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- Documentaire Toute l'Histoire

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00:00 ...
00:07 -Scampia, dans la banlieue de Naples.
00:10 Ces immeubles en forme de voile
00:13 sont célèbres dans le monde entier
00:16 depuis que la série "Gomorrah"
00:18 a raconté l'histoire de ce quartier
00:20 sous l'emprise de la mafia au début des années 2000.
00:24 Ces bâtiments sont aujourd'hui devenus le symbole
00:28 de la mafia napolitaine, la Camorra.
00:31 ...
00:38 -Au départ, Scampia devait être un quartier moderne de Naples
00:42 qui devait offrir des habitations populaires de qualité.
00:46 Après la construction de ces voiles en particulier,
00:50 on n'a pas créé d'infrastructures ni de services.
00:53 ...
00:56 Alors qu'a fait la Camorra ?
00:58 Elle a profité de cette pauvreté
01:01 et du manque de travail pour mettre en place des trafics.
01:06 ...
01:08 De cigarettes, d'abord,
01:10 et d'héroïne, ensuite.
01:13 ...
01:16 Petit à petit, ces bâtiments ont été modifiés
01:19 pour répondre aux exigences de la Camorra.
01:21 Ils ont blindé les immeubles, construit des passages souterrains
01:25 et ont mis en place des équipes d'artisans, de soudeurs,
01:28 d'électriciens à leur disposition 24 heures sur 24.
01:31 A la fin des années 90, début 2000,
01:34 Scampia est devenue une forteresse de la drogue.
01:38 ...
01:40 -A l'époque, le quartier est la plaque tournante
01:43 de la drogue en Europe.
01:44 A la tête de ce trafic, un homme.
01:47 Paolo di Loro.
01:49 C'est son histoire qui a largement inspiré la série "Gomorra".
01:53 -Le clan naît avec Paolo di Loro,
01:56 un personnage très énigmatique qui appartient à la vieille Camorra.
02:00 Officiellement, c'est un commerçant
02:02 qui parcourt toute l'Italie pour vendre des vêtements.
02:05 Il décide de passer des accords avec tous les clans de la zone
02:09 et commence à centraliser le trafic.
02:11 Si tu veux dealer, tu dois passer par lui.
02:14 Scampia devient le centre de ce trafic
02:17 et la dose de cocaïne et d'héroïne coûte ici moins cher
02:20 que dans tous les autres quartiers de Naples.
02:23 ...
02:27 Piano, piano, Scampia devient alors un supermarché de la drogue,
02:31 ouvert 24 heures sur 24 avec toute une organisation,
02:35 c'est-à-dire avec des transporteurs,
02:37 des guetteurs, des distributeurs,
02:40 ceux qui doivent réapprovisionner les stocks,
02:42 ceux qui surveillent l'arrivée de la police...
02:45 Et il y a même des goûteurs.
02:47 ...
02:52 -Avant de mettre la drogue en vente,
02:54 il faut que quelqu'un la goûte,
02:56 car on ne peut pas mettre sur le marché
02:58 une drogue qui n'est pas bonne ou qui est mal coupée.
03:01 3 ou 4 personnes mourraient d'overdose
03:04 et ça attirerait l'attention de la police.
03:06 Alors, qu'est-ce qu'ils font ?
03:09 Il y a des toxicomanes sans argent,
03:11 mais qui ont quand même besoin de se droguer.
03:14 Le clan ne les chasse pas.
03:15 Au contraire, il leur demande de rester
03:18 et leur donne des doses gratuitement.
03:20 S'ils sont encore en vie après 24 ou 48 heures,
03:23 la drogue peut être distribuée en grande quantité.
03:26 ...
03:31 -Durant toutes ces années,
03:33 toute la vie de la population est organisée
03:36 autour du trafic de drogue,
03:37 même celle des enfants,
03:40 ...
03:42 comme Davidé, qui est né ici.
03:44 ...
03:53 -Je transportais d'un endroit à un autre la drogue
03:57 et parfois même des armes.
03:59 J'ai commencé à l'âge de 10-11 ans.
04:03 J'ai grandi avec cette mentalité,
04:07 avec l'idée de devoir être,
04:09 mais aussi de vouloir devenir un camorriste.
04:13 ...
04:15 Je voyais ces criminels et ils me plaisaient.
04:19 ...
04:22 Parce qu'ils avaient beaucoup d'argent,
04:24 parce qu'ils étaient respectés.
04:27 Ils avaient tout. Ca me fascinait.
04:29 ...
04:34 Mon premier bravo, je l'ai reçu du boss.
04:37 Un jour, alors qu'ils fuyaient la police,
04:40 ils m'avaient confié des pistolets.
04:42 Je les avais mis sous mon tee-shirt et je m'étais enfui avec.
04:46 Je leur ai rendu un bon service et ils m'ont félicité.
04:49 C'était très gratifiant.
04:51 Le soir, j'ai reçu une paire de chaussures neuves.
04:54 Je n'avais pas conscience du risque,
04:57 de la prison, de la mort.
04:59 Je n'avais aucune culpabilité non plus.
05:02 Pourtant, je vendais la mort.
05:06 Je vendais de l'héroïne, de la coke,
05:10 du hash.
05:11 Même en voyant des morts d'overdose,
05:13 ça ne me faisait rien.
05:15 ...
05:18 A Scampia, je n'ai pas eu la chance d'être un enfant.
05:22 ...
05:25 -Pendant près de 10 ans, le quartier va vivre ainsi,
05:28 entre drogue et argent facile.
05:30 ...
05:33 Mais en 2004, Scampia va sombrer dans la violence.
05:37 ...
05:42 Musique intrigante
05:45 ...
05:54 -Paolo Di Lauro est contraint de partir en cavale.
05:57 Le commandement revient à son fils aîné, Cosimo Di Lauro.
06:01 Que fait Cosimo ?
06:03 Il rajeunit les clans.
06:05 Il change tous les boss qui géraient la drogue
06:08 dans la zone nord de Naples et les remplace par des plus jeunes.
06:12 Les vieux camorristes sont chassés
06:14 pour laisser la place à des plus jeunes assoiffés de pouvoir.
06:18 Ca va mettre en colère les anciens,
06:22 qui ont encore du poids au sein de la camorra.
06:26 Ils créent leur clan et font sécession,
06:28 ce qui provoque une guerre.
06:30 Et quand ils se font la guerre,
06:34 c'est vraiment la guerre.
06:35 ...
06:46 Musique douce
06:49 ...
06:52 -La guerre va durer un an et faire plus de 80 morts.
06:56 -Cette guerre se caractérise par la cruauté de ces meurtres.
07:01 A travers les assassinats, ils envoient un message symbolique.
07:06 On ne se contente pas de tuer, on défigure.
07:10 Les visages sont littéralement gommés par les rafales de balles.
07:14 ...
07:17 Je veux te rendre méconnaissable,
07:20 même aux yeux de tes proches qui ne pourront pas t'identifier.
07:23 ...
07:30 -Dans cette guerre, il y a une autre nouveauté.
07:33 On commence à s'attaquer aux proches-parents des camorristes.
07:38 Les camorristes doivent se cacher quand il y a une guerre.
07:41 Pour les faire sortir de leur cachette,
07:44 que font leurs ennemis ? Ils vont les provoquer.
07:47 Ils commettent des actes qui vont à l'encontre
07:50 de toutes les conventions de guerre.
07:52 Ils tuent des cousins, des beaux-frères,
07:55 des parents plus ou moins proches.
07:58 Ils créent un climat de terreur.
08:00 ...
08:05 -C'est comme cela que Gelsomina Verde,
08:08 une jeune femme de 22 ans, a trouvé la mort.
08:12 ...
08:15 Elle a été assassinée, puis brûlée dans sa voiture.
08:18 ...
08:21 Son seul tort, avoir été la compagne d'un jeune camorriste.
08:25 ...
08:30 Quelques mois plus tard, Cosimo Di Lauro est arrêté
08:34 et condamné à perpétuité, entre autres,
08:37 pour sa responsabilité dans le meurtre de Gelsomina.
08:40 ...
08:43 Son père, Paolo Di Lauro, sera lui arrêté la même année.
08:47 ...
08:54 -Ces deux arrestations vont marquer
08:56 la fin du règne mafieux à Scampia,
08:59 mais à Scampia seulement.
09:01 ...
09:04 -Scampia, c'est l'exemple de clans
09:06 qui se sont alliés autour d'une activité économique, la drogue.
09:10 Mais à Naples, il n'existe pas uniquement les clans de Scampia.
09:14 On compte plus de 200 clans dans la ville et sa province.
09:18 Chaque quartier, chaque ruelle a sa propre organisation,
09:22 où ils font de l'extorsion, de l'usure,
09:25 des paris sportifs et de petits trafics de drogue.
09:29 ...
09:31 -On peut décrire la structure de la Camorra
09:35 comme un filet dont les mailles sont plus ou moins serrées
09:39 et qui se posent sur le territoire
09:41 et l'étouffent d'un point de vue économique.
09:45 Ils le privent d'oxygène.
09:48 Et ces clans tissent entre eux des accords horizontaux,
09:52 contrairement à la Cosa Nostra sicilienne,
09:55 dont la structure est pyramidale,
09:58 c'est-à-dire avec un seul et unique chef
10:00 qui commande plusieurs sous-chefs.
10:02 ...
10:04 -Pour moi, il n'existe pas une Camorra,
10:07 mais plutôt des Camorras,
10:10 c'est-à-dire des bandes criminelles autonomes
10:13 qui n'ont aucune stratégie commune.
10:16 Donc je préfère parler de Camorra au pluriel.
10:18 ...
10:21 -Pour comprendre l'histoire des clans mafieux à Naples,
10:24 tels qu'on les connaît sous leur forme actuelle,
10:27 il faut remonter au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
10:31 ...
10:34 Musique sombre
10:38 ...
10:40 -Naples, à la fin de la Seconde Guerre mondiale,
10:44 est une ville à genoux
10:46 parce qu'elle a essuyé les bombardements les plus lourds.
10:50 ...
10:54 Tout l'appareil industriel est saccagé par les bombes
10:57 et la plupart des quartiers sont en grande difficulté.
11:01 ...
11:04 Partout, les gens vivent dans la rue.
11:06 Donc Naples, à cette époque,
11:10 est une ville en grande souffrance.
11:12 ...
11:19 Musique dramatique
11:22 -Quand les Américains arrivent,
11:26 ils installent leurs dépôts dans le centre,
11:29 dans le quartier de Foccella.
11:31 Ils ont des rations plus importantes
11:34 que leurs besoins,
11:36 donc tout ce qu'ils ont en trop,
11:39 ils le vendent sur le marché noir.
11:42 ...
11:44 -Les habitants de Foccella
11:47 commencent à soudoyer les Américains
11:49 pour s'approprier leurs marchandises.
11:52 ...
11:54 De là naît une espèce d'économie de guerre
11:57 et Foccella devient le premier poumon économique de la ville.
12:01 ...
12:04 Quoi que tu cherches, tu le trouves dans ce quartier.
12:07 Et aujourd'hui encore, c'est comme ça pour les Napolitains.
12:11 Tu cherches quelque chose, tu vas à Foccella.
12:14 -On peut donc dire, paradoxalement,
12:16 que la contrebande a été causée par les Américains.
12:20 -Pendant 15 ans, cette économie de la contrebande
12:23 permet à la ville de survivre.
12:25 En 1961, avec la fermeture du port franc de Tanger,
12:29 Naples devient le carrefour de tous les trafics en Méditerranée,
12:33 en particulier le trafic de cigarettes,
12:35 qui va faire vivre la ville pendant 20 ans.
12:38 On dit même à l'époque que les cigarettes étaient à Naples,
12:42 ce que Fiat était à Turin.
12:44 ...
12:46 -Quand on arrive à Naples, en voiture,
12:48 c'est la 1re chose que l'on voit,
12:50 des jeunes gens qui vendent des cigarettes de contrebande,
12:54 45 % moins chères que dans les bureaux de tabac,
12:57 au milieu de la rue, en plein jour,
12:59 sans jamais donner l'impression d'avoir peur de la police.
13:02 Les contrebandiers font le signe de croix
13:05 lorsqu'ils doivent prendre la mer
13:07 et les cigarettes apportées par un navire
13:10 qui les attend en dehors des eaux territoriales.
13:13 Chaque année, 4 ou 5 équipages disparaissent.
13:15 La Guardia di Finanza a saisi en un an 562 tonnes de cigarettes.
13:20 ...
13:28 -Pépé a été l'un de ces contrebandiers
13:31 pendant plus de 20 ans.
13:32 -Au départ, nous, les contrebandiers,
13:35 nous étions tous des pêcheurs.
13:37 Les bateaux arrivaient à 30 000 des îles.
13:40 On prenait ces fameux bateaux bleus.
13:44 On nous donnait un bon.
13:46 C'était la moitié d'un billet de 1 000 lire.
13:49 L'autre moitié, ce sont les marins à bord qui l'avaient.
13:53 Ils confrontaient les 2 parties du bon
13:55 avant de te donner la marchandise.
13:57 On gagnait bien.
13:59 On ne risquait pas la prison, c'était un métier normal.
14:02 Au pire, tu étais un fraudeur fiscal.
14:06 Tu ne faisais rien de mal, un simple fraudeur.
14:09 Si tu accumulais beaucoup d'amendes,
14:12 on t'envoyait un peu en prison.
14:14 Mais ce n'était pas un délit grave.
14:17 A l'époque, tout le monde vivait des cigarettes à Naples.
14:20 ...
14:24 Le seul danger, c'était l'hiver, quand tu sortais en mer la nuit.
14:28 Il y avait des courses-poursuites.
14:31 On avait des bateaux qui avaient 2 ou 3 moteurs.
14:34 Ils coûtaient très cher et ils allaient très vite.
14:37 Mais la police allait aussi vite que nous.
14:40 Nous, on avait toujours peur, mais que de la mer.
14:44 Car la mer a besoin de plus de respect.
14:47 ...
14:54 Petit, on ne mangeait pas beaucoup.
14:57 Nous sommes des enfants d'après-guerre.
15:01 On a connu la faim et la misère.
15:05 On devait se débrouiller.
15:07 Alors, quand les cigarettes sont arrivées,
15:10 pendant 20 ans à Naples, nous vivions tous très bien.
15:14 ...
15:24 -Ce marché très lucratif est dirigé par différentes familles.
15:28 ...
15:33 Dans le quartier de Forcella, berceau historique de la contrebande,
15:38 le trafic de cigarettes permet l'émergence du clan des Giuliano,
15:42 la plus emblématique des familles mafieuses de Naples.
15:46 ...
15:51 -Dans la famille Giuliano,
15:54 Luigi est le fils qui a le plus de talent
15:56 du point de vue criminel.
15:59 Il a les caractéristiques d'un boss.
16:02 Il faut dire aussi que dans la famille Giuliano,
16:05 ils sont tous très beaux.
16:07 Ils ont des yeux intrigants qui imposent le pouvoir.
16:11 ...
16:14 Luigi, on l'appelle le roi de Forcella.
16:18 Parce que c'est lui qui gère les trafics.
16:22 Il a donc tous les pouvoirs.
16:25 Et rien ne se passe dans le quartier sans son approbation.
16:29 ...
16:38 -Il a des rêves de toute puissance.
16:42 En bas de chez lui, à Forcella, il a un terrain avec des chevaux.
16:47 En plein coeur de Naples, il a ses chevaux.
16:50 Et quand les éboueurs passent,
16:52 il leur offre de très bonnes bouteilles de champagne
16:55 pour qu'il nettoie ses animaux.
16:58 -Dans le quartier,
17:01 les gens vivent tous de la contrebonde de cigarettes.
17:05 Donc, pour eux, celui qui contrôle ce marché
17:09 est un simple entrepreneur, celui qui les fait vivre.
17:13 Et c'est aussi celui qui gère tous les conflits.
17:17 Il est reconnu comme une sorte d'autorité civile.
17:20 Il joue donc à la fois le rôle de boss criminel,
17:23 mais aussi de juge de paix.
17:27 ...
17:30 -Il veut développer le quartier.
17:33 Tu veux ouvrir un commerce, mais tu n'as pas d'argent ?
17:36 Ne t'inquiète pas, je te donne l'argent.
17:38 Car Forcella a besoin de commerce.
17:41 D'ailleurs, il n'impose pas le pizzo, le racket des commerçants.
17:44 Au contraire, il les soutient, car il veut faire en sorte
17:48 que le quartier de Naples soit le meilleur de la ville.
17:52 ...
17:55 -Grâce à son charisme et à ses actions paternalistes,
17:59 Luigi a su imposer son autorité à la population du quartier,
18:04 qui voyait en lui un bienfaiteur plus qu'un criminel.
18:09 ...
18:17 -Luigi Giuliano était un bel homme.
18:19 On l'appelait le chat ou le tigre, car il avait ses yeux très bleus.
18:24 Il était toujours bien habillé, avec des marques.
18:27 Il portait une Rolex.
18:29 C'était un peu le John Gotti de Forcella, le boss américain.
18:33 Si deux familles se disputaient, il rétablissait la paix.
18:38 Si un homme pauvre mourait, il payait ses funérailles.
18:43 ...
18:47 -Un jour, on a voulu faire un match de foot dans le quartier,
18:51 Forcella Nord contre Forcella Sud, mais il nous l'a interdit.
18:55 Il nous a appelé et nous a dit qu'il n'y a qu'un Forcella,
18:59 qu'il n'y a pas de division, c'est un seul et même quartier.
19:03 Alors, on a annulé le match,
19:05 puisqu'il ne nous a pas donné l'autorisation.
19:08 ...
19:11 -C'était pas un homme du genre à sortir de chez lui
19:14 pour tirer sans raison.
19:15 Mais on savait qu'il avait commis pas mal de meurtres,
19:19 donc les gens avaient quand même peur de lui.
19:21 -Le respect de la population,
19:23 Luigi le tire essentiellement de la peur
19:26 qu'inspire cette réputation d'homme ultra-violent.
19:29 Car sous couvert d'actions bienveillantes,
19:32 la Camorra est un système fondé sur la violence,
19:36 où seules valent les règles des clans
19:39 et où la désobéissance est sanctionnée par la mort.
19:42 ...
19:44 -Il invente le totonero,
19:46 les paris abusifs liés au foot
19:50 et un loto illégal.
19:52 Deux marchés qui ont un immense succès
19:56 dans les quartiers populaires de Naples.
19:59 Ensuite, il passe au trafic de drogue,
20:03 de l'héroïne.
20:05 Et c'est là que cette famille va devenir très, très riche.
20:10 -Une richesse qui ne tarde pas à attirer les convoitises.
20:16 A Ottaviano, à quelques kilomètres de Naples,
20:20 un petit chef local a l'ambition d'étendre son influence
20:25 sur toute la ville.
20:26 Et c'est d'une cellule que Raffaele Cutolo
20:30 va mettre son projet à l'oeuvre.
20:32 -A cette époque, cet homme est emprisonné pour meurtre.
20:38 C'est un criminel de droit commun, en quelque sorte.
20:42 Mais il va réussir à construire de sa cellule
20:46 la plus grande organisation à Naples d'après-guerre.
20:49 Il réunit des milliers de personnes et en fait une armée.
20:53 Il fait coudre des vêtements aux jeunes qui arrivent en prison,
20:57 il envoie de l'argent à leur famille,
21:00 il leur procure un avocat,
21:02 dont Cutolo recrute ces jeunes qui sont à la dérive.
21:06 -Il va presque jouer le rôle d'un prêtre.
21:09 Certains l'appellent d'ailleurs le grand prêtre.
21:12 Il fait du social, il écoute,
21:14 il travaille sur la psychologie des détenus,
21:17 il s'occupe des membres de leur famille,
21:20 il crée pour la première fois un réseau d'assistance dans les prisons.
21:24 -Cutolo a investi dans la misère de ces jeunes prisonniers
21:28 et a créé une véritable armée.
21:31 ...
21:36 ...
21:39 -Mais il a aussi une politique pour se réaffirmer et son nom.
21:44 ...
21:57 -Et comment vous le définissez ?
21:59 ...
22:07 ...
22:11 -Une modestie et des bonnes actions
22:13 qui cachent une fois encore un but purement criminel.
22:17 -Il crée une vraie idéologie criminelle,
22:20 qui présente d'ailleurs certains points communs
22:23 avec celles de Daesh aujourd'hui.
22:25 Ce sont des criminels qui ont besoin d'un but,
22:29 de croire en une cause,
22:31 d'où se sentir criminels dans un but noble.
22:34 ...
22:37 -Alors Cutolo se fait passer pour Robin des Bois,
22:40 celui qui prend aux riches pour donner aux pauvres.
22:44 On peut imaginer l'effet que ça fait
22:46 sur cette population prolétaire dépourvue de tout.
22:49 On leur explique que celui qui vole,
22:53 celui qui extorque,
22:55 le fait dans un but noble.
22:59 Ou pire encore, que si on vend de la cocaïne,
23:03 c'est pour nuire aux jeunes bourgeois.
23:05 C'est ainsi qu'il crée une organisation
23:08 avec une idéologie.
23:10 -De sa cellule, Cutolo réussit un tour de force.
23:14 Il crée la nouvelle Camorra organisée,
23:17 une véritable armée composée d'environ 10 000 soldats.
23:21 Son but, bâtir une mafia similaire à la Cosa Nostra sicilienne,
23:26 une structure pyramidale ultra-puissante
23:29 dirigée par un seul chef.
23:31 Mais pour cela, Cutolo doit asseoir son pouvoir
23:34 sur la ville de Naples.
23:37 -Alors que va faire Cutolo ?
23:39 Il impose une taxe, le pizzo,
23:41 sur les activités illégales des autres clans.
23:44 Les autres clans se disent alors
23:46 "Mais que nous vaut ce type-là, ce provincial ?
23:49 "Il vient ici se mêler de nos affaires ?"
23:52 Alors ils s'organisent et créent une nouvelle alliance
23:55 pour contrer l'organisation de Cutolo.
23:58 Elle va s'appeler la Nouvelle Famille.
24:00 -C'est naturellement autour de Luigi Giuliano
24:03 que se fédèrent les différents clans mafieux de Naples.
24:06 En exigeant une taxe sur chaque caisse de cigarettes
24:10 qui rentre en ville, Cutolo déclare la guerre
24:12 à Luigi Giuliano et ses alliés.
24:15 Musique sombre
24:17 ...
24:21 Musique de tension
24:23 ...
24:38 -Pendant trois ans, Naples va connaître
24:40 une véritable guerre civile.
24:42 Pas un jour sans que la ville ne se réveille
24:45 avec de nouveaux corps sur ses trottoirs.
24:47 ...
24:51 -Finalement, c'est la Nouvelle Famille
24:53 qui gagne contre Rafael et Cutolo.
24:55 Entre-temps, les forces de l'ordre arrêtent beaucoup de monde.
24:59 Musique douce
25:02 -Pour Cutolo, la guerre est perdue.
25:04 Ses hommes de main, quand ils ne sont pas morts,
25:06 finissent en prison par centaines.
25:08 L'homme n'a pas su faire sienne l'indomptable Naples.
25:12 ...
25:17 ...
25:19 -Cutolo ne comprend pas
25:21 que dans la réalité sociale et criminelle de Naples,
25:26 il est très difficile d'organiser
25:29 une seule et unique structure.
25:32 La Camorra napolitaine a sa propre anarchie,
25:37 que Cutolo ne va pas pouvoir résoudre.
25:40 Elle est historiquement défragmentée.
25:43 ...
25:46 C'est une tentative d'unifier quelque chose
25:49 qui n'a jamais été unifié auparavant.
25:51 Cette tentative échoue
25:54 parce que la Camorra est une organisation criminelle désorganisée.
25:58 ...
26:00 -Rafael et Cutolo sont encore en prison
26:03 et condamnés à une perpétuité réelle.
26:06 Après lui, plus personne n'a tenté de réunir
26:09 les différents clans de la Camorra en une seule organisation.
26:13 ...
26:19 Musique douce
26:21 ...
26:23 -Le 23 novembre 1980, la région va connaître
26:27 le pire tremblement de terre de son histoire.
26:30 Près de 3 000 morts, 9 000 blessés
26:34 et 300 000 sans-abri.
26:36 ...
26:41 Un drame humain qui va pourtant donner naissance
26:44 à une nouvelle entité mafieuse dans la région.
26:47 ...
26:50 -Le tremblement de terre de 1980 a bouleversé l'histoire de notre terre
26:54 avec la reconstruction.
26:57 -Toute la structure urbaine est affectée.
26:59 Il y a des milliers de sans-abri, des milliers de gens
27:03 qui dorment pendant des semaines dans des containers,
27:06 puis dans la rue. Naples se retrouve dans une situation
27:09 de guerre. La Camorra comprend qu'il y a une chance à saisir.
27:14 Ils se disent que ce n'est pas très compliqué
27:17 de devenir entrepreneur dans le bâtiment.
27:21 -Si la ville de Naples est peu touchée,
27:23 le reste de la région est entièrement à reconstruire.
27:27 Des millions vont être consacrés à cette reconstruction,
27:30 une fortune que les clans locaux vont trouver le moyen
27:33 de s'accaparer.
27:35 -Beaucoup d'argent est arrivé, bien plus que ce qu'il ne peut être
27:39 imaginé. Tous les marchés publics sont allés aux mains
27:43 des entreprises alliées des clans.
27:47 -Dans les années 80, la Camorra passe
27:50 d'une Camorra parasitaire et prédatrice
27:53 à une Camorra d'entrepreneurs.
27:55 C'est le tremblement de terre qui a provoqué ce changement.
28:01 -Pour la première fois, l'activité criminelle de la Camorra
28:04 va devenir plus sophistiquée en s'infiltrant
28:08 dans l'économie légale et en tissant des liens
28:10 avec les politiques locaux.
28:12 La corruption devient alors la base de ce système mafieux.
28:17 -Après le tremblement de terre, la Camorra s'intéresse
28:21 aux déchets. Jusqu'en 1984-85,
28:27 dans le nord du pays, dans le Piémont
28:31 ou en Lombardie, les déchets industriels étaient jetés
28:34 sur place, dans les zones industrielles même.
28:38 À Liguria, à la Lombardie...
28:40 Mais à partir de 1987-1988,
28:45 il n'y a plus de place dans les décharges de ces régions.
28:49 Il y a donc la nécessité de trouver d'autres endroits
28:52 pour se débarrasser de tous les déchets,
28:54 ménagers, industriels, mais aussi toxiques.
28:58 La Camorra, voilà l'opportunité de se faire beaucoup d'argent.
29:03 Elle met alors à disposition des terrains
29:06 dans la région de Naples pour enterrer ces déchets.
29:09 Les propriétaires des terrains ne pouvaient se refuser à la Camorra,
29:13 d'autant plus qu'ils étaient payés.
29:15 Tous ceux qui protestent aujourd'hui
29:17 pour savoir ce qu'il y a sous leur terre
29:20 sont les mêmes qui ont pris de l'argent
29:22 pour qu'on enterre les déchets dans leur terrain,
29:25 même si, à l'époque, ils ne savaient pas
29:27 que ces déchets allaient fuir et s'infiltrer dans les sols
29:31 en les polluant. C'est pourtant bien ce qui est arrivé.
29:34 Et ce système a permis à beaucoup de gens de s'enrichir.
29:40 -La Camorra a mis en place un système de collecte des déchets
29:45 à la fois ménagers, industriels et toxiques.
29:48 Ils les ont enfouis n'importe où, sans se soucier des conséquences.
29:52 Ils ont réussi à transformer ces déchets en or
29:56 bien plus qu'avec la drogue, mais à quel prix ?
29:59 Aujourd'hui, tous les terrains agricoles de leur région
30:02 sont pollués et la santé de la population gravement menacée.
30:06 La faute des clans de la région de Caserta,
30:10 le bastion de ce que l'on nomme l'écomafia.
30:13 -Il existe une Camorra qui se mouve
30:16 dans le centre-ville de Naples
30:19 et une autre qui se développe en périphérie.
30:22 Ce sont deux organisations qui n'ont en commun que le nom.
30:26 Elles ont des mentalités différentes,
30:29 une structure différente
30:31 et des canaux d'approvisionnement différents.
30:34 Les grandes organisations camorristes
30:37 de la région de Naples, la Campania,
30:39 sont structurées de la même façon
30:42 que la Cosa Nostra sicilienne,
30:44 avec un commandement central
30:46 qui s'intéresse uniquement aux business les plus juteux,
30:50 comme la construction, l'industrie, le recyclage.
30:54 Ce ne sont pas des affaires de petits délinquants,
30:58 car il faut une solide organisation,
31:00 des contacts avec l'école blanc
31:03 et des relations à l'international.
31:05 -Pendant que prospère cette nouvelle Camorra
31:08 grâce aux déchets et aux bâtiments,
31:11 dans le centre de Naples,
31:13 les clans se concentrent sur le trafic de drogue locale.
31:17 -Foncela était le quartier de la contrebande,
31:20 le quartier du faux.
31:22 Puis, c'est devenu un des premiers quartiers de la drogue.
31:26 Alors j'ai dealé.
31:28 On mettait un garçon là et un autre là-bas,
31:31 et ils nous prévenaient s'ils voyaient la police.
31:35 C'était des guetteurs.
31:37 Quand ils voyaient la police, ils criaient "Carmela, Carmela".
31:41 C'était un nom de code pour dire "police",
31:44 un prénom typiquement napolitain.
31:46 -Au sein de la Camorra,
31:48 Pietro va passer de dealer à trafiquant international.
31:52 -Je suis un traficant international.
31:55 -Un trafiquant international est passé 22 ans de sa vie en prison.
31:59 -Comme tous les jeunes, je rêvais de devenir footballeur.
32:03 J'étais d'ailleurs très bon au foot.
32:05 Puis la drogue est arrivée ici, et on est tous devenus dealers.
32:09 ...
32:15 Le foot, c'est la vie ici.
32:17 Le foot te fait oublier ce que tu es,
32:20 les mauvaises choses de la vie.
32:22 Pour nous, napolitains, c'est une passion.
32:25 -Une passion qui atteint son paroxysme en 1986
32:28 avec l'arrivée de Diego Maradona.
32:30 Grâce aux joueurs argentins, le club de Naples
32:33 devient pour la première fois de son histoire
32:36 la meilleure équipe d'Italie.
32:38 -Quand Diego Armando Maradona est venu à Naples,
32:42 ça a été un grand moment de libération
32:44 et d'émancipation pour la ville,
32:46 qui s'est toujours sentie dominée et écrasée par le Nord.
32:50 Ces victoires de l'équipe de Naples
32:52 ont été une vraie revanche.
32:54 -Diego, viens ici !
32:56 -C'est également une aubaine pour l'historique clan des Giuliano,
33:00 qui trouve en Maradona son meilleur ambassadeur.
33:03 -Il s'intègre très bien à Naples, car il fait usage de cocaïne.
33:07 Et qui peut lui fournir cette cocaïne ?
33:10 La famille Giuliano de Forcilla.
33:12 Donc, le clan Giuliano se lie d'amitié avec Maradona.
33:15 Il y a d'ailleurs des photos qui sortent
33:18 où on les voit ensemble dans la baignoire des Giuliano,
33:22 en forme de coquillage.
33:23 Mais on le voit aussi dans les cérémonies d'anniversaire des boss.
33:27 Pourquoi ? Parce que Maradona est un toxicomane
33:30 et qu'il consomme énormément de cocaïne.
33:33 Mais Maradona sert aussi au clan, qui peut se vanter
33:36 d'accueillir Diego Maradona, l'idole de Naples.
33:39 -Il est à casa de lui,
33:41 et il est en train de se faire un petit déjeuner.
33:44 -Il est en train de se faire un petit déjeuner.
33:47 Nous sommes au même niveau que Maradona.
33:50 Et donc, le message qu'ils envoient à la population
33:53 est que les Giuliano peuvent avoir tout ce qu'ils veulent.
33:56 -La population est toujours Giuliana,
33:59 et ils peuvent avoir ce qu'ils veulent.
34:01 -Affirmer sa présence et sa puissance aux yeux de tous à Naples
34:05 devient essentiel pour la famille Giuliano.
34:08 Car à cette période, la belle alliance des clans napolitains
34:11 née de la lutte contre Raphaël et Coutolo
34:14 commence à s'effriter.
34:16 Et surtout, au sein même de la famille Giuliano,
34:19 l'unité du clan est remise en cause par des luttes de pouvoir.
34:22 Cris de la foule
34:24 Usés par des allers-retours en prison
34:26 et par ces luttes intestines, Luigi, le roi,
34:29 décide en 2002, après avoir régné 30 ans,
34:32 de se rendre et de collaborer avec la justice italienne.
34:36 Cet événement sonne la fin d'une époque,
34:40 celle des grandes familles qui tenaient la ville,
34:43 et ouvre une phase de grande instabilité.
34:46 ...
34:49 -Les chefs de clans historiques sont pour la plupart en prison.
34:53 Beaucoup se sont repentis, ils collaborent avec la justice.
34:57 Les grandes familles historiques ont donc subi de grosses pertes.
35:01 Un espace de commande s'ouvre,
35:04 mais la transmission du pouvoir ne se fait pas naturellement,
35:09 parce que la succession dans la Camorra
35:11 n'est pas établie d'avance.
35:15 -La jeune génération va alors se battre pour prendre le pouvoir.
35:19 Et bientôt, un événement va définitivement marquer
35:24 la fin du règne de la famille Giuliano.
35:27 ...
35:41 -C'est un samedi soir, pendant un match de Naples.
35:43 Le quartier est vide, car tout le monde regarde la télé.
35:47 Une jeune fille est devant chez elle avec ses copines
35:50 pour décider de l'heure du rendez-vous pour la messe.
35:53 ...
35:58 Là, deux tueurs arrivent en scooter
36:01 pour exécuter Salvatore Giuliano.
36:06 Qui est Salvatore Giuliano ?
36:08 C'est celui qui réorganise un clan avec l'aide de son oncle Ciro
36:12 afin de chasser un nouveau clan qui avait pris possession de leur quartier.
36:16 C'est toujours la même histoire.
36:19 Les coups de feu fusent.
36:21 Ils tirent en direction de Giuliano,
36:23 qui se cache derrière une voiture, juste à côté des jeunes filles.
36:27 Quand elles entendent les coups de feu, deux d'entre elles s'échappent.
36:31 Annalisa Durante est paralysée par la peur.
36:34 Elle ne sait plus quoi faire, elle ne peut plus bouger.
36:38 -Salvatore Giuliano sort de derrière la voiture.
36:42 Il réplique avec son arme.
36:45 Et en ripostant,
36:48 l'une de ses balles finit dans l'oeil droit d'Annalisa.
36:51 ...
37:01 -Annalisa meurt sur le coup. Elle n'avait que 14 ans.
37:05 ...
37:17 ...
37:25 ...
37:42 -Salvatore Giuliano, l'assassin d'Annalisa,
37:45 est arrêté et condamné.
37:47 Mais la mort de la jeune fille a rompu définitivement le lien
37:51 qui unissait les Giuliano et la population de leur quartier.
37:54 ...
37:57 -Quelle est votre requeste ?
37:58 -Qu'il faut que ces firmes
38:00 se débrouillent à la famille Giuliano de ce quartier.
38:03 Sinon, on ne vit pas bien.
38:05 ...
38:11 -Les parents et grands-parents de Giuliano
38:14 redistribuaient les richesses.
38:16 Avec eux, il y avait un certain système d'assistance.
38:20 Avec ces jeunes, non.
38:21 Pour les grands-parents et les parents,
38:24 les règlements de comptes armés devaient avoir lieu
38:27 qu'en ultime recours.
38:28 Alors que ces jeunes tirent sans hésiter et à la moindre occasion.
38:32 Ils ont un rapport à la violence et à la mort différents.
38:35 Chez eux, le mal est banalisé.
38:36 ...
38:42 -Au milieu des années 2000,
38:44 les clans mafieux sont disloqués
38:47 et les rues livrées à des caïds qui font régner l'insécurité.
38:51 ...
38:55 -La tête du monstre est en prison.
38:59 Et donc, les clans sont désarticulés.
39:02 Ils ne sont plus organisés.
39:04 Construire un réseau international de drogue
39:08 demande beaucoup de temps, de la préparation et des contacts.
39:12 ...
39:14 -Ces jeunes ne savent pas mettre en place
39:16 des organisations si complexes.
39:18 ...
39:23 -Il y a des groupes de criminels sans chef,
39:27 sans logique, sans stratégie,
39:30 qui décident de s'approprier des bouts de territoire
39:35 pour y dealer de la drogue
39:40 et imposer leur aquête aux entrepreneurs et commerçants
39:44 en instaurant la peur.
39:45 ...
39:48 -En 2006, un événement va bousculer le cours de l'histoire.
39:53 ...
39:56 Roberto Saviano, un jeune napolitain,
39:59 va sortir un livre pour dénoncer les trafics de drogue,
40:02 la corruption, l'écomafia,
40:04 en centre-ville et dans la région de Naples.
40:08 ...
40:10 Ce livre, "Gomorrah", dresse un tableau glaçant,
40:14 mais complet des différentes formes de mafias
40:16 et de leur mode de fonctionnement.
40:19 ...
40:24 -Gomorrah a changé l'histoire de la lutte contre la Camorra.
40:29 Et Saviano a été un point de référence extraordinaire
40:34 dans cette lutte.
40:35 Le livre "Gomorrah" a permis au monde
40:39 de voir une représentation de la Camorra
40:41 que personne ne voulait voir.
40:43 Ca a été une claque énorme, même pour les institutions.
40:47 ...
40:51 -Le livre est un best-seller mondial.
40:53 Les autorités mettent un coup d'accélérateur
40:56 dans la lutte contre l'organisation mafieuse.
40:59 Saviano est obligé de vivre sous escorte,
41:01 car la Camorra le tient responsable de son affaiblissement.
41:05 ...
41:06 -On se trompe si on associe le terme "Camorra"
41:12 à ce qui se passe à Naples aujourd'hui.
41:14 Ca n'a rien à voir.
41:16 ...
41:19 A Naples, nous ne sommes pas confrontés
41:22 à des clans camorristes,
41:24 mais à des bandes de criminels, pas moins dangereuses,
41:27 mais avec des méthodes plus démonstratives,
41:31 plus théâtrales,
41:34 qui agissent de façon différente,
41:36 mais avec des fins criminelles similaires.
41:38 Le profit, à n'importe quel prix.
41:41 ...
41:43 -Dernier phénomène en date, la stésa.
41:45 Des bandes de jeunes criminels
41:47 qui font des raids à scooter
41:49 dans certains quartiers populaires de la ville
41:52 en tirant des coups de feu en l'air.
41:54 ...
41:57 -La stésa n'est rien d'autre
41:59 qu'une incursion de quelques jeunes ratés
42:02 qui aspirent à devenir des criminels.
42:04 Ils ne sont animés que par l'idée
42:07 de terroriser les habitants
42:10 et les commerçants d'un quartier.
42:14 Avec pour simple but
42:17 de proclamer que ce territoire leur appartient.
42:23 -Du point de vue de la justice,
42:25 ce phénomène est un signe de faiblesse,
42:28 car une organisation forte
42:30 n'a pas besoin de tuer
42:32 ni d'affirmer sa présence sur le territoire par la violence.
42:35 Elle agit en silence.
42:37 ...
42:40 -Pour certains gammoristes,
42:42 aujourd'hui repentis,
42:45 il s'agirait d'une stratégie des vieux chefs
42:49 qui instrumentaliseraient ces jeunes fous
42:52 afin d'instaurer la terreur
42:55 pour ensuite mieux revenir en tant que garant de la paix.
42:59 Mais je ne sais pas si c'est vrai.
43:02 Qui peut savoir ?
43:07 -Malgré tout,
43:10 la présence de ces jeunes caïds reste marginale.
43:14 Naples n'est plus la ville à feu et à sang des décennies passées
43:19 ni la cité du narcotrafic ultra-violente
43:22 dépeinte dans la série "Gomorrah".
43:25 Une image dont la ville d'aujourd'hui
43:28 peine à se détacher.
43:30 ...
43:35 -C'est une oeuvre artistique
43:38 qui devrait être évaluée en tant que telle.
43:41 Si on me demande si c'est la vérité,
43:43 je réponds oui.
43:44 C'est une partie de la vérité, mais ce n'est pas toute la vérité.
43:48 Dans cette réalité, il y a du vrai
43:50 parce qu'ils opèrent en effet de cette façon,
43:53 mais ils n'ont pas le contrôle de toute la ville.
43:56 La série décrit Naples quand elle était la ville du narcotrafic.
44:01 Si on vient à Naples aujourd'hui,
44:03 on ne va pas se faire tuer par Chanel
44:05 ou n'importe quel autre tueur dans la rue.
44:08 Naples n'est pas la ville la plus violente du monde.
44:11 Naples n'est même pas dans les 50 villes
44:14 les plus violentes du monde.
44:16 Naples n'est pas la ville la plus violente d'Europe.
44:19 Il y a d'abord 3 villes baltes et même Bruxelles.
44:23 Si on parle en nombre d'assassinats par rapport au nombre d'habitants.
44:28 -Bien que la Camorra dans sa forme traditionnelle
44:34 semble avoir disparu,
44:36 sa culture et ses traditions
44:38 restent elles encore profondément enracinées.
44:41 -La Camorra, en tant qu'organisation
44:46 avec une entreprise sur tout un territoire,
44:49 n'existe quasiment plus.
44:51 Par contre, il existe encore une culture camorriste.
44:54 Par exemple, si j'ai un scooter et qu'on me le vole,
45:00 qu'est-ce que je vais faire ?
45:02 En tant que bon citoyen,
45:04 je vais dénoncer le vol à la police.
45:07 Mais en sortant du commissariat,
45:10 je vais me renseigner dans le quartier.
45:13 Je vais aborder des gens pour chercher un interlocuteur
45:17 qui va pouvoir m'aider.
45:19 Je leur dis "regarde, j'ai fait de mal à personne,
45:22 j'ai garé le scooter et il n'est plus là.
45:25 Si tu entends quelque chose
45:27 ou si tu connais quelqu'un qui pourrait m'aider,
45:30 tiens-moi au courant."
45:31 Il y a 90 % de chances qu'après ça,
45:35 je sois mis en relation avec quelqu'un
45:37 qui, en l'espace de deux jours, me retrouve le scooter.
45:41 Je récupère donc le scooter,
45:43 mais en échange, je devrais évidemment payer cette personne.
45:47 Du coup, je retourne au commissariat
45:50 pour retirer ma plainte et je leur dis
45:53 "je suis désolé, j'avais oublié
45:56 que j'avais prêté le scooter à un ami."
45:58 Et je retire ma plainte.
46:01 Les statistiques sur les retraits de plaintes à Naples
46:06 sont affolantes.
46:08 Alors tu peux arrêter 10 000 mafieux,
46:16 mais si tu ne changes pas la façon de penser,
46:19 l'approche culturelle face à la criminalité,
46:22 Naples ne vaincra jamais ce mal.
46:24 Scampia peut se vanter d'un triste record,
46:37 celui du plus grand taux d'analphabétisme.
46:40 ...
46:46 Davidé, l'ancien dealer à Scampia,
46:49 s'est donné pour mission de se battre
46:51 contre cette culture mafieuse.
46:53 Son arme, les livres.
46:55 Il a quitté les rangs de la criminalité
46:57 pour se consacrer aux jeunes du quartier en difficulté
47:01 et a créé une bibliothèque
47:02 où les jeunes peuvent se retrouver après l'école.
47:05 ...
47:07 -Les criminels se réunissaient dans ce local.
47:11 ...
47:15 Ici, il y avait un grand fauteuil.
47:18 ...
47:20 Là, un grand écran pour voir les matchs de Naples.
47:23 Il comptait l'argent, il faisait les comptes de la journée
47:27 pour voir combien de drogues avaient été vendues.
47:31 Et maintenant, c'est devenu un endroit d'espoir et de résistance,
47:35 rempli de livres.
47:37 Rendez-vous compte,
47:39 les mafias ont plus peur de l'école que des juges,
47:42 donc on devrait investir beaucoup plus dans l'éducation.
47:46 ...
47:48 -Mais le problème majeur de Naples reste l'emploi,
47:50 avec près de 50 % des jeunes qui sont au chômage.
47:53 Dans ce contexte, la criminalité reste bien souvent
47:56 la seule alternative.
47:58 Pietro, lui, essaie de leur offrir une autre voie.
48:01 -J'ai fait 22 ans de prison.
48:03 Ce sont des années gaspillées,
48:06 perdues.
48:08 ...
48:09 Des moments de bonheur manqués avec ma famille.
48:12 Ca n'en valait pas la peine.
48:15 ...
48:17 Si je pouvais retourner en arrière,
48:19 je ne referais pas les mêmes erreurs.
48:21 Maintenant, je suis activiste, je n'ai plus peur.
48:24 Alors qu'avant, aussi,
48:26 quand je dealais, j'avais peur, car je fréquentais des criminels,
48:30 des boss.
48:32 J'étais toujours sous tension.
48:35 Maintenant que j'ai changé de vie, je n'ai plus peur.
48:38 Je suis dans la vraie vie.
48:39 J'aide les ex-détenus à retrouver du travail.
48:43 Je vais rendre visite aux détenus.
48:46 ...
48:49 Je fais des choses qu'il y a 15, 20 ans,
48:51 j'aurais jamais pu imaginer faire un jour.
48:53 ...
48:56 J'essaie d'être un exemple pour les jeunes,
48:59 car ils ont besoin d'un modèle.
49:03 D'un modèle positif.
49:05 -De leur côté,
49:07 les autorités publiques ont pris une décision symbolique.
49:11 ...
49:14 A Scampia, les vélés, ces bâtiments en forme de voile,
49:18 emblématiques de la puissance de la Camorra,
49:21 vont tous être rasés.
49:23 Tous, sauf un.
49:26 ...
49:30 -Garder la mémoire de ce qui a été,
49:33 même des choses moches, c'est très important,
49:36 comme on a gardé Auschwitz.
49:39 Car si on ne préserve pas cette mémoire,
49:43 elle meurt.
49:45 En apprenant du passé, d'une mémoire négative,
49:49 on cherche à construire un futur positif.
49:54 Et je pense que les gens d'ici en sont capables.
50:00 Musique intrigante
50:03 -L'histoire de Naples est à l'image de cette ville.
50:07 Chaotique, mais fascinante.
50:10 Attirante, mais effrayante à la fois.
50:13 Cette atmosphère mystérieuse et contrastée
50:16 fait aujourd'hui son succès.
50:18 Le tourisme est en pleine expansion,
50:21 amenant avec lui un souffle nouveau.
50:24 Mais dans les ruelles,
50:26 l'esprit de la Camorra n'a pas totalement disparu.
50:30 Et il est bien difficile de prédire
50:33 si Naples, l'indomptable,
50:35 arrivera un jour à se libérer de cet héritage.
50:38 Musique intrigante
50:41 ...
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