Un sujet qui a fait le buzz et continue à occuper les conversations et peut-être à brouiller les pistes : Emmanuel Macron, le président des riches, voudrait-il tourner casaque et changer de bord ? En tout cas, son ministre du Budget Gabriel Attal a monté une opération de com’ plutôt efficace à ce sujet. Il menace les grosses fortunes qui se seraient rendues coupables de fraude sur leurs déclarations de revenu de peines “d’indignité fiscale et civique”.
Mais est-ce bien crédible tout cela ? Cemil Sanli a demandé son avis à Nicolas Da Silva, économiste, enseignant à l’université de Paris XIII et auteur du récent “La bataille de la Sécu” aux Éditions La Fabrique. Pourquoi la thématique des impôts est-elle si impactante politiquement alors qu’au fond, si l’on en croit Da Silva, elle ne s’attaque pas à la racine de la répartition des richesses entre capital et travail ? Peut-on isoler les annonces tambour battant du gouvernement de son désir de passer à autre chose, c’est-à-dire de faire oublier la bataille des retraites ? Dans quelle mesure ces annonces ne viennent-elles pas tout juste corriger un peu toutes les mesures prises sous le premier mandat d’Emmanuel Macron pour affaiblir les dispositifs antécédents de contrôles fiscaux ? Les niches fiscales déjà existantes, qui permettent aux grandes fortunes d’être très faiblement imposées même sans violer la loi, ne constituent-elles pas une partie du problème ? Discussion extraite de l’émission “Toujours debout” du 11 mai 2023.
Mais est-ce bien crédible tout cela ? Cemil Sanli a demandé son avis à Nicolas Da Silva, économiste, enseignant à l’université de Paris XIII et auteur du récent “La bataille de la Sécu” aux Éditions La Fabrique. Pourquoi la thématique des impôts est-elle si impactante politiquement alors qu’au fond, si l’on en croit Da Silva, elle ne s’attaque pas à la racine de la répartition des richesses entre capital et travail ? Peut-on isoler les annonces tambour battant du gouvernement de son désir de passer à autre chose, c’est-à-dire de faire oublier la bataille des retraites ? Dans quelle mesure ces annonces ne viennent-elles pas tout juste corriger un peu toutes les mesures prises sous le premier mandat d’Emmanuel Macron pour affaiblir les dispositifs antécédents de contrôles fiscaux ? Les niches fiscales déjà existantes, qui permettent aux grandes fortunes d’être très faiblement imposées même sans violer la loi, ne constituent-elles pas une partie du problème ? Discussion extraite de l’émission “Toujours debout” du 11 mai 2023.
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00:00 l'administration fiscale a été cassée et en fait ce qu'on propose c'est de la
00:03 reconstruire mais un tout petit peu, pas trop. Mais pourquoi créer un renseignement
00:06 fiscal quand il existe déjà des dispositifs ? Dispositifs probablement
00:10 insuffisants, qui pourraient être nécessaires d'étendre, pour lesquels il
00:14 faudrait donner des moyens mais qui existent. Et par exemple c'est le fameux
00:17 track film qui existe depuis des années et qui n'est pas limité uniquement à la
00:21 lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
00:25 Dans ces missions il y a aussi la lutte contre la faute aux finances publiques.
00:29 Contrôler plus ça signifie que la loi permet de... la loi est bonne et elle
00:36 permet une justice fiscale. Or en fait non, c'est la loi telle qu'elle existe
00:39 elle génère une injustice fiscale. La fraude à l'assurance maladie c'est intéressant
00:45 c'est en 2022 c'est 300... 315 millions ça vient de sortir là. 315 millions de
00:49 fraudes à l'assurance maladie. Vraiment une goutte d'eau. Les dépenses
00:52 d'assurance maladie c'est plus de 200 milliards et en fait sur ces 315 millions
00:56 d'euros il y en a plus de 75% c'est la fraude des professionnels qui
01:00 surfacturent, pas des patients qui vont deux fois chez les médecins alors qu'ils
01:03 n'ont pas le droit.
01:05 Je dis, moi je veux pourchasser ceux qui fraudent, recouvrer ceux qui est dû aux
01:14 finances publiques et il est vrai que sur un certain nombre de dossiers du haut du
01:18 spectre comme on dit notamment dans les multinationales c'est des montants qui
01:20 sont souvent très importants. Donc vous allez chercher l'argent là où il est ?
01:23 Exactement, là où il doit être versé surtout. Comment est-ce qu'on fait ? C'est
01:27 la question que vous avez posée. Il y a plusieurs leviers. D'abord on renforce les
01:30 moyens. J'ai annoncé 1500 effectifs supplémentaires pour le contrôle fiscal à
01:36 la Direction Générale des Finances Publiques. Le doublement des effectifs
01:39 d'officiers judiciaires des finances du SEJF et également des moyens
01:45 supplémentaires avec la création d'un service de renseignement fiscal qui va
01:49 nous permettre d'aller collecter de l'information notamment sur des
01:52 territoires, on parle parfois de paradis fiscaux, d'états non coopératifs pour
01:56 lesquels il n'y a pas de transparence et il n'y a pas d'information.
01:58 Je ne voudrais pas être polémique mais je voudrais planter un élément de
02:03 contexte. L'élément de contexte c'est quand même l'une des victoires du
02:07 mouvement social sur la lutte contre la réforme des retraites.
02:11 Qu'est-ce qu'elle a montré cette lutte ? Quelque chose que beaucoup
02:15 pensait ou savait auparavant mais maintenant qui est public. C'est-à-dire
02:20 quoi ? C'est-à-dire le fait que le gouvernement est susceptible de donner
02:24 des fausses informations pour pour troubler le débat public.
02:28 - On ne peut pas dire mentir. - Mentir si vous voulez.
02:30 - On peut le dire. - Mentir.
02:31 - Le conseil constitutionnel. - Justement le conseil constitutionnel a validé cette
02:35 stratégie. En deux mots, c'était notamment toute la séquence sur les 1200
02:42 euros où on pensait que la réforme des retraites était dure mais finalement
02:46 tout le monde aurait au moins 1200 euros. Puis ce n'était plus tout le monde, c'était
02:49 quelques centaines de milliers de personnes. Puis ce n'était plus quelques
02:51 centaines de milliers de personnes, c'était 40. Et finalement on est retombé à
02:54 10 000 personnes concernées par an. Et donc on voit bien que la puissance
02:59 publique est tout à fait capable, l'état est tout à fait capable de mentir
03:03 pour fausser le débat public. Et autant dire ça, parfois ça peut
03:09 paraître comment dire excessif, polémique. Autant maintenant, non seulement tout le
03:13 monde s'en est rendu compte, c'est en ça que c'est une victoire du mouvement
03:16 social, mais en plus c'est le conseil constitutionnel qui valide cette
03:19 stratégie. Parce que dans sa décision qu'il a donnée pour valider la réforme
03:23 proposée, il dit explicitement, j'ai la citation si vous la voulez, il dit
03:27 explicitement "oui le gouvernement a donné des chiffres trompeurs mais
03:31 finalement comme il y a des gens qui ont remis en cause ces chiffres, c'est pas
03:34 très grave". Donc pourquoi je parle de ça ? Parce que je pense qu'il faut
03:38 vraiment de façon beaucoup plus générale qu'auparavant mettre en avant
03:43 la grande prudence sur toutes les annonces du gouvernement et en
03:46 particulier les annonces sur la fiscalité. Donc ça c'est le premier point.
03:50 Le deuxième point de contexte, c'est quand même on nous fait passer ce
03:53 gouvernement et cette annonce sur la taxation des riches comme quelque chose
03:57 de très radical. Moi je veux dire que d'un point de vue d'économiste, l'impôt
04:00 c'est pas quelque chose d'extrêmement radical. Même dire qu'il faut plus taxer
04:04 c'est pas très radical. Pourquoi ? Pour comprendre ça, il faut
04:06 comprendre la différence entre deux notions. Une notion c'est la notion de
04:11 distribution. C'est comment est-ce que lorsqu'on produit des richesses, on les
04:14 distribue. Alors notamment dans les entreprises, entre le travail et le
04:18 capital. Mais il y a une deuxième notion qui est très importante en économie, c'est
04:23 la redistribution. C'est que parfois on constate que la distribution elle génère
04:27 des inégalités, elle génère de la grande pauvreté et que ce serait
04:30 quand même bien de financer des investissements publics.
04:32 Alors on va imposer pour pouvoir redistribuer et en fait effectivement
04:38 ça marche parce que ce qu'on appelle habituellement l'état social, l'état
04:41 providence, il y a effectivement une imposition qui est forte en France mais
04:45 elle permet beaucoup de réduire les inégalités et de réduire le niveau de
04:49 pauvreté. Mais pourquoi c'est pas radical ? Et je pense qu'il faut le dire, taxer les
04:52 riches c'est pas un mot d'ordre très radical parce que en fait on parle pas
04:55 de l'origine des inégalités. L'origine elle se trouve dans la production et
05:02 donc on n'aurait pas besoin de mettre en place des taxes sur les riches si les
05:05 entreprises étaient dirigées par les gens qui travaillent dedans.
05:07 - Ça c'est radical pour le coup. - Voilà, ça c'est radical et ça évidemment on
05:11 l'entendra jamais. Autre point, lever des impôts, d'accord, mais qui va décider de
05:16 l'affectation de ces impôts ? Bah ça sera encore l'état et les différents
05:20 ministères qui sont associés. Finalement c'est pas très radical parce que pour
05:23 prendre un exemple celui de la sécurité sociale, on lève des impôts pour
05:26 solvabiliser la financiarisation de la sécu et de l'industrie pharmaceutique
05:30 avec les brevets. Est-ce que c'est bien ? Bah non. Donc qu'est-ce qui pourrait être
05:33 radical ? Ce serait de dire maintenant on va démocratiser l'utilisation des impôts
05:37 ce qui n'est pas du tout ce qui est fait. Donc je pense qu'il faut vraiment dire
05:42 que taxer les riches c'est déjà accepter qu'il y a des riches et des pauvres.
05:45 Donc c'est pas très très radical. - C'est pas radical. - Et ça devient de plus en plus
05:48 même mainstream pour prendre un mot à la mode parce que même aux Etats-Unis
05:52 on se rend bien compte que tous ces gens très très riches
05:54 ils contribuent pas à du ruissellement et donc c'est pour ça qu'il y a plein
05:58 plein plein de rapports qui dénoncent l'ampleur de la fraude et ce
06:04 qu'on pourrait faire. Et alors je peux parler mais je vois bien que je suis bavard
06:07 à la fois de l'ampleur de la fraude mais aussi des annonces qui paraissent
06:10 extrêmement ridicules par rapport par rapport aux problèmes qui est posé qui
06:14 reste un problème. Mon enjeu c'est pas de dire que c'est pas un problème mais
06:18 c'est que c'est un problème qui est relativement mineur. S'attaquer aux
06:22 conséquences des inégalités aux conséquences du fait que notre monde ne
06:27 va pas bien c'est pas s'attaquer aux racines et les racines c'est la
06:30 propriété des entreprises la démocratisation etc etc.
06:33 Pour vous, Ghebriel Attal annonce tout simplement qu'il va respecter la loi en
06:37 fait il y a rien de novateur dans ça et essaie de tout faire oublier de ce qui a
06:41 été fait par ce même exécutif puisque peut-être que vous allez rappeler ce
06:45 qui a été fait jusqu'à maintenant pour que la loi s'applique peu ou mal est-ce
06:47 que on peut prendre le temps d'analyser quand même là en deux trois minutes
06:51 ces annonces disposition par disposition pour bien comprendre en fait ?
06:56 Bien sûr alors j'ai pris quelques chiffres mais d'abord l'idée générale que
06:59 je souhaiterais défendre c'est l'idée selon laquelle effectivement ces
07:02 annonces qui sont faites par Ghebriel Attal sont très peu ambitieuses
07:05 pourquoi ? Parce qu'elles ne font que reconstruire partiellement des choses
07:09 qui ont été détruites notamment par ce gouvernement donc on casse l'administration
07:14 fiscale et après on se rend compte que ça marche pas bien et on dit qu'on va la
07:17 reconstruire bon c'est et pas complètement et deuxièmement en fait ce
07:22 qu'il dit c'est qu'on va faire respecter la loi sauf que le problème c'est la loi
07:26 telle qu'elle existe parce que c'est la loi telle qu'elle existe qui permet le
07:29 niveau d'injustice fiscale qu'on connaît aujourd'hui. Alors sur le premier point
07:33 par exemple il y a une annonce qui est une augmentation des effectifs de 1500
07:37 personnes pour lutter contre la fraude fiscale. Alors évidemment on peut pas
07:41 dire que c'est pas bien c'est bien d'augmenter de 1500 personnes les
07:43 effectifs pour lutter contre la fraude fiscale néanmoins selon les
07:47 estimations qui existent puisque ça dépend du périmètre utilisé il y aurait
07:52 eu ces dix dernières années 4000 emplois qui ont été supprimés.
07:55 Donc 4000 remonte de 5500 le calcul est simple. Et voilà et 4000 pendant
07:59 quelle période les dix dernières années il y en a eu au moins six pendant lesquelles
08:02 Emmanuel Macron était président et quelques unes pendant lesquelles il était
08:05 ministre de l'économie donc ça invite à la prudence encore une fois sans être
08:09 polémique alors et qu'est ce que ça comme conséquence ça?
08:13 Ben ça ça conséquence que moins d'agents, moins de contrôles. Il y a des statistiques
08:17 qui sont données qui sont publiques. Le nombre de contrôles sur place c'est à
08:21 dire qu'on se déplace dans l'entreprise on se déplace chez le particulier est
08:23 passé de entre 2008 et 2019 et passé de 52 000 à 45 000 moins 13% moins de
08:29 contrôles. Le nombre de contrôles sur pièce c'est à dire qu'on reste au bureau
08:33 mais enfin l'administration reste dans les bureaux mais elle étudie les pièces
08:38 qui sont données par les entreprises par les particuliers et passé de 1 million à
08:41 441 000 soit une baisse sur une période de 55% en fait on contrôle moins.
08:46 On contrôle moins et les résultats financiers de contrôle fiscale ont
08:49 tendance à baisser donc là sur cette période on est passé d'un résultat de
08:55 15 milliards à 13 milliards d'euros donc on voit bien que la réalité de ce
09:00 qui se passe c'est que l'administration fiscale a été cassée et en fait ce qu'on
09:04 propose c'est de la reconstruire mais un tout petit peu pas trop.
09:07 Après il y a d'autres mesures comme la création d'un renseignement fiscal et
09:12 là on se pose la question mais pourquoi créer un renseignement fiscal quand il
09:15 existe déjà des dispositifs. Dispositifs probablement insuffisants qui
09:19 pourraient être nécessaires d'étendre pour lesquels il faudrait donner des
09:22 moyens mais qui existent et par exemple c'est le fameux TRACFIN qui existe
09:26 depuis des années et qui n'est pas limité uniquement à la lutte contre le
09:30 blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
09:33 Dans ces missions il y a aussi la lutte contre la faute aux finances publiques.
09:38 Dans ces missions à TRACFIN il y a donc dans la loi dans le code
09:44 monétaire et financier la nécessité pour TRACFIN de chercher à coopérer
09:49 au niveau international, d'échanger des renseignements.
09:52 Alors je ne dis pas qu'il n'y a pas des choses à améliorer, des dispositifs à
09:55 créer mais pourquoi est-ce qu'on va créer un nouveau dispositif sachant qu'il y en a
09:59 un qui existe et qui est potentiellement défaillant ou qui n'a pas suffisamment
10:03 de moyens. C'est la même chose pour la création du conseil de l'évaluation des
10:06 fraudes, c'est une autre annonce. Alors les conseils d'évaluation des
10:10 fraudes c'est quelque chose qui serait je cite "présidé par le ministre délégué
10:13 des chargés des comptes publics rassemblant les administrations,
10:17 personnalités, experts compétents et parlementaires pour s'assurer de la
10:20 fiabilité des estimations produites etc etc". Et là on va se poser la question
10:24 encore une fois pourquoi créer une nouvelle agence sachant que si on a des
10:29 moyens, s'il y a peu de moyens, pourquoi pas les donner directement aux
10:32 administrations compétentes et créer une nouvelle agence. D'accord mais est-ce que
10:36 c'est pour faire comme avec le COR, le conseil d'orientation des retraites ?
10:39 Vous savez ce qui s'est passé avec le conseil d'orientation des retraites ?
10:41 Le président du conseil d'orientation des retraites a eu malheur de dire
10:45 Pierre Louisbras, il a eu malheur de dire que non il n'y a pas de problème de
10:49 déficit des retraites, en tout cas il n'y a pas de problème structurel, que lui a
10:52 demandé le gouvernement de changer ses hypothèses pour changer ses conclusions.
10:55 Est-ce que c'est ça qu'on veut ? Je ne sais pas. Et enfin effectivement donc là il y a
11:00 cette idée qu'on va augmenter les contrôles fiscaux, 25% d'augmentation des
11:03 contrôles fiscaux sur les gros patrimoines, des contrôles fiscaux tous
11:06 les deux ans pour les 100 plus grandes capitalisations boursières,
11:09 ça veut dire 100 000 dossiers de personnes physiques seront ainsi traités
11:12 dans cette échéance, donc jusqu'à la fin du quinquennat.
11:16 Donc là c'est dire qu'on va contrôler plus, effectivement si on recrute plus
11:19 on contrôle plus, mais toujours moins que ce qui était possible avec les
11:24 effectifs d'il y a dix ans par exemple. Et là on touche à un autre problème,
11:28 l'autre problème c'est que finalement contrôler plus ça signifie que la loi
11:35 permet de... la loi est bonne et elle permet une justice fiscale,
11:40 or en fait non, c'est la loi telle qu'elle existe, elle génère une injustice
11:45 fiscale. La fraude à l'assurance maladie c'est intéressant, en 2022 c'est
11:49 315 millions, ça vient de sortir là, 315 millions de fraudes à l'assurance
11:53 maladie, vraiment une goutte d'eau, les dépenses d'assurance maladie c'est plus
11:57 de 200 milliards et en fait sur ces 315 millions d'euros il y en a plus de 75%
12:01 c'est la fraude des professionnels qui surfacturent, pas des patients qui vont
12:05 deux fois chez le médecin alors qu'ils n'ont pas le droit.
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