Nigeria : enquêtes sur les réseaux criminels

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00:00 *Générique*
00:19 Et la Grèce pourrait perdre 30% de sa population d'ici à 2060.
00:24 C'est le titre d'un article que j'ai trouvé ce matin dans le courrier international
00:28 qui reprend un article de TANEA, le grand quotidien du soir grec.
00:32 Au dernier recensement, les Grecs étaient 10.482.487.
00:38 C'est déjà 383.000 habitants de moins qu'il y a 10 ans
00:42 et la tendance s'accélère nettement.
00:44 Le journal explique, les causes principales du déclin de la population sont doubles.
00:48 Premièrement, les Grecs n'ont tout simplement plus d'enfants.
00:50 Deuxièmement, les jeunes éduqués du pays fuient à l'étranger.
00:54 Résultat, notamment dans le nord du pays, des villages entiers disparaissent de la carte.
00:59 L'Europe vieillit et la Grèce vieillit encore plus vite.
01:03 Mais à quelques milliers de kilomètres de là,
01:06 bordé par le golfe de Guinée entre le Cameroun et le Bénin,
01:09 un géant d'Afrique de l'Ouest connaît une trajectoire exactement inverse.
01:14 Le Nigeria, qui comptait moins de 38 millions de Nigérians en 1950,
01:19 compte 390 millions en 2018 et l'ONU prévoit plus de 410 millions d'habitants d'ici à 2050,
01:26 ce qui ferait de lui, dans 30 ans, le troisième pays le plus peuplé de la planète,
01:31 derrière l'Inde et la Chine.
01:33 Et c'est sur cette terre, peut-être la plus riche du continent,
01:36 sûrement la plus inégalitaire, que nous emmènent mes deux invités aujourd'hui,
01:40 avec deux livres très différents par nature, mais très complémentaires en fait.
01:45 "L'Afrique", une enquête journalistique sur la mafia nigériane,
01:48 et "Free Queens", un roman ayant pour sujet une enquête journalistique sur la mafia nigériane.
01:54 Leurs auteurs et autrices étaient donc faits pour se rencontrer.
01:57 Pour ce qu'il dénonce, pour ce qu'il nous a appris et pour le travail d'écriture de l'auteur.
02:01 C'est vraiment un livre qui nous fait voyager dans des circonstances
02:05 qui ne sont pas forcément celles d'une agence touristique.
02:08 C'est un livre difficile, sur des faits peu plaisants,
02:11 avec lequel on passe pourtant un excellent moment.
02:14 France Culture, le book club Antoine Léris.
02:19 Voilà un petit aperçu de ce que nos lecteurs du book club ont pensé de vos livres,
02:23 qu'ils ont beaucoup apprécié. Bonjour Célia Le Bur.
02:26 Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
02:28 Vous êtes journaliste à l'agence France Presse,
02:30 vous coordonnez la cellule d'investigation numérique pour l'Afrique francophone,
02:34 après avoir été correspondante au Nigeria de 2016 à 2020,
02:38 et vous êtes l'autrice avec Johan Tillwin de cette enquête journalistique, Mafia Africa.
02:44 C'est aux éditions Flammarion. Bonjour Marin Le Dun.
02:47 Bonjour.
02:48 Vous êtes un écrivain, un auteur noir de polar,
02:52 et vous avez commis ce livre Free Queens, en série noire Gallimard, édité cette année.
03:00 Alors c'est effectivement un livre très noir sur une enquête journalistique,
03:04 et au-delà un livre qui nous fait découvrir un Nigeria qu'on n'imagine pas.
03:09 Je voulais vous... On a commencé avec la Grèce et cette Europe qui vieillit,
03:13 avec au contraire cette Afrique qui s'éveille, et en tout cas c'est le cas pour le Nigeria.
03:19 Il y a tout de même un point commun entre ces deux pays, c'est une jeunesse qui rêve de s'enfuir.
03:25 Oui, c'est une jeunesse qui rêve de s'enfuir,
03:28 notamment encore plus ces dernières années où la situation économique
03:32 s'est vraiment, vraiment largement détériorée.
03:35 Le secteur pétrolier qui assure l'essentiel des revenus du Nigeria va extrêmement mal.
03:40 On a des gouvernants qui sont quand même très à la peine en termes de gouvernance, justement.
03:47 Et aujourd'hui il y a un terme qui s'est popularisé au Nigeria,
03:51 qui est le terme "djapa" en yoruba,
03:53 qui signifie "s'enfuir au plus vite pour s'échapper d'une situation dangereuse",
03:57 et qui traduit bien l'état d'esprit de la jeunesse nigeriane
04:00 qui bien souvent ne pense qu'à une chose, partir.
04:03 Et moi par exemple, sur les quatre années que j'ai vécues effectivement au Nigeria,
04:09 aujourd'hui j'ai beaucoup d'amis, beaucoup de contacts,
04:12 que ce soit dans les classes populaires ou dans les classes très aisées qui sont parties
04:17 et qui vivent aujourd'hui ailleurs, en Europe, aux Etats-Unis, un peu partout.
04:21 - Marin Nodin, c'était ce que vous vouliez décrire justement,
04:24 un pays, une terre dont on a envie de fuir.
04:28 - Alors paradoxalement, enfin disons en complément de ce que Célia vient de dire,
04:34 moi ce qui m'a intéressé c'est la façon dont les capitaux arrivent
04:38 pour mieux repartir avec beaucoup de bénéfices.
04:41 Le roman s'intéresse à ces réseaux mafieux et notamment la manière dont ils peuvent être
04:46 le support de manœuvres financières ou économiques,
04:49 en l'occurrence l'industrie de la bière dans le roman,
04:52 j'imagine une multinationale de la bière qui a grand intérêt à utiliser cette jeunesse
04:57 et à utiliser le désir de modernité, le désir de fuite,
05:01 le désir d'argent et de réussite de cette jeunesse pour faire beaucoup, beaucoup d'argent.
05:05 - Vous avez été correspondante au Nigeria entre 2016 et 2020.
05:09 Est-ce que vous pouvez nous décrire à quoi ressemblent les Ghôs ?
05:13 Parce que c'est une ville vraiment source de fantasmes pour tous
05:17 et vous qui l'avez vécu, à quoi ça ressemble ?
05:20 - Oui, alors c'est compliqué à décrire, c'est une ville tentaculaire,
05:25 c'est une ville où on ne sait même pas vraiment combien d'habitants y vivent.
05:29 Aujourd'hui on parle de 20 millions, peut-être plus, peut-être moins,
05:32 il n'y a pas vraiment de recensement, en tout cas pas depuis longtemps.
05:35 C'est une ville, esthétiquement, quand on arrive en avion, c'est hyper impressionnant.
05:40 On arrive sur une étendue apocalyptique de maisons enchevêtrées, de toits de tôle.
05:47 C'est très, très étendu parce qu'il n'y a pas beaucoup d'immeubles hauts à l'égos.
05:52 Il y a énormément de routes, de voies qui s'intercroisent.
05:56 Il y a un côté extrêmement moderne, à la fois un peu apocalyptique,
06:02 il y a beaucoup de chaos dans le sens de la densité de population.
06:06 Il y a du monde partout, à toute heure, tout le temps.
06:09 Les gens travaillent tout le temps, la nuit, le jour, on se démène,
06:14 on cherche des poignées de nerats pour manger bien souvent, pour le soir même.
06:20 C'est vraiment une ville extrêmement dynamique.
06:24 Et justement, qui a aussi un pôle culturel énorme aujourd'hui,
06:29 en termes de musique, de cinéma, d'art contemporain, de mode.
06:33 Il y a énormément de choses qui se passent tout le temps à l'égo.
06:38 C'est une ville fascinante, qui souffre et qui, en même temps,
06:42 est dans la créativité permanente, dans un espèce de bouillonnement un peu surréaliste,
06:47 qui est fascinant, qui peut être un peu terrifiant, et que j'ai adoré.
06:52 - Ce qui est intéressant, justement, là où vos livres, notamment sur ce point-là,
06:56 dialoguent admirablement et se complètent, c'est que vous, Marne Le Dind,
06:59 c'est vraiment un autre Nigeria que vous nous racontez,
07:01 puisqu'il y a vraiment une scission entre le nord et le sud du pays.
07:05 Et votre intrigue commence dans le nord du pays.
07:10 - L'intrigue commence dans la province, dans l'état de Kadouna,
07:14 qui est un... Alors, c'est paradoxal, parce que quand je me documentais sur le roman,
07:19 ce récit que vous faites de l'arrivée sur l'égos, de ce côté hyper foisonnant,
07:24 hyper inégalitaire, c'est quelque chose que j'ai beaucoup, beaucoup retrouvé
07:27 dans plein de livres, dans plein d'articles, etc.
07:29 Et sur Kadouna, c'était très, très compliqué d'obtenir ça,
07:33 peut-être parce qu'il y a moins de journalistes étrangers dans le nord du Nigeria,
07:37 peut-être que vous allez me le dire.
07:39 Et donc, ce qui était vraiment passionnant, alors du point de vue de la fiction,
07:45 encore une fois, du point de vue du romancier, c'était d'observer
07:48 cette espèce de décalage qu'il y avait entre, quelque part aussi,
07:51 cette immense modernité qu'il peut y avoir à l'égos,
07:54 même si elle côtoie une immense misère aussi proportionnelle,
07:58 et le caractère presque anti-modernité du nord,
08:05 de toute cette misère rurale, de tous ces gens qui gravitent autour,
08:09 qui supportent l'islamisme radical, le côté hyper violent.
08:16 Quand j'ai cherché à me rendre au Nigeria pour me documenter sur le roman,
08:19 tout de suite on m'a dit "non, surtout tu ne vas pas au nord du Nigeria,
08:22 tu es un petit mâle blanc européen, c'est vraiment une très, très mauvaise idée pour toi
08:25 de monter à Kadouna".
08:27 - C'est dû à l'existence du pétrole, des ressources pétrolières
08:31 qui sont dans le sud et qui concentrent absolument toutes les richesses
08:34 par rapport au nord, c'est-à-dire le bio.
08:36 - Alors il y a ça en partie, mais il y a aussi le fait que ce pays
08:40 est extrêmement polarisé, culturellement et religieusement,
08:45 entre un sud très dynamique économiquement,
08:48 et à majorité chrétienne, et un nord à majorité musulmane,
08:52 beaucoup plus traditionnel, beaucoup plus conservateur.
08:55 Et c'est vrai que les villes comme Kadouna, Kano,
08:59 sont soumises notamment au droit de la charia
09:03 en parallèle de la justice classique moderne.
09:07 Donc on est vraiment sur...
09:09 Aujourd'hui, les gens du sud ne se sentent pas quasiment partis
09:14 du même état-nation que ceux du nord, et vice-versa.
09:17 C'est quand même une donnée extrêmement importante au Nigeria.
09:20 - Alors je voudrais qu'on écoute quelques mots de Stéphanie,
09:23 qui a lu votre livre et qui nous a envoyé une note de lecture.
09:27 - Alors "Mafia Africa", c'est vraiment un livre qui nous transporte
09:31 de Marseille au Nigeria, de Palerme à Lyon, à Paris,
09:35 qui nous fait voyager, alors dans des circonstances
09:39 qui ne sont pas forcément celles d'une agence touristique.
09:43 On est dans une plongée, une enquête dans les réseaux
09:47 de ce qu'on appelle la mafia nigériane, la mafia africaine.
09:50 C'est un livre très prenant, que j'ai trouvé très intelligent
09:54 parce qu'il est très bien mené par les deux journalistes,
09:57 par Johan Tillwin et Célia Le Bur, qui sont allés jusqu'à rencontrer
10:02 Oles Soyinka, le Grand Prix Nobel de littérature.
10:06 C'est vraiment un livre qui nous mène très loin
10:11 et qui est absolument passionnant, qui donne une réalité
10:16 assez angoissante du monde dans lequel nous vivons,
10:19 mais que j'ai trouvé vraiment très intéressante.
10:23 En cette journée de juin 2020, la salle d'assises du tribunal de Paris
10:28 s'est faite chambre d'écho d'un drame lointain, confus et ultra-violent.
10:33 Les unes après les autres, des Nigerianes montent à la barre
10:36 pour témoigner contre leur ancien proxénète.
10:39 Elles racontent l'envers de scènes qui ont fini par devenir habituelles
10:42 aux marges des grandes villes européennes, envahies à la tombée de la nuit
10:46 par des silhouettes fugitives en équilibre sur de hauts talons.
10:50 Les jeunes femmes dénoncent les pas s'enchaîner sur les bas côtés des maréchaux
10:54 et dans les taillis du bois de Vincennes.
10:56 Les journées séquestrées dans des appartements sordides
10:59 où celles qui ont le malheur de tomber enceintes
11:02 sont forcées à avorter dans des conditions effroyables.
11:05 Mais elles évoquent aussi des tableaux plus énigmatiques,
11:08 des rites mystiques organisés lors de leur départ du Nigeria
11:12 et tout au long de leur périple par les membres d'organisations mystérieuses
11:16 qu'elles appellent cultes.
11:19 (musique)
11:23 C'est donc Célia Le Burre la première page de votre enquête.
11:27 C'est de là que vous êtes partie, de ce moment, de ce procès ?
11:31 Oui, entre autres, Johan, mon co-auteur qui était à Paris,
11:36 lui, quand on a commencé cette enquête, suivait en fait ces grands procès,
11:41 les premiers grands procès des réseaux de proxénétisme nigérians.
11:45 Et moi, j'étais encore justement au Nigeria à ce moment-là
11:49 et on parlait de l'autre côté de la Méditerranée,
11:53 à presque 6 000 kilomètres de là,
11:55 beaucoup des cultes et des crimes qu'ils commettent au Nigeria.
12:00 Et on s'est dit, voilà, quel pourrait être le trait d'union,
12:03 comment ça se fait qu'on retrouve ces groupes criminels-là si loin.
12:08 Et en fait, comme en France, on parlait beaucoup du sort
12:12 des jeunes femmes nigérianes, de ces jeunes prostituées,
12:16 par la force, des rites vaudou, juju auxquels elles étaient soumises.
12:21 Mais on savait très peu, en fait, des réseaux qu'il y avait derrière,
12:24 et notamment de ces hommes qui les soumettent.
12:27 On connaissait un petit peu les réseaux de Madame Proxénète.
12:30 Mais il y avait énormément d'inconnus.
12:33 Et notre démarche, ça a vraiment été d'essayer de comprendre
12:36 quels étaient ces réseaux-là, comment ils fonctionnaient.
12:39 Et justement, ces fameux cultes, ce qu'il pouvait y avoir derrière.
12:43 Donc on est vraiment parti à la rencontre,
12:45 beaucoup des bourreaux, des auteurs, de ces souteneurs
12:49 qui sont souvent à la fois d'ailleurs victimes et auteurs.
12:52 - Marin Ledin, vous êtes parti, vous également,
12:55 vous qui avez l'habitude d'écrire à partir d'une réalité,
12:58 souvent une réalité que vous voulez sinon dénoncer,
13:01 au moins exposer au grand jour.
13:03 Et vous aussi, votre roman commence en France.
13:07 - Oui, précisément, le roman démarre sur ces témoignages-là
13:12 et sur ce qui est fleuré à la surface côté français
13:16 et qu'on retrouve abondamment dès qu'on s'intéresse
13:19 à la question de la prostitution nigérienne,
13:21 qui sont ces procès, qui sont ces réseaux
13:23 où on parle beaucoup effectivement des victimes.
13:26 Et finalement, assez peu d'informations sur la manière
13:29 dont tout ça est organisé, qui en profite.
13:32 Et donc je suis parti de là comme un espèce de clin d'œil,
13:35 si j'ose dire, c'est peut-être pas le terme qui convient,
13:38 parce que c'est quand même assez sordide.
13:40 Donc je pars porte de Pantin à l'occasion d'une maraude
13:43 et voilà, on suit une jeune prostitue nigérienne
13:47 qui est prise, dont va s'occuper une journaliste française,
13:52 qui va partir au Nigeria et finalement,
13:55 non pas enquêter sur, continuer cette exploration
13:59 des victimes et de la prostitution,
14:02 mais montrer aussi à qui elle sert, qui s'en sert,
14:05 qui utilise cette prostitution,
14:07 comment finalement elle fonctionne sur une route un peu imaginaire
14:11 que j'ai pensée dans le roman, qui est la route de la bière.
14:14 - Et c'est là justement où vos deux ouvrages
14:17 dialoguent vraiment parfaitement,
14:19 puisque vous nous racontez, vous nous faites découvrir
14:23 ce que sont les cultes, c'est-à-dire les lebures.
14:25 Alors il faut vraiment préciser ce que sont ces sociétés secrètes
14:30 dont on n'a pas idée en France.
14:32 - Oui, parce qu'à l'origine, ce sont vraiment des sociétés,
14:35 des confraternités étudiantes qui ont été créées
14:38 sur les campus nigériens, dans le sud du Nigeria,
14:41 dans les grandes villes, dans différentes grandes villes,
14:43 à partir des années 50.
14:45 Et d'ailleurs, le premier homme à avoir créé
14:48 l'une de ces confraternités, c'est justement
14:51 Wole Soyinka, dont parlait votre auditrice tout à l'heure,
14:54 - Prix Nobel de littérature.
14:56 - Voilà, sommité littéraire, premier prix Nobel de littérature africain,
14:59 qui bien malgré lui a créé un peu ce monstre,
15:03 ce qui deviendra un monstre par la suite.
15:06 Et au départ, ce sont des confraternités tout à fait inoffensives,
15:09 qui sont des clubs étudiants, un peu créés sur le modèle anglo-saxon
15:13 de l'époque, alpha, beta, etc.
15:17 Et qui vont petit à petit, vraiment muer en organisation criminelle,
15:22 à la fois dans un contexte très compliqué de dictature militaire,
15:28 qui a duré quasiment 30 ans au Nigeria,
15:31 dans les années 70, 80 et 90,
15:35 et qui ont beaucoup instrumentalisé ces groupes-là
15:38 pour mater les révoltes et les répressions populaires.
15:41 Et puis, parce qu'on est dans un contexte économique très difficile,
15:44 qui favorise forcément l'essor d'une certaine criminalité souterraine,
15:48 et ces groupes-là vont vraiment muer en groupe criminel,
15:52 qui travaillent à la solde des politiciens,
15:55 et c'est encore véritablement le cas au Nigeria aujourd'hui,
15:59 en période électorale notamment,
16:01 ils sont payés, instrumentalisés pour intimider les électeurs,
16:05 un camp contre l'autre, etc.
16:09 Et qui, en parallèle de toute cette activité au Nigeria,
16:12 vont également se développer un peu sur les cinq continents,
16:16 parce qu'aujourd'hui, et c'est un peu l'objet de notre livre aussi,
16:19 c'est qu'ils sont présents en Europe énormément,
16:22 ils sont présents en Amérique du Nord,
16:25 ils sont présents en Amérique latine, en Asie,
16:28 et ils sont aujourd'hui multicasquettes,
16:31 ils sont actifs dans la traite des êtres humains,
16:35 mais aussi sur le trafic de drogue, la cybercriminalité,
16:38 ils ont vraiment beaucoup de secteurs d'activité différents.
16:43 - Qu'est-ce qui différencie finalement un culte d'une mafia ?
16:46 Est-ce qu'on peut simplement les appeler "mafia"
16:48 comme on parle de "mafia" pour la mafia italienne,
16:50 ou est-ce que, véritablement, il y a une structuration différente ?
16:54 - Le titre de notre livre est un peu un clin d'œil
16:57 au fait que, notamment, la justice italienne
17:00 les qualifie de "mafia" au même titre que leur mafia traditionnelle,
17:04 mais nous, avec Joanne, en tant que journaliste et auteur,
17:08 on se garde bien de les qualifier de "mafia".
17:11 On a levé un pain de voile sur ces groupes
17:14 qui sont encore extrêmement compliqués déjà à décortiquer, à analyser,
17:18 mais ce que l'on en comprend à l'heure actuelle,
17:22 c'est que c'est des groupes beaucoup plus complexes que des mafias,
17:25 beaucoup moins structurés,
17:27 c'est une espèce de nébuleuse, en fait, de groupes interconnectés,
17:31 mais qui collaborent sur des bases assez opportunistes,
17:34 assez ponctuelles, en fonction de leurs intérêts,
17:37 en fonction de où ils sont basés à un instant T géographiquement,
17:42 et qui aussi sont souvent en conflit.
17:46 On voit qu'il y a beaucoup de groupes et de petits chefs
17:50 qui s'affranchissent des grands chefs, qui sont bien souvent basés au Nigeria,
17:54 donc finalement, c'est beaucoup moins pyramidal et structuré
17:58 que ce qu'on a l'habitude de voir avec les mafias traditionnels.
18:01 - Marin Le Dain, ce que vous racontez aussi dans ce livre,
18:04 c'est justement cette imprégnation de l'économie souterraine,
18:06 de cette économie noire dans l'économie réelle du pays,
18:09 par rapport justement, notamment au système politique,
18:11 mais aussi économique de ces grandes entreprises,
18:14 les multinationales notamment dont vous parlez.
18:16 - Ce que j'imagine, c'est comment, disons,
18:21 ces ramifications qui s'exportent depuis le Nigeria,
18:23 sur le cas de la prostitution, vont rencontrer un processus
18:27 exactement inverse de multinationales qui ont soif de ces territoires,
18:33 où il y a une valeur ajoutée qui est hyper forte sur des produits,
18:36 par exemple, comme la bière, où la main d'œuvre est absolument pas chère,
18:39 où la corruption est très facile,
18:41 où la normalisation législative est tellement faible et tellement achetable
18:46 qu'il y a des possibilités de développement très très fortes,
18:49 pour peu qu'on puisse frayer, s'organiser avec les politiques,
18:55 avec les élites locales, avec des groupes mafieux aussi.
18:59 Et c'est le cas de cette multinationale de la bière,
19:02 qui finit par travailler avec des criminels,
19:05 pas forcément identifiés effectivement comme une mafia,
19:07 plutôt une bande organisée de proxénètes,
19:10 qui travaillent sur de l'exploitation de femmes prostituées sur le territoire,
19:18 et qui vendent leurs services pour essaimer dans des bars,
19:22 dans des boîtes de nuit, conquérir des parts de marché,
19:24 au même titre qu'elles pourraient faire de la publicité.
19:27 Dans le roman, c'est présenté comme une espèce d'ensemble,
19:33 une politique commerciale globale qui comprend aussi
19:37 comme point d'accroche l'exploitation du corps des femmes.
19:42 - Cette trajectoire des cultes, Célia Le Bur,
19:45 on a le sentiment en tout cas de l'extérieur,
19:47 dites-moi si j'ai tort, qu'elle raconte un peu la trajectoire du Nigeria,
19:51 c'est-à-dire un pays dont on pensait qu'il serait probablement
19:54 une locomotive économique, démocratique, sociétale du continent africain,
19:58 et qui se retrouve aujourd'hui un peu gangrénée par cette corruption,
20:02 par cette économie souterraine.
20:04 - Oui, et c'est d'ailleurs exactement l'analyse qu'en fait Wole Soyinka,
20:08 encore une fois, lui-même il parle de ce dévoiement en fait
20:12 de la culture, des valeurs profondes en fait,
20:16 qui a animé le pays, puisqu'on voit par exemple
20:19 les cultes s'inspirent énormément des croyances précoloniales
20:23 et de certaines pratiques ésotériques,
20:27 qui à la base sont censées rendre la société plus harmonieuse,
20:32 comme finalement toute religion,
20:35 et qui finalement sont dévoyées à des fins criminelles
20:39 absolument sordides et catastrophiques pour ceux qui en sont victimes.
20:44 Mais effectivement, par ailleurs,
20:48 on peut aussi voir les choses d'une autre manière,
20:51 alors certes un peu cynique, mais il y a aussi la dimension
20:55 purement capitaliste de ces groupes criminels,
20:58 qui montre que, pourquoi finalement l'Afrique n'aurait pas
21:02 sa propre criminalité organisée, comme tous les continents l'ont eue aujourd'hui,
21:06 et c'est aussi ce qui se passe, c'est-à-dire qu'il y a une vraie difficulté
21:11 pour les Nigériens aujourd'hui à s'insérer dans l'économie formelle, réelle,
21:15 transnationale, et finalement,
21:20 par leur esprit d'entreprise et par leur dynamisme économique,
21:25 ils ont créé leur propre réseau, certes criminel et extrêmement condamnable,
21:31 mais voilà, ils sont présents aujourd'hui sur ce marché-là.
21:35 - De cette réalité donc que vous mettez en lumière dans "Mafia Africa",
21:39 Célia Le Burre, à la fiction que vous racontez, Marin Ledin,
21:43 on va écouter quelques mots de votre livre, lu par nos auditeurs Clara et Maxime.
21:47 - Le Kaduna College dispensait des formations au métier de la vente à 600 euros l'année.
21:56 Il affichait l'apparente respectabilité d'une école privée pour jeunes femmes,
22:00 située sur le campus universitaire, cofinancée par le gouvernement
22:04 et par la fondation MBIRS & Nigeria.
22:07 300 prédendants triés sur le volet s'y pressaient chaque année depuis 2016,
22:11 étudiantes le jour, stagiaires, vendeuses et prostituées la nuit.
22:15 Chaque vendeuse ou serveuse embauchée par MBIRS & Nigeria qui le souhaitait
22:18 pouvait suivre les cours durant deux ans, au terme desquels l'école validait leur diplôme.
22:23 Les filles y gagnaient une formation, un diplôme qu'elles pouvaient ensuite revendiquer
22:26 sur le marché de l'emploi et un avenir potentiel,
22:29 en échange de faveurs accordées aux clients le temps de leurs études.
22:32 La plupart d'entre elles, issues de familles pauvres,
22:35 se battaient pour intégrer le Kaduna College.
22:37 Les places étaient chères, la liste datant des candidatures long comme le bras.
22:41 [Musique]
22:46 Ce qui est assez formidable chez vous, Marin Laudin, c'est que
22:49 il y a vraiment cette part d'écriture noire, vous utilisez les codes de l'écriture du roman noir
22:54 et à la fois une documentation très sérieuse, très rigoureuse,
22:59 je pense comme on l'a entendu, pour ce type de fonctionnement-là.
23:02 Mais la question que je me suis posée en lisant votre livre, c'est est-ce que vous êtes allé au Nigérien ?
23:07 C'est une question qui paraît idiote, mais je me suis posé.
23:11 Non, je ne suis pas allé au Nigéria. L'idée de ce roman, elle a germé en 2020, au moment du confinement.
23:16 Donc, nous étions empêchés, j'étais empêché ici et eux-mêmes étaient empêchés.
23:21 Je ne suis pas allé au Nigéria physiquement.
23:25 Par contre, je suis allé suivre cette route de la bière en littérature, en cinéma nigérien,
23:32 en littérature journalistique y compris.
23:37 Et il y a énormément de matière.
23:40 On va dire, si je faisais une recherche, imaginons une recherche dans toute cette littérature foisonnante nigérienne
23:47 avec un mot-clé qui serait le mot "bière", je trouverais énormément de choses.
23:51 Ce que vous racontiez tout à l'heure sur la façon dont ces groupes armés utilisent aussi des rites vautous,
23:59 s'appuient sur tout un tas d'idées vaguement religieuses,
24:03 ou l'industrie de la bière telle qu'elle existe réellement au Nigéria,
24:08 elle s'appuie aussi là-dessus pour sa publicité, elle s'appuie aussi là-dessus pour recruter,
24:12 elle s'appuie aussi là-dessus pour investir un certain nombre de régions et pour conquérir des parts de marché.
24:18 L'histoire, le point de départ, le lien comme ça entre prostitution et multinationales de la bière,
24:24 c'est quelque chose qui est né à la lecture assez surprenante d'un essai d'un journaliste hollandais
24:30 qui s'appelle Olivier Van Biemen, qui s'appelle Laineken en Afrique,
24:33 et qui raconte comment cette multinationale, dans les années 2010-2012,
24:38 a eu recours à la prostitution pour assurer sa politique commerciale.
24:43 Alors évidemment, il y a un ex-flic, évidemment c'est un roman noir, un ex-flic muté à la sécurité routière,
24:51 Ony Goge, et vous lui faites dire, parce que ça justement, par rapport au fait que vous n'y soyez pas allé,
24:57 vous lui faites dire que le Nigeria est un enfant magnifique et insatiable,
25:01 né du viol colonial et de l'union forcée entre des peuples incapables de s'entendre,
25:06 et devenu un monstre incontrôlable, répandant rancœur et haine dans le cœur des hommes.
25:11 Comment s'en connaître le pays ?
25:14 Vous arrivez à mettre des mots comme ça dans la bouche de cet ex-flic à la sécurité routière ?
25:19 C'est ses mots à lui, c'est-à-dire que c'est vraiment quelqu'un qui assiste impuissant à toute cette violence
25:26 qui déborde dès qu'on commence à lire sur le Nigeria, sur ses attaques, ses enlèvements de lycéennes, de lycéens,
25:33 sur ses attaques répétées d'école, sur ses attentats qu'il y a régulièrement.
25:40 Quand on ne connaît pas le Nigeria et qu'on est plongé pour la première fois dans le Nigeria,
25:43 comme le profane que je suis, il y a une espèce de foisonnement d'informations contradictoires,
25:48 de violences que moi j'ai traduit par ce personnage qui est complètement usé, qui est assez placide,
25:54 qui est un musulman pratiquant modéré, qui va faire sa prière cinq fois par jour,
25:58 qui finalement a une vie assez calme, à part le fait qu'au début du roman il va tomber sur le cadavre de deux jeunes femmes
26:03 qu'il va vouloir nommer, identifier et rendre à leur famille.
26:07 Et donc il se retrouve en espèce de fil de calme au milieu d'un déferlement de violences et d'informations très dures,
26:17 vraiment très très dures.
26:19 - Vous en parliez, Marin, et Célia Le Burre vous en parliez aussi dans votre livre,
26:23 il y a une dimension mystique, ésotérique chez les cultes.
26:28 - Oui, justement, ils s'imprègnent énormément.
26:32 Alors nous on a travaillé beaucoup à Benin City, qui est le lieu d'un ancien royaume,
26:37 le royaume de Benin, qui fut vraiment un royaume prospère pendant ce qu'on appelle le Moyen-Âge africain,
26:45 et dont aujourd'hui les gens tirent encore une immense fierté et beaucoup de croyances qui se mélangent,
26:53 il y a une espèce de syncrétisme religieux aujourd'hui entre l'évangélisme chrétien et ces croyances qu'on appelle Juju en partie.
27:03 Et voilà, les cultes, ces organisations criminelles s'en inspirent énormément,
27:08 ils ont beaucoup de rites, notamment pour ce qui est des rites d'initiation,
27:14 ça se passe aussi pendant la prestation de serments qu'on fait passer aux jeunes filles qui vont ensuite être envoyées sur les routes de la traite et sur les trottoirs européens.
27:25 Tout ça est très présent, mais juste rapidement pour rebondir sur ce que vous disiez tout à l'heure,
27:31 le roman de Marin est passionnant et justement très documenté,
27:37 et là où la fiction l'emmène lui sur les traces des multinationales,
27:41 je voulais juste revenir sur le réel sur lequel nous on a travaillé,
27:46 c'est que justement, moi ce qui m'a passionné là-dedans, c'est que les cultes c'est vraiment endémique en fait,
27:53 et cette criminalité nigérienne, ça n'existe pas ailleurs,
27:58 et ce n'est pas motivé par des intérêts étrangers, c'est quand même vraiment un phénomène nigérian,
28:04 et c'est quand même le pays le plus fier possible et imaginable,
28:09 c'est-à-dire que même dans la criminalité, même dans la victimisation,
28:15 les gens sont fiers en fait au Nigeria, et ils sont acteurs de leur propre vie,
28:20 ça c'est quand même vraiment très important, de même que la corruption aujourd'hui est nigérienne,
28:26 c'est un pays qui certes a été colonisé, mais qui aujourd'hui est véritablement acteur de sa destinée,
28:31 pour le meilleur et pour le pire, ça c'est à eux de le déterminer, mais voilà.
28:35 Et justement, je voudrais qu'on retourne à votre texte, Mafia Africa, page 109, chapitre 13, Le Royaume.
28:42 * Extrait de Mafia Africa *
28:46 Les cultes ont envahi les métropoles, et d'abord celle de Benin City.
28:51 Nous suivons pas à pas leur métamorphose, quittant l'ombre de l'enceinte endormie d'Uniben,
28:56 à la périphérie de la ville, pour pénétrer dans les quartiers d'où partent chaque mois des légions de jeunes cultistes
29:02 rêvant de faire fortune en Occident.
29:04 Benin City grouille de prophètes, ils dansent et prêchent, chantent et ornent les murs.
29:10 Sur un immense panneau publicitaire, un monsieur en costume bleu satiné tend les bras aux passants
29:15 et demande "Do you want to be a millionaire ?"
29:18 A chaque coin de rue, pasteurs évangéliques et sorciers Thomas Turge proposent d'exaucer les chimères des habitants.
29:25 Parmi les promesses en vogue, dégager Satan, éradiquer le démon cultiste,
29:30 visa pour l'Occident prospérité en toute simplicité.
29:34 Benin City n'est pas vraiment sainte, ni tout à fait maudite.
29:38 Elle attire depuis des millénaires des disciples des dieux, des rois et des féticheurs qui s'affichent aujourd'hui en grand, partout.
29:46 [Musique]
29:51 [Musique]
30:17 Celia Le Burre, retrouver cette mélodie de O'Malley qu'ils appellent "Godly" vous fait plaisir, ça vous rappelle des souvenirs ?
30:24 Oui, en plus c'est un de mes chanteurs nigérians préférés, donc voilà.
30:29 Parce que je voulais aussi qu'on parle, on a passé quand même un long moment à parler de cette mafia, à parler de ce pays en proie à la violence.
30:36 Je voudrais qu'on parle aussi de ce foisonnement qu'est le Nigeria aujourd'hui en Afrique.
30:41 Cette place assez exceptionnelle qu'il a pour sa créativité. On a une vague d'écrivains et d'écrivaines nigérians qui sont très loin de la littérature postcoloniale.
30:51 On a un Hollywood, le Hollywood nigérian qui est, je crois, la deuxième puissance cinématographique au moins en nombre de films produits par an.
30:58 On a l'Afropop nigériane qu'on vient d'entendre, la mode nigériane. C'est un pays foisonnant de talents, d'idées et de nouveautés aussi.
31:07 Absolument, c'est vraiment aujourd'hui, même si l'économie va très mal, la créativité continue tout le temps, partout.
31:14 On voit des... Voilà, vous vous baladez dans les gosses, vous voyez des gens filmer dans les bouchons.
31:19 Et en fait, ils sont en train de créer un film de Hollywood comme ça, aux pieds levés, au milieu de nulle part, sans autorisation, sans rien.
31:25 Vous avez aujourd'hui trois Fashion Week par an à les gosses.
31:29 Naomi Campbell, les représentants de Vogue America qui viennent chaque année voir ce qui se passe, voir justement ce berceau de la création.
31:38 Tous les gens viennent d'Afrique de l'Est, du Kenya, d'Afrique du Sud, voir ce qui se passe au Nigeria.
31:44 C'est vraiment un pays qui inspire. Et sur la scène littéraire, effectivement, c'est passionnant.
31:50 Parce qu'il y a beaucoup d'auteurs très modernes, justement, depuis le début des années 2000, depuis la fin des années militaires, justement.
32:00 Ça a ouvert le pays à toute une nouvelle scène d'auteurs qui sont vraiment très loin de l'écriture, de tout ce qui est la pensée postcoloniale.
32:09 Et qui s'inscrivent tout simplement dans la littérature moderne, en fait, qui parle de genre, de race, de vie.
32:16 C'est des romans sociétaux, passionnants, souvent avec beaucoup d'humour.
32:21 Il y a des éditeurs au Nigeria aussi, aujourd'hui. Voilà, c'est vraiment très intéressant.
32:27 - Marin Ledin, vous êtes justement inspiré de toute cette création nigériane.
32:31 Vous êtes aussi allé vous plonger dans cette culture foisonnante ?
32:34 - Je le fais à la façon d'un auteur de roman noir qui va gratter là où quand même ça fait mal.
32:44 Comme je cherchais, moi, la trace de la bière partout. Je l'ai trouvé aussi dans des films.
32:49 Je l'ai trouvé en placement de produit. Il n'y a pas la loi Evin au Nigeria.
32:52 Je l'ai trouvé aussi dans plein de romans, comme un clin d'œil.
32:56 Alors, ce n'était pas forcément une critique. C'était la bière comme aspect festif, mais qui reprenait aussi.
33:01 C'était drôle de le voir. Ma formation de sociologue des organisations, d'aller voir comment on reprend aussi des arguments
33:07 qui ont été développés aussi par l'industrie de la bière en dehors de la prostitution, qui fait de la publicité,
33:14 qui fait de la propagande et qui essaie de développer du branding et du marketing avec des films qui ont été financés,
33:20 des grosses productions. C'est aussi ça le cinéma nigérian. C'est un cinéma qui n'est pas financé par le Centre National du Cinéma,
33:26 qui est financé aussi par des groupes privés qui ont la possibilité de payer des acteurs très chers
33:31 pour que leur marque apparaisse à l'écran.
33:33 - Merci beaucoup, Marin Le Dind, merci beaucoup Célia Le Bur. Vos deux ouvrages sont absolument passionnants,
33:38 les deux, et très complémentaires pour les auditeurs du Book Club. Vous pouvez prendre les deux.
33:42 "Mafia Africa", que vous avez co-écrit avec Johann Tillwind, c'est aux éditions Flammarion.
33:47 Et Marin Le Dind, "Free Queens", c'est en série noire de chez Gallimard. Et je voudrais qu'on termine avec quelques mots de vous.
33:57 "On va s'en sortir, ne t'inquiète pas", dit-elle, autant pour réconforter la jeune Nigériane que pour se donner du courage.
34:04 Elles débouchèrent sur un jardin. À gauche, la rue, où les tueurs pourraient les tirer comme des pigeons.
34:10 Un grillage courait dans le fond et sur la droite, séparant le jardin d'une nouvelle haie boisée.
34:16 Serena opta pour le grillage et les arbres, même si elle ignorait ce qu'il cachait.
34:21 Les deux femmes s'élancèrent. Treijer avisa une ouverture à bonne distance de leur position.
34:28 "Par là", s'écria-t-elle.
34:30 Et c'est l'heure de votre rendez-vous avec Charles Dantzig.
34:36 "Les Vilaines" est le très bon titre français d'un roman de Camila Sosavillada, chez Métellier,
34:42 initialement publié en Argentine sous le titre de "Las Malas". Les vilaines, ce sont des femmes trans.
34:49 Dans leur pays, ces vilaines, ce sont des femmes trans. Dans leur pays, elles mettent en cause le bon vieux machisme
34:56 qui les supportent par condescendance quand ils ne les tuent pas.
34:59 En France, pays en proie à des chroniqueurs de télévision fous,
35:03 elles effraient tous ceux à qui ont fait croire que l'identité est un motif de panique.
35:09 L'autrice est elle-même une femme trans, née à Cordoba, mais ce n'est pas ce qui rend son livre bon.
35:14 Il l'est parce qu'elle a du talent.
35:16 C'est à Cordoba que l'histoire se passe, celle d'une communauté de femmes trans racontée par une narratrice.
35:23 La scène d'ouverture est une pièce d'anthologie.
35:26 On se trouve dans le parc municipal d'une ville argentine où des femmes trans se prostituent.
35:32 L'une trouve un enfant de trois mois abandonné. "Appelons la police", dit une autre.
35:37 "On ne peut pas livrer les enfants à la police, c'est le pire des châtiments", s'exclame une troisième.
35:42 Et elle l'emmène dans la maison délabrée qu'elle partage.
35:45 L'enfant devient leur mascotte.
35:47 Ce qui s'ensuit est un mélange des misérables et de l'almodovar des débuts.
35:52 Ces femmes subissent les pires avanis, mais elles ne perdent jamais leur insolence de diablesse.
35:58 "Notre esprit sauvage", dit la narratrice.
36:01 Et en même temps, malheur sur malheur.
36:03 Ce sont des misérablesses.
36:05 Il y a une ensorceleuse, il y a une sourde muette.
36:09 Il y a Tantin Karnat qui montre le talent d'exagération de la narratrice.
36:14 "Tantin Karnat avait 178 ans", dit-elle.
36:17 "Il est vrai qu'elle a une vie exagérée.
36:20 Elle porte des balafres, ses seins sont gonflés à l'huile d'avion.
36:24 Elle présente l'un à l'enfant trouvé.
36:26 Mais enfin, tes seins sont factices", lui dit-on.
36:29 "Et elle, ça n'a pas d'importance, c'est un geste".
36:32 Ce n'est pas l'auteur du traité des gestes qui contredira cette réplique.
36:36 Et n'aurait-elle pas réellement 178 ans ?
36:40 La sourde muette se transforme bien en oiseau, en une métamorphose
36:44 qui aurait sans doute ravi les Deleuze-Egouatari de mille plateaux
36:48 avec leur devenir animal.
36:50 Les trans sont des métamorphoses.
36:52 Toute vie est une métamorphose.
36:54 Regardez les gentilles petites filles rêvant de gros ballons sur la plage,
36:58 devenues de méchantes policières enversant les gamins en scooter.
37:02 La première chose à quoi les vilaines ont à faire, c'est la violence.
37:06 Elles finissent par déborder entre elles, quoique sans haine.
37:10 À propos de Tantin Karnat, la narratrice dit
37:13 "Elle se moquait de tout avec une agressivité incontrôlable.
37:17 Elle n'a jamais été affectueuse, mais elle était charmante.
37:20 Elle était brisée comme un ver et décorchée avec les contours de ses propres blessures".
37:26 Elles sauront se défendre contre les politiciens
37:28 qui inventent des ennemis au peuple pour le tromper.
37:31 - Merci beaucoup Charles Dantzig et merci à toute l'équipe du Book Club.
37:34 Oriane Delacroix, Zora Vignet, Jeanne Agrappard, Didier Pinault et Alexandre Alashbegovitch.
37:40 C'était Colin Gruen qui réalisait cette émission et à la prise de son "Élise-le".
37:44 Allez, c'est l'heure de notre épilogue de cette émission consacrée au Nigeria.
37:48 - Aujourd'hui, il y a un terme qui s'est popularisé au Nigeria,
37:51 qui est le terme "Djapa" en Yoruba, qui signifie "s'enfuir au plus vite"
37:56 pour s'échapper d'une situation dangereuse
37:58 et qui traduit bien l'état d'esprit de la jeunesse nigérienne.
38:01 Vous allez me le dire, c'était un petit mâle blanc européen, c'est vraiment une très mauvaise idée.
38:05 - C'est une ville fascinante, les gens travaillent tout le temps.
38:08 Les gens sont fiers en fait au Nigeria et ils sont acteurs de leur propre vie.

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