Soudan : un mois de combats et un exode massif de la population
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00:00 accueille tout de suite Roland Marshall. Bonjour à vous, vous êtes chercheur à
00:02 Sciences Po, vous êtes un grand connaisseur de cette région d'Afrique.
00:06 Merci d'avoir accepté l'invitation de France 24, Roland Marshall.
00:09 Nous sommes à un mois de conflit, l'armée régulière qui contrôle les airs
00:12 avec l'aviation notamment semble bombarder sans distinction des
00:17 hôpitaux. Tu étais prévenu pour cible, on vient de le voir dans ce sujet.
00:20 Il n'y a donc aucune retenue de la part des deux camps aujourd'hui ?
00:24 Non, je ne crois pas que c'est de cela dont il faut, sur lequel on peut espérer.
00:31 C'est fondamentalement, chacun utilise ce qui fait sa force, donc l'armée c'est
00:37 très clairement les bombardements aériens et je crois qu'ils n'ont
00:42 pas cure des victimes civiles en prétendant à juste titre ou à moins
00:48 juste titre qu'il y a des soldats ou des miliciens dirigés par Emeti.
00:54 Et Emeti de la même façon a besoin de se protéger de ces bombardements aériens
01:00 et va dans des zones résidentielles ou à proximité d'hôpitaux pour
01:06 protéger ses troupes et son équipement. En plus on peut aussi voir
01:11 ces affrontements d'un autre point de vue, qu'il y a des négociations à l'heure
01:15 actuelle à Jeddah qui concernent non plus les principes de l'aide humanitaire
01:20 qui ont été adoptées il y a plus d'une semaine maintenant, mais fondamentalement
01:25 les règles très concrètes qui permettraient des couloirs humanitaires
01:30 temporaires et très localisés de façon à pouvoir acheminer de l'aide humanitaire
01:35 et des médicaments dans des zones de combat. Alors ça c'est un enjeu majeur
01:41 et c'est sans doute aussi lié à cet enjeu-là, à ces discussions-là, qu'on
01:48 se trouve face à une intensification des conflits. La question qui est posée,
01:52 que tout le monde pose, c'est évidemment celle de véritables négociations, d'un
01:56 cessez-le-feu permanent et là je crois qu'il faut le dire, ça n'est pas
02:01 pour tout de suite parce que d'une part, et vous l'avez cité dans votre
02:06 reportage, les deux généraux se pensent encore capables de gagner et je crois
02:13 aussi, il faut bien voir que si Emeti, qui quand même finalement ne contrôle
02:19 pas, contrôle des aires importantes dans Khartoum, mais
02:25 finalement pas la réalité du pouvoir, si Emeti est peut-être prêt à un
02:29 semblant de négociation, au moins pour donner le change au niveau international,
02:33 le général Borhan est convaincu à la fois qu'il a les moyens de gagner et puis
02:38 en même temps il sait que si jamais il se dirige vers une négociation politique,
02:43 une bonne partie de l'armée influencée par les islamistes risque de lui créer
02:48 de très gros problèmes. Et dans cette perspective, ça veut dire que les combats
02:52 qui opposent les deux camps peuvent aller jusqu'à l'élimination de l'un de
02:56 l'autre ? C'est très certainement un scénario qui est étudié par les deux
03:03 généraux, les deux protagonistes du conflit, si vous voulez, avec quand même
03:07 cette différence majeure que si le général Emeti est tué, on ne peut pas
03:14 parier sur la survie de son armée pendant très longtemps, même s'il y a des... il a
03:20 son frère qui joue un rôle très important, il a quelques aides militaires
03:25 qui ont le rang de général qui pourrait jouer un rôle, mais on pense
03:31 que dans ce cas là, cette unité paramilitaire pourrait en fait se
03:36 débander, alors que si le général Burhand a été tué, il y a un numéro 2, il y aura
03:41 un numéro 3 et d'une certaine façon la bataille peut continuer.
03:44 C'est la différence qu'on a de principe essentielle entre l'armée et
03:49 cette force paramilitaire avec le général Emeti qui est sans doute
03:52 perçu par ces militians comme un dirigeant relativement charismatique
03:59 alors que de l'autre côté c'est simplement un appareil militaire qui
04:01 fonctionne traditionnellement. Est-ce que d'autres groupes armés
04:05 Roland Marshall, à votre connaissance, sont en train de prendre part à ce
04:09 conflit qui oppose pour l'instant les deux généraux ?
04:11 Écoutez, alors je crois qu'il est important de le dire parce que ça
04:15 transparaît souvent assez peu dans ce qu'on peut lire ou voir, il y a un rôle
04:20 des islamistes qui est extrêmement important et ce rôle des islamistes
04:25 il se traduit pas simplement par le fait qu'un certain nombre d'entre eux
04:29 sont des officiers ou des officiers supérieurs de l'armée soudanaise mais
04:33 ce sont aussi des milices, ce qu'on appelait avant les forces de défense
04:37 populaires, qui jouent un rôle important dans les combats, quelquefois habillés
04:42 comme des soldats, quelquefois habillés comme des partisans de Emeti et qui
04:48 maltraitent des civils, pillent, tuent pour noircir encore,
04:55 est-ce qu'on en avait vraiment besoin ? L'image que la population
04:59 soudanaise civile peut avoir des forces de Emeti ou de l'armée soudanaise.
05:04 Donc ça c'est quelque chose de très important, c'est un facteur
05:09 politique qui va peser et si vous voulez votre reportage faisait mention du gel
05:14 de comptes en banque, il faut quand même rappeler que le général Borhan vient de
05:18 démettre le directeur de la banque centrale soudanaise, qui était quelqu'un
05:24 qui était arrivé grâce au changement de pouvoir en 2019 et qu'il a nommé à sa
05:30 place un homme qui est connu pour être l'un des grands personnages au niveau
05:36 bancaire du régime Omar el-Bechir. Donc si vous voulez cette restauration des
05:40 islamistes et des nostalgiques de Bechir, elle suit son cours,
05:44 quels que soient les discours nationalistes de Borhan et ça c'est une
05:48 inquiétude pour l'avenir. Je voudrais qu'on vienne ensemble sur la
05:51 situation diplomatique, le rôle que peuvent jouer d'autres acteurs.
05:56 Vous évoquiez tout à l'heure les négociations en cour à Jeddah en Arabie
05:58 Saoudite, plusieurs tentatives de traits ont été établies au Soudan du Sud,
06:03 quid des Nations Unies ou encore de l'Union Européenne ? N'ont-elles pas un
06:08 rôle à jouer aujourd'hui ? Écoutez ce n'est pas une opinion personnelle,
06:12 je crois que ce que je vais dire reflète l'opinion d'une très grande
06:16 partie de la classe politique et d'ailleurs militaire soudanaise.
06:20 L'actuel envoyé spécial des Nations Unies au Soudan a failli, a failli
06:25 gravement et d'une certaine façon il s'est carbonisé, c'est-à-dire que les
06:30 Nations Unies doivent envisager de changer le représentant spécial du
06:35 secrétaire général parce que simplement il a fait des choix qui se sont révélés
06:40 complètement erronés. Lesquels ? Notamment, ce qui s'est passé c'est
06:47 qu'il a fait une confiance absolue au général Borhan et même à Emeti à un
06:52 moment dans une situation où quand même les forces civiles lui rappelaient que
06:57 mentir aux Nations Unies est quand même une des grandes pratiques
07:01 diplomatiques du régime Beshir et qu'il aurait dû peut-être faire preuve d'une
07:05 plus grande prudence. Il a osé dire, enfin quand même, il a osé dire qu'il n'y avait
07:10 aucun signe avant-coureur du conflit qui commence le 15 avril.
07:14 C'est quand même une myopie politique qui est gravissime et de la même façon
07:20 aujourd'hui il prétend s'activer à Port-Soudan. Il s'active tellement
07:26 bien que le secrétaire général a eu besoin d'envoyer monsieur Martin
07:30 Griffiths qui est un responsable du secteur humanitaire au niveau de New York
07:35 pour justement assurer cette relève et puis donner une marque de
07:39 neutralité qui a quand même manqué dans les dernières semaines aux Nations Unies.
07:45 Alors s'il y a eu défaillance sur le plan politique, est-ce que pour
07:51 l'instant, pour parer à l'urgence humanitaire, les Nations Unies là
07:55 maintenant elles ont un rôle à jouer ? Plusieurs humanitaires ont fait le choix
07:57 de quitter le pays ? Absolument, les Nations Unies ont un rôle vital à jouer
08:01 c'est-à-dire, il faut bien me comprendre, je parle du représentant spécial du
08:05 secrétaire général, les Nations Unies ont un rôle et ont eu un rôle important
08:10 qu'il faut célébrer malgré toutes les défaillances dans cette
08:15 crise et évidemment ce rôle doit être vital dans les jours et les semaines qui
08:20 viennent. Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur l'ensemble des Nations Unies,
08:25 il suffit simplement de constater qu'au niveau politique il y a eu un déficit et
08:29 que ce déficit doit être corrigé en remplaçant des gens qui ne sont pas
08:33 révélés capables des défis à affronter.
08:36 Merci beaucoup Roland Marshall, merci d'avoir pris le temps de répondre à nos
08:40 questions. Merci à vous.