Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote
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00:00 Il est quasiment 20h sur CNews dans un instant, c'est cette émission exceptionnelle de
00:05 Mathieu Bocoté face à Alain Finkielkraut.
00:08 Mais avant cela, on fait le point sur l'information.
00:09 L'enquête sur la disparition de Leslie et Kevin dans les Deux-Sèvres progresse.
00:18 Deuxième suspect mis en examen pour assassinat.
00:21 L'homme a été placé en détention provisoire.
00:24 Deux corps ont été retrouvés en Charente-Maritime, non loin du domicile d'un autre suspect
00:29 également mis en examen hier soir pour assassinat.
00:32 Les dépouilles, elles, seront autopsiées en début de semaine prochaine à Pontoise.
00:37 En visite au Salon de l'agriculture, Gabriel Attal hausse le ton contre les syndicats qui
00:42 souhaitent mettre la France à l'arrêt mardi.
00:45 Le ministre des Comptes publics dénonce des grèves qui vont bloquer les Français en mettant
00:50 les travailleurs à genoux.
00:51 Gabriel Attal appelle les opposants à la réforme, à la responsabilité et je cite
00:56 "à sortir de l'hypocrisie".
00:58 Giorgia Meloni sous le feu des critiques.
01:01 La première ministre italienne rejette toute responsabilité dans le naufrage de migrants
01:06 dimanche dernier.
01:07 La justice italienne interroge sur l'arrivée tardive des secours.
01:11 Mais Giorgia Meloni l'affirme, nous n'avons aussi aucun signalement d'urgence de Frontex,
01:16 l'agence européenne de surveillance des frontières.
01:18 Au moins 69 migrants ont perdu la vie dans le sud de l'Italie.
01:26 Un invité exceptionnel, émission Pas comme les autres.
01:29 Alain Finkielkraut va répondre ce soir aux questions de Mathieu Bocoté et Arthur de
01:33 Vatrigan.
01:34 La littérature d'abord.
01:35 Que pense Alain Finkielkraut de ces livres que l'on réécrit pour supprimer des références
01:39 jugées offensantes ? Peut-on gommer les plumes du passé pour mieux répondre à la bien-pensance
01:44 du présent ? Au cœur du débat également ce soir, le
01:48 wokisme s'invite dans les universités.
01:50 Idéologie accueillie à bras ouverts par une partie des enseignants et des étudiants.
01:54 Quand la majorité silencieuse plie face à la minorité wok bruyante, que faire ?
02:00 Élément de réponse dans un instant.
02:02 Enfin, dans l'horreur de la guerre lancée par la Russie, il y a la renaissance d'une
02:07 nation, l'Ukraine.
02:08 La question de la nation traverse l'œuvre d'Alain Finkielkraut.
02:11 Ukraine, Israël, France, comment se pose-t-elle alors que certains contestent le droit à
02:16 la continuité historique de la France ? Voilà pour le programme Face à Bocoté.
02:20 C'est parti, on est avec Mathieu.
02:21 Bonsoir Mathieu.
02:22 Bonsoir.
02:23 Mathieu, c'est Arthur de Vatrigan, directeur de L'Incorrect.
02:25 Bonsoir.
02:26 Il y a de grands bruits en ce moment, cher Arthur de Vatrigan.
02:28 Et puis, Alain Finkielkraut, merci d'être avec nous.
02:31 C'est un honneur d'être présent et de vous écouter ce soir.
02:34 Pourquoi avez-vous invité Alain Finkielkraut, Mathieu Bocoté ?
02:38 Alors, souvent dans l'actualité, lorsque certaines questions fondamentales émergent,
02:41 je me dis qu'en pense Alain Finkielkraut ? Et, alors évidemment, il y a la question
02:46 nationale qui est centrale dans son œuvre et nous y reviendrons.
02:48 Mais ces derniers temps, j'étais frappé comme d'autres par l'émergence…
02:52 Non, on a souvent parlé ces derniers temps, vous savez, des lecteurs de sensibilité.
02:56 Les lecteurs de sensibilité qui, dans les maisons d'édition, aujourd'hui reçoivent
02:59 les textes et les purgent pour s'assurer qu'il n'y ait pas de propos qui pourraient
03:03 vexer les minorités.
03:04 Mais là, on a traversé une nouvelle étape récemment.
03:07 On se permet désormais de réécrire les œuvres déjà parues pour les expurger, pour
03:12 les vider au passé.
03:14 Donc, quelquefois, on vide les textes, quelquefois, on les réécrit.
03:17 Et je me suis dit que sur cette question, Alain Finkielkraut serait particulièrement.
03:20 Alain Finkielkraut, bonsoir.
03:21 Bonsoir.
03:22 Alors, je vais vous donner quelques exemples, justement, de cette réécriture nouvelle.
03:24 On en parle depuis quelques semaines, mais je crois qu'on n'a pas été au fond des
03:27 choses de cette réécriture des textes.
03:30 Je donne l'exemple de Roald Dahl, Roald Dahl, l'univers de Charlie et la chocolaterie.
03:33 Donc, un exemple parmi d'autres, dans la version d'origine.
03:37 On parle des femmes.
03:38 Même si elle travaille comme caissière dans un supermarché ou tape des lettres pour un
03:42 homme d'affaires, devient, même si elle travaille comme scientifique de haut niveau
03:47 ou dirige une entreprise.
03:49 De la même manière, d'un jeune garçon, on disait qu'il était gros.
03:52 Désormais, on dit qu'il est énorme.
03:54 Apparemment, c'est moins pire.
03:55 Et on ajoute surtout qu'on a biffé un passage pour ne pas tomber dans l'obésophobie.
03:59 On disait « tu devrais faire un régime ». On biffe le passage « tu devrais faire un régime ».
04:05 Et ensuite, référence à Joseph Conrad, trop masculine, trop blanche probablement, trop
04:10 occidentale, trop colonial, remplacé par une référence à Jane Austen.
04:14 Apparemment, ça passerait davantage de taison.
04:16 Que vous inspire cette entreprise aujourd'hui, non seulement, comme je dis, de soumission
04:20 de la littérature présente et à venir au politiquement correct, mais plus encore celle
04:23 qui a déjà existé ?
04:24 Je suis comme vous, effaré et scandalisé.
04:30 La littérature avait, si j'ose dire, prévu le coup.
04:34 Je pense notamment au roman de Patrice Jean « L'homme surnuméraire ». Dans ce roman,
04:39 le héros est chargé de réécrire la littérature classique pour la conformer au canon du présent.
04:49 Alors, ce n'est pas la première fois que la censure frappe, même la censure rétrospective,
04:56 voire la réécriture.
04:57 Simplement, il ne faut pas se tromper d'époque.
04:59 Nous ne vivons pas une espèce de renouveau du puritanisme.
05:04 Ce n'est pas l'idéal ascétique qui inspire cette réécriture ou ces sensitivity readers,
05:15 c'est l'idéal égalitaire.
05:16 On ne traque pas le péché de la chair, on pourchasse les discriminations.
05:25 C'est-à-dire, il ne faut pas offenser les minorités religieuses, ethniques ou sexuelles.
05:35 Et ça montre bien que le wokisme, dont nous parlerons plus largement, est un véritable
05:40 vandalisme.
05:42 Mais comme il ne s'agit plus de débusquer la discrimination, la domination, l'exclusion
05:51 et non pas le plaisir charnel, ce n'est pas une entreprise rétrograde à quoi nous
06:00 avons affaire.
06:01 C'est une entreprise progressiste.
06:04 Et c'est la raison pour laquelle nous devons particulièrement nous inquiéter.
06:09 Alors, je pense qu'avec l'affaire Roald Dahl, on est allé très loin.
06:15 Donc il y aura peut-être un coup d'arrêt, mais surtout, quand on va si loin et qu'on
06:23 dit aux éveillés, à ceux qui disent « stay woke, soyez éveillés », que vraiment ils
06:28 sont dangereux, ils vous répondent non, nous n'acceptons pas de réécrire les textes,
06:35 surtout les exemples grotesques que vous donnez.
06:38 Mais ce sont des excès anecdotiques.
06:41 Ce sont des cas marginaux qu'on monte en épingle pour provoquer une panique morale
06:51 et discréditer l'émancipation.
06:54 La grande caractéristique du mouvement woke, c'est qu'il s'étend un peu partout,
07:03 notamment dans les universités, tout en prétendant qu'il n'existe que dans l'esprit
07:08 de ses détracteurs.
07:09 Il attaque et dit « je n'existe pas ». Et les plus wokes vous disent que le wokisme
07:16 est un fantasme réactionnaire inventé parce qu'on ne supporte pas le grand mouvement
07:23 vers l'émancipation générale.
07:25 Alors vous nous dites que c'est une censure progressiste.
07:28 Je propose une comparaison que je devine que vous ne ferez peut-être pas votre, mais je
07:32 me permets quand même de vous la suggérer.
07:34 Est-ce qu'il n'y a pas un écho de ce que pouvait être la censure dans une logique
07:39 soviétique?
07:40 Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de totalitaire à cette idée que le passé
07:43 est intégralement malléable, qu'il n'y a plus rien d'irréductible?
07:46 Je ne dis pas que c'est un régime totalitaire.
07:48 Je dis que les structures de pensée qui nous conduisent à purger les textes au passé
07:52 pour s'assurer qu'il n'y ait plus la moindre trace d'altérité dans les œuvres
07:56 ou dans les statuts, dans l'espace public, dans la poésie, dans le cinéma, est-ce
08:00 que les structures de pensée qui nous conduisent là ne sont pas totalitaires?
08:02 Alors d'abord, même le soviétisme ne réécrivait pas les classiques.
08:09 Ce n'est pas vrai.
08:10 Donc ça, si vous voulez, c'est un pas en avant en plus dans cette logique absolument
08:18 terrifiante.
08:19 Nous vivons un grand moment d'arrogance du présent.
08:23 Et donc, une crise peut-être terminale de l'humanisme.
08:30 L'humanisme au sens de la Renaissance, c'était quoi?
08:33 C'était l'idée que les textes antérieurs ont toujours quelque chose à nous dire et
08:38 même à nous apprendre.
08:39 Ce n'est plus vrai du tout, puisque nous sommes dotés d'une sensibilité absolue.
08:46 Toutes les périodes antérieures de l'histoire avaient leurs angles morts.
08:50 Nous, nous combattons le sexisme, le racisme, la haine anti-LGBT, le validisme, etc.
09:03 Le passé, nous le citons à comparaitre.
09:09 Nous sommes une sorte de grand tribunal.
09:12 Et c'est cette situation qui fait terriblement peur aujourd'hui, parce que ça affecte
09:26 aussi le rapport entre les générations.
09:29 J'ai lu dans Le Monde un article très intéressant intitulé « Quand les étudiants déboulonnent
09:37 les icônes d'hier ».
09:38 Ce sont les étudiants en art et en cinéma aujourd'hui.
09:42 Un exemple tout à fait frappant, deux étudiantes en deuxième année de licence de cinéma
09:51 à la Sorbonne sont très en colère.
09:54 Elles n'aiment pas l'attitude de leur professeur.
09:57 Elles donnent comme exemple cet élève qui a présenté un film sur une femme trans.
10:02 Et le prof ne savait pas comment en parler.
10:06 Il parlait de transsexualité au lieu de transidentité.
10:11 Et elle ajoutait « les profs auraient besoin d'une mise à niveau ».
10:16 Le présent est supérieur au passé, et le passé c'est des adultes eux-mêmes.
10:23 C'est-à-dire que nous vivons l'émergence d'une génération de gardes rouges.
10:29 C'est à cela que ça fait penser.
10:31 Mais c'est presque plus grave parce que ce wokisme ne fera jamais les preuves de la réalité.
10:42 Il y a eu les preuves de la réalité pour le soviétisme, pour le maoïsme, pour le tiamandisme,
10:48 mais pour le wokisme non.
10:50 Donc ça peut en quelque sorte continuer à l'infini.
10:54 On ne voit pas ce qui va arrêter un mouvement pareil.
11:00 Le présent redeviendra-t-il modeste ?
11:03 Parce que le passé, s'il voulait, il était là pour quoi ?
11:07 Pour nous construire.
11:09 Or nous mettons aujourd'hui toute notre science dans la déconstruction du passé.
11:15 Ce renversement a quelque chose de terrible.
11:19 Arthur de Vatrigan.
11:20 Mais justement, cette déconstruction du passé n'est-elle pas le symptôme
11:23 ou n'est-elle pas révélateur de la limite de la culture wok
11:27 dans le sens où la culture wok est omniprésente ?
11:29 On l'a vu avec la rentrée littéraire, on le voit au cinéma, en musique,
11:33 sauf que ça ne rencontre aucun succès commercial.
11:35 Et sans subvention, ça pourrait disparaître.
11:38 Forcément, quand on renouve que le discours n'est pas la forme, ça ne plaît à personne.
11:40 Donc justement, est-ce que cette réécriture n'est pas la révélateur de sa limite ?
11:44 Et donc finalement, peut-être une porte de sortie ?
11:47 Mais je l'espère.
11:49 Mais les précédents, si vous voulez, idéologiques, étaient anticapitalistes par définition.
11:59 Or aujourd'hui, il y a un capitalisme wok.
12:03 Les firmes multinationales se sont emparées goulûment de cette idéologie.
12:10 Coca-Cola, L'Oréal, Dior.
12:13 Vous avez le dernier film d'Alma Dovar, tout à fait extraordinaire.
12:17 Vous avez Penelope Cruz qui aborde un T-shirt Dior,
12:22 qui doit coûter, je ne sais pas, extrêmement cher.
12:24 "We should all be feminists now."
12:28 Et Starbucks avait pour ses employés des adrevitudes d'un T-shirt,
12:35 ça devient le vêtement politique par excellence, un T-shirt Black Lives Matter.
12:40 Donc c'est cette jonction du wokisme et du capitalisme qui prouve que ça marche
12:47 sur un segment suffisamment important de la population.
12:51 Et ces minorités très vocales, il n'y a pas de raison pour qu'elles arrêtent de réclamer.
12:59 Et c'est un mouvement qui n'est même pas une promesse.
13:01 Parce qu'on pourrait dire, bah oui, on pourrait, si vous voulez, mesurer la promesse à la réalité.
13:08 C'est un mouvement critique et hyper critique qui s'enchante de sa supériorité morale.
13:14 Alors dernière question sur ce thème avant de peu à peu progresser vers la question nationale.
13:19 Est-ce qu'on pourrait dire que la prochaine étape de ce mouvement,
13:21 on voit par exemple en ce moment la poursuite engagée contre Dora Muto
13:25 et la tribune d'intellectuels qui se porte à sa défense,
13:29 que reproche-t-on à cette journaliste d'avoir dit à un homme qui s'identifie désormais comme femme
13:34 qu'elle voit en lui ou en elle, ou en y'elle, je ne sais pas, qu'elle voit un homme.
13:40 Et là, pour avoir dit cela, donc pour l'avoir mégenré, pour ne pas avoir accepté,
13:44 vous avez entendu cette histoire, je devine,
13:45 pour ne pas avoir accepté la nouvelle identité de genre de cette personne,
13:49 on l'accuse désormais de propos haineux.
13:51 On dit, comme le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit.
13:53 La transphobie n'est pas une opinion, c'est un délit.
13:56 Au Canada, vous avez probablement vu ça.
13:57 En Ontario, dans une école, un jeune refuse de reconnaître l'existence,
14:02 que des hommes biologiques puissent fréquenter une salle de bain, une toilette féminine.
14:07 Eh bien, il est accusé de transphobie, il ne peut pas revenir à l'école,
14:09 il est accueilli par des policiers.
14:11 Donc, est-ce qu'il n'y a pas une prochaine étape dans tout cela?
14:13 On parle de la censure morale médiatique d'un capitaliste woke,
14:16 à une forme de logique de persécution juridique qui sera la prochaine étape du wokisme.
14:21 Peut-être, si vous voulez, effectivement,
14:23 cette crispation sur la question trans a quelque chose de stupéfiant.
14:32 Mais il faut l'intégrer dans une réflexion générale
14:38 sur la vision de l'histoire dont le wokisme est porteur.
14:43 L'histoire est perçue comme, justement, un lent et inéluctable processus d'émancipation.
14:53 Et l'étape ultime de l'émancipation, c'est évidemment le trans,
14:58 parce que le trans ne s'émancipe pas simplement des pesanteurs politiques, sociaux, etc.
15:06 Il s'émancipe du donné pour lui, pour lui, ou pour elle, ou pour y'elle.
15:12 Le donné, il en fait ce qu'il veut.
15:16 C'est-à-dire, non seulement il n'y a aucune gratitude vis-à-vis du donné,
15:19 mais il y a cette idée qu'un homme, ou qu'une femme, ou qu'un être humain
15:23 ne sera véritablement libre que quand il pourra être son propre fondement,
15:29 se choisir lui-même, être "cosa sui".
15:32 Et donc, voilà pourquoi il y a une telle insistance.
15:37 C'est-à-dire, les trans seront toujours minoritaires, extrêmement minoritaires,
15:42 mais ils donneront à travers leur trajectoire l'illusion à chacun
15:48 qu'il peut choisir complètement son identité,
15:52 être cisgenre, non-binaire, genderfluid, etc.
15:57 Et donc, c'est ce mouvement-là qui fait du trans non pas une exception,
16:06 mais en quelque sorte le héros de l'époque.
16:09 Avant, il y avait le "walking class hero", et maintenant, c'est le trans.
16:13 Alors, est-ce que ça aura la traduction juridique que vous évoquez?
16:18 Oui, c'est possible.
16:19 - Alors, quittons le terrestre du walkisme, quittons cette question
16:22 pour aborder l'autre grande question des temps présents.
16:26 Il y a un peu plus d'un an, nous le savons, l'Ukraine était envahie par la Russie.
16:31 Vous avez consacré une partie importante de votre travail
16:34 au fil des ans à la question nationale.
16:36 La question de la nation est centrale depuis le début des années 90 jusqu'à aujourd'hui.
16:41 Depuis "comment peux-tu être croate?" jusqu'à aujourd'hui.
16:44 Est-ce qu'on peut dire, dans ce conflit qu'on a devant nous,
16:48 est-ce que ce n'est pas une forme de conflit entre la nation et l'empire?
16:51 Donc, un conflit que l'on peine à nommer dans ses termes
16:53 et qui en amène quelques-uns, étrangement des souverainistes français quelquefois,
16:56 à préférer l'empire à la nation.
16:58 Comment comprenez-vous les querelles idéologiques ouvertes par cette évasion?
17:02 Alors, j'ai lu un certain nombre d'ouvrages sur l'Ukraine pour comprendre, pour m'informer.
17:12 Et je pense notamment au petit tract publié par le géographe Michel Fouché,
17:18 "Ukraine-Russie, la carte mentale du duel",
17:21 parce qu'il met l'accent sur un fait que je ne connaissais pas.
17:25 La publication en 1988, par Brzezinski,
17:30 qui était l'ancien secrétaire de la Défense de Jimmy Carter, je crois,
17:34 d'un livre intitulé "Le Grand Échiquier".
17:37 Et il disait que sans l'Ukraine, la Russie cesserait d'être un empire eurasien.
17:44 Il convenait donc, selon lui, de hâter cette évolution
17:48 en rapprochant le nouvel État des structures que l'on commençait à appeler Euro-Atlantique.
17:54 Mais ce qui est très intéressant, c'est que cet ouvrage a été attentivement étudié
18:01 par l'Académie militaire de Moscou dès sa parution.
18:06 Et on l'a vu, on y a décelé,
18:12 le programme stratégique offensif de l'Amérique et de l'Occident
18:19 contre les intérêts russes de sécurité.
18:22 L'OTAN, disait-on dans cette académie militaire,
18:25 en se fondant sur le livre de Brzezinski,
18:30 est une alliance de même nature que l'Axe.
18:33 Et on disait qu'il préparait l'équivalent d'une opération Barbarossa
18:40 contre la Russie.
18:44 C'est tout à fait fascinant.
18:45 Parce que, donc, deux choses.
18:48 En Russie, l'impérialisme est très fort et c'est un impérialisme obsidional.
18:54 Ce qui est tout à fait étonnant.
18:55 Un impérialisme obsidional.
18:56 On se lance dans les conquêtes parce qu'on a peur d'être envahis.
19:00 Et deuxièmement, Poutine a été dans cette affaire intoxiqué par sa propre propagande.
19:07 Il a cru ce qu'il disait.
19:08 Il était intoxiqué par sa propre propagande.
19:10 Troisième remarque, la Russie ne réussit pas
19:15 à se délivrer de sa matrice impériale.
19:19 Voilà, comme vous le disiez.
19:20 Cette politique russe est impériale depuis toujours.
19:25 La Russie a connu des ruptures, a connu des convulsions,
19:29 mais elle n'a jamais abandonné la représentation de soi comme empire.
19:36 Et nous le voyons aujourd'hui.
19:39 En revanche, l'Ukraine, en effet,
19:42 est une nation qui défend d'un seul tenant son identité nationale
19:49 et son ancrage européen.
19:51 Et ça, c'est tout à fait extraordinaire.
19:54 Et ce que je remarque aussi,
19:57 c'est que l'Ukraine a été entendue en Europe,
20:03 en Europe occidentale et en Europe,
20:06 par les opinions, par l'Union européenne, en Occident en général.
20:11 Et ce n'était pas gagné parce que l'Europe,
20:14 l'Union européenne s'est constituée, justement,
20:17 sur le désaveu de l'histoire nationale.
20:20 On voulait sortir des nations.
20:22 Ce n'était pas évident non plus parce que, justement,
20:24 cette Europe post-hitlérienne voyait dans toute émergence de nationalisme
20:30 un retour des vieux démons.
20:31 Et c'est ce qui se passait exactement
20:36 en 1991, 92, 93, la guerre des Balkans.
20:41 Parce que là, quelle a été la propagande de Milosevic ?
20:45 "Je combats les Oustachis en Croatie,
20:49 je combats le nazisme croate."
20:52 Et l'armée serbo-yougoslave a détruit Vukovar
20:55 dans l'indifférence générale parce que Vukovar
20:58 était désigné comme un bastion Oustachis.
21:01 Cette propagande n'a pas fonctionné.
21:04 Elle a fonctionné, disons, de manière très marginale.
21:07 Certains y ont cru, d'autres ont été, en France,
21:12 si vous voulez, impressionnés par la propagande
21:17 poutinienne contre la décadence occidentale.
21:22 Poutine a inventé ce concept extraordinaire,
21:24 quand même, de nazisme LGBT.
21:27 Et ça a marché.
21:29 J'ai même entendu quelques chroniqueurs de CNews
21:32 qui étaient un peu intéressés par le discours poutinien
21:35 sur la décadence occidentale.
21:36 Mais c'est resté très marginal.
21:41 Et ça, je trouve que c'est à mettre au crédit
21:44 de l'Europe et de l'Occident.
21:47 Alors, cela étant, face à ce conflit,
21:51 deux images nous hantent.
21:53 Deux images.
21:54 1914, l'engrenage.
21:58 Ça commence par l'assassinat des UR.
22:01 Et la guerre.
22:03 Alors, on ne veut pas entrer dans l'engrenage,
22:05 ce qui est normal.
22:06 Et cette question, je me permets de vous la reposer
22:07 au retour de la pause, directement,
22:09 celle de l'engrenage, celle du régime.
22:11 Petite pause et on vous revient avec tout le temps nécessaire
22:13 pour la suite de cette réflexion.
22:16 A tout de suite.
22:17 Quasiment 20h30 sur CNews.
22:22 Dans un instant, c'est la seconde partie
22:24 de Face à Bocoté, avec comme invité exceptionnel
22:27 Alain Finkielkraut.
22:28 Très en forme ce soir, mais avant cela,
22:30 le point sur l'information.
22:31 Accident de bus en Isère, vers 8h45.
22:38 Un car scolaire bascule dans un ravin.
22:41 La piste d'un malaise du chauffeur est privilégiée.
22:43 Trois adultes, dont le conducteur,
22:45 sont hospitalisés en urgence relative.
22:48 Le bus transporté et 46 personnes,
22:50 principalement des enfants de primaire,
22:52 acheminés à Grenoble.
22:53 Ils rentreront ce soir en train à Paris
22:56 et seront récupérés à Sceau, dans les Hauts-de-Seine,
22:58 par leur famille.
23:00 Mettre la France à l'arrêt le 7 mars,
23:02 telle est la volonté des syndicats,
23:04 mobilisés contre la réforme des retraites
23:06 comme force ouvrière.
23:07 Dans un communiqué, la Fédération nationale
23:10 des transports et de la logistique appelle
23:12 l'ensemble des conducteurs routiers à se mettre
23:15 à l'arrêt dès demain soir à 22h.
23:18 C'est l'une des affiches de la 26e journée de Léguin.
23:20 Le Paris Saint-Germain affronte le FC Nantes ce soir
23:24 et devra composer sans Neymar, Presnel Kipembe,
23:26 Renato Sanchez, Verratti et Achraf Hakimi.
23:29 Un dernier test pour le PSG avant le 8e de finale
23:32 retour de la Ligue des champions
23:34 contre le Bayern Munich mercredi.
23:36 Coup d'envoi à 21h sur Canal+.
23:39 On reprend face à Bocote, Mathieu Bocote
23:45 avec Arthur Devat-Trigan et bien sûr Alain Finkielkraut
23:48 ce soir.
23:48 Mathieu Bocote, reprenez.
23:49 Nous parlions du rapport à l'Ukraine,
23:51 nous parlions du rapport à la Russie
23:54 et de cette inquiétude.
23:55 Et là, vous nous expliquez que vous avez
23:56 deux images historiques,
23:57 deux images qui semblent occuper notre esprit
24:00 et vous aviez commencé par la peur de l'engrenage
24:03 dans le rapport au conflit,
24:04 donc soutien à l'Ukraine.
24:05 C'est ça, la peur de l'engrenage,
24:06 jusqu'où irons-nous ?
24:08 Et vous étiez rendu à ce moment de votre raisonnement.
24:10 C'est-à-dire que 14,
24:13 entre 14, les nations européennes,
24:17 les États ont été pris dans le jeu des alliances.
24:20 Donc il y a eu un engrenage qui s'est déclenché
24:23 et ça a donné cette guerre mondiale absolument terrible
24:26 qui a rendu possible le terrible XXe siècle.
24:34 Mais on ne veut pas tomber dans cet engrenage.
24:39 Le redoutez-vous ?
24:40 Il est vrai que les pays qui aident l'Ukraine
24:45 ne souhaitent surtout pas devenir des co-belligérants,
24:49 ne pas se laisser eux-mêmes entraîner dans la guerre,
24:52 ce qui est tout à fait incompréhensible.
24:53 Puis il y a une autre image qui nous hante de la même façon,
24:57 ce n'est plus 14, c'est 1938.
24:59 Et à très juste titre.
25:02 Munich, c'est l'apaisement.
25:04 C'est-à-dire on a voulu apaiser la bête
25:07 et on a vu le résultat.
25:10 Le déshonneur et la guerre, comme l'a dit Churchill.
25:12 Et donc nous sommes tiraillés entre ces deux mémoires aujourd'hui.
25:17 Et c'est tout à fait légitime, tout à fait compréhensible.
25:20 Mais ce faisant d'ailleurs, l'Europe aujourd'hui, l'Occident,
25:25 mène à mon avis la politique qu'il faut.
25:29 Alors ce que ça va donner, personne n'en sait rien.
25:34 C'est-à-dire que certains déjà appellent à une solution diplomatique.
25:41 Et on imagine mal en effet l'Ukraine remporter une victoire militaire totale
25:47 avec la reconquête et du Donbass et de la Crimée.
25:51 Mais encore faudrait-il qu'une négociation soit possible.
25:56 Or, Poutine ne veut absolument pas en entendre parler.
26:01 Alors d'autre part, j'ai lu récemment une interview très intéressante
26:08 du Bervédrine dans Le Figaro.
26:12 Il est très clair, nous devons maintenir,
26:15 voire accroître notre soutien à l'Ukraine pour empêcher Poutine de gagner.
26:20 Mais d'un autre côté, nous ne devons pas faire de cette guerre en Ukraine
26:25 une guerre de civilisation, car ce serait une rhétorique extrêmement dangereuse.
26:33 Et il dit cette rhétorique, je ne l'achète pas.
26:35 Sauf que ce n'est pas nous, si j'ose dire,
26:38 qui faisons de cette guerre une guerre de civilisation.
26:41 C'est Poutine qui a placé le conflit, qui a mis ce modèle en avant.
26:52 Il mène, il défend la civilisation contre la décadence de l'Occident.
26:58 Et en plus, c'est quand même une guerre qui dépasse les intérêts.
27:03 Car vous avez d'un côté une alliance des démocraties,
27:07 qui défendent l'indépendance nationale et la liberté individuelle.
27:12 Et vous avez de l'autre côté la Russie, la Chine et l'Iran,
27:19 c'est-à-dire les régimes les plus autoritaires de la planète.
27:22 Donc, il faut quand même aussi prendre acte de cette réalité.
27:26 Arthur Le Vatrigan, et ensuite nous passons à la question d'Israël.
27:29 Justement, ce qui est assez surprenant, c'est que dès le début du conflit,
27:33 on a vu une grande partie de la gauche soutenir l'Ukraine en utilisant un vocabulaire
27:40 qui était généralement dans leur bouche quelque chose de néfaste ou dangereux.
27:44 Identité, frontière, nationalité.
27:47 Et en face, une partie de la droite qui défend ces valeurs-là,
27:51 devenir tout d'un coup un peu moins à cheval dessus.
27:54 Comment expliquez-vous cette schizophrénie ?
27:56 C'est une bonne surprise de la part de la gauche.
27:59 Oui, parce que même Bernard Lévy, je dois dire,
28:03 qui a toujours été en flèche dans la critique,
28:07 non seulement du nationalisme,
28:09 mais même de toute forme d'affirmation de l'identité nationale.
28:13 Et aujourd'hui, il reconnaît que c'est une des données de la guerre menée par les Ukrainiens
28:21 et qu'il faut en tenir compte et qu'il faut le soutenir.
28:25 Alors, en revanche, du côté de la droite, en effet,
28:28 mais ça, c'est le paradoxe du souverainisme,
28:30 c'est-à-dire on défend la souveraineté nationale
28:34 pour la déposer au pied de la Russie impériale.
28:38 Ça, c'est...
28:39 Et puis, il y a aussi cet élément, ça, ça me semble très dangereux.
28:44 Après tout, Poutine fait la critique du gauchisme.
28:47 Il dit, voilà, c'est la preuve de la décadence.
28:49 On pense qu'autrence, c'est vraiment...
28:53 Ça fait partie de la propagande poutinienne, voilà.
28:55 C'est ça, à tous les coins de rue, on vous demande si vous voulez changer de sexe.
28:58 C'est comme ça qu'il présente l'Occident.
29:00 Et donc, certains de ceux qui sont évidemment désolés par cette dérive
29:05 disent qu'ils trouveront dans Poutine une espèce de rempart.
29:09 Et ça, franchement, c'est pas à leur honneur.
29:12 C'est pas à leur honneur, pardon.
29:13 Alors, la question nationale, selon Alain Finkielkraut,
29:15 nous avons touché à la question de l'Ukraine,
29:16 nous toucherons dans quelques instants à la France,
29:19 mais nous devons toucher aussi à la question d'Israël,
29:21 qui est au cœur de votre réflexion aussi,
29:24 et que vous confessez une inquiétude particulière
29:26 quant au sort d'Israël aujourd'hui.
29:28 D'un côté, on le sait, le pays est pris par des tourments politiques.
29:31 On se demande, est-ce qu'il s'agit encore d'une démocratie libérale?
29:34 Est-ce qu'Israël va devenir une démocratie illibérale?
29:36 À tout le moins, certains formulent le débat ainsi.
29:38 Et il y a aussi cet éternel procès de la légitimité même d'Israël.
29:42 Comment, quel regard posez-vous sur cette question aujourd'hui?
29:44 Alors, d'abord, un aveu qui ne sera pas une surprise.
29:49 J'aime ce pays.
29:51 J'aime Israël et sa naissance est un miracle.
29:55 La renaissance de l'hébreu est un miracle
29:59 et son existence même, en se moignorant hostile, est un miracle.
30:05 Reste qu'aujourd'hui, Israël est un pays dévisé et même déchiré
30:11 entre deux formes de sionisme.
30:13 Le sionisme politique,
30:16 c'est-à-dire la prise en main politique du destin juif.
30:20 Pas n'importe où, bien sûr, pas en Ouganda, c'est en Israël.
30:24 Et le sionisme messianique.
30:28 Et le messianisme lui-même s'était mu avant
30:33 parce que ce messianisme, il a pris corps en Israël en 1973,
30:38 après la guerre du Kippour, création du Goush Emunim, le bloc de la foi.
30:44 La Judée Samarie, c'est vraiment pour la Judée Samarie que nous sommes revenus.
30:49 C'est un retour.
30:50 Nous sommes revenus pour Jéricho, beaucoup plus que pour Tel Aviv, qui n'existait pas.
30:54 Donc, nous allons reprendre la Judée Samarie.
30:59 Et peu importe ce que pense le monde,
31:00 s'il y a quelque chose d'acosmique aussi dans ce métier de vie,
31:02 c'était des illuminés.
31:05 Maintenant, ils sont au pouvoir, hélas.
31:08 Ce sont des voyous.
31:09 Ça, c'est aussi un des défauts de la démocratie israélienne.
31:14 Va-t-elle vers l'illibéralisme ?
31:15 Je n'en sais rien.
31:16 Mais c'est aussi une hyperdémocratie qui, à cause de la proportionnelle,
31:20 donne une importance démesurée aux tout petits partis,
31:23 notamment le parti Force juive ou le parti du sénisme religieux.
31:27 Et que s'est-il passé ?
31:29 Deux colons, deux habitants d'implantation, ont été tués à Ouara,
31:36 une ville palestinienne.
31:39 Des colons se sont vengés en incendiant des voitures et des habitations.
31:44 Et qu'a dit l'un des ministres, Benazel Smotrich, du gouvernement ?
31:50 L'État d'Israël est celui qui doit raser Ouara,
31:55 et non, Dieu ne plaise, des individus isolés.
31:59 Il faut raser Ouara.
32:00 Et quand je vous dis que la division est totale,
32:03 l'officier chargé de la Cisjordanie dans l'armée israélienne
32:10 a qualifié ces événements de Ouara de « pogrom ».
32:13 Alors voilà où nous en sommes en Israël.
32:17 Et pour moi, c'est terrible, parce que je suis évidemment très en colère
32:22 contre ces voyous messianiques.
32:26 Mais il y a de la douleur dans mon dégoût.
32:30 Il y a de la honte dans ma colère, parce que je suis partie prenante.
32:34 C'est quand même ma généalogie, un peu de mon histoire, un peu mon peuple.
32:37 Donc, si vous voulez, j'éprouve un sentiment de honte.
32:41 Mais d'un autre côté, vous avez raison,
32:45 la violence, l'hostilité à l'égard d'Israël,
32:49 le fanatisme anti-israélien est terrible.
32:52 Le Monde a publié un article au moment de la présentation du nouveau gouvernement,
32:58 mais celui-ci n'avait encore rien fait.
33:00 Et il nous était dit « Israël, une démocratie devenue illusoire ».
33:04 Il ne s'agissait pas du tout de la réforme de la justice,
33:07 il s'agit de l'occupation des territoires palestiniens depuis 1967
33:12 et l'instauration à ce moment-là d'un régime d'Apartheid.
33:14 Et le mot, évidemment, n'est pas neutre, parce qu'Apartheid veut dire racisme.
33:18 Donc, Israël serait un État raciste.
33:21 Les Palestiniens n'ont aucune responsabilité dans leur situation.
33:25 Gaza est considéré comme un territoire occupé,
33:27 alors que Gaza a été vidé de ses implantations par le général Sharon.
33:33 Et que si Gaza, si les autorités, si le Hamas s'étaient attachés à mener une politique
33:42 pour donner une vie décente à ses habitants,
33:47 eh bien le mouvement de la paix en Israël serait au pouvoir.
33:51 Au lieu de cela, ils ont fait de Gaza une base terroriste.
33:56 Une base terroriste contre, non pas l'occupation de Gaza,
34:00 mais contre l'occupation de la Palestine par les Juifs.
34:03 Et ça, si vous voulez, c'est absolument terrible,
34:06 parce qu'on voit s'installer aujourd'hui en France et dans tous les pays occidentaux,
34:12 à travers un antisionisme, on le voit s'installer un antisémitisme antiraciste.
34:18 Et parce qu'il est antiraciste, il est inculpabilisable,
34:21 puisque justement, il combat le racisme.
34:23 C'est le racisme sioniste, c'est le racisme juif,
34:25 mais il s'inscrit dans la bonne logique, il est du bon côté de l'histoire,
34:29 avec les nouveaux Juifs que seraient les Palestiniens.
34:33 Et ça m'oblige, moi, constamment à me battre sur deux fronts.
34:37 Mais je continuerai à le faire, si vous voulez.
34:39 J'ai honte de Smotric et de Ben Gvir,
34:42 je trouve qu'ils peuvent mener Israël au désastre,
34:46 mais je ne concèderai rien à cet antisémitisme antiraciste.
34:51 Il nous reste 8 minutes, et 8 minutes qui seront consacrées évidemment à la France,
34:55 au troisième visage de la question nationale,
34:56 donc telle qu'elle se pose en France aujourd'hui.
34:58 Il y aura dans quelques semaines tout le débat autour du projet de loi immigration,
35:02 et la question de l'immigration pose la question du peuple français,
35:05 de la définition du peuple français.
35:07 Et j'aimerais vous citer François Héran,
35:08 François Héran, qui est au Gallège de France,
35:10 qui sort un nouveau livre, Immigration, le grand déni.
35:13 Et je vous cite deux passages, c'est le chapitre.
35:16 Chapitre 5, un droit imaginaire, la continuité historique.
35:20 Et ensuite, soyons lucides et adultes,
35:24 pas plus qu'un autre, le peuple français n'a eu droit à la continuité historique.
35:28 Vous sachant très attaché à ce concept de droit à la continuité historique,
35:32 que vous inspirent une telle réflexion dans le cadre, je le dis, du débat sur l'immigration ?
35:37 D'abord, cette continuité historique est établie.
35:40 La France est un pays d'immigration depuis le deuxième tiers du 19e siècle.
35:49 Venait en France, avant cette époque, des individus.
35:53 Donc il y a une continuité historique française établie.
35:58 François Héron énonce une contre-vérité.
36:01 Mais c'est ce qui est très intéressant.
36:03 Il le fait, évidemment, par souci d'hospitalité, d'ouverture à l'autre
36:10 et parce qu'il veut justement tirer toutes les leçons de l'histoire.
36:14 "S'adose, pense-t-il, à l'identité nationale pour exclure, etc."
36:20 Et on a vu ce que ça a donné.
36:22 Alors reportons-nous justement aux années noires.
36:25 Simone Weil, ce livre merveilleux qu'est l'enracinement.
36:30 "La destruction du passé est peut-être le plus grand crime.
36:35 La conversation du passé qui reste devrait presque devenir une idée fixe.
36:41 De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a pas de plus vital que le passé."
36:47 Voilà, le passé, c'est-à-dire justement cette continuité.
36:50 Et excusez-moi une autre citation, Edgar Kinney,
36:54 "Le véritable exil, ce n'est pas d'être arraché à son pays
37:00 et de ne rien reconnaître de ce qui le faisait aimer."
37:05 Voilà, et cet exil à domicile, beaucoup de Français,
37:12 pas forcément de souche d'ailleurs, l'éprouvent.
37:15 C'est ce que Laurent Bouvet appelait l'insécurité culturelle.
37:20 Mais je pense que pour François Héran et d'autres,
37:22 l'insécurité culturelle est un thème d'extrême droite, voire un thème fasciste.
37:28 Or, c'est exactement la situation dans laquelle nous sommes.
37:33 Et je pense que cette insécurité devrait être prise en charge par tous les partis,
37:38 pas simplement par une éventuelle union des droites, mais par tous les partis.
37:44 Ça devrait être le souci commun de la classe politique en France.
37:49 Traiter cette question pour rendre aux Français justement cette continuité historique.
37:56 Mais là, on revient au hoquisme.
37:58 Puisqu'est-ce que c'est que le hoquisme ?
38:01 Sinon, la répudiation de l'héritage.
38:05 Ce passé, nous ne l'envoulons pas.
38:09 Et nous avons d'autant plus de raisons de ne pas en vouloir
38:12 que c'est un passé largement criminel.
38:15 Arthur Le Vatrigan.
38:17 – Il y a eu une crise des gilets jaunes sous Emmanuel Macron pour son premier mandat.
38:20 On annonçait gros blocages pour son deuxième.
38:22 L'inquiétude, la révolte et le désir du peuple français
38:25 semblent se réduire au pouvoir d'achat.
38:28 Est-ce que la question civilisationnelle,
38:30 pensez-vous qu'il puisse y avoir un sursaut populaire ?
38:33 Ou est-ce définitivement foutu ?
38:35 – Ça, je ne sais pas.
38:36 Je ne vais pas parler du peuple ni au nom du peuple.
38:39 Mais je suis un peu désolé, oui, de la tournure que prennent les choses.
38:43 Il y a ce climat d'insécurité culturelle,
38:47 ce droit à la continuité historique,
38:49 invoqué aussi bien par Ortega y Gasset que par Simone Vell,
38:53 qui est fragilisé, qui est mis en cause.
38:57 Il y a l'effondrement de notre système scolaire.
39:01 Ça devrait être la première tâche du quinquennat d'Emmanuel Macron,
39:07 justement, réhabiliter l'école, reconstruire l'école.
39:12 Et ce devrait être approuvé par tout le monde,
39:17 parce que c'est l'avenir de nos enfants qui est en jeu.
39:20 Et au lieu de cela, il va y avoir des millions de personnes
39:25 qui vont manifester pour la retraite à 62 ans,
39:30 voir la retraite à 60 ans,
39:34 comme si c'était l'objectif suprême,
39:38 comme s'il n'y avait pas effectivement un problème aujourd'hui
39:43 avec l'allongement de la durée de la vie,
39:47 avec un nombre toujours réduit d'actifs.
39:52 Il y a les exemples des autres pays européens.
39:56 Et je trouve que la France,
39:59 même si je comprends qu'on veuille se défaire
40:03 de métiers très difficiles et très pénibles,
40:08 mais il me semble que la France donne aujourd'hui un spectacle désolant.
40:13 Et quand je vois des syndicalistes dire qu'ils vont mettre
40:17 l'économie du pays à genoux, je pense là à Marc Bloch.
40:22 Marc Bloch dans l'étrange défaite.
40:26 Il dit mais qu'est-ce qui s'est passé ?
40:28 Parce que ce n'était pas un grand sursaut d'identité,
40:31 en exaspération de l'identité nationale.
40:33 La défaite, c'était au contraire l'effondrement d'identité nationale.
40:36 Et il voyait ça à l'œuvre dès les années 30,
40:40 avec le corporatisme borné des patrons,
40:46 mais aussi de certains syndicats.
40:48 Et je trouve que le climat dans lequel nous vivons
40:52 ressemble un peu à celui que décrivait Marc Bloch.
40:55 Il nous reste deux minutes.
40:56 J'aimerais vous poser une question encore sur le débat à venir sur l'immigration.
41:01 Alors, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de singulier aujourd'hui
41:03 dans le fait que le déni de l'existence des mutations démographiques majeures,
41:08 ce que vous avez évoqué, se masque derrière le langage de la science ?
41:11 Je cite une tribune Paris dans le Monde,
41:13 et j'aimerais vous entendre à la fin sur ça.
41:15 Les chercheurs, je cite,
41:17 les chercheurs de toutes les disciplines sont d'accord,
41:19 il n'y a pas de subversion migratoire,
41:21 les régularisations et les sauvetages en mer n'ont jamais provoqué d'appel d'air,
41:24 et le grand remplacement de la population française est un mythe.
41:27 Sociologues, politistes, économistes, juristes, démographes, géographes,
41:32 historiens et philosophes sont unanimes sur ces questions.
41:35 Malgré leurs efforts pour se faire entendre,
41:37 les scientifiques se désolent de voir les résultats de la recherche ignorés.
41:41 Ça se poursuit.
41:42 Il n'y a pas quelque chose de singulier à voir la science aujourd'hui ?
41:44 Est-ce qu'il n'y a pas une forme de lysinquisme là-dedans ?
41:46 C'est tout à fait étrange, si vous voulez,
41:49 de voir cette expertise se dresser contre l'expérience.
41:54 Nous faisons quand même l'expérience d'un changement démographique majeur.
42:00 Ce n'est pas la peine d'utiliser le concept, enfin l'idée de grand remplacement.
42:04 Il y a un changement démographique.
42:07 D'ailleurs, tous les touristes le constatent.
42:10 L'une des raisons pour lesquelles les Hongrois, les Tchèques ou les Polonais
42:15 veulent contrôler leur immigration, c'est que leurs habitants viennent en France
42:22 et ils disent "j'ai pas envie que Budapest devienne Marseille ou Varsovie devienne Marseille".
42:26 Donc, il y a quelque chose d'énorme qui se produit.
42:28 Et tout d'un coup, on nous dresse la recherche, donc l'expertise contre l'expérience.
42:34 Première remarque et deuxième remarque, c'est de l'idéologie pure
42:39 et un certain nombre de démographes, de géographes, d'historiens, de politistes
42:46 raisonnent tout à fait autrement.
42:48 Et donc, c'est comme s'ils n'avaient pas le droit à la parole.
42:52 Il y a aussi dans ce discours, dans ce dogmatisme, un aspect de "cancel culture".
42:58 J'imagine que si Michèle Tribala, la démographe, voulait s'exprimer
43:03 dans une unité universitaire de recherche, d'un des signataires de ce manifeste,
43:10 elle ne pourrait pas le faire.
43:12 Nous sommes les chercheurs et tous les autres chercheurs méritent l'annulation.
43:18 Alors, dernier mot, avant cette émission, Eliott Deval me disait
43:21 "Alain Finkielkraut, il est bien de le recevoir, c'est le dernier homme,
43:23 le véritable dernier homme de gauche. Vous partagez cette idée ?"
43:27 Est-ce que je suis le dernier homme de gauche ?
43:30 Souvent je dis "c'est parce que je suis de gauche que je ne suis plus de gauche".
43:34 Il est vrai que la gauche a trahi un certain nombre de ses principes
43:39 et notamment celui de la défense de l'école républicaine
43:47 et d'une sélection qui ne pouvait bénéficier justement qu'à ceux
43:53 qui n'avaient rien d'autre que l'école pour s'élever.
43:55 Pour le reste, j'ai peut-être aussi moi-même un peu changé
44:01 parce qu'il me semble que face aux défis auxquels nous sommes confrontés,
44:06 l'opposition de la droite et de la gauche est un peu provinciale.
44:13 Qu'est-ce que tu veux dire après ça ?
44:16 Merci à tout le monde pour votre passage.
44:18 C'était un plaisir d'être avec vous trois. Merci.
44:21 Quand on écoute une émission comme celle-ci, on se dit qu'on est assez chanceux.
44:26 J'ai écouté ça avec beaucoup d'attention. Merci beaucoup Alain Finkielkruid.
44:29 Merci Mathieu. Merci à vous. Merci Arthur.
44:32 À la semaine prochaine. Vous pouvez revoir évidemment cette émission sur cnews.fr dans un instant.
44:37 C'est le meilleur de l'info.
44:39 [Bruit de clavier]