Suicide de Lindsay: l'interview de l'avocat de la famille en intégralité

  • l’année dernière
Me Pierre Debuisson, avocat de la famille de Lindsay, était l'invité de BFMTV pour évoquer le suicide de l'adolescente. La famille de Lindsay a déposé trois plaintes contre la direction du collège, l’académie de Lille et les policiers en charge de l’enquête pour “non assistance à personne en péril”. Une autre plainte a été déposée contre Facebook, “complètement défaillant” dans la modération des contenus haineux, selon l’avocat de la famille. Le 25 mai, le procureur de Béthune avait annoncé que quatre mineurs avaient été mis en examen du chef de "harcèlement scolaire ayant conduit au suicide" et un majeur pour “menaces de mort”.
Transcript
00:00 - Bonsoir Maître Debuisson, merci d'être avec nous ce soir.
00:02 Vous êtes l'avocat de la famille de Lincee, cette adolescente de 13 ans
00:05 qui s'est suicidée le 12 mai dernier après avoir dénoncé pendant des mois
00:09 le harcèlement dont elle était victime.
00:11 Sa famille va porter plainte, vous allez nous expliquer,
00:13 plainte contre le collège, contre l'Académie de Lille,
00:15 contre la police, contre Facebook.
00:17 La mère de Lincee disait ce matin en conférence de presse
00:20 que toutes ses institutions, d'une certaine manière,
00:22 avaient lâché Lincee et la famille.
00:24 - J'ai tout essayé, j'ai tout fait.
00:29 Et on n'a pas été aidé, on a été lâché complètement.
00:33 Aucun soutien, ni avant, ni pendant et ni après.
00:38 Aujourd'hui, on n'a eu aucun courrier de qui que ce soit
00:41 par rapport à ce qui s'est passé pour ma fille.
00:47 Je voulais vous dire aussi que Lincee, à un moment,
00:50 elle était au collège et elle demandait de l'aide au directeur,
00:55 chose qu'elle a précisé aussi, et que justement,
01:00 le directeur lui a carrément dit "écoute,
01:04 tu m'embêtes avec tes bêtises, on n'a pas que ça à faire,
01:07 ça reste entre nous".
01:09 - Le ministre de l'Éducation disait tout à l'heure
01:11 que c'était une faillite collective,
01:12 il le disait sur BFMTV, une faillite collective,
01:14 c'est comme ça que vous analysez les choses aussi ?
01:16 - D'abord, ce n'est pas trop tôt, puisque attendre trois semaines
01:18 après le décès de Lincee pour prendre la parole
01:20 et dénoncer l'ensemble des dysfonctionnements
01:22 qui sont directement à l'origine de la mort de Lincee,
01:24 c'est un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais,
01:28 nous nous félicitons qu'enfin, après cette conférence de presse
01:30 qui était notamment destinée à rendre hommage à Lincee,
01:33 mais aussi à alerter les pouvoirs publics
01:35 sur cette accumulation de défaillances,
01:37 nous nous félicitons qu'enfin, quelqu'un nous tende la main,
01:39 nous espérons que cela va continuer,
01:41 mais effectivement, il y a eu une accumulation de dysfonctionnements
01:44 qui sont directement à l'origine du décès de Lincee,
01:47 à tous les niveaux, que ce soit au niveau du collège,
01:49 de l'académie, même de la police.
01:50 - Bon, on va voir les plaintes que vous déposez ce soir,
01:53 ce matin vous avez lu une lettre, la lettre qu'a laissée Lincee
01:57 avant de se suicider, elle dit "Chers parents,
02:01 si vous lisez cette lettre, c'est que je suis sûrement parti,
02:03 je suis désolé d'avoir fait ça,
02:05 mais je n'en pouvais plus des insultes,
02:07 matin et soir, des moqueries, des menaces,
02:09 je n'en peux plus et j'ai envie d'en finir,
02:11 mais rien ne les arrêtera, elle parle de cerceleuse,
02:13 car malgré tout ce qui s'est passé, elles me voudront toujours du mal,
02:17 je ne pouvais même pas me confier au directeur
02:19 car elle ne voulait rien entendre,
02:20 la seule chose que je pouvais faire, c'est de partir.
02:23 La première plainte que vous déposez, c'est contre le collège,
02:25 qu'est-ce que vous reprochez concrètement au collège de Lincee ?
02:28 - D'abord, ce qui est délirant, c'est que cette lettre,
02:30 elle a été écrite des mois avant sa mort,
02:32 elle a été découverte par hasard dans sa chambre par son beau-père,
02:35 elle a été adressée à toutes les institutions,
02:37 à toutes les autorités, à la police, à l'académie
02:40 et au principal de ce collège qui était donc parfaitement au courant.
02:43 Et c'est ça la difficulté, c'est que dans cette affaire,
02:45 Lincee qui subissait un harcèlement quotidien,
02:48 des insultes, des menaces sur sa tenue vestimentaire,
02:51 des violences, des injures sur les réseaux sociaux,
02:55 avait tout dénoncé, sa mère avait tout dénoncé,
02:57 à de nombreuses reprises et rien n'a été fait pendant ces mois.
03:00 - Y compris directement au directeur de l'établissement ?
03:02 - À tous les niveaux, au niveau de la police,
03:03 au niveau du directeur de l'établissement qui a reçu Lincee
03:05 et qui lui a dit "écoute, tu ne vas pas nous embêter avec tes histoires,
03:08 ça reste entre nous", donc qui a voulu fermer les yeux sur ça
03:10 par un acte positif et vis-à-vis de l'académie,
03:12 qui a reçu tout un dossier médical
03:14 avec, faisant état, des noirs sur blancs,
03:17 des harcèlements permanents, quotidiens,
03:19 des violences aggravées, de l'état de détresse psychique
03:22 dans laquelle elle se trouvait.
03:23 - Mais on avait le sentiment que le harcèlement était quelque chose
03:26 qui était plus pris en compte aujourd'hui.
03:28 Comment vous expliquez que là, personne n'est bougé,
03:30 rien n'a été fait ?
03:31 - Mais je crois que le cas de Lincee, malheureusement,
03:33 n'est pas un cas isolé puisque depuis quelques jours,
03:35 la famille et moi-même recevons des mails, des appels,
03:39 des messages d'un peu toute la France
03:41 et avec ces statistiques effrayantes,
03:43 10% des étudiants, des collégiens, des lycéens
03:46 qui sont victimes de harcèlement,
03:47 je crois que la défaillance se retrouve un peu à tous les niveaux
03:50 et peut-être dans tous les collèges de France.
03:51 - Il y a quatre adolescentes qui sont mises en examen dans cette affaire
03:55 plus un adulte qui est mis en examen,
03:59 quatre adolescentes pour harcèlement,
04:00 ayant entraîné le suicide,
04:03 et un adulte mis en examen pour des menaces de mort.
04:06 Je reviens à la lettre de Lincee,
04:08 elle parle de son ami Maëlys, dont vous êtes aussi l'avocat.
04:11 Faites attention à Maëlys et à ce qui pourrait lui arriver,
04:14 faites attention à vous, je vous aime, au revoir.
04:16 Qu'est-ce qui est arrivé, qu'est-ce qui arrive à Maëlys ?
04:18 - Maëlys, et c'est toute la caractéristique de cette affaire abominable,
04:22 c'est que le déchaînement de haine et de violence au sein du collège,
04:26 mais aussi au-delà de l'enceinte du collège,
04:29 c'est-à-dire sur les réseaux sociaux,
04:30 n'a pas cessé avec la mort de Lincee,
04:32 puisque sa mémoire a été souillée avec des propos injurieux,
04:35 continue d'être souillée sur les réseaux sociaux
04:37 à l'heure où je vous parle aujourd'hui.
04:38 Personne ne réagit, ni l'institution judiciaire,
04:41 ni aucun homme politique,
04:42 personne n'est capable d'arrêter cette déferlante de haine et de colère.
04:45 Et c'est le cas pour Maëlys, qui continue d'être injuriée également.
04:48 - Vous portez plainte, pardon, je vous laisse parler une seconde, Pauline,
04:50 vous portez plainte contre Facebook.
04:53 Je ne suis pas allé voir sur Facebook,
04:54 mais il se trouve que je vais de temps en temps sur TikTok.
04:57 Sur l'affaire Lincee, j'ai vu des choses abominables sur TikTok,
05:01 sans rien demander,
05:02 c'est-à-dire sans taper dans la barre de recherche Lincee, etc.,
05:06 sans rien demander.
05:07 L'algorithme pousse des choses absolument abominables,
05:11 où par exemple, on fait parler Lincee des jours après sa mort,
05:15 où par exemple, on a des vidéos avec le nom, l'adresse,
05:19 les photos de celles qui sont supposées l'avoir harcelée,
05:23 je ne sais même pas si ces personnes-là sont les bonnes personnes, etc.,
05:26 on n'en sait rien.
05:27 Tout ça est un flux, mais continue, avec des dizaines et des dizaines de vidéos.
05:30 Vous n'avez aucun moyen, vous, d'arrêter ça.
05:33 - Normalement, tous les réseaux sociaux sont tenus depuis la loi 2021
05:37 à une obligation de modération, de contrôle de contenu illicite,
05:40 et cette affaire met en lumière des dysfonctionnements
05:44 au niveau de ce contrôle de modération,
05:45 à la fois pour Instagram, Facebook, TikTok et l'ensemble des réseaux sociaux,
05:49 ce qui est très grave, puisqu'on se rend compte qu'en France,
05:50 personne n'est capable d'avoir la moindre influence sur ces réseaux sociaux.
05:54 - Justement, est-ce que vous pensez que c'est parce que c'est sur les réseaux sociaux
05:56 qu'essentiellement, en grande partie, le harcèlement se passait,
05:59 que finalement, les responsables de l'établissement,
06:02 quelque part, s'en sont un petit peu lavé les mains,
06:04 parce que c'est pas...
06:05 c'est passé en dehors, finalement, de l'établissement scolaire.
06:08 Est-ce que ça, pour vous, c'est une prise de conscience nécessaire,
06:11 que même si ça se passe sur les réseaux sociaux,
06:13 ça concerne des élèves de l'établissement et évidemment qu'ils sont responsables ?
06:16 - Bien sûr.
06:17 Pour être très précis, le harcèlement, c'était à la fois au sein du collège,
06:21 puisqu'il y avait des tags insultants avec des mots abominables en permanence,
06:24 des violences au sein du collège, mais effectivement, une pression permanente,
06:28 un harcèlement, un cyberharcèlement, qui perdurait le week-end,
06:31 tout le temps, en permanence.
06:32 Et oui, il est important que le collège, les institutions académiques,
06:37 puissent avoir un droit de regard sur ce qui se passe
06:39 et qui concerne les étudiants, les collégiens.
06:41 Ça n'a pas du tout été le cas.
06:42 Et contrairement à ce qui a pu être dit par rapport à l'Académie,
06:45 qui dit avoir mis en œuvre toutes les mesures nécessaires,
06:47 ben non, rien n'a été fait.
06:48 La preuve, l'INSEE est morte.
06:49 - Papendia et le ministre de l'Éducation disaient tout à l'heure
06:52 qu'il allait faire pression avec le gouvernement sur les réseaux sociaux
06:56 pour, par exemple, pouvoir mettre un bouton,
06:58 une sorte de bouton d'alerte en dessous des vidéos.
07:00 Si on voit une vidéo qui ressemble à du harcèlement,
07:03 on peut alerter immédiatement.
07:04 Pour vous, c'est quelque chose qui irait dans le bon sens ?
07:06 - Bien sûr, c'est une très bonne idée.
07:07 Ce n'est pas trop tôt.
07:08 Il doit y avoir un débat national,
07:11 puisqu'encore une fois, c'est un sujet d'enjeu national.
07:14 Ça concerne potentiellement tous les enfants.
07:16 Et ce débat n'a toujours pas eu lieu.
07:17 Et toutes les mesures doivent être mises en œuvre.
07:19 Et cette idée-là paraît intéressante.
07:20 - Pablo.
07:21 - Vous avez parlé de défaillance globale.
07:23 C'est le ministre qui a parlé de défaillance globale.
07:25 J'imagine que vous avez des interlocuteurs à l'Académie,
07:28 vous avez des interlocuteurs du côté de la police.
07:30 Est-ce que, par exemple, du côté de Facebook et TikTok,
07:32 vous avez des gens avec qui vous parlez pour dire
07:34 "maintenant, vous arrêtez et trouvez les moyens
07:36 pour arrêter ce qui se passe sur ces réseaux sociaux ?"
07:39 - Vous savez que c'est extrêmement compliqué
07:40 de rentrer en contact avec des salariés de ces grands groupes,
07:43 qui sont des groupes américains la plupart du temps,
07:45 et qui s'en lavent les mains d'ailleurs,
07:46 puisque ce sont des groupes internationaux.
07:47 - Personne ne vous répond ?
07:48 - Non, on n'a eu aucune information.
07:50 D'ailleurs, je suis là pour le rappeler,
07:52 personne, jusqu'à aujourd'hui, n'a tenté,
07:55 je parle des hommes politiques, de la classe politique,
07:58 n'a tenté d'appeler les parents de l'INSEE,
08:00 la maire de l'INSEE, pour partager quelques mots de compassion.
08:02 - Le ministre sur notre antenne tout à l'heure,
08:03 ministre de l'Éducation, dit "j'ai personnellement
08:06 essayé plusieurs fois d'appeler la famille de l'INSEE".
08:08 - C'est possible, mais la mère me dit que ce n'est pas vrai,
08:11 qu'elle a simplement reçu un message aujourd'hui
08:13 de son secrétariat, ceci étant dit,
08:16 il nous tend la main, donc c'est une bonne chose.
08:18 - Le ministre invite la famille au ministère,
08:21 la famille va répondre favorablement à l'invitation ?
08:22 - Oui, bien sûr, on a besoin de tous les soutiens.
08:25 Encore une fois, c'est un fléau qu'il faut absolument éteindre,
08:28 et donc tous les soutiens seront bons à prendre.
08:30 - Juste pour rappeler qu'en 2021, Emmanuel Macron avait fait
08:33 de cette cause de la lutte contre le harcèlement
08:35 une priorité absolue dans le monde de l'éducation,
08:38 et qu'en réalité, on voit bien qu'il n'y a pas de processus
08:41 qui devrait être quasiment automatique,
08:43 c'est-à-dire qu'il devrait y avoir des procédures extrêmement codifiées.
08:46 Un enfant se plaint de harcèlement,
08:48 ça devrait déclencher tout de suite une procédure,
08:49 convocation des parents, convocation des parents du harceleur,
08:52 parce qu'on oublie souvent aussi le harceleur,
08:54 et je me rappelle qu'on avait reçu un président de l'association
08:57 qui lutte contre le harcèlement et qui expliquait
08:59 que les harcèleurs aussi parfois sont des enfants
09:01 qui sont potentiellement en danger,
09:03 ou qui en tout cas subissent dans leur quotidien,
09:05 dans leur famille, des choses qui parfois expliquent leurs gestes.
09:09 Et on voit bien que rien n'a été mis en place en réalité
09:11 de vraiment automatique et systématique dans l'éducation
09:14 pour prendre en compte ce problème de façon extrêmement ferme,
09:18 et je trouve que Papandya était assez peu autocritique,
09:20 et remettait assez peu en cause l'éducation
09:23 et le système éducatif dans son propos.
09:25 - Bah écoutez, il faut du pragmatisme,
09:29 il y a la ras-le-bol de ces effets d'annonce qui ne servent à rien,
09:31 et qui sont toujours consécutifs à des faits divers abominables.
09:34 Il faut un débat concret et qui mène à des mesures concrètes,
09:37 si ce n'est pas le cas, et aujourd'hui à l'heure de Tchadjpété,
09:40 on sait qu'il est très facile de concevoir un algorithme
09:43 qui permet de supprimer en quelques secondes des mots comme
09:45 "l'INSEE est enfin morte", "cette espèce de pute,
09:48 je vais pisser sur sa tombe", pardon,
09:49 mais c'est une gamine de 13 ans, c'est ce qui continue de circuler,
09:52 et c'est inconcevable de se dire qu'avec les dizaines de millions
09:55 de revenus de ces grandes boîtes, rien n'est fait,
09:57 en violation de tous les principes qui leur sont imposés.
10:00 – Merci Maître, merci d'avoir été l'unité ce soir de 22h max,
10:03 d'avoir été en direct avec nous ce soir.

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