Adeline Dieudonné, écrivain

  • l’année dernière
ABONNEZ-VOUS pour plus de vidéos : bit.ly/radioE1
Dans la deuxième heure de son émission consacrée à la culture, Philippe Vandel reçoit chaque jour un invité.
Retrouvez "L'invité culture" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-invite-culture
LE DIRECT : http://www.europe1.fr/direct-video

Nos nouveautés : http://bit.ly/1pij4sV

Retrouvez-nous sur :
| Notre site : http://www.europe1.fr
| Facebook : https://www.facebook.com/Europe1
| Twitter : https://twitter.com/europe1
| Google + : https://plus.google.com/+Europe1/posts
| Pinterest : http://www.pinterest.com/europe1/

Category

🗞
News
Transcript
00:00 - Et vous écoutez Culture Média jusqu'à 11h avec Philippe Vandel et avec votre invité Philippe, vous accueillez l'autrice Adeline Diodonné.
00:08 - Bonjour Adeline Diodonné. - Bonjour.
00:10 - Vous êtes romancière comme dans un conte de fées alors que vous racontez plutôt des histoires pleines de noirceurs.
00:14 Vous avez publié votre premier roman en 2018, "La vraie vie", 300 000 ventes, traduit dans 22 langues.
00:19 Le roman reçoit le prix FNAC, le prix Renaudot des lycéens, rien que ça, le grand prix d'électrice de Belle et beaucoup d'autres, je vais pas tout citer.
00:26 Et ensuite un recueil de nouvelles qui s'appelait "Kérosène" et donc votre nouveau roman, puisque c'est le second, donc vient de sortir,
00:32 toujours chez l'icône au classe, je lui ai arrivé, le titre c'est "Rest", c'est un ordre ou c'est un nom commun ?
00:40 - C'est les deux et puis on peut même imaginer l'acception anglophone "to rest", "rest in peace",
00:48 c'est pour ça que j'aimais bien ce titre, c'est parce qu'on peut le prendre de plein de façons différentes.
00:54 - Alors c'est une histoire horrible, morbide, terrifiante et en même temps une magnifique histoire d'amour, généreuse et solaire,
01:00 c'est aussi une réflexion sur le désir des femmes, désir au sens large, pas seulement sexuel.
01:06 Elle n'a qu'une initiale votre héroïne, S, elle est amoureuse de M, et en écrivant mes questions ce matin, en tapant sur l'ordi,
01:15 je me suis rendu compte que S et M ça faisait SM, alors que vous auriez pu choisir n'importe quelles autres lettres.
01:20 - C'est mon inconscient qui joue... - Vous l'avez fait exprès ou pas ?
01:23 - Non, non, c'est pas du tout fait exprès. - Vous savez quoi, il y a 26 lettres, il y avait 676 possibilités,
01:28 et vous avez choisi SM. - Ah ben voilà.
01:32 Non, non, et c'est vrai que je m'en rends compte en parlant du livre, parce que parfois je dis S et M,
01:36 et donc d'un coup j'ai fait l'association, mais c'était pas du tout fait exprès, absolument pas.
01:42 - Les psys vous diraient que ce qui est inconscient c'est ce qui est plus puissant,
01:45 et justement c'est d'autant plus puissant que vous n'aviez pas pris conscience.
01:50 Qui est S et qui est M ?
01:52 - Alors, c'est un couple d'amants, M, donc l'homme, est marié, donc peut-être M comme marié d'ailleurs,
01:59 S c'est l'héroïne, c'est la narratrice de l'histoire, et ils partent se faire une petite semaine à deux
02:07 dans la montagne, dans un petit chalet au bord d'un lac, et il va se passer un drame puisque M va mourir,
02:16 et S va refuser de rendre le corps à la famille.
02:20 - Ce qui est extraordinaire c'est qu'il y a un drame, mais elle ne l'a pas tué.
02:23 - Ah non pas du tout !
02:24 - Oui, parce que vous, vous avez lu le roman, mais pour les gens qui ne l'ont pas lu,
02:27 c'est que elle n'est pas assassine, mais elle ne rend pas le corps.
02:33 - Elle ne rend pas le corps, elle fait du recel de cadavres alors qu'il n'y a pas eu d'assassinat, effectivement.
02:37 - Et il y a une histoire dans l'histoire, parce que c'est la narratrice,
02:39 mais c'est aussi un roman épistolaire parce qu'elle écrit à l'épouse de M.
02:43 - Oui, en fait quand j'ai commencé à écrire le roman, je savais qu'à un moment ou un autre,
02:47 il faudrait qu'elle écrive à l'épouse, parce que ce n'est pas un monstre du tout cette femme,
02:51 et qu'elle n'a pas du tout envie que cette épouse attende son mari et s'inquiète.
02:56 Donc elle doit lui écrire pour l'informer qu'il est mort et qu'elle ne rendra pas le corps.
03:00 Et puis j'ai commencé par là, j'ai commencé par écrire cette lettre,
03:03 et rapidement je me suis dit "il est là le roman,
03:04 j'ai absolument pas besoin de rentrer dans une narration à la troisième personne du singulier,
03:09 mais le roman épistolaire, il est là".
03:13 - Et ce n'est pas un roman sur la rivalité, sur l'aigreur, sur la méchanceté,
03:16 puisqu'elle dit "je vous aime, je ne vous connais pas, mais je vous aime, puisque M vous aimait".
03:20 - Mais oui, j'avais envie de ça, j'avais envie de montrer qu'on n'est pas forcément rival,
03:25 on n'est pas forcément... on est beaucoup représentés comme ça nous les femmes,
03:29 comme à se crêper le chignon, à être...
03:32 - La voleuse de Marie.
03:34 - Voilà, exactement, on nous monte beaucoup les unes contre les autres,
03:37 et je pense que ça sert clairement le patriarcat.
03:41 Mais donc là j'avais envie plutôt de cette relation d'une maîtresse qui dit à l'épouse
03:48 "on n'est pas rival et on est chacune à un endroit,
03:50 en tout cas moi je suis bien dans cette relation-là".
03:53 - En parlant de rivalité, il y a cette expression "le marché de la bonne meuf".
03:56 - Oui. - C'est quoi le marché de la bonne meuf ?
03:57 - C'est un petit clin d'œil à Virginie Despentes,
03:59 parce qu'elle en parle dans "King Kong Theory",
04:03 donc le marché de la bonne meuf c'est à quel endroit on est baisable,
04:07 on est disponible, et c'est vrai que déjà ça se finit plus ou moins vers 40 ans chez nous les femmes.
04:17 - 40 ans ?
04:18 Laurie Choleva qui était là juste avant disait que dans le cinéma c'était 45 ans,
04:22 on est vraiment dans notre sujet, à l'igne dieu donné,
04:24 ce roman reste quelque part entre Annie Ernaud et Stephen King,
04:27 Culture Média continue sur Europe 1.
04:30 - Culture Média sur Europe 1 avec Adeline Diodonné de retour avec son nouveau roman "Reste".
04:36 - Vous dites Adeline Diodonné qu'avec ce roman vous avez compris pourquoi vivre à deux en couple
04:40 n'est plus possible pour vous,
04:42 c'est pas pour parler de votre vie que je lance ce sujet,
04:44 c'est qu'avez-vous découvert sur vous en écrivant ces pages ?
04:49 - Oui parce que le fait de savoir que j'étais plus capable de vivre en couple je le savais déjà,
04:54 mais je n'avais pas encore mis réellement le doigt sur les mécanismes qui m'avaient conduit à cette conclusion-là.
05:04 Et la conclusion à laquelle je suis arrivée dans le roman et que je prête à mon héroïne,
05:08 c'est que j'ai une propension à la subordination dont je n'arrive pas à me libérer pour l'instant,
05:16 et donc dès que je me mets en couple je me mets au service de l'autre.
05:18 - Tout en en ayant conscience ?
05:21 - Tout en en ayant conscience mais...
05:22 - Et en comprenant que c'est négatif pour vous ?
05:24 - Oui absolument.
05:25 - Sans pouvoir faire autrement, comme une sorte d'addiction ?
05:27 - Oui mais c'est notre socialisation, on est socialisé comme ça en tant que femmes,
05:32 on nous explique que les désirs des hommes, que les nécessités des hommes sont plus importantes que les nôtres.
05:38 - Attendez, qui nous explique ça ?
05:40 Parce que quand j'entends ce discours, moi je suis né en 62,
05:43 c'était le discours des années 20, des années 30,
05:45 mais moi depuis que je lis des journaux, j'ai travaillé actuel, je lis la presse,
05:49 on nous explique que les femmes doivent faire ce qu'elles veulent.
05:52 Qui vous explique ça ?
05:53 Il n'y a jamais un article qui dit "les femmes doivent se mettre au service des hommes",
05:57 je n'en ai pas lu un seul encore.
05:59 Je n'ai jamais vu une seule émission de télé qui dit "les femmes doivent se mettre au service des hommes".
06:03 Qui dit ça ?
06:04 - Regardez la culture dont on est entouré,
06:09 regardez les films, regardez les fictions,
06:12 ou même moi quand j'étais petite,
06:15 on n'était pas traité de la même façon entre mes frères et moi,
06:20 à l'école c'est évident aussi, ça a été étudié par des sociologues, par des anthropologues,
06:26 selon qu'on est un garçon ou une fille, on n'est pas traité de la même façon,
06:29 les petits garçons ont le droit de prendre plus de place,
06:31 les petites filles doivent se...
06:33 Tout ça a été documenté.
06:35 - J'en ai parlé avec des mères ici,
06:36 vous regardez les terrains de basket dans Paris, il n'y a que des mecs qui jouent.
06:39 - Voilà, exactement.
06:39 - Alors que c'est un investissement public payé par des impôts d'hommes et de femmes.
06:43 - Ne fût-ce que l'espace public, on nous dit à nous "c'est dangereux,
06:46 n'y allez pas, faites attention à la façon dont vous êtes habillés",
06:50 et on ne dit jamais aux petits garçons "n'agressez pas les femmes".
06:54 Donc nous on nous dit en gros "l'espace public n'est pas un espace pour vous".
06:58 Et c'est la même chose sur internet, les réseaux sociaux,
07:01 on est largement harcelés,
07:04 on nous explique aussi par la peur que c'est un endroit dans lequel on doit...
07:08 Oui, on n'est pas les bienvenus.
07:09 - Est-ce qu'elle a un problème avec les hommes,
07:11 elle a besoin d'être validée par eux, par leur regard,
07:14 d'où le concept de "fille sexy en short".
07:16 - Oui.
07:16 - Racontez, parce que ça revient souvent.
07:18 - Oui, donc elle c'est une femme qui a 40 ans,
07:22 et qui a toujours été plutôt...
07:25 En tout cas, elle correspond bien au modèle sexy hétérosexuel,
07:29 c'est-à-dire plutôt mince, élancée, athlétique...
07:33 - Sur le fameux marché de la belle meuf.
07:34 - Voilà, bien située dans le marché de la bonne meuf.
07:37 Mais elle se rend compte aussi à quel point
07:38 cette identité de fille sexy en short l'a bloquée,
07:41 à quel point ça l'a conditionné aussi,
07:43 et que le mec avec lequel elle était,
07:45 l'a traité toujours avec un petit peu de condescendance,
07:47 parce que forcément, quand on a une fille sexy en short,
07:50 on n'a pas trop le sens de l'orientation,
07:52 on est un peu tarte...
07:52 - Mais pardonnez-moi de cette question de Béossien,
07:56 mais pourquoi elle continue à mettre des shorts, alors ?
07:58 - Parce qu'elle est dans cette double injonction de...
08:01 On doit être sexy, c'est ça le problème des femmes,
08:06 c'est qu'on nous demande des choses qui sont contradictoires.
08:08 On doit être mère, mais on doit être vierge.
08:10 - C'est vrai.
08:12 - On doit être sexy, mais pas trop...
08:15 Enfin voilà, on va toujours trouver à nous sanctionner
08:18 à quel que soit l'endroit où on se trouve.
08:20 - Puisque vous parlez du fait d'être mère,
08:21 il y a des phrases terribles sur la maternité,
08:23 et sur les hommes et la maternité.
08:25 Page 97, "J'emmerde le postpartum, j'emmerde les hormones."
08:28 Et puis un peu plus loin,
08:29 vous parlez de Drake et la sœur de l'héroïne.
08:31 "Je me rappelle les hurlements d'Audrey
08:32 quand elle restait quelques mois avec un homme,
08:34 et qu'il se mettait à lui parler d'enfance,
08:36 ça la rendait folle,
08:37 elle cessait de l'aimer dans la seconde,
08:38 elle avait l'impression d'être prise pour une machine à pain."
08:41 J'avais jamais vu cette image de la machine à pain,
08:44 et vous l'avez déjà ressenti comme ça.
08:45 Je vous aurais jamais posé la question,
08:47 sauf que vous êtes venue à Europe 1 avec votre fille,
08:49 donc je sais que vous avez des enfants.
08:50 - Oui, absolument, oui, tout à fait.
08:52 Mais de nouveau, oui, c'est vrai que moi j'ai fait des enfants
08:53 sans me poser la question.
08:54 Il y a une espèce d'injonction à la maternité
08:57 où on nous dit "c'est l'endroit où vous allez vous épanouir,
09:00 c'est l'endroit où vous allez vous réaliser en tant que femme."
09:03 C'est en train de changer tout doucement et je m'en réjouis,
09:05 parce que je ne sais pas si j'aurais fait des enfants
09:08 si je m'étais posé cette question,
09:10 mais moi ça m'a semblé absolument naturel,
09:12 c'était ma destinée de femme
09:13 et j'allais l'accomplir de cette façon-là.
09:16 Et elle, mon personnage,
09:18 elle réalise aussi l'immense arnaque de cette chose-là.
09:21 Que...
09:24 Que voilà, que c'était une injonction.
09:26 - Là-dessus c'est vrai, là-dessus je vous reconnais,
09:29 c'est une immense arnaque.
09:30 Le nombre de fois aujourd'hui dans les émissions,
09:32 "vous faites quoi dans la vie ? Un jeu télé."
09:34 "Je suis maman, c'est le plus beau métier du monde."
09:36 - Oui, c'est vrai qu'on l'entend à chaque fois.
09:38 - Mais quel cliché !
09:39 Moi je me disais "mince, je suis un mec,
09:41 je ne pourrai jamais faire le plus beau métier du monde."
09:43 - Oui, et puis les femmes qui n'ont pas d'enfants,
09:45 elles n'ont pas de place sociale, filles.
09:46 - Voilà, exactement.
09:48 - Ça veut dire ça aussi.
09:50 - Et donc elle dit "j'emmerde le postpartum",
09:52 parce que ça aussi elle se rend compte,
09:53 elle dit "mais arrêtez de nous dire qu'on fait un postpartum,
09:56 en fait on est juste épuisées,
09:57 parce qu'on nous met en congé maternité,
09:59 on appelle ça un congé, nous on croit qu'on va se reposer."
10:01 Or c'est pas vrai, c'est épuisant.
10:03 - Elle a des envies de meurtre avec le père de l'enfant.
10:06 - C'est à lire dans Reste, justement,
10:08 si j'osais, je dirais Adeline Diodonné, Reste, Culture Media,
10:10 continue sur Europe 1.
10:12 - Et repars.

Recommandée