,
21:51 c'est intéressant, c'est que son truc à elle, c'est la culture,
21:54 à tel point qu'elle a failli même être ministre. Si vous vous rappelez,
21:57 François Hollande l'avait appelée pour y demander, et puis elle avait cru
22:00 que c'était un canular, donc finalement, ça n'avait pas passé.
22:03 Un éclair de lucidité chez elle, une fulgurance, malheureusement,
22:06 qui n'a pas se renouveler, mais elle a un passif sur la culture
22:09 qui est assez intéressant. Par exemple, son analyse littéraire
22:12 de Renaud Camus, vous savez ce qu'elle dit ? Il est pire qu'Hitler.
22:15 Il faut quand même y aller, qu'on aime ou pas l'écrivain,
22:18 c'est quand même pas mal. Sur Richard Millet, elle dit,
22:21 "Il fait des livres qui sont scandalés sur le plan du respect des droits
22:24 de l'homme, comme s'il fallait respecter les droits de l'homme
22:27 pour prendre un livre." Dans ces cas-là, Miss France,
22:30 quand elle a le playa directement avec deux pages, toujours à la pointe,
22:33 évidemment, de la défense de l'âme et de la bonté, Laura Deler,
22:36 qui a, il faut le rappeler, un palmarès littéraire où il s'aïsse
22:39 qui est au niveau aussi excitant qu'un mode d'emploi équerre,
22:42 donc je le rappelle, elle a passé sa vie à dénoncer et à interdire
22:45 les gens de penser ou de dire, comme elle le refait encore aujourd'hui.
22:48 Vous allez me dire, c'est le critère numéro un pour officer
22:52 sur France Culture, elle a été la patronne de France Culture.
22:55 Donc on est vraiment dans la caricature.
22:58 Ensuite, dans cette émission-là, Mathieu le rappelait, c'est intéressant,
23:01 c'est donc cette pauvre malheureuse qui explique, peut-être qu'on peut
23:04 comparer extrême-gauche et extrême-droite, bon là, tout d'un coup,
23:07 elle pète un câble, mais en fait, finalement, elle a raison,
23:10 et l'extrême-gauche et l'extrême-droite, ne jouent pas dans la même cour,
23:14 c'est factuel. Alors, bon, j'ai envie de leur dire, définissez-nous
23:17 l'extrême-droite, évidemment, on les voit venir avec leur finesse
23:20 hippopotame, c'est Mussolini, c'est le nazi, c'est Franco.
23:23 Bon, acceptons cette base un peu grossière et factuellement en partie fausse,
23:26 même en cumulant tout ça, ils ne jouent pas dans la même cour.
23:29 Vous avez, on fait un petit calcul de boutiquier tout simple,
23:32 côté bain de sang, le communisme, c'est high level,
23:35 côté carnage, c'est la performance artistique.
23:38 Donc, et le truc, c'est qu'en France, citez-moi quelqu'un
23:41 qui se dit "je suis nazi, je suis fasciste",
23:44 je n'en connais pas un seul. Par contre, des types qui disent
23:47 "je suis communiste, je suis maoïste", il y en a plein.
23:49 Et pas que des inconnus, il y a des gens connus, et des gens qui,
23:51 par exemple, sont invités chez leur Allaire, pas plus tard
23:53 que le 1er avril dernier, Alain Badiou, vous savez,
23:56 le seigneur des Mao, qui explique que le communisme n'a pas été
23:59 assez répressif, il le dit, 70 millions de morts pour le grand bon,
24:02 ce n'est pas assez répressif. Imaginez sur France Inter, un nazi
24:05 qui débarque et qui explique "le problème en 43, c'est qu'il n'y avait pas
24:08 assez de trains, on en manquait un peu". C'est exactement du même niveau.
24:10 Et non, ça, ça passe crème quand vous êtes communiste et de gauche.
24:12 Alors vous allez me dire "il y a eu un préfet de police à Paris,
24:14 il n'y a pas si longtemps, qui citait dans sa carte de voeux Trotski".
24:17 Tranquille, imaginez cité Goebbels. Il s'appelle d'idiot allemand,
24:20 ça aura peut-être été plus adéquat avec son nom.
24:22 Mais non, personne n'en parle. On peut citer Trotski,
24:24 ce n'est pas un souci. Donc le drame, c'est qu'en fait,
24:26 si on réfléchit vraiment, on se dit "on peut leur envoyer
24:29 toutes leurs ordures qu'ils ont cachées sous le tapis,
24:31 le problème c'est qu'on ne pourra même pas leur faire ouvrir les yeux".
24:34 Donc le seul truc qui pourrait être intéressant, c'est d'essayer
24:36 de comprendre le mystère de cette hémiplégie. Moi, je pense
24:38 qu'il faut donner leur cœur à l'inscience pour essayer de comprendre
24:40 comment on peut être aussi aveugle aujourd'hui.
24:42 Voilà pour votre analyse Arthur de Vatrigan.
24:44 La publicité, on revient dans un instant.
24:46 Vous recevrez Ophélie Roch, qui est auteure de "Black Mesa"
24:50 aux éditions Lafon. A tout de suite pour la deuxième partie
24:52 de Face à Beaucoter.
24:56 Il est 20h30, la deuxième partie de Face à Beaucoter.
24:59 C'est dans un instant, mais avant cela, le point sur l'information.
25:02 Isabelle Piboulot.
25:03 Gérard Larcher temporise et exprime sa réticence à engager
25:10 une réforme des institutions, comme le souhaite Emmanuel Macron.
25:13 Dans les colonnes du Parisien, le président du Sénat s'interroge
25:16 sur l'opportunité du moment, quand les sujets d'inflation
25:20 et de crise des services publics semblent prioritaires.
25:23 Pour Gérard Larcher, l'urgence est de retrouver de la proximité
25:27 avec les Français.
25:29 Une vingtaine de diplomates allemands expulsés de Russie
25:32 annoncent du ministère russe des Affaires étrangères
25:35 en représailles, selon lui, à une mesure similaire prise par Berlin
25:39 et condamnée fermement par la diplomatie russe.
25:42 De son côté, l'Allemagne évoque un vol au départ de sa capitale
25:46 avec des membres de l'ambassade russe à bord,
25:49 mais ne précise pas s'il s'agit de diplomates expulsés.
25:53 Et puis en tennis, mauvaise nouvelle pour Novak Djokovic.
25:56 Le numéro 1 mondial a déclaré forfait pour le Masters 1000 de Madrid
26:00 qui commence mercredi.
26:02 Le Serbe doit y renoncer en raison de douleurs aux coudes ou droits.
26:06 Une annonce qui survient deux jours après le forfait de Rafael Nadal,
26:09 blessé au psoas.
26:11 Des absences qui soulèvent des inquiétudes
26:13 à l'approche de Roland Garros le 28 mai.
26:15 Voilà pour le point sur l'information.
26:20 - Bonjour de Vatrigan et Ophélie Roch, bonsoir.
26:22 - Bonsoir.
26:23 - Merci d'être avec nous.
26:24 Vous avez écrit Black Mesa aux éditions Robert Laffont.
26:27 Mathieu Bocoté, pourquoi avoir invité ce soir Ophélie Roch ?
26:31 - Alors, le livre m'est tombé un peu par hasard.
26:34 Black Mesa.
26:35 Vous savez, généralement, la littérature contemporaine
26:37 me tape sur les nerfs, je le confesse, je l'avoue.
26:39 Je vois un livre récemment publié, très rapidement,
26:42 je m'ennuie pour ne pas dire que je m'ennuie.
26:44 Bon, vous imaginez les termes.
26:45 Je lis ça et là, à ma grande surprise, je ne m'ennuie pas du tout.
26:48 J'ai grand plaisir.
26:49 C'est un univers qui n'est pas du tout celui des temps présents.
26:51 Bon, ça se passe aux États-Unis, on aura l'occasion d'en parler.
26:54 C'est un univers rugueux, âpre, c'est un univers de liberté,
26:57 mais c'est aussi un univers de fatalité.
27:00 En fait, c'est tout le contraire, à mon avis,
27:02 de ce qu'est la littérature contemporaine.
27:03 Je suis dit que c'était l'occasion de parler de cette littérature
27:06 avec l'auteur.
27:07 Ophélie Roch, bonsoir.
27:08 - Bonsoir.
27:09 - Alors, j'ai fait une présentation, vous me direz si elle est exacte.
27:11 - Bien sûr.
27:12 - C'est un univers sous le signe...
27:13 Bon, ça se présente comme un western.
27:14 C'est un univers très masculin, c'est un univers âpre,
27:17 c'est un univers où l'intimité psychologisante est plutôt absente.
27:21 C'est un univers finalement...
27:22 Présentez-moi l'univers de ce roman
27:24 et ce qu'il dit de la littérature d'aujourd'hui.
27:26 - Moi, c'est vrai que c'est un univers qui est très masculin
27:29 et c'est ça qui m'intéressait, d'ailleurs.
27:31 Je ne suis pas vraiment très au courant
27:34 de tout ce qui est littérature contemporaine.
27:35 C'est vrai que moi, je connais surtout la littérature du passé.
27:38 Après passer 1950, les livres me tombent un peu des mains
27:42 et j'avais vraiment envie d'explorer ça,
27:44 d'explorer une littérature qui soit...
27:47 Oui, rude, la rudesse.
27:49 Ça me semblait important de mettre ça...
27:52 de m'investir là-dedans et puis surtout,
27:54 d'explorer quelque chose que je ne connaissais pas,
27:57 qui était tout ce qui était le far west.
27:59 Et j'ai pris vraiment beaucoup de plaisir, en fait,
28:01 à écrire au fil de la plume l'aventure.
28:04 Et chapitre après chapitre, après, je regardais un petit peu
28:07 si les sources historiques étaient réelles,
28:08 mais je tenais à faire quelque chose qui soit réel, vraiment.
28:11 Et pour mettre en valeur, en fait, l'odyssée
28:13 entre un père et son fils et qui apprennent à communiquer
28:17 difficilement à travers une terre qui est hostile.
28:20 - Alors, vous nous dites un univers très masculin.
28:22 - Oui.
28:23 - Alors, nous sommes, vous le savez, dans une époque
28:24 où il y a des critiques, le masculin et le féminin n'existaient pas,
28:26 l'homme et la femme non plus.
28:28 Alors, je vous pose la question, vous qui êtes une femme,
28:30 à tout le moins, j'espère de ne pas vous mégenrer.
28:31 - Non, non, non, non, non, non.
28:32 - Vous êtes une femme, d'accord, on part bien.
28:33 Alors, la question, c'est toujours,
28:35 qu'est-ce qu'une écriture, qu'est-ce qu'un point de vue
28:37 masculin sur le monde? Comment le décriez-vous?
28:40 - Moi, après, c'est vrai que j'ai...
28:42 Le fait vraiment d'être environné d'auteurs
28:45 qui sont souvent des auteurs masculins,
28:47 parce que dans la littérature française,
28:48 si on prend les débuts jusqu'à maintenant,
28:50 il y a eu quand même beaucoup d'auteurs masculins.
28:52 Pour moi, c'est une littérature qui ne tourne pas
28:56 l'ordre de l'intime.
28:58 On peut avoir un regard sur le monde
29:00 qui est un regard beaucoup plus franc, en général.
29:02 On demande souvent d'une littérature féminine,
29:04 qu'elle soit psychologisante à l'extrême,
29:07 qu'elle soit un peu précieuse,
29:09 qu'elle soit un petit peu polissée,
29:11 qu'elle ne soit pas dans la rudesse.
29:13 Moi, ce qui m'intéressait, en fait, c'est le nom.
29:15 C'est la littérature un peu à la Céline.
29:17 C'est quelque chose qui soit direct,
29:19 c'est quelque chose qui ose dire les mots,
29:21 c'est quelque chose qui n'ose...
29:23 Enfin, voilà, qui s'assume, en fait.
29:24 Je voulais une littérature qui s'assume
29:26 et je voulais, tout simplement,
29:28 qu'on puisse faire parler de deux écritures,
29:31 c'est-à-dire une écriture qui soit très descriptive
29:33 dans les paysages, une écriture qui soit très immédiate,
29:36 très presque torturée dans les dialogues,
29:38 en fait, entre les deux personnages.
29:40 - Alors, il y a un contraste dans votre livre qui m'a marqué.
29:42 D'un côté, c'est le langage de la quête,
29:44 deux personnes qui partent de Chicago,
29:46 qui partent dans le Grand Ouest dans l'espoir
29:48 de rejoindre une ville et de refaire leur vie, finalement.
29:51 C'est le rêve américain.
29:52 Et en même temps, c'est deux aventures plutôt tristes,
29:55 plutôt, j'allais dire, ordinaires,
29:57 mais, enfin, des individus plutôt mutilés,
29:59 plutôt abîmés.
30:00 - Oui.
30:01 - Donc, c'est la conjugaison à la fois du grand récit
30:03 et d'existence mutilée.
30:04 Comment vous jouez cet espèce de contraste?
30:06 - En fait, ce qui m'intéressait, c'était vraiment le fait
30:10 de me dire qu'est-ce qui peut pousser quelqu'un
30:14 à se sentir, finalement, rejeté dans la vie.
30:17 Alors là, on est en plus dans le Chicago industriel
30:20 de la fin du 19e.
30:21 Donc, c'est une cité qui est en cancer permanent,
30:24 avec des métastases dans tous les sens.
30:26 La ville, elle est en train de craquer.
30:28 La personne perd son doigt dans un abattoir.
30:30 Et soudain, en fait, il y a eu un déclic qui est la fuite.
30:34 La fuite.
30:35 La fuite et on traverse tout.
30:37 On ne réfléchit plus vraiment à ce qui se passe.
30:39 Et on est dans la survie et on est dans l'immédiateté.
30:42 Et c'était vraiment ça que je voulais...
30:45 En tout cas, mettre des mots dessus.
30:48 - Alors, une autre chose qui m'a frappée dans le livre,
30:50 et ensuite, je passe la parole à Arthur Levatrigain.
30:52 On est aujourd'hui, je trouve, dans une littérature
30:55 très souvent moralisatrice.
30:57 Bien, mal, gentil, pas gentil.
31:00 Et là, vous me corrigerez, mais vous ne jugez pas
31:03 vos personnages.
31:05 Vos personnages se frappent, se tuent, copulent,
31:08 se trahissent, et ainsi de suite, se massacrent quelquefois.
31:12 Et vous ne les jugez pas.
31:14 Expliquez-moi.
31:16 - Ce n'est pas mon rôle de juger, en fait.
31:18 Je pense qu'on décrit quelque chose,
31:20 qu'on décrit des personnages, même s'ils sont fictifs.
31:22 On n'a pas à les juger.
31:24 Après, c'est à chaque lecteur de faire son opinion.
31:26 Vous pouvez décider que c'est bien,
31:28 vous pouvez décider que c'est mal,
31:30 mais je trouve que ça n'a pas d'intérêt.
31:32 Je décris ce qu'on peut voir dans la vie.
31:35 Après, c'est à chacun de mettre son ressenti dessus.
31:38 Il n'y a pas là-dessus...
31:40 Ce n'est pas au rôle, je pense, de la littérature
31:42 de faire des leçons de morale.
31:44 Il y a d'autres choses pour ça,
31:46 il y a d'autres lieux pour ça,
31:48 il y a des manuels de morale qui existaient avant.
31:50 Moi, ce qui m'intéresse simplement,
31:52 c'est la vie, une tranche de vie qui soit brute.
31:55 Ce n'est pas mon rôle de mettre un filtre dessus.
31:58 Je pense que les lecteurs sont suffisamment intelligents
32:01 pour ne pas eux-mêmes avoir leur propre avis
32:03 sans qu'on les guide.
32:05 C'est ça qui m'intéressait, c'était de me dire
32:07 que chacun est libre de voir dans les actes des personnages
32:11 ce qu'il a envie de voir.
32:13 Ce n'est pas à moi de juger, ça ne m'appartient presque plus.
32:16 - Arthur de Matrigan.
32:18 - Comment une Française s'intéresse à ce genre particulier,
32:22 du western littéraire,
32:24 et à cette imaginaire-là ?
32:27 En même temps, ce qui est fascinant,
32:29 c'est que c'est très anticonformiste
32:31 parce que la nature n'est pas vachement aimable,
32:33 au contraire, c'est un danger permanent,
32:35 ce qui est l'inverse de ce qu'on voit aujourd'hui.
32:37 Il n'y a pas de faux semblants,
32:39 on voit l'intérêt d'avoir un homme, un vrai,
32:41 une femme, une vraie,
32:43 ce que ça apporte,
32:45 et ce contraste entre nature sauvage et civilisation.
32:47 Comment vous êtes plongé dans cet univers-là ?
32:49 Est-ce que vous avez découvert des choses ?
32:51 Est-ce que de venir à l'essentiel, c'était l'objectif de votre livre ?
32:54 - En fait, je n'ai pas découvert que c'est un...
32:58 Je n'avais jamais lu de Far West avant,
33:00 mais le western, ce n'était pas un genre que je connaissais.
33:03 Et j'ai eu un déclic en lisant un livre
33:06 qui s'appelle "Les marges de l'Amérique"
33:08 aux éditions Galmester,
33:10 et je me suis dit "Ah, c'est intéressant,
33:12 il y a un côté un peu brut que je n'ai pas l'habitude de lire,
33:14 et je trouve ça assez pertinent."
33:16 Et puis surtout, en fait,
33:18 je n'arrive pas forcément à écrire sur des choses que je connais.
33:21 J'ai le sentiment que le fait de les connaître déjà
33:23 est suffisant en soi,
33:25 et du coup, je n'arrive pas à mettre forcément de mots,
33:27 parce que je m'ennuie un peu dans le processus d'écriture.
33:30 Et là, j'avais envie d'être un peu perdue comme personnage,
33:33 c'est-à-dire je ne sais pas où ils vont,
33:35 ils ne savent pas où ils vont,
33:37 et c'est ensemble qu'on avance.
33:39 Et ensuite, par la suite, pour ne pas dire de bêtises,
33:42 j'ai tout un travail de recherche sur la végétation qui est décrite,
33:46 les villes, le mode de vie.
33:48 Je ne voulais pas dire de bêtises,
33:50 parce qu'on ne peut pas dire de bêtises quand on veut parler de la Terre,
33:52 de toute façon, je pense que ce serait quelque chose qui serait assez maladroit.
33:56 Par contre, je voulais être guidée,
33:58 je voulais que ce soit mon désert,
34:00 et de cette vision de mon désert,
34:02 je voulais après en faire quelque chose qui soit réel.
34:05 Et la coloration, je voulais vraiment que ce soit mes couleurs, en fait.
34:09 Et c'est après seulement, une fois que le livre a été édité,
34:12 que je me suis permise de lire finalement d'autres westerns,
34:15 et que je me suis dit, ah mais en fait, je n'ai pas tapé si loin que ça.
34:19 Je retrouve dans mon livre des figures qu'on peut retrouver dans un roman
34:25 comme "Lonesome Dove" ou des choses comme ça,
34:27 et je me suis dit, bon, ça a été, à mon sens, je n'ai pas trahi le genre.
34:31 Je ne le connaissais pas, mais j'ai le sentiment que j'en ai fait un exemplaire
34:35 qui est assez... qui rend hommage, en fait.
34:39 Je ne pense pas que ce soit une trahison.
34:41 - Alors, il y a quelque chose qui est le propre du western,
34:44 c'est l'imaginaire de la liberté en général.
34:46 C'est le contraste de nos sociétés très enrégimentées,
34:49 très bureaucratisées, très encadrées.
34:51 Est-ce que vous présentez... Je poserai la question par effet détour,
34:55 mais est-ce que la part manquante pour vous de la littérature contemporaine,
34:58 c'est justement cette liberté, cette part de la vie qui émerge,
35:02 la vie irruptive, est-ce que c'est un peu la part manquante
35:04 de la littérature contemporaine?
35:06 - Alors, je ne pourrais pas vous dire...
35:08 C'est vrai que la littérature contemporaine, je ne la connais pas très bien,
35:10 donc ça ne me permettrait pas d'avoir un jugement général.
35:12 En revanche, ce qui est vrai, c'est que quand on va dans une librairie,
35:15 les livres qui, moi, en tout cas, m'attirent,
35:17 sont souvent des livres qui sont soit des traductions,
35:20 par exemple, je trouve que la littérature américaine
35:23 est parfois bien plus vivante.
35:26 Dans la littérature française, j'ai le sentiment quand même
35:30 qu'on est resté dans une forme de schéma qui est assez conventionnelle,
35:33 avec des intrigues qui sont souvent nouées d'une certaine manière,
35:38 avec un dénouement qui est un petit peu attendu.
35:40 Et je ne voyais pas trop l'intérêt, en fait,
35:43 de rajouter un livre à cette pile-là.
35:45 Et j'avais vraiment...
35:47 Non, j'avais vraiment envie de remettre un peu la liberté au centre,
35:50 la liberté et aussi une volonté de questionner le rapport de l'homme
35:54 face à la nature, sans l'idéaliser, la nature,
35:57 parce qu'elle n'est pas forcément merveilleuse, la nature.
36:00 Elle est aussi âpre, mais elle a le mérite,
36:03 à l'inverse de la société, de laisser chaque individu
36:06 face à celle-ci et réagir selon ses moyens.
36:10 C'est ça qui m'intéressait, c'était vraiment de me dire
36:13 qu'est-ce qu'on fait quand on est dans des situations compliquées,
36:16 face à une nature qui est hostile.
36:18 Et en effet, je pense que les romans qui se concentrent trop
36:22 sur tout ce qui est des phénomènes de société très actuel,
36:25 c'est très compliqué de juger la société.
36:28 On est là-dedans, on est maintenant,
36:30 et je trouve qu'on ne fait pas forcément quelque chose de pertinent.
36:33 En tout cas, pour moi, je trouve que c'est plus pertinent
36:36 d'aborder des thématiques du présent, mais sous un prisme du passé.
36:40 Ça nous permet en tout cas une liberté de ton
36:43 que je n'aurais pas forcément osé avec un roman contemporain.
36:47 - La nature, elle est âpre, mais elle est cruelle.
36:50 Vous en voilà des hommes qui se déploient,
36:52 qui cherchent désespérément à faire quelque chose.
36:55 Ils ont la certitude, je ne sais jamais,
36:57 mais tout sera balayé, tout sera un jour oublié,
37:00 il restera des petites traces.
37:02 On a l'impression que c'est le roman de la vanité, de la liberté humaine.
37:05 - Oui, c'est un roman de la vanité,
37:08 c'est un roman sur la fragilité de l'homme
37:10 et le fait qu'il ne laisse que des traces derrière lui.
37:14 C'est ça que je voulais faire,
37:16 c'est un roman de personnes qui tentent de s'enraciner quelque part
37:20 et qui n'arrivent à s'enraciner nulle part.
37:22 C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'ils pensent rencontrer une belle personne,
37:25 la vie lui enlève.
37:27 Quand ils pensent enfin trouver leur terre,
37:30 ils tentent de la dompter et ils n'y arrivent pas.
37:35 C'est un roman de l'échec,
37:37 mais en même temps c'était cet échec-là
37:39 de dire est-ce que c'est si grave que ça qu'ils n'y arrivent pas ?
37:43 Est-ce que finalement, ce qui n'est pas le plus beau,
37:45 c'est de voir qu'à aucun moment ils ne renoncent ?
37:48 C'était ça que je...
37:51 qui à mon sens, c'est un livre qui est dur,
37:53 mais qui n'est pas désespéré,
37:55 parce que finalement, peu importe le résultat final.
37:58 Ce qui compte, c'est même si la trace est minime,
38:01 même si la trace, c'était la roue d'un chariot
38:04 qui à un moment a fait une petite trace éphémère sur le sable
38:07 et qu'elle a duré une semaine,
38:09 elle a au moins duré une semaine.
38:11 Et ça, c'était très intéressant pour moi d'explorer ça,
38:16 parce que je pense qu'en effet,
38:18 on est dans un monde où chacun veut
38:20 tirer un peu la couverture à soi,
38:22 avoir une forme de durabilité, de permanence,
38:25 et je ne suis pas sûre qu'en fait la permanence
38:28 soit réellement quelque chose qui existe pour l'humain.
38:31 - Alors, roman âpre, roman sévère, roman dur,
38:35 avec un vocabulaire qui quelquefois pourrait...
38:38 J'imagine les censeurs de notre temps.
38:40 Et je prendrai prétexte, vous êtes écrivain, auteur,
38:43 je ne sais plus quel terme utiliser aujourd'hui.
38:46 Vous le noterez,
38:48 je me mets dans la peau des censeurs d'aujourd'hui,
38:51 je lis votre livre, je me dis aïe, aïe, aïe,
38:53 je vais me faire dire là-dedans,
38:55 on pourrait le faire réécrire par un correcteur de sensibilité.
38:58 Vous avez vu ces derniers temps,
39:00 probablement ces controverses autour de Roald Dahl,
39:03 de Jan Fleming, d'Agatha Christie.
39:05 Toute une série de livres, d'oeuvres qui sont réécrites
39:08 en fonction des exigences morales du présent.
39:11 Je suis très curieux, comme écrivain, comme auteur,
39:14 comment réagissez-vous à ces tentatives de réécriture?
39:18 - Pour moi, c'est une catastrophe.
39:20 En effet, il y a des choses qu'on pouvait écrire,
39:24 parfois dans le temps,
39:26 et qui, maintenant, seraient jugées inconvenantes.
39:29 Mais à mon sens, retoucher à quelque chose
39:32 qui a été écrite par un auteur,
39:34 pour dire oui, mais alors attention,
39:36 cette pensée est mauvaise,
39:38 il serait bon d'employer un autre mot,
39:40 ce n'est pas parce que vous employez un autre mot
39:42 que la chose n'existe plus, déjà.
39:44 Je crois qu'il y avait eu, en disant,
39:46 oui, tel mot peut être offensant,
39:48 je crois que dans le cas de Dalles,
39:50 il disait une grosse femme,
39:52 en disant que le terme "gros"
39:54 n'est pas un terme sympathique,
39:56 et du coup, il peut être jugé offensant.
39:59 Vous n'empêcherez jamais, de toute façon,
40:02 les personnes de dire un tel est gros, un tel est maigre.
40:05 Enlever le mot n'enlève pas la pensée ou la chose.
40:08 C'est ça que je trouve triste,
40:10 on appauvrit le vocabulaire,
40:12 on appauvrit toutes les nuances,
40:14 mais, in fine, le ressenti des gens
40:16 restera le même,
40:18 il sera juste davantage cadenassé,
40:21 et or, le but de la littérature,
40:23 c'était aussi de faire un peu de la catharsis,
40:25 c'est-à-dire utiliser parfois des mots
40:27 qui sont violents ou grossiers,
40:29 ça n'amène pas forcément à la vulgarité
40:31 ou à la violence, au contraire,
40:33 c'est une manière de détacher
40:35 un peu émotionnellement d'émotions
40:37 qui peuvent être fortes,
40:39 de mettre un mot qui peut être dur,
40:41 et une fois que le mot dur est mis,
40:43 vous pouvez aussi, grâce à celui-là,
40:45 vous faire un peu de la violence.
40:47 Donc, à mon sens, l'affadissement de tout
40:49 ne va pas faire une société qui soit plus idyllique,
40:51 ça va être une société qui va être plus hypocrite,
40:53 et c'est tout, en fait.
40:55 - Sur la question de la censure de la littérature,
40:57 Arsène Vatrigan, et je vous relance ensuite
40:59 sur un sujet terrible, l'écriture inclusive.
41:01 Arsène Vatrigan.
41:03 - Dans une époque qui est saturée par la fiction,
41:05 cinéma, télé, mais surtout les plateformes,
41:07 comment la littérature peut se situer ?
41:09 - Je pense que c'est compliqué,
41:11 parce que l'image est omniprésente,
41:13 elle est immédiate, et on voit que les gens
41:15 ont de plus en plus de mal, parfois,
41:17 à se concentrer sur un roman
41:19 qui soit trop long.
41:21 Alors, c'est pas forcément vrai pour tout le monde,
41:23 heureusement, il y a des gens qui aiment bien lire
41:25 les grandes sagas et qui prennent un plaisir.
41:27 Je pense que le vrai souci
41:29 de la littérature,
41:31 c'est savoir comment se positionner.
41:33 Elle aura jamais l'attrait de l'image animée,
41:35 et par contre,
41:37 elle a une chose qui est exceptionnelle,
41:39 et que les autres médias n'ont pas,
41:41 c'est que vous êtes co-auteurs de l'histoire,
41:43 quand vous lisez un livre,
41:45 moi, je donne les teintes, mais à chacun d'imaginer
41:47 la forme qu'il veut, ou la nuance qu'il veut,
41:49 et ça, je trouve que c'est
41:51 un petit peu dommage que la littérature
41:53 ait de plus en plus de mal
41:55 à s'assumer comme telle,
41:57 ou parfois, elle essaye de plagier
41:59 un petit peu sur d'autres choses,
42:01 elle essaye de tenter des formats
42:03 qui soient de plus en plus...
42:05 euh...
42:07 basés sur ce qu'on peut voir,
42:09 je pense, un peu TikTok, très bref, très court...
42:11 - Oui, de la série, quoi. - Ouais, de la série,
42:13 et quelque chose de sériel,
42:15 et en fait, non, moi, je pense qu'un livre,
42:17 il se suffit à lui-même,
42:19 et c'est encore miraculeux que ça existe en format papier,
42:21 et j'espère
42:23 qu'il y aura une résistance littéraire
42:25 là-dessus, et qu'on va pas se passer de ça,
42:27 parce que, à force d'avoir des images
42:29 qui soient toutes prêtes,
42:31 et qui vous soient fournies directement,
42:33 l'imaginaire de chacun,
42:35 je trouve, ça me nuise, en fait,
42:37 et je trouve que c'est un vrai plaisir de lecteur,
42:39 de se dire que le livre qu'on lit,
42:41 on a été co-auteurs, en fait,
42:43 alors que la série que je regarde,
42:45 bah, j'ai pas servi à grand-chose, en fait,
42:47 elle m'a été livrée clé en main,
42:49 et tant mieux si je l'ai appréciée,
42:51 tant pis si je l'ai pas aimée, mais...
42:53 - Votre réponse m'inspire une autre question
42:55 avant d'arriver à l'écriture inclusive,
42:57 dont j'aime dire du mal,
42:59 c'est... vous êtes enseignante aussi.
43:01 - Oui. - C'est mon seul.
43:03 Vous avez devant vous de jeunes hommes, de jeunes femmes,
43:05 à quoi ressemble leur imaginaire?
43:07 Si c'est un imaginaire formé par,
43:09 aujourd'hui, les écrans, globalement,
43:11 très peu par le texte, très peu par la littérature,
43:13 comment leur imaginaire est-ce qu'il est congelé,
43:15 est-ce qu'il est neutralisé?
43:17 Est-ce que la littérature peut encore leur parler?
43:19 - Oui, je pense qu'elle peut encore leur parler.
43:21 Alors, c'est sûr que la première préoccupation,
43:23 en général, quand on conseille un livre à un enfant,
43:25 ça va être combien de pages il fait?
43:27 Donc, là, c'est sûr qu'il faut apprendre,
43:29 en disant, mais tu sais, le temps long, c'est pas grave,
43:31 ça se négocie, ça se gère.
43:33 C'est quelque chose qui est aussi curieux, je pense,
43:35 que celle qui nous ont précédé, sauf qu'à l'inverse de,
43:37 ne serait-ce que de la mienne,
43:39 il y a quelque chose qui est, à mon sens,
43:41 pire que la télé, qui est tout simplement
43:43 le smartphone avec les applications.
43:45 Et, en fait, le temps d'attention
43:47 est fragmenté de plus en plus.
43:49 C'est-à-dire qu'on a face à nous
43:51 des jeunes élèves
43:53 qui sont intéressés par plein de choses,
43:55 mais qui n'arrivent pas à s'intéresser
43:57 par des plages de temps qui sont de plus en plus réduites.
43:59 Et donc, je n'enseigne pas,
44:01 depuis très longtemps,
44:03 j'enseigne depuis 5 ans,
44:05 et chaque année, j'ai le sentiment qu'il faut
44:07 toujours aller les rechercher
44:09 à un moment pour recapter une intention.
44:11 Il faut toujours, toujours,
44:13 en fait, tenter de...
44:15 de faire un peu le buzz, en fait.
44:17 Quand on fait cours, il faut faire un buzz
44:19 tous les 5 minutes pour que l'élève se réveille
44:21 et capte votre discours.
44:23 Et de ça, il faut réussir
44:25 progressivement en disant,
44:27 on va commencer un chapitre par un chapitre,
44:29 et puis on va y aller.
44:31 Il faut redonner l'envie de se dire,
44:33 oui, un livre, ça met du temps, parfois, à lire,
44:35 mais c'est surtout ça qui est intéressant.
44:37 C'est le temps que tu vas passer à la lecture,
44:39 c'est le temps qu'on accorde à un auteur,
44:41 c'est le temps qu'on s'accorde à soi-même.
44:43 Et pour avoir fait une sortie scolaire
44:45 au théâtre, voir une représentation
44:47 de Cyrano avec des classes de 4e
44:49 vendredi dernier,
44:51 les 5 premières minutes,
44:53 c'est un peu, voilà, on sent que le public
44:55 est très dispersé,
44:57 pas vraiment attentif,
44:59 et puis au bout d'un moment, il se laisse à paix
45:01 par cette histoire, qui est pourtant,
45:03 Cyrano, c'est une histoire qui est très belle,
45:05 mais c'est une histoire qui est très conventionnelle,
45:07 qui, sur scène, c'est quand même 2h sur scène,
45:09 dans le noir, et en fait, ils se font toujours
45:11 à paix, c'est-à-dire qu'ils sont toujours rétifs
45:13 au début, et ils se font toujours à paix
45:15 par la suite. C'est ça qui est assez fascinant,
45:17 c'est de dire, il faut
45:19 passer les premières minutes,
45:21 et ça, je pense que c'est
45:23 vrai pour n'importe qui.
45:25 - Nous restent 2 minutes, je vous pose la question.
45:27 Aujourd'hui, vous voyez probablement
45:29 cette épidémie de l'écriture inclusive
45:31 qui se répand dans les organisations, les syndicats,
45:33 les universités, quelques fois dans la presse,
45:35 comment réagissez-vous comme écrivain
45:37 devant l'écriture inclusive?
45:39 C'est un danger, c'est une mode?
45:41 - Je ne sais pas si c'est un danger, et je n'irai pas
45:43 jusque-là. Si c'est une mode, encore une fois,
45:45 est-ce que ce serait une mode durable ou pas?
45:47 C'est la grande question. Je n'ai rien
45:49 contre spécifiquement, même si je ne
45:51 porte pas cet étendard-là. À mon sens,
45:53 la langue française a été déjà suffisamment riche
45:55 et complexe sans forcément se
45:57 ressentir obligée de mettre
45:59 à chaque fois la marque du féminin
46:01 ou comme s'il y avait une revanche à prendre
46:03 sur la langue française, mais
46:05 à mon sens, la langue française ne maltraitait
46:07 pas les femmes, en fait. La langue des années
46:09 20 ne maltraite pas les femmes.
46:11 La langue de nos jours, moi,
46:13 il y a certains mots que j'ai encore du mal
46:15 à entendre. Autrice, je trouve que c'est un mot
46:17 qui est très désagréable
46:19 à l'oreille. Après, s'il y en a
46:21 certaines personnes se sentent
46:23 en effet
46:25 presque humiliées d'avoir un terme qui soit
46:27 générique et au bien aux hommes et bien aux femmes.
46:29 Tant mieux si ça existe. En tout cas,
46:31 moi, ce n'est pas un combat que je trouve
46:33 très intéressant à mener parce qu'à mon sens,
46:35 il y a vraiment des vrais combats
46:37 contre certains phénomènes
46:39 qui peuvent être
46:41 vraiment des vraies inégalités, mais ça, sur une histoire
46:43 de l'être en plus ou en moins,
46:45 je me sens très peu concernée.
46:47 Pourtant, je suis une jeune femme et je devrais,
46:49 mais ça me passe un peu à côté.
46:51 - Il nous reste 40 secondes. Vous le savez, aujourd'hui,
46:53 on l'a évoqué, réécriture des oeuvres
46:55 en fonction des critères moraux d'aujourd'hui.
46:57 Si demain ou après-demain, on cherche à réécrire
46:59 les grands classiques, mon passé et d'autres
47:01 en écriture inclusive, vous faites barrage,
47:03 vous dites que c'est légitime, ça existe aussi?
47:05 - Je pense que je garderai les anciennes versions
47:07 pour moi et je les garderai
47:09 précieusement et j'essaierai
47:11 de faire en sorte qu'elles ne disparaissent pas
47:13 parce qu'à mon sens, on ne peut pas...
47:15 Je comprends qu'il y ait une volonté
47:17 du présent de faire les choses avec les normes du présent
47:19 et ça ne me choque pas. Par contre, le passé,
47:21 il est derrière et qu'on laisse
47:23 un peu les auteurs morts tranquilles.
47:25 Je pense qu'ils n'ont pas envie qu'on vienne les déterrer
47:27 et qu'on vienne changer
47:29 leur texte. Je pense qu'on les laisse tranquilles,
47:31 que les auteurs du présent
47:33 écrivent au présent et que les auteurs
47:35 du passé, on les laisse dans le passé.
47:37 - C'était passionnant. Merci beaucoup
47:39 Ophélie Roch et je rappelle votre ouvrage
47:41 "Black Mesa" aux éditions.
47:43 - Robert Lafond.
47:45 Arthur Devadrigan, merci.
47:47 Mathieu Beaucote, merci.
47:49 - Ça va, Rab.
47:51 - Il sait que j'adore cette expression
47:53 "qu'elle m'arrête". Allez, dans un instant,
47:55 c'est "Ivan Rioufol".
47:57 A demain.
47:59 [Musique]