Un an après les attaques du 7 octobre, un antisémitisme décomplexé?

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00:00Ces attaques du 7 octobre ont provoqué, à l'époque, un élan de solidarité à travers le monde envers Israël,
00:05mais aussi, et c'est à la fois paradoxal et tristement prévisible, une flambée des actes antisémites.
00:11C'est vrai, ici même en France, où les signalements ont bondi de 300% au premier semestre de cette année,
00:16après déjà une augmentation de moitié sur 2023, dû au seul mois qui avait suivi, le 7 octobre.
00:21Pour en parler avec nous, Alexandre Bande, bonjour.
00:23Vous êtes historien, auteur d'une histoire de l'antisémitisme en France.
00:27Merci d'être avec nous.
00:29887 faits antisémites, ici en France, sur le seul premier semestre de cette année, c'est historique.
00:36Historique, tout à fait. Merci pour votre invitation.
00:38Enchanté d'être parmi vous ce soir sur ce plateau.
00:40Historique et dramatique.
00:41On aimerait que ce soit pour d'autres circonstances.
00:42On aimerait vraiment, et surtout en cette journée du 7 octobre, une pensée pour toutes les victimes de l'an dernier,
00:48pour les otages et également, parce que j'étais ce jour-là, et je ne vais pas rentrer dans le détail,
00:52invité au rendez-vous de l'Histoire de Blois, où j'intervenais sur mon domaine de travail initial,
00:56il y a l'histoire et la mémoire de la Shoah.
00:58Et je me souviens avoir été particulièrement choqué en rentrant,
01:01d'entendre que les informations annonçaient que le jour même, le jour même,
01:05en France, comme dans d'autres pays du monde, avaient lieu les premiers actes antisémites.
01:08Alors que ce jour-là, étaient tombés 1200 Israéliens, majoritairement des civils.
01:14Et je pense qu'on ouvrait, dès ce jour-là, une sorte de réflexion qui n'est pas terminée aujourd'hui.
01:19On va l'avoir avec vous, cette réflexion, d'après la Direction nationale du renseignement territorial.
01:23Si on s'en tient au chiffre, les menaces, insultes et agressions antisémites ont été multipliées par dix,
01:28par dix, depuis le 7 octobre. C'est dû au 7 octobre lui-même.
01:32Alors, la question est complexe.
01:35Dans cet ouvrage que nous avons co-dirigé avec deux de mes collègues,
01:38Rudi Reichstadt et Pierre-Jérôme Biscara, nous avions tenté d'évoquer la question du lien
01:43qui existait entre la vie politique française et l'attitude antisémite,
01:47les attitudes, parce qu'elles sont multiples, antisémites.
01:49Et quand on regarde, moi j'ai souvent l'habitude de regarder les choses en historien,
01:53et je ne veux pas être trop long sur le sujet,
01:54mais on se rend compte que les fondements même de l'antisémitisme sont multiples.
01:57Ils sont très anciens. Certains sont religieux et remontent à des temps très, très, très ancestraux.
02:02Mais si on prend la question du 7 octobre, on se rend compte que le 7 octobre a tendance à réactiver
02:06des comportements qui sont présents dans nos sociétés depuis déjà quelques années.
02:09Au point d'ailleurs où les actes antisémites représentent plus de la moitié des agressions racistes,
02:1467% les deux tiers de l'ensemble des faits antireligieux.
02:17Et ce, alors même, rappelons-le, que la communauté juive représente moins de 1% de la population française.
02:23Cette disproportion, comment l'expliquer vous ?
02:25Est-elle due au fait que la France compte à la fois la plus forte communauté...
02:29Alors on parle de communauté juive, ce qui est un terme impropre,
02:31parce qu'il n'y a pas de communauté reconnue par l'État français,
02:34mais disons à la fois la plus forte proportion en Europe de citoyens de confession juive,
02:38mais aussi musulmane.
02:39Cet antisémitisme, est-ce qu'il est d'une autre nature
02:43que celui qui existait du temps de l'affaire Dreyfus ou de la collaboration ?
02:47Il est certain que les ressorts de l'antisémitisme ont évolué.
02:50Je pense que la naissance d'Israël en 1948,
02:52je pense, c'est une certitude, a bouleversé la donne
02:55et a alimenté toute une forme d'antisionisme qui elle-même a généré,
02:59on pourra en reparler éventuellement,
03:01des comportements qui confinent ou qui sont ouvertement antisémites
03:04ou qui confinent à l'antisémitisme.
03:06Et il est certain qu'il faut éviter de tomber dans un piège
03:08qui consisterait à assimiler et associer l'antisémitisme contemporain
03:12à un seul et unique vecteur.
03:13Je pense qu'on est dans une société, une société complexe
03:15où il y a un antisémitisme qui est profondément ancré dans la société
03:18et chers serbes, nos concitoyens,
03:20quelles que soient leurs opinions politiques d'ailleurs,
03:22mais qu'il est certain que le conflit proche oriental
03:24et son exportation dans notre société ont des répercussions
03:28et que certains de nos contemporains, nos concitoyens,
03:31moi je vois des étudiants qui souffrent de confession juive,
03:34qui souffrent véritablement d'assimilation.
03:36Je pense qu'un des plus grands dangers,
03:37je sais qu'il faut que les réponses soient courtes,
03:39mais un des plus grands dangers, c'est l'essentialisation.
03:41Oui, parce qu'on serait tenté de vous dire
03:42est-ce qu'il trouve en fait son origine
03:44chez ces Français originaires du Maghreb
03:47qui se sentent un lien avec les Palestiniens,
03:48parce que le lien est souvent fait,
03:51pas seulement par le Rassemblement national.
03:52Moi je pense qu'il serait dangereux de le nier,
03:55mais je pense qu'il serait dangereux de l'exagérer.
03:57C'est-à-dire qu'il faut trouver non pas une position de normand,
04:00j'ai rien contre la Normandie, mais une position qui serait incertaine,
04:03mais il est certain que les situations récentes,
04:05et ça remonte aux années 80-90,
04:07qui surgissent ponctuellement au Proche-Orient,
04:09ont pour effet d'accentuer l'animosité à l'égard d'Israël
04:13et potentiellement des discours et des actes antisémites
04:17de la part d'une partie de nos concitoyens de confession musulmane.
04:20Mais je pense que ce serait malheureux et maladroit et très dangereux
04:23d'oublier qu'il y a d'autres vecteurs de cet antisémitisme contemporain,
04:27qui restent ceux qu'on retrouve dans une partie de l'extrême-droite française
04:31et qui sont également, parfois à leur insu,
04:34mais parfois directement alimentés par une partie des gauches,
04:37et en particulier de l'extrême-gauche française également.
04:39Antoine Mariotti, qui est avec moi, chroniqueur atterrassé à La France 24,
04:41qui va suivre la cérémonie dans l'heure qui vient, Antoine.
04:44Pour rebondir sur la question de Raphaël tout à l'heure,
04:47est-ce que c'est vraiment le 7 octobre finalement,
04:49c'est-à-dire un programme, une attaque extrêmement importante
04:53d'une ampleur inégalée sur une population juive qui déclenche ça,
04:56ou est-ce que c'est finalement l'ampleur de la réaction israélienne
04:59qui est jugée disproportionnée dans les jours et dans les semaines qui viennent ?
05:02Ou est-ce que c'est les deux ? Parce qu'il y a les deux regards finalement.
05:05Vous disiez dès les premières heures,
05:07on constate une indifférence, voire même pire.
05:10On peut reprendre l'effet du 7 octobre dans la journée.
05:14Les premiers actes et les premiers gestes antisémites dans le monde et en France
05:18sont corrélés et sont antérieurs à la réplique israélienne.
05:21Concomitant donc aux attaques du 7 octobre.
05:23Alors qu'on aurait pu imaginer, ce qui a été le cas également,
05:26une forme de comportement solidaire à l'échelle internationale et française.
05:30C'est-à-dire qu'immédiatement, certains ont considéré
05:32que ce qui venait de se produire dans la région était une sorte de boîte de pandore
05:35qui permettait de déchaîner soit une violence verbale,
05:38soit une violence physique, soit une violence psychologique
05:41sur certains de nos contemporains, concitoyens de confession juive.
05:45Alors il est certain que la réplique israélienne a accentué les choses.
05:49Mais je pense également que ce serait une grave erreur
05:51de considérer que c'est la seule et unique raison,
05:53qu'il y a des fondements bien plus profonds.
05:55Et c'est pour ça qu'à votre question, je réponds clairement.
05:57Je pense que le 7 octobre est un déclencheur, est un accélérateur,
06:01mais que les causes sont bien plus anciennes.
06:03Les antisémites se sont sentis libérés en fait.
06:05Ils n'ont pas attendu de voir l'ampleur de la réaction israélienne.
06:07Oui, mais je pense que justement, comme il n'y a pas une seule communauté juive,
06:10comme ça n'a pas un seul comportement juif,
06:12comme il n'y a pas un seul comportement arabo-musulman,
06:14je pense qu'il n'y a pas un seul comportement antisémite non plus.
06:17C'est-à-dire que c'est une sorte de grand conglomérat
06:20de gens qui ont en collimateur la communauté ou le juif qu'on essentialise,
06:24mais pour des raisons très différentes.
06:25L'union des étudiants, des lycéens en l'occurrence,
06:28juifs de France, s'alerte sur un antisémitisme qui sévit
06:31dès l'enseignement secondaire qui va des menaces aux insultes.
06:36Une étude du think tank Destins communs révèle que si 64% des sondés
06:40de tous âges considèrent qu'Israël a le droit d'exister en tant que patrie du peuple juif,
06:44il ne sont que 18-24 ans à partager cet avis.
06:47Ça veut dire quoi ? Plus on est jeune, plus on conteste le droit à l'existence d'Israël.
06:51Et est-ce là un nouvel antisémitisme ?
06:53Est-ce qu'on assimile finalement Israélien à défenseur de la politique de Netanyahou
06:59et potentiellement tout juif à un Israélien en puissance et à un Likoudnik ?
07:04Pour revenir sur vos chiffres, j'ai vu un sondage récent de Fonds d'Apolle
07:07qui expliquait que 40% des moins de 35 ans considéraient qu'Israël
07:11se comportait avec les Palestiniens comme les nazis s'étaient comportés avec les juifs.
07:14Et on va dans la même direction, si vous voulez.
07:15Quand on a ce genre de discours qui se diffuse dans une partie de notre jeunesse,
07:20là, moi, en tant qu'enseignant, je me sens directement concerné.
07:22Pourtant, moi qui oeuvre sur le terrain comme bon nombre de mes collègues
07:25pour remettre les choses à leur place,
07:27Yannis qui est un grand ami avec lequel je travaille depuis de longues années,
07:30on est mobilisés, mais on se rend compte qu'on est face à des vecteurs
07:34qui sont ceux des réseaux sociaux, qui sont ceux d'autres contre-systèmes d'information,
07:38voire même de certains enseignants qui ne vont pas dans la bonne direction.
07:41Donc pour répondre à votre question, je pense que cette jeunesse dans laquelle on évolue,
07:45cette jeunesse, ces jeunes qui n'ont pas le recul qu'on peut avoir
07:47et surtout le regard qu'ont pu avoir des gens de ma génération
07:50baignés par la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, de ce qui s'était produit,
07:53sont d'une société complètement différente.
07:55Et qu'est-ce qu'ils voient ? Qu'est-ce qu'ils entendent ?
07:56Ils entendent que quand on parle de politique dans la région,
07:59on tape pour des raisons multiples et on s'en prend éventuellement à raison
08:03pour beaucoup de faits à certains comportements des islamistes,
08:08du gouvernement israélien, mais la prise de recul, la connaissance historique manque.
08:13Et je pense qu'une bonne partie de ces comportements qui visent,
08:16alors puisque vous parliez du sondage des étudiants juifs du lycée,
08:20moi j'ai des comportements qui m'ont été rapportés par des étudiants de classe préparatoire
08:24ou d'établissements dans lesquels je peux intervenir par ailleurs,
08:27qui laissent entendre que si les étrangers juifs ne sont pas physiquement agressés,
08:30ce qui est parfois le cas dans certaines universités,
08:32mais ça je n'ai pas connu personnellement,
08:34ils se sentent mal à l'aise dans un contexte où bon nombre de leurs camarades
08:37prenant fait et cause pour une raison qui leur semble justifiée, la cause palestinienne,
08:41finissent par retomber sur ces étudiants juifs, et on le disait,
08:45finissent par considérer qu'à partir du moment où on est juif en France,
08:47on est un soutien évident et indiscutable de la politique israélienne.
08:51Un soupçon de double allégeance.
08:52Un soupçon de double allégeance qui...
08:54Qui va juste au militantisme pro-Netanyahou supposé en fait.
08:57Et qui alimente en fait une forme d'inquiétude, de peur au sein de la communauté juive,
09:01alors que celle-ci est particulièrement divisée, ne serait-ce que sur la question israélienne,
09:04sur la politique à adopter,
09:06moi qui travaille ou qui connais bon nombre de membres de cette communauté,
09:09je sais bien que les comportements sont très disparates.
09:12Mais d'une façon générale, face au danger,
09:14quand on a des étudiants qui nous disent, moi j'ai retiré la mezouza devant ma porte,
09:17ou je ne mets plus, alors ce n'est pas le cas de mes étudiants du public,
09:20mais je ne mets plus de tipa pour aller dans la rue,
09:22il y a un vrai problème.
09:23Et donc le problème, qui n'est pas nouveau parce qu'il est antérieur,
09:25on pense à des drames qui se sont produits bien avant le 7 octobre,
09:28le 7 octobre est venu, on va dire, démultiplier des comportements et des attitudes.
09:34Mais vraiment, moi en tant que post-historien,
09:35je pense que l'histoire doit apaiser et ne doit pas se souffler sur les braises
09:39d'une société qui est déjà très divisée.
09:41Il faut, avant de stigmatiser les uns ou les autres,
09:44admettre la réalité, ne pas se voiler la face,
09:47mais ne pas oublier que cette question de la haine et de la décessation des juifs ou du juif
09:51est beaucoup plus complexe que ne laissent entendre les partisans
09:53d'un seul et unique nouvel antisémitisme.
09:56Les chiffres avancés sont quand même très inquiétants, sur les jeunes évidemment.
09:59Est-ce qu'ils sont plus importants aujourd'hui depuis le 7 octobre ?
10:03Ou est-ce que finalement, parce que vous parlez de ce manque de connaissances historiques,
10:05qui finalement est le cas pour toute génération,
10:08mais est-ce que quand moi j'avais 15 ans, donc il y a 25 ans ou autre,
10:12ou vous, pardon, il y a une petite différence.
10:16Est-ce qu'à l'époque, il y avait des chiffres à peu près similaires ?
10:19Alors je n'ai pas en tête tous les sondages, mais j'ai regardé à revenir.
10:22Est-ce qu'il y avait vraiment quelque chose de beaucoup plus important ?
10:24Il y avait une plaque blanc-beurre, dans laquelle il y avait une communauté de destins.
10:28Mais je me souviens très bien, pour l'avoir vécu en tant qu'étudiant,
10:31donc à des temps très anciens, par exemple de la première intifada,
10:34où il n'y avait pas eu ces fortes poussées de violences antisémites,
10:38il y avait des discours dans les universités, il y avait des prises de position.
10:41Mais par contre, si on regarde 2014, oui c'est dans la fin des années 80,
10:46si on regarde 2014 avec la forte poussée,
10:48s'il y avait déjà une intervention israélienne à Gaza à l'époque,
10:50et il y avait eu un moment appelé « jour de colère » en France,
10:54avec à Paris des manifestations où on avait scandé « moraux juifs »,
10:57des violences terribles à Sarcelles, etc.
10:59Là, il y avait déjà eu des sondages qui montaient qu'une partie de les moins de 25 ans,
11:03en particulier en fonction de catégories sociales ou d'origine spatiale dans l'espace français,
11:09qui étaient quand même très sensibles déjà à des remises en question.
11:12Il faut quand même le dire, on est sur ce plateau et disons les choses concrètement,
11:15le travail de sape font certains, c'est un antisémite notoire.
11:20– Vous pensez à quoi ? À la gauche de la gauche aujourd'hui ?
11:24– Non, non, moi je visais en pensant à ça, plutôt à des gens comme Dieudonné ou Soral,
11:28qui malgré les efforts de la justice, continuent à faire un travail de sape considérable
11:32et imprègnent une partie de cette jeunesse dont vous parlez.
11:37Après, il est certain qu'une partie de la gauche de la gauche,
11:39qui a refusé de reconnaître les actes du 7 octobre comme des actes terroristes,
11:42qui continuent à parler de résistance,
11:44moi qui travaille sur la résistance depuis des années,
11:47aujourd'hui, 7 octobre 2024, nous commémorons les 80 ans d'un acte de résistance considérable,
11:54qui est la révolte du Sonderkommando à Auschwitz, qui a détruit un crématoire à Auschwitz.
11:58Ça, c'était des résistants, vous voyez ?
12:00Donc après, on peut discuter sur la sémantique de la résistance,
12:03mais des résistants ne décapitent pas les bébés ou ne violent pas des femmes,
12:06comme ça a été le cas, donc je pense que sur la question des mots,
12:08sur la question du sens, sur la question des actes,
12:11on peut toujours ensuite venir gloser sur la répression, sur les victimes civiles,
12:14mais que ça se répercute sur les citoyens ou nos compatriotes de confession juive,
12:20quelle que soit la région du monde, ce n'est pas normal, ce n'est pas normal.
12:23Donc là-dessus, il y a un gros travail à faire, l'école tente de le faire, mais ce n'est pas simple.
12:27On observe une forme de séparatisme géographique aujourd'hui dans ces quartiers où vivaient autrefois ensemble,
12:33c'est le cas de Sarcelles par exemple, mais pas seulement,
12:35juifs et musulmans, aujourd'hui, c'est devenu très difficile.
12:40Alors moi, je fais toujours attention à répondre sur ce que je sais répondre dans la précision,
12:45mais de fait, pour travailler avec Yannis ou pour échanger avec bon nombre de mes collègues,
12:49Yannis Roder qui enseigne l'histoire géographique en Seine-Saint-Denis et qui est très actif sur la défense de la mémoire de l'Holocauste.
12:57Tout à fait, ce qui est certain, c'est qu'il y a un certain nombre d'endroits
13:00où il faut que les enseignants soient particulièrement bien formés pour aborder ces questions.
13:05Et justement, ce n'est pas franchement un problème de séparatisme,
13:07c'est un problème de contact, d'interface entre les élèves qui arrivent avec leurs idées,
13:11avec ce qu'on leur raconte à la maison, avec ce qu'on leur raconte dans le club sportif
13:14et avec des gens qui peuvent représenter une forme de savoir, d'autorité, de compétence,
13:19qui sont capables de leur expliquer que ce qu'on leur dit n'est pas complètement vrai
13:22et de leur proposer un contre-discours.
13:24Et à partir du moment où on ouvre la voie du contre-discours,
13:27on ne prétend pas être seulement dans la vérité ou dans la propagande,
13:30mais on fait réfléchir des gens et on leur fait comprendre que finalement,
13:33on peut porter le jugement qu'on veut sur ce qui se passe au Proche et Moyen-Orient,
13:36on peut appeler à manifester en faveur des Palestiniens,
13:40mais si on appelle à manifester en faveur des Palestiniens
13:42et qu'on sait que ces manifestations peuvent générer des violences antisémites,
13:46là, il faut y prendre garde, c'est à ça que je pense.
13:48Non, on comprend la méthode, mais dans les faits, depuis Ilan Halimi,
13:51la vérité, c'est qu'un certain nombre de Juifs français ont peur.
13:55Ah, c'est une réalité.
13:56Est-ce qu'ils ont, pour autant, des ménagés ?
13:57Voire partent en Israël pour vivre où ils se sentent plus en sécurité,
14:00alors que c'est quand même parfois loin d'être le cas.
14:02Vous en avez vu un certain nombre arriver du temps où vous étiez correspondant.
14:05Mais il y en a d'ailleurs qui reviennent en France,
14:07parce que s'habituer au rythme israélien n'est pas toujours évident.
14:09Mais il est certain que les contacts et les quelques amis que j'ai
14:12qui travaillent en France ou dont une partie de la famille
14:14vivent en Israël, me disent ça.
14:17Ils se sentent parfois, malgré le contexte actuel,
14:19plus en sécurité dans les rues de Tel Aviv ou de Jérusalem
14:22que dans certains espaces français,
14:25ce qui n'est pas sans poser un certain nombre de questions.
14:28Donc, je pense que ce vivre ensemble,
14:30qui a fait quand même la force de notre République sur des décennies,
14:32sans tomber dans la naïveté ou l'idéalisme,
14:35est en ce moment en péril, en question.
14:37Et que, c'est un discours que j'ai eu il y a quelques mois
14:40sur une chaîne de radio,
14:42c'est que les grandes institutions, que sont les églises,
14:44que sont les syndicats, que sont les partis politiques,
14:47auraient tout intérêt, au-delà d'une visée purement électoraliste,
14:51à choisir l'apaisement plutôt que de souffler sous les braises
14:54de la division ou de l'animosité.
14:56Voilà, c'est peut-être un discours un petit peu naïf,
14:57mais en tant qu'enseignant, je sais que c'est ce que je m'essaie de faire
15:00avec des étudiants qui vivent dans des quartiers un peu différents
15:03et qui sont d'horizons très différents également.
15:05C'est d'essayer de faire réfléchir les gens
15:07plutôt que de leur inculquer une vérité
15:09qu'on n'a pas à inculquer quand on est enseignant.
15:11Alexandre Bande, vous êtes historien, je l'ai rappelé.
15:14Votre domaine d'études, c'est l'histoire de l'antisémitisme ici en France.
15:16Vous vouliez que, d'ailleurs, cet entretien reste circonscrit
15:19à cette simple question.
15:20Néanmoins, pour l'historienne que vous êtes,
15:22vous comprenez qu'aujourd'hui, à l'heure de ces commémorations
15:25du 7 octobre, cela résonne pour les Israéliens
15:30comme un dur retour de l'histoire ?
15:34Oui, alors moi qui travaille surtout plus particulièrement
15:35sur l'histoire et la mémoire de la Shoah,
15:37j'entendais votre correspondante tout à l'heure en Israël
15:40revenir sur cette comparaison qui est faite
15:42entre ce qui s'est passé le 7 octobre
15:43et les crimes considérables qui ont été commis
15:46durant cette triste période.
15:47Pour être intervenu quelques jours après le 7 octobre,
15:50j'avoue, devant des professeurs que je formais
15:52sur les questions du crime de masse qu'a été la Shoah,
15:55j'avoue que je ne pensais pas un jour devoir enseigner des choses
15:58en imaginant qu'elles s'étaient produites,
16:01certaines d'entre elles, aussi proches
16:02et que j'étais contemporain de ces choses-là.
16:04Je ne sais pas si je suis clair dans mon propos,
16:05mais en même temps, je pense que pour éviter de galvauder
16:07justement le terme de génocide, puisqu'on n'en a pas parlé,
16:10mais c'est un des grands axes, un des grands chevaux de bataille
16:12de ceux qui aujourd'hui dénoncent la politique israélienne,
16:15en inversant la question génocidaire,
16:17en inversant la question et en associant les Juifs
16:20aux nazis d'aujourd'hui, c'est ce que disait Yankelevitch
16:23en 1967 quand il parlait de l'antisionisme,
16:25il disait qu'il n'y a pas de meilleure solution
16:27que d'être antisioniste, ça permet d'être démocratiquement
16:29antisémite et je ne donne pas la formule exacte.
16:32Il disait quel bonheur si les Juifs étaient en plus des nazis.
16:34Et donc Yankelevitch 67, c'est à peu près l'accusation d'aujourd'hui.
16:38Donc moi, je pense que la Shoah, c'est un épisode
16:41qui a fait 6 millions de morts, qui a généré des pratiques,
16:44des comportements absolument abominables,
16:46mais qu'il ne faut pas comparer avec ce qui s'est passé l'année dernière,
16:49même si je comprends fort bien que dans la société israélienne,
16:52dans la mémoire collective juive, ça réactive des souvenirs
16:55qu'on pensait définitivement enterrés, de voir mourir
16:59en une seule même journée 1 200 personnes depuis le fonctionnement des...
17:03Comme Claude Lanzmann, vous croyez en l'unicité de la Shoah.
17:07Moi, je pense, et j'ai une grande estime pour le travail de Claude Lanzmann,
17:11je pense que moi qui travaille également sur l'approche comparatiste des génocides,
17:14il y a des points communs, mais il y a un phénomène unique dans la Shoah,
17:17pas seulement pour des raisons numériques,
17:19en termes de fonctionnement, on n'a pas le temps d'en parler aujourd'hui.
17:21Et donc, je pense que ce qui s'est passé,
17:23et quand on sait qu'il y a des victimes ou des survivants de la Shoah
17:25qui ont été massacrés le 7 octobre dernier,
17:28des gens qui avaient plus de 85 ou 90 ans ou qui ont perdu des proches,
17:31on peut imaginer, et là-dessus, je comprends tout à fait,
17:34qu'il y ait des associations qui soient faites.
17:35Moi, en tant qu'historien de la Shoah, je pense plutôt à des actes
17:38ou à des comportements qui ressembleraient à des comportements pogromistes
17:41qu'on pourrait trouver, enfin de pogroms, à la fin du XIXe ou au début du XXe dans l'Ancien Empire russe,
17:46ou à ce qui avait pu se passer en Palestine, par exemple, dans l'entre-deux-guerres,
17:50au moment où les frictions entre populations arabes et juives étaient importantes.
17:53Mais je comprends tout à fait, et je valide tout à fait,
17:56que ça puisse réactiver ce souvenir.
17:57– Merci beaucoup Alexandre Band d'avoir été avec nous.
18:00Je rappelle que vous êtes historien et auteur d'une histoire politique de l'antisémitisme ici en France.
18:06Merci d'avoir été avec nous.

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