Mardi 23 mai 2023, SMART ÉDUCATION reçoit Eric Nicollet (Secrétaire général, SUI-FSU (Syndicat Unitaire de l'Inspection pédagogique))
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00:00 [Musique]
00:08 Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans votre magazine quotidien Smart Education.
00:13 Un magazine, vous le savez, dédié à la formation, aux nouveaux métiers, aux nouvelles pédagogies.
00:17 Le rendez-vous qui donne un futur à la jeune génération.
00:21 Les inspecteurs de l'Education nationale en ont marre.
00:24 Depuis quelques mois maintenant, ils alarment sur leur situation.
00:28 Ils pointent notamment la perte de sens subie par la profession.
00:31 Certains parlent même de relations dégradées avec les enseignants, d'un manque d'autonomie
00:35 et dénoncent des conditions de travail qui se détériorent.
00:38 Je propose aujourd'hui d'essayer de comprendre ce malaise,
00:41 mais aussi le rôle et l'utilité de ces inspecteurs au sein du système éducatif.
00:46 Eric Nicolet, secrétaire général du SUIFSU, va nous aider.
00:50 Il est notre invité. Bonjour.
00:52 Bonjour.
00:53 Bienvenue dans Smart Education. Eric Nicolet, merci beaucoup de nous accompagner.
00:55 Selon vous, à quand remonte cette détérioration de vos conditions de travail dont je parlais à l'instant ?
01:00 Je dirais que ce n'est pas nouveau. C'est un phénomène qui s'inscrit dans le temps.
01:05 Depuis de nombreuses années, nous dénonçons cette dégradation de nos conditions de travail.
01:09 Mais il y a eu clairement une accélération à partir des années Blanquer,
01:14 qui ne s'est pas arrêtée avec notre nouveau ministre.
01:21 Comment vous expliquez cette accélération de cette détérioration ?
01:25 Cette accélération est due au fait que l'ancien ministre Jean-Michel Blanquer n'aimait pas beaucoup les corps d'inspection.
01:33 Il a d'ailleurs supprimé l'inspection générale de l'éducation nationale en tant que corps d'inspection.
01:38 L'inspection générale existe toujours, mais ce n'est plus un corps d'inspection.
01:41 Ce sont des administrateurs d'État maintenant, qui sont donc révocables du jour au lendemain,
01:46 si leur parole ne plaît pas au ministre, en quelque sorte.
01:50 Donc il y a eu une certaine défiance, malgré le discours sur l'école de la confiance de Jean-Michel Blanquer,
01:56 envers les corps d'inspection.
01:58 On a vu assez rapidement que notre parole n'était plus écoutée, que notre expertise n'était plus sollicitée.
02:06 Et dans le même temps, nous avons vu de nouvelles tâches s'accumuler,
02:13 qui nous éloignaient en quelque sorte de notre cœur de métier.
02:16 J'ai donné quelques exemples en préambule de cette émission, notamment le manque d'autonomie.
02:21 Concrètement, comment elles se sont dégradées sur le terrain, vos conditions de travail ?
02:28 Je dirais que l'expression la plus claire de cette dégradation, ce sont les injonctions.
02:37 Les injonctions à communiquer sur les politiques ministérielles,
02:43 c'est-à-dire des injonctions à rendre compte de chiffres,
02:47 qui finalement montrent que nos responsables politiques, les recteurs, rectrices et DAZEN,
02:56 les directeurs académiques dans les départements qui sont les représentants directs du ministre,
03:02 sont plus intéressés par l'affichage que l'on fait des mesures qu'ils prennent,
03:09 plutôt que de l'intérêt de ces mesures pour la réussite des élèves.
03:15 On a beaucoup parlé ces derniers mois du malaise des enseignants.
03:19 Est-ce que votre malaise, celui des inspecteurs de l'éducation nationale,
03:23 est d'une certaine manière lié lui aussi à celui des enseignants, dont on a beaucoup entendu parler ?
03:28 Expliquez-nous.
03:29 Évidemment, nous partageons beaucoup de choses avec nos collègues enseignants.
03:32 Nous sommes tous d'anciens enseignants également,
03:35 donc nous connaissons leur réalité de terrain.
03:39 Nous comprenons également à quelle pression eux-mêmes sont soumis,
03:44 à quelle difficulté ils rencontrent.
03:46 Et puis nous les voyons presque au quotidien, parce que nous allons dans les classes.
03:49 Ça reste quand même notre cœur de métier que d'aller à leurs rencontres et de les accompagner.
03:55 Donc le malaise de l'un peut impacter le malaise de l'autre ?
03:57 Je ne sais pas si l'impact de l'autre, mais en tout cas nous vivons un contexte qui est équivalent
04:04 avec peut-être en ce qui nous concerne une difficulté supplémentaire
04:10 qui est d'avoir cette pression de la part de nos hiérarchies, de demande de contrôle.
04:18 Nous sommes donc sommés d'aller en quelque sorte exercer un contrôle tâtillon sur des enseignants,
04:25 alors que ce n'est pas ce pourquoi nous sommes là.
04:29 Ce qui participe à la dégradation de vos relations avec les enseignants, j'imagine ?
04:34 Moi je ne ressens pas de dégradation.
04:37 Au contraire, en tout cas au sein de l'AFSU, je travaille avec les syndicats enseignants
04:43 pour continuer à améliorer cette relation avec les enseignants,
04:48 notamment dans les modalités de l'inspection, comment elle doit se dérouler,
04:52 de manière à ce que nos relations puissent être apaisées
04:56 et que ce soit bien des relations de coopération
05:00 plutôt que des relations de contrôle d'une personne sur une autre.
05:04 Donc je ne pense pas qu'il y ait une dégradation de nos relations.
05:08 Par contre, les circonstances font peut-être qu'il y a une distance qui se crée en ce moment
05:14 entre les différents corps, et même au sein des corps d'inspection, au sein des corps enseignants,
05:20 parce qu'il y a certainement une volonté politique de nous diviser.
05:24 - "Inspection", "contrôle", c'est le mot que vous avez employé, "évaluation", "accompagner",
05:29 quel est le rôle exact d'un inspecteur de l'Education nationale ?
05:33 - Il est multiple. C'est vrai que cette part de l'inspection,
05:38 notre travail dans les classes auprès des enseignants, c'est la part la plus visible.
05:42 Je crois qu'on a tous un souvenir de scolarité, de quelqu'un qui est venu s'asseoir au fond de la classe.
05:47 On se souvient que ce jour-là, il y avait quelque chose d'inhabituel se passer,
05:52 il y avait quelque chose dans l'air. Donc c'est en effet une part de notre métier,
05:56 mais qui finalement est assez réduite. J'ai du mal à la chiffrer, mais c'est peut-être 15% ou 10% de notre activité.
06:04 Mais elle est essentielle, parce que c'est justement ce qui nous permet d'abord d'être au contact des classes.
06:12 Vous parlez d'inspection, inspecter, ça veut dire aller voir ce qui se passe à l'intérieur.
06:17 Donc on va s'assurer que les enseignements sont bien dispensés selon la politique éducatrice de la nation.
06:27 C'est notre rôle, on s'assure. C'est une mission de contrôle en quelque sorte,
06:32 mais qui finalement est assez minime, parce que dans le même temps, dans ce temps d'échange avec l'enseignant,
06:37 nous avons cette partie évaluation, et le mot évaluer, ça veut dire donner de la valeur.
06:42 Donc notre rôle c'est aussi de donner de la valeur aux compétences qui sont développées par les enseignants,
06:47 de manière à justement les conforter dans leur action, ou réorienter leur action,
06:53 ou leur apporter un certain nombre de conseils qui vont permettre d'améliorer en permanence le service public d'éducation.
07:00 Compétences techniques, compétences comportementales, ça peut être sur quoi ?
07:06 Est-ce que globalement si l'enseignant suit à peu près bien le programme scolaire, ça suffit ?
07:12 Alors je vous disais dans un premier temps, il y a s'assurer en effet que la politique éducatrice de la nation est bien conduite.
07:18 Ça c'est le suivi du programme scolaire ?
07:20 C'est le programme, ou la référentielle si on est en enseignement professionnel par exemple.
07:25 Sur les méthodes d'apprentissage ?
07:27 Ensuite les méthodes, il n'y a pas de méthode prescrite, en tout cas il y en a peu, même si ça revient.
07:32 On a bien vu justement avec Jean-Michel Blanquer et encore très récemment avec des consignes de programmatique qui sont données aux enseignants.
07:41 Nous sommes vraiment attachés à la liberté pédagogique des enseignants.
07:48 Nous reconnaissons leur liberté de concevoir leur enseignement et de concevoir l'évaluation également de leur enseignement,
07:56 et l'évaluation des progrès, des acquis de leurs élèves.
07:59 Donc dans l'échange, puisqu'il y a une partie observation et puis ensuite une partie échange avec l'enseignant,
08:08 nous allons apporter tout conseil qui vont permettre en effet d'améliorer encore plus cet enseignement.
08:16 Sur cette question d'ailleurs justement, les enseignants dénoncent souvent le manque de formation,
08:20 leur manque d'accompagnement sur cette thématique justement, notamment sur la pédagogie à adopter.
08:25 Est-ce que ça vous le constatez sur le terrain ?
08:27 Alors oui, parce que nous avons, je vous le disais, de moins en moins de temps à consacrer auprès des enseignants.
08:35 Là aussi c'est difficile à chiffrer, mais nous voyons bien, et notamment depuis les dernières modalités qui datent de 2017,
08:43 d'évaluation des enseignants, en fait nous allons les voir réglementairement trois fois dans leur carrière,
08:49 lorsqu'ils sont au sixième, huitième et neuvième échelon.
08:53 Donc c'est très peu dans une carrière d'enseignant, disons que le neuvième échelon ça représente en gros 20 ans de carrière,
09:03 c'est quand même très peu de moments où on peut avoir un échange avec eux.
09:07 Alors on peut avoir aussi, au-delà de ces inspections formelles, des visites de conseil,
09:14 qui sont surtout centrées sur le début de carrière, pour nos collègues enseignants qui viennent d'entrer dans le métier,
09:22 mais voilà c'est peu de temps et malheureusement l'accumulation des tâches dont je vous parlais au début,
09:28 et qui fait que nous avons aujourd'hui cette alerte auprès du ministère de dire attention.
09:37 Vous sentez que vous n'avez pas le temps de faire bien votre travail ?
09:39 Notre profession va mal, nous perdons le sens de notre métier, parce que nous avons tout un tas de tâches à conduire
09:46 qui nous éloignent de la possibilité justement de nous rendre dans les établissements et d'apporter ce conseil.
09:52 Et au-delà du conseil il y a également le retour que nous avons des enseignants,
09:57 parce que ce qui est très intéressant également lorsque l'on va dans les classes, c'est qu'on s'imprègne également de bonnes pratiques.
10:03 On voit des choses qui sont intéressantes et qui nous permettent ensuite de démultiplier ces bonnes pratiques auprès d'autres enseignants,
10:11 lorsque nous les rencontrons et qu'ils expriment les mêmes besoins ou les mêmes difficultés que celles que nous avons rencontrées précédemment.
10:18 Donc vraiment ce travail de terrain est vraiment intéressant, essentiel de notre point de vue,
10:24 pour permettre encore une fois l'amélioration du service public d'éducation.
10:28 Et malheureusement le temps est de moins en moins important que nous pouvons y consacrer.
10:33 Vous disiez que vous sembliez subir ce contrôle, je ne sais pas comment le dire autrement.
10:43 Comment vous avez un peu répondu ? En moyenne, trois fois dans sa carrière un enseignant peut recevoir un inspecteur de l'éducation nationale ?
10:54 C'est très réglementé, c'est trois fois maintenant.
10:56 Comment, qui, par qui est décidé d'intervention dans un établissement ? Comment ça se passe ? C'est automatique donc ?
11:01 Oui c'est ça, c'est absolument automatique, c'est très cadré, sixième, huitième, neuvième échelon.
11:07 Donc l'enseignant reçoit un avis selon lequel cette année, pendant le courant de l'année scolaire,
11:12 il recevra la visite de son inspecteur, de son inspectrice et ensuite nous organisons, nous planifions cette rencontre avec l'enseignant.
11:21 Donc ça veut dire que le nombre d'évaluations n'évolue pas tant que ça en fonction d'année en année ?
11:27 Il a plutôt diminué, il a plutôt diminué. Alors après nous ce que nous souhaitons également c'est distinguer justement cette partie,
11:36 il s'appelle maintenant un rendez-vous de carrière, mais qui a un effet potentiel sur la carrière de l'enseignant puisqu'il va lui permettre,
11:44 c'est assez marginal, mais il va lui permettre quand même d'accélérer d'un an à chaque fois son passage d'échelon.
11:50 Donc il y a un lien entre notre présence au moment de cette évaluation et leur carrière et donc leur rémunération.
11:59 Et nous, nous sommes favorables à ce qu'il y ait une déconnexion justement entre notre présence d'évaluation,
12:05 je disais tout à l'heure donner de la valeur au travail de l'enseignant, et entre experts que nous sommes.
12:12 L'enseignant aussi est un expert de sa discipline, mais ce qui est intéressant c'est de confronter nos deux expertises,
12:18 celle de terrain, celle quotidienne qu'il nous montre, et puis la nôtre avec la distance que nous avons maintenant dans notre fonction,
12:26 et la multiplicité également des situations que nous pouvons observer et qui peuvent nous permettre de contribuer à améliorer si nécessaire sa pratique.
12:37 En quelques secondes peut-être une mesure, qu'est-ce qui pourrait aujourd'hui redonner du sens à votre profession ?
12:41 Je crois que nous avons besoin de confiance, nous avons besoin également d'indépendance, c'est absolument essentiel,
12:49 de pouvoir nous-mêmes organiser notre travail, hiérarchiser nos tâches, et donc conduire notre métier d'inspecteur et d'inspectrice
13:00 selon la circulaire qui fonde de nos missions et qui dit bien, elle, que notre cœur de métier c'est la pédagogie.
13:08 On va s'arrêter sur ces mots, merci beaucoup Eric Tinkolay d'avoir répondu à nos questions.
13:12 Je rappelle que vous êtes le secrétaire général du SUI-FSU, merci beaucoup d'avoir été avec nous, de nous avoir parlé de ce métier,
13:18 inspecteur de l'éducation nationale, on était ravis d'en savoir un peu plus.
13:22 Merci à vous de nous avoir suivis, on se retrouve très vite pour un prochain numéro de Smart Education.
13:28 Au revoir.
13:29 [Musique]