Tueurs en Séries avec Edouard Husson : Qui veut la guerre ?

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"The Diplomat" est la grande série phare du moment qui mêle géopolitique, guerre et diplomatie.
L’invité de ce "Tueurs en Séries" est Edouard Husson, spécialiste de l’histoire contemporaine qui intervient beaucoup sur le conflit en Ukraine… et cela tombe bien, car cette série se déroule pendant la guerre en Ukraine. On y trouve des répliques comme "Être un ennemi de l'Amérique est dangereux ; mais être un ami de l'Amérique est fatal". Alors, avec les Etats-Unis, c’est ennemi ou soumis ? L’Angleterre est-elle le "porte-avion américain" sur notre continent ? D’où vient le danger, de Russie ou d’ailleurs ? Le terrorisme islamique est-il encore une menace ?
Edouard Husson est professeur à l’ISSEP, l’école fondée par Marion Maréchal.
Transcript
00:00 Bonjour, bienvenue dans ce nouveau Tueur en série.
00:05 Je suis avec Edouard Husson, un historien spécialiste d'histoire contemporaine
00:10 et qui intervient beaucoup sur la guerre en Ukraine.
00:13 Cela tombe très bien car on va parler de séries qui traitent de géopolitique
00:18 et notamment de The Diplomate qui se passe pendant la guerre en Ukraine.
00:24 [Générique]
00:52 Edouard Husson, bonjour.
00:53 Bonjour.
00:54 Je vais faire votre portrait rapidement.
00:56 Donc il est assez brillant.
00:58 Vous avez fait Cagne à Henri IV, vous avez été ensuite à Normale, Norma Sup.
01:04 Vous avez été agrégé d'histoire, docteur en histoire, professeur d'université,
01:08 professeur à Sciences Po, directeur de l'ESCP
01:12 et maintenant vous êtes directeur de l'ICEP qui est la grande école fondée par…
01:17 Oui, le directeur c'est Thibault Meunier.
01:20 Je suis membre du conseil d'administration.
01:22 Vous êtes membre du conseil d'administration de l'ICEP
01:25 qui est donc la grande école fondée par Marion Maréchal.
01:29 Et donc pourquoi en deux mots, pourquoi et pour qui l'ICEP ?
01:33 Quand j'ai entendu parler de l'ICEP, du projet d'ICEP en 2018, en janvier 2018,
01:41 c'est le moment où Marion Maréchal l'a annoncé,
01:44 je constatais du côté de l'université publique la montée du wokisme.
01:49 Et je me suis dit, génial, un espace de liberté, ça vaut la peine d'aller voir.
01:54 À l'époque je ne connaissais pas Marion Maréchal, j'ai fait sa connaissance,
01:58 j'ai vu que le projet était très bien pensé.
02:01 Elle m'a proposé de m'y associer, d'y être professeur,
02:05 puis elle m'a même fait l'honneur après d'entrer dans le conseil d'administration
02:09 et je pense qu'il faut, j'allais dire, puisque je viens de Normale Sub,
02:14 qui est une école où il y a eu beaucoup de maoïstes,
02:16 donc je dirais que sans fleurs s'épanouissent, que sans écoles rivalisent,
02:20 il faudrait beaucoup d'ICEP pour renouveler l'enseignement supérieur français
02:26 qui est en train, du côté des sciences humaines et sociales,
02:30 de mourir du wokisme, j'utilise le terme pour aller vite,
02:34 mais un mélange de conformisme intellectuel et d'idéologie.
02:38 – D'accord, donc vous faites un point également vidéo hebdo,
02:42 pour parler de la guerre en Ukraine, mais pas que,
02:44 vous parlez aussi de tas de choses, de la monnaie, etc.
02:48 ça vous vaut, vous êtes donc sur le courrier des stratèges,
02:51 une chaîne avec Vérag, – Éric Vérag qui est le fondateur,
02:56 oui c'est un média internet, – Voilà qui est venu ici.
02:59 – Avec une partie écrite et une partie vidéo.
03:02 – Oui, c'est un mix.
03:04 Donc ça vous vaut cette présence, le qualificatif,
03:09 le privilège d'être traité de complotiste,
03:13 quand on est historien, on est à la recherche
03:15 d'une interprétation sincère sur des faits,
03:19 d'une interprétation des faits, donc,
03:21 est-ce que cela vous touche, que vous soyez attaqué sur…
03:24 – Alors d'abord, si certains de vos téléspectateurs
03:28 ne connaissent pas le courrier des stratèges,
03:30 c'est un média, purement internet, qui vit des abonnements,
03:35 et qui est dédié à la défense de toutes les libertés.
03:38 C'est comme ça que nous nous sommes développés,
03:41 donc à ce titre-là, c'est vrai que nous avons été en désaccord
03:43 avec des politiques coercitives, par exemple le pass sanitaire.
03:47 Aujourd'hui, comme vous y faisiez allusion,
03:49 nous portons un regard sceptique sur le discours officiel
03:54 concernant la guerre en Ukraine, mais il y a beaucoup d'autres exemples
03:57 de thèmes sur lesquels nous intervenons,
03:59 alors effectivement, ça nous vaut,
04:01 chez certains fact-checkers officiels,
04:05 d'être traité de complotiste, mais enfin, vous savez,
04:08 aujourd'hui, vous êtes traité de complotiste ou d'extrême droite,
04:12 comme il y a 30 ans, vous vous traitez de fasciste,
04:15 c'est la même chose.
04:18 Est-ce que moi, ça me touche personnellement ?
04:20 Non, d'abord, je voudrais remercier Conspiracy Watch de me citer,
04:23 parce que quand vous allez sur Conspiracy Watch,
04:25 vous avez un recueil de tous les très bons auteurs sur tous les sujets.
04:29 Effectivement, il faut regarder ça en face,
04:32 et en fait, ils ne se rendent pas compte de la publicité qu'ils font
04:35 à un certain nombre de personnes qui font de la bonne recherche.
04:38 Ensuite, si vous voulez, moi, je suis historien de formation,
04:42 une des premières choses qu'on apprend quand on est un historien en herbe
04:46 et quand on fréquente les bancs de la Sorbonne
04:49 ou d'une autre grande université,
04:51 on lit Raoul Girardet, "Mythes et mythologies politiques",
04:54 et on lit le chapitre sur le complotisme,
04:59 et donc on apprend à dénoncer les personnes qui font du complotisme.
05:04 Et là, je parle du vrai complotisme.
05:07 Par exemple, ceux qui imaginent aujourd'hui
05:10 que tout opposant est d'extrême droite, ça c'est du complotisme.
05:14 Mais il y a beaucoup d'autres théories complotistes sur cette planète
05:18 depuis le 18e siècle.
05:20 Faut-il rappeler que le premier complotiste de France a été Voltaire,
05:25 qui a inventé le complot jésuite.
05:27 Donc, effectivement, je crois qu'il faut être prudent
05:30 quand on accuse les autres de complotisme,
05:32 parce qu'on pourrait bien se retrouver sur la liste.
05:34 – Bon, alors on va revenir à nos séries,
05:36 parce que l'émission s'appelle "Tueurs en séries"
05:38 et traite des séries.
05:39 La série qui est très en vogue en ce moment sur Netflix,
05:42 c'est "La Diplomate", "The Diplomate",
05:44 et le synopsis est…
05:46 je ne vais même pas vous lire le synopsis officiel
05:49 parce qu'il n'est vraiment pas excitant du tout.
05:51 L'histoire est très simple,
05:52 c'est une femme qui est du spécialiste du Moyen-Orient,
05:55 qui se retrouve un peu malgré elle,
05:57 parachutée ambassadeur des États-Unis à Londres.
06:01 Son mari, qui est un mari un peu encombrant,
06:03 qui est un ancien diplomate,
06:05 est également aussi un spécialiste du Moyen-Orient.
06:08 Alors, il y a à mon avis,
06:09 trois niveaux d'écriture dont j'aimerais parler.
06:12 Un premier niveau, c'est celui du couple.
06:15 Des petites choses à dire, peut-être plus sur les acteurs que sur le couple.
06:20 C'est moyennement intéressant.
06:22 Il y a le scénario qui est plus ou moins vraisemblable.
06:24 C'est peut-être pas non plus ce qu'il y a de plus passionnant.
06:27 Et il y a surtout un regard de la géopolitique,
06:31 un regard de l'état du monde,
06:34 et qui est un regard un peu nouveau.
06:36 Alors, on va d'abord s'attarder un tout petit peu sur le couple.
06:39 Le couple est au centre.
06:40 On a beaucoup fait de comparaisons avec House of Cards,
06:43 qui s'est arrêtée en raison du scandale de Kevin Spacey.
06:49 House of Cards, c'est quoi ?
06:50 C'est un homme et une femme qui s'aiment,
06:52 mais pas de manière charnelle et passionnelle.
06:54 Ils s'aiment par amour du pouvoir, un amour partagé.
06:56 L'un ne prend pas de décision sans l'autre.
06:58 Bref, le couple est un véritable duo.
07:01 Alors, c'est souvent mis en scène dans les séries.
07:04 On voit même dans la série The Diplomat,
07:07 son mari prendre la place de sa femme pour une conférence,
07:11 bien qu'elle voit ça d'un mauvais œil quand même.
07:13 Mais on ne sait pas si finalement,
07:16 les États-Unis n'ont pas envoyé le couple
07:19 parce que c'était mieux un duo qu'elle toute seule.
07:22 Voilà, donc on ne sait pas trop exactement.
07:25 Ce qui est important, c'est de voir que le couple est au centre.
07:28 Ma question est très simple.
07:30 Est-ce que c'est une maraude des séries TV,
07:32 puisque ça revient régulièrement, ou est-ce que ça existe ?
07:35 Alors, en commençant à parler de La Diplomate,
07:39 d'abord, il y a quelque chose sur quoi il faut insister,
07:42 c'est que les Britanniques comme les Américains
07:45 continuent à faire d'excellentes séries politiques.
07:48 Ça, c'est quelque chose qui est frappant.
07:51 Leur savoir-faire, malgré la crise de la politique britannique
07:54 et de la politique américaine,
07:56 peut-être que cette crise nourrit les séries politiques.
07:59 Ensuite, si vous voulez, effectivement,
08:02 ce que vous identifiez sur ce couple,
08:06 ça n'est pas nouveau.
08:09 On avait déjà cette tension-là dans West Wing,
08:12 effectivement, où Jed Bartlett avait une femme
08:16 à forte personnalité, qui avait des absences.
08:20 On va dire qu'il n'est pas toujours au domicile conjugal,
08:23 le domicile conjugal étant la Maison Blanche.
08:26 On voit ça, je pense que c'est un produit tout naturel.
08:30 – Aux USA, il y a le statut de la première dame
08:32 qui n'existe pas en France.
08:34 – Oui, mais là, je crois que ça va plus loin.
08:36 Je pense que c'est l'évolution naturelle
08:39 avec des femmes qui arrivent à des postes de haute responsabilité.
08:43 Et à partir de là, il y a souvent des couples qui se forment,
08:47 dans la réalité aussi, et ça peut créer des conflits.
08:52 – Chez nous aussi, avec Macron, puisque Brigitte Macron,
08:56 j'ai vu une bio sur elle, un peu fouillée,
09:00 qui explique que c'est elle qui l'a poussée à être ce qu'il est,
09:04 c'est-à-dire un homme de pouvoir, qu'au départ,
09:06 il voulait être simplement un écrivain.
09:08 Et elle lui a dit "mon coco, si tu veux pas qu'on te prenne
09:11 pour mon gigolo, il va falloir que tu montes, tu grimpes les échelles".
09:14 Il paraît même que, dans les conseils des ministres,
09:17 sur certains sujets, elle a son domaine réservé et son siège,
09:21 domaine réservé qui est l'éducation,
09:24 mais il paraît qu'elle peut même intervenir à ce moment-là.
09:27 – Là, je vous avoue mon ignorance, c'est-à-dire que je trouverais ça
09:30 plus crédible si ce n'était pas elle qui le disait.
09:32 Mais prenons un peu plus tôt dans notre histoire,
09:36 il y a une grande histoire manquée,
09:38 qui est Ségolène Royal et François Hollande,
09:41 qui, évidemment, il aurait fallu que François Hollande soutienne
09:45 la candidature de Ségolène Royal en 2007,
09:48 dont je rappelle qu'elle n'est pas passée loin d'une surprise.
09:51 Elle a fait un très bon score au premier tour,
09:53 et elle a joué de malchance au deuxième tour,
09:56 en particulier parce que le PS ne la soutenait pas.
09:58 Mais imaginons ce qu'aurait donné le couple avec un Hollande
10:03 qui est un peu plus loyal,
10:05 on aurait peut-être eu deux mandats de Ségolène Royal.
10:10 Transportons-nous aux États-Unis les Clintons ?
10:14 – Oui. – Les Clintons, c'est très représentatif.
10:17 – Les Chirac ? – Alors là, vous parlez,
10:20 c'est-à-dire que ce que vous identifiez dans le cas de la France,
10:23 ce sont des femmes à forte personnalité,
10:26 qui, d'une certaine manière, se jugent indispensables
10:30 à la carrière de leur président de mari.
10:32 C'est possible, c'est possible qu'il y ait une composante française.
10:35 Moi, ce qui m'intéresse plus dans la série,
10:37 ce sont deux professionnels, hommes et femmes, mari et femme,
10:42 et qui, en fait, ont du mal à trouver le point d'équilibre.
10:47 Regardez l'impossible couple Clinton, on sait les frasques de Bill,
10:52 et pourtant Hillary est passée sur tout.
10:54 Pourquoi ? Parce qu'elle était elle-même dévorée d'ambition,
10:57 parce qu'elle voulait elle-même succéder un jour à Bill.
11:01 Il n'empêche que, si on veut raconter des histoires
11:05 prises à la vraie politique américaine,
11:08 il y a un épisode célèbre pendant la campagne de 2016,
11:11 où le vieux Bill Clinton, qui, à l'époque, avait encore sa tête,
11:16 dit à Hillary qu'elle se trompe complètement de campagne,
11:19 et il lui montre la carte des États visités par Donald Trump.
11:22 Et il lui dit "il faut que tu ailles partout où il va,
11:26 parce que c'est lui qui a raison, c'est ce que j'aurais fait moi".
11:29 Elle pique une colère mémorable, légendaire,
11:33 elle n'écoute rien et elle perd l'élection.
11:36 Donc, vous voyez, de toute façon, il y a des rivalités,
11:39 et c'est ce qu'on voit dans la série "La Diplomate".
11:42 – Alors, dans la série où se coupe, c'est Kerry,
11:45 Kerry, j'oublie son nom, ça reviendra,
11:48 elle jouait brillamment dans "The Americans".
11:51 Alors "The Americans", c'est une série qui, vous l'avez vu,
11:54 je crois, qui est très bonne, c'est une série dans laquelle
11:57 on a deux agents, deux agents russes, pardon,
11:59 ça ne se passe pas pendant la guerre froide,
12:01 ils sont en immersion aux États-Unis et ils vivent à l'américaine
12:05 pour être sous les jambes, sous couverture parfaite.
12:08 Ils ont même des enfants, donc ils poussent loin,
12:10 ils mangent américain, ils boivent américain,
12:12 ils chantent américain, ils dansent américain
12:14 à tel point que leurs enfants sont des américains.
12:16 Et celle qui est le plus fidèle au communisme,
12:20 qui est la moins sous emprise des sirènes
12:24 de la consommation américaine et de la culture américaine, c'est elle.
12:29 Est-ce que, moi je pense à des personnes comme Elisabeth Borne
12:34 ou Vandale Aiel ou Margaret Thatcher,
12:37 est-ce que les femmes en politique sont plus rigides, sont plus dures ?
12:41 Ou est-ce que c'est une question de circonstance ?
12:44 – Je pense que c'est vraiment une question de personnalité d'abord.
12:49 Vous avez eu des souveraines, des reines
12:56 d'une redoutable souplesse, je dirais.
12:59 Pensons à Elisabeth Ière d'Angleterre, pensons à Catherine de Russie.
13:02 Vous avez des hommes extrêmement rigides
13:06 et à qui ça a réussi à certaines périodes.
13:11 Prenez quelqu'un comme Obama par exemple,
13:16 qu'on présente comme un homme très tolérant, très ouvert.
13:20 C'est un idéologue féroce au fond.
13:24 Et c'est quelqu'un, il avait au fond de lui la volonté
13:27 d'appliquer un programme gauchiste et il a réussi en partie
13:31 avec une très grande souplesse tactique.
13:34 Donc je ne pense pas que ce soit l'opposition entre mes femmes.
13:37 Il se trouve, en l'occurrence, ce que suggère le scénario,
13:43 c'est qu'en fait les deux sont très complémentaires.
13:46 Elle, souvent, voit plus loin et de façon plus stratégique,
13:49 mais lui comprend mieux les individus et est capable d'écarter les obstacles.
13:55 Et d'ailleurs, le président américain, ou plutôt la directrice du cabinet,
13:59 la chief of staff du président américain,
14:02 est très bonne pour jouer de cette tension dans le couple.
14:07 Moi, j'ai regardé que la première saison, je crois que la deuxième,
14:10 est déjà sortie aux États-Unis.
14:12 Non, je ne l'ai pas vue.
14:13 Ah, aux États-Unis.
14:14 Voilà.
14:15 Donc, la première saison, à la fin, on se dit, ils vont rester ensemble
14:19 parce qu'ils ont besoin de l'un de l'autre, en fait.
14:21 C'est ça.
14:22 Ce qui m'a paru intéressant, si vous voulez, c'est effectivement
14:27 le fait que les deux viennent des services secrets,
14:31 viennent de la CIA, ou équivalents.
14:33 Et donc, ils ont cette double formation d'espions et, en même temps,
14:41 de diplomates, je dirais,
14:44 et ils ont donc cette tension permanente entre le secret et les relations publiques.
14:50 Alors, elle semble moins bien vivre ça, sauf que lui,
14:54 il n'a pas de rôle officiel à Londres.
14:56 C'est vrai.
14:57 Alors, lui, c'est Rufus Sowell.
14:59 Rufus Sowell, c'est celui qui avait joué dans "Les Maîtres du Haut Château",
15:03 qui est donc une série sur Amazon qui est assez marrante,
15:07 qui est une série qui part du postulat que les Allemands et les Japonais
15:12 ont gagné la guerre et se sont partagé le monde.
15:15 Et donc, Rufus Sowell est l'espèce de fureur nazi américain,
15:20 et même du monde...
15:21 John Smith.
15:22 Oui, c'est ça, du monde occidental.
15:24 Il joue assez bien, ça lui va assez bien.
15:26 Alors, je vous en profite pour vous poser une question,
15:28 puisque c'est une période que vous connaissez très bien.
15:30 Est-ce que ce postulat, l'Allemagne et le Japon ont gagné la guerre,
15:32 est-ce que c'est un postulat qui aurait pu se voir le jour ?
15:35 Écoutez, si à la mi-octobre 1941,
15:40 Staline n'avait pas pris la décision peut-être la plus importante
15:44 de sa carrière politique, qui était de rester à Moscou,
15:47 de ne pas fuir devant la pression allemande,
15:51 on aurait pu imaginer un effondrement au moins partiel du système soviétique,
15:55 une Allemagne qui gagne la guerre, en tout cas pour quelques années.
16:01 Et donc, à ce moment-là, tout était possible,
16:04 y compris une alliance d'une Allemagne dégagée de la pression soviétique
16:09 avec le Japon pour se partager les États-Unis,
16:11 ce qui se passe dans la série "Le Maître du Haut-Château".
16:16 – Qui est assez drôle, parce qu'on voit de l'architecture style à Börspir,
16:21 mais encore plus massive, parce que les Américains sont toujours
16:24 un peu plus excessifs que les autres,
16:27 et on voit comme ça un espèce d'univers contemporain
16:32 de maintenant, mais de l'époque.
16:34 – Mais sans spéculer sur ce qui aurait pu se passer,
16:37 sur l'histoire virtuelle, on oublie souvent que la vraie fascination d'Hitler,
16:42 c'était pour les États-Unis.
16:44 Il était fasciné par le gigantisme américain.
16:47 Et il avait, pour parler comme René Girard,
16:53 il avait une relation de rivalité mimétique avec Roosevelt.
16:57 Il était persuadé que Roosevelt était son ennemi permanent
17:00 parce qu'ils étaient arrivés ensemble au pouvoir.
17:03 Et donc, on sent quelque chose de cette fascination allemande
17:08 pour les États-Unis dans cette série.
17:12 Ensuite, ce qui est intéressant aussi, c'est le mépris des nazis
17:17 pour les japonais et leur volonté de déloger les japonais de Californie.
17:21 – Bien sûr. – C'est l'un des objectifs.
17:23 Non, je trouve que "Les Maîtres du Haut-Château",
17:26 c'est une assez bonne série. – Moi aussi.
17:29 – Qui joue bien sur le réel et le virtuel.
17:32 – Je suis d'accord.
17:33 – Effectivement.
17:34 Et le personnage de John Smith, qui est le plus haut responsable SS aux États-Unis,
17:40 est effectivement assez convaincant.
17:41 – Oui, je trouve qu'il est bien, oui.
17:43 Alors, revenons à notre série "La Diplomate".
17:47 C'est vraiment une série purement de géopolitique.
17:50 La première des choses qu'on peut dire, c'est qu'effectivement,
17:53 c'est une série américaine, donc ce n'est pas anodin.
17:57 Et il y a une chose qui est quand même curieuse,
18:00 c'est que l'Angleterre et les États-Unis, ce n'est plus l'une de mienne.
18:04 – Vous savez, je crois qu'on se trompe beaucoup sur la relation
18:08 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis.
18:11 Elle est beaucoup plus complexe qu'elle n'en a l'air.
18:13 D'abord, n'oublions pas qu'ils se sont fait la guerre à deux reprises,
18:17 au moment de la guerre d'indépendance, puis ensuite en 1812.
18:20 – C'est vrai.
18:21 – Mais depuis lors, il s'est instauré une relation où,
18:26 même avec le déclin de la puissance britannique en 20ème siècle,
18:32 les États-Unis ont toujours eu besoin de la Grande-Bretagne.
18:36 Alors, c'est vrai dans les relations financières,
18:40 la City a toujours été essentielle pour épauler Wall Street,
18:45 mais c'est vrai dans beaucoup de domaines, et en particulier,
18:50 souvent on ignore que les relations entre les services secrets
18:55 ne sont pas si asymétriques.
18:57 Les services britanniques sont de fait le primus inter paes,
19:03 vous savez ce qu'on appelle les "Five Eyes",
19:05 qui sont les services des pays anglo-saxons.
19:07 Et puis, je vais vous donner un autre exemple.
19:10 La guerre froide ne s'est pas finie parce que Reagan a subjugué Gorbatchev,
19:17 elle s'est terminée parce que Margaret Thatcher a convaincu Reagan
19:22 qu'il fallait traiter avec Gorbatchev.
19:24 Parce que Reagan, en 1985-86, était prisonnier de sa rhétorique sur l'Empire du Mal.
19:29 – C'est votre vision de la fin de la guerre froide.
19:31 – Ce n'est pas ma vision, c'est une réalité si vous voulez.
19:34 – La vision que j'avais était un peu différente, je ne suis pas historien,
19:36 mais c'était que les États-Unis consacraient 5% de leur PIB pour l'armement,
19:40 que les Russes avaient un armement équivalent, mais qu'ils y consacraient 20%.
19:45 Et que si les Américains doublaient, ça faisait 10%, c'est acceptable,
19:51 mais par contre, là, les Russes ne pouvaient pas suivre.
19:53 Donc c'était une guerre économique qui avait été perdue,
19:56 une guerre au PIB pour financer de l'armement.
19:59 – Il y a eu tout ça, mais si les soviétiques n'avaient pas essayé
20:02 la politique de Gorbatchev, l'Union soviétique aurait pu évoluer
20:06 comme la Chine a évolué.
20:08 Là, je pense, si vous voulez, ce qui est très important de comprendre,
20:11 alors Reagan s'en est bien trouvé, puisqu'il a réussi à convaincre Gorbatchev de traiter.
20:16 Gorbatchev a joué le jeu, mais Gorbatchev a joué le jeu
20:19 parce qu'il avait confiance en Margaret Thatcher.
20:21 D'ailleurs, ça nous ramènerait au sujet d'aujourd'hui.
20:25 Gorbatchev a traité de bonne foi avec les Occidentaux,
20:29 et Margaret Thatcher, à qui on reproche beaucoup de choses à tort,
20:33 était une femme de parole.
20:35 Et elle avait promis à Gorbatchev la fin de la guerre froide.
20:39 Les Américains, avec Reagan d'abord, qui était lui aussi un homme de parole,
20:44 mais ensuite avec George Bush le père et Bill Clinton,
20:48 qui eux étaient de sacrés frépouilles, n'ont plus joué le jeu.
20:53 Et c'est l'origine de la crise d'aujourd'hui avec l'avancée de l'OTAN vers l'Est.
20:58 Oui, bien sûr.
20:59 Alors, il y a un truc qui est bien dans la série,
21:02 il y a deux ou trois petites phrases comme ça que j'ai notées.
21:04 Il y en a une qui est pas mal, c'est un conseiller qui dit
21:06 "il peut être dangereux d'être l'ennemi des USA, mais être son ami est pire".
21:12 Autrement dit, avec les États-Unis, c'est pas ennemi ou ami, c'est ennemi ou soumis.
21:17 On peut résumer ça, c'est d'ailleurs finalement la thèse d'Eric Branca dans ce très beau livre
21:24 "L'ami américain" qui raconte les relations ô combien difficiles entre De Gaulle et les États-Unis.
21:31 Et effectivement, on peut penser aussi au début du "Grand Échiquier" de Brzezinski,
21:37 dans lequel Brzezinski explique que de toute façon Washington peut bien appeler
21:44 la France et l'Allemagne des alliés, en fait ce sont des vassaux.
21:48 Donc je crois que vous avez raison, c'est d'ailleurs quelque chose d'intéressant
21:55 si on se place dans une très longue durée historique.
21:59 Les Romains, les Chinois, les Russes sont des constructeurs d'empires.
22:04 Pourquoi ? Parce qu'ils savent traiter les peuples qu'ils ont aidés ou soumis à un moment,
22:12 ils savent ensuite les mettre sur un pied d'égalité.
22:14 Alors que les États-Unis en sont incapables, comme les Allemands d'ailleurs.
22:18 – Oui, oui, d'accord.
22:19 – Comme les Allemands.
22:20 – La citoyenneté romaine qui était donnée…
22:23 – Voilà, rappelons-nous que quand vous êtes enfant de parents américains
22:28 mais que vous naissez à l'étranger, vous ne devenez pas automatiquement citoyen américain.
22:33 Parce que vous n'êtes pas né sur le sol américain.
22:35 Donc si vous voulez, c'est très étonnant de ce point de vue-là
22:39 et les États-Unis sont à la fois la plus grande puissance de l'histoire jusqu'à maintenant, indéniablement.
22:45 – Oui.
22:46 – Et pour autant, ils ont beaucoup de mal à construire un empire en bonne et due forme.
22:50 D'ailleurs, ce à quoi nous assistons, c'est à la crise de l'urgence mondiale.
22:54 – D'accord.
22:55 Alors il y a une deuxième petite phrase que j'ai bien aimée aussi.
22:58 C'est, je crois, le ministre des Affaires étrangères qui le dit,
23:01 ministre étrangère anglais, pardon.
23:04 Il dit "Depuis le Brexit, les USA n'ont plus en Europe de porte-voix pour se faire entendre,
23:10 ni Dieu et d'oreilles pour surveiller".
23:13 Donc quand on a évincé, enfin quand l'Angleterre s'est évincée, pardon, avec le Brexit,
23:18 elle a emmené les États-Unis avec elle ?
23:21 – D'abord, la phrase m'a fait sourire.
23:24 – Oui.
23:25 – Parce que je pense que les Américains ont tous les yeux et les oreilles qu'ils veulent
23:32 avec la NSA et rappelons-nous que Mme Merkel n'a pas osé protester
23:38 quand ses services lui ont dit que son Blackberry était écouté par la Maison-Blanche.
23:44 Mais non, je pense que c'est une dramatisation.
23:48 C'est une vision très démocrate américain modérée.
23:53 C'est-à-dire, qu'est-ce que c'est dommage que la Grande-Bretagne
23:57 ne soit plus dans l'Union européenne.
23:59 Mais ce qui s'est passé en fait, c'est l'inverse.
24:02 La Grande-Bretagne est sortie de l'Union européenne
24:06 non seulement parce que le peuple britannique l'a souhaitée,
24:09 mais aussi parce que du point de vue des grands équilibres géopolitiques,
24:15 les Britanniques pensaient, les élites britanniques, là je parle des élites britanniques,
24:20 pensaient que les Américains seraient toujours à leur côté.
24:22 Donc je crois que c'est plutôt ça.
24:24 D'ailleurs on ne comprend pas, pour vous dire simplement,
24:27 moi j'avais fait une série d'articles pour Atlantico à l'époque sur le Brexit
24:32 et je lisais beaucoup de gens qui disaient le Brexit n'aura jamais lieu malgré le vote
24:36 et parce que vous allez voir l'Union européenne va être plus forte dans les négociations.
24:39 Mais tous ceux qui disaient ça n'avaient pas compris,
24:42 et c'est ce que je défendais comme point de vue,
24:44 que les États-Unis étant en appui de la Grande-Bretagne,
24:47 si les États-Unis ne s'opposaient pas au Brexit,
24:50 il y avait sans doute intérêt,
24:52 eh bien le Brexit aurait lieu et c'est ce qui s'est passé.
24:55 – D'accord. – De ce point de vue-là.
24:57 Donc la phrase est plaisante,
24:59 mais c'est un petit peu les obsessions de ces auteurs de séries
25:03 qui sont souvent proches, on va dire,
25:06 qui vivent dans la nostalgie de John Kennedy.
25:09 – Alors là quand même, quand on regarde les rapports entre l'Angleterre et les États-Unis,
25:14 c'est quand même très particulier dans cette série
25:16 parce que le Premier ministre anglais ment au président américain
25:23 et le ment pour l'attirer, pour avoir son soutien.
25:27 Donc là c'est quand même assez grave.
25:31 Et puis dans la série je note un deuxième truc qui me paraît bizarre aussi,
25:35 c'est que c'est l'Angleterre qui est belliciste, pas les États-Unis,
25:39 pourtant c'est quand même les États-Unis qui imposent leur vision du monde
25:43 et leur ordre mondial si j'ose dire.
25:45 Donc ils n'ont pas conscience de ça.
25:47 – Alors je disais à l'instant, je parlais des auteurs,
25:50 des concepteurs de ce type de séries,
25:52 je disais ils vivent dans la nostalgie de John Kennedy.
25:54 Ce sont des démocrates raisonnables,
25:57 ils n'aiment pas l'aile gauche du parti démocrate,
26:00 ils n'aiment pas une version trop idéologue.
26:03 Ou bien quand on pense à West Wing, c'était fait au début des années 2000,
26:08 par rapport aux turpitudes de Bill Clinton,
26:10 on imaginait un président un peu modèle,
26:12 qui sauvait finalement ce qu'ils appellent le libéralisme,
26:16 qui est en fait le progressisme.
26:18 Alors ils vivent dans ce monde-là, et dans ce monde-là,
26:20 dans ce monde mental, je crois effectivement
26:24 qu'ils voudraient une sorte d'Amérique bienveillante,
26:30 les États-Unis bienveillants,
26:33 et exerçant une hégémonie douce sur le monde.
26:36 D'où la mise en avant de l'extrémisme britannique,
26:40 du bellicisme britannique.
26:42 Alors moi ça m'a intéressé à deux titres.
26:44 Le premier titre c'est que ça correspond bien à quelque chose qu'on sent,
26:48 regardez dans la guerre d'Ukraine,
26:50 les britanniques sont beaucoup plus radicaux encore que les américains.
26:54 Et puis dans les Malouines, ils n'ont pas baissé les bras,
26:57 ils y sont allés.
26:59 Oui, mais là si vous prenez sur la guerre d'Ukraine,
27:03 surtout dans une situation où Joe Biden n'a que quelques heures d'activité par jour,
27:12 il est trop fatigué pour gouverner autrement.
27:15 - C'est vrai ?
27:16 - Maintenant on le voit sur les vidéos,
27:18 mais c'est un secret de Paul Echinelle depuis…
27:20 - D'accord, il se représente ?
27:22 - Il essaie de se représenter.
27:24 C'est un secret de Paul Echinelle depuis 5 ou 6 ans,
27:26 tout le monde le savait même avant qu'il entre à la Maison Blanche.
27:29 Et si vous voulez, là-dessus, on voit bien quelqu'un comme Boris Johnson,
27:35 ou aujourd'hui Sounak,
27:38 ils essayent de pousser le plus loin possible.
27:41 Alors, d'où est-ce que ça vient ?
27:43 Je pense que dans le grand basculement géopolitique actuel,
27:47 les Britanniques sont encore plus inquiets que les Américains.
27:53 Pourquoi ?
27:54 A cause de ce que je viens de vous dire.
27:56 Ils ont choisi le Brexit parce qu'ils pensaient que les États-Unis
28:00 étaient finalement un pilier d'une solidité absolue,
28:05 d'un ordre mondial,
28:07 où le monde anglo-saxon…
28:09 - C'est à peu près leur maître.
28:11 - Ce n'est pas leur maître.
28:13 - Oui, mais j'ai bien compris que…
28:15 - C'est une relation plus égalitaire que ce qu'on croit,
28:18 ne serait-ce que parce qu'ils se considèrent
28:20 comme les plus anciens anglophones,
28:22 avant que les Américains s'y mettent.
28:24 - Oui, bien sûr.
28:25 - Mais ils voyaient un monde de domination des puissances anglo-saxonnes.
28:30 Et c'est ce monde-là qui est en train d'être ébranlé,
28:33 en partie parce que Joe Biden, son administration
28:40 et, on va dire, le complexe militaro-industriel américain
28:44 ont mal joué sur cette histoire d'Ukraine.
28:47 Ils ont largement sous-estimé la Russie.
28:50 Ils n'ont pas vu que l'Ukraine ne pouvait pas gagner cette guerre.
28:55 Et donc, aujourd'hui, on est dans une situation
28:57 qui est absolument incroyable sur le plan géopolitique.
29:00 Vous avez les deux tiers des pays du monde
29:03 qui sont en train de basculer dans une espèce d'anti-américanisme primaire.
29:07 - Oui.
29:08 - Ou secondaire, selon les pays.
29:10 - Oui.
29:11 - Et ça inquiète beaucoup les Britanniques.
29:13 D'où le radicalisme britannique,
29:15 parce qu'ils ont plus à perdre encore que les États-Unis dans cette affaire.
29:19 Voilà mon interprétation.
29:20 Et donc, je trouve intéressant qu'une série américaine
29:24 essaye de prôner un retour des États-Unis à une attitude plus modérée.
29:30 - Oui, modérée.
29:31 - Là où je crois vous rejoindre,
29:34 c'est qu'on est un peu surpris qu'ils ne voient pas le radicalisme américain.
29:41 - Oui.
29:42 - Puisqu'après tout, les Américains n'auraient qu'un mot à dire
29:44 et cesser de livrer des armes à l'Ukraine et la guerre s'arrêterait.
29:47 - Oui.
29:48 - Donc, ça ne correspond pas à la réalité.
29:50 En revanche, ça témoigne d'un état d'esprit aux États-Unis
29:53 qui est inquiet devant cette radicalisation britannique
29:56 et est-ce que les Britanniques, on arrivera à les maîtriser ?
29:59 Voilà ce que j'ai entendu dans la série.
30:01 - D'accord. Ok, très bien.
30:02 Je suis d'accord avec vous, j'avais vu la même chose.
30:04 Est-ce que vous avez noté la petite repentance sur Colin Powell,
30:08 avec la petite fiole, et ils font une allusion à ça.
30:12 À l'époque, ceux qui avaient dénoncé l'absence d'armes de destruction massive
30:18 et étaient passés pour des complotistes,
30:20 en fait, ils avaient tout simplement un peu raison avant les autres, c'est tout.
30:24 Est-ce que c'est une nouvelle, cette image,
30:29 ou est-ce que les Américains n'en ont pas encore pris conscience ?
30:32 - Si vous vous placez du point de vue des élites américaines,
30:39 on a régulièrement des mea culpa pour le passé,
30:44 que ça soit la guerre du Vietnam,
30:47 que c'est la guerre d'Irak du début des années 2000.
30:52 Moi je crois qu'il ne faut pas prendre ça très au sérieux,
30:55 sinon ça dénote simplement que les Américains se rendent bien compte
31:02 qu'ils ont mal joué et qu'ils n'ont pas gagné en Irak ce qu'ils voulaient gagner,
31:05 même qu'ils n'ont pas gagné en Afghanistan ce qu'ils voulaient gagner.
31:08 Vous savez, pour le reste, je pense qu'aujourd'hui,
31:12 le peuple américain, la société américaine telle que je la perçois,
31:18 elle est d'abord très divisée sur ces sujets.
31:21 Donc vous avez, on va dire, les soutiens de Joe Biden dans les grandes métropoles
31:30 qui ont tendance à en rajouter en termes de jusqu'auboutisme,
31:35 sauf qu'il y a quand même une aile gauche du Parti démocrate
31:40 qui est très hostile à la guerre.
31:43 Mais le camp d'en face, lui aussi, est divisé sur le plan social.
31:48 L'élite du Parti républicain est plutôt favorable à la guerre d'Ukraine,
31:53 alors que les troupes, et en particulier ceux qui ont la nostalgie de Donald Trump,
31:59 sont au contraire très hostiles à la continuation de cette guerre.
32:03 Mais ce qui va, me semble-t-il, caractériser les États-Unis dans les mois qui viennent,
32:08 c'est que les débats de politique intérieure vont reprendre le dessus.
32:11 Et la guerre d'Ukraine va être progressivement marginalisée.
32:15 Donc des débats comme ceux qu'on a dans la diplomate
32:19 n'intéresseront que les cercles diplomatiques.
32:21 Ce n'est pas négligeable, parce qu'après tout,
32:24 le jour où les États-Unis décideront de négocier avec la Russie,
32:28 et il faudra bien qu'ils y arrivent,
32:30 eh bien il faudra se demander comment maîtriser Londres.
32:33 Et c'est un peu l'enjeu de cette série.
32:36 – D'accord. Alors il y a un truc,
32:39 quand il y a un président américain ou un Premier ministre dans une série,
32:42 j'essaie de deviner le nom qui est derrière.
32:44 Comme le président américain dans la série est vieux,
32:47 j'ai pensé que c'était Joe Biden, enfin Joe Bidon,
32:50 mais pour le Premier ministre, ce n'est pas Boris Johnson,
32:53 puisqu'il est trop jeune pour être Boris Johnson,
32:56 et en même temps il est trop, comment dirais-je, dominateur.
33:00 Boris Johnson est plus un romantique.
33:02 – Alors, Johnson est un Boris Johnson,
33:06 et je crois quelqu'un de beaucoup plus subtil,
33:09 et beaucoup plus différencié, même versatile,
33:13 que le Premier ministre que l'on a dans cette série.
33:18 Le drame de Johnson, c'est que d'une part,
33:22 c'est un homme très cultivé,
33:25 qui a eu l'intuition de ce qu'il fallait faire sur le Brexit,
33:29 mais ensuite il a été brisé par les confinements,
33:32 par l'épisode du Covid.
33:34 – Je ne sais pas si vous avez vu,
33:35 il y a une série qui est consacrée à Boris Johnson
33:38 qui s'appelle "This England",
33:40 où on voit Boris Johnson un peu comme Néron déclamant du Shakespeare,
33:44 pendant qu'il y a le feu à la maison,
33:46 et que les Anglais meurent du Covid dans les hôpitaux.
33:50 C'est un peu caricatural, mais on le voit comme ça,
33:54 vraiment à l'amour.
33:55 – Moi j'ai une autre interprétation,
33:57 je crois qu'il avait un très bon instinct,
34:00 c'est-à-dire qu'il a voulu faire jouer
34:03 l'immunisation naturelle de la société britannique,
34:07 et à partir de là, l'idée d'une résistance des organismes au Covid,
34:12 qui se mettra en place en quelques mois.
34:14 Il a été en fait très mis sous pression,
34:17 d'abord par les réseaux d'influence de la diplomatie chinoise,
34:21 ça il ne faut pas l'oublier,
34:23 et en particulier son compte Twitter a été trollé des millions de fois,
34:28 jusqu'à ce qu'il cède sur la mise en place d'un confinement.
34:32 Deuxièmement, il a certainement été sous l'influence de son actuelle épouse,
34:37 qui elle est très bobo,
34:39 et qui effectivement était tout à fait favorable aux politiques de confinement.
34:45 Mais c'est surtout que, là où Johnson a été complètement coincé,
34:49 c'est qu'il avait son instinct,
34:51 d'où d'ailleurs l'idée de faire la fête à Dunning Street,
34:53 et puis ce qu'on lui imposait de faire.
34:55 Et il a finalement été faible,
34:58 parce que c'est un homme qui n'aime pas être détesté,
35:01 il a besoin d'être aimé, comme beaucoup de politiques,
35:03 et donc il n'a pas fait la politique qui correspondait à son instinct profond.
35:07 Voilà plutôt ma vision des choses.
35:08 Mais pour le reste, vous parliez du Premier ministre britannique dans la série,
35:12 moi il m'a plutôt fait penser à l'ancien conseiller de Johnson, Dominic Cummings,
35:17 avec son côté rigide,
35:19 et un Dominic Cummings qui serait devenu Premier ministre en fait.
35:22 Avec un peu plus de nominateurs aussi quand même.
35:25 Sans doute, mais on ne sait pas ce que Cummings aurait donné en étant au premier rang.
35:29 Alors ce qui est intéressant aussi dans la série,
35:31 c'est que le Premier ministre, il prend des décisions,
35:33 non pas dans l'intérêt de son pays,
35:35 mais par rapport à son image, à sa réélection.
35:39 Donc on voit toujours la com,
35:41 la com qui est toujours omniprésente,
35:43 qui est le grand mal des régimes démocratiques, si j'ose dire.
35:47 Grand mal dans le sens où on imagine mal,
35:50 bon j'aime pas faire des coups de trompette au général de Gaulle,
35:54 mais on n'imagine pas le général de Gaulle avoir un conseiller en com
35:58 qui lui dit ce qu'il doit faire.
35:59 Donc il savait à peu près ce qu'il voulait.
36:01 – Il savait même tout à fait.
36:03 – Il savait tout à fait ce qu'il voulait, oui.
36:05 Bon, là on a quand même un peu l'impression que la com est la clé de tout.
36:10 Et on en vient presque à regretter qu'il n'y ait pas,
36:13 je ne sais pas, une présidence sur 10 ans non renouvelable,
36:17 enfin avec une élection mais non renouvelable,
36:19 de manière à ce qu'on prenne les bonnes décisions pour le pays
36:21 et pas des décisions pour se faire élire.
36:23 – Alors là, je ne sais pas combien de temps on a,
36:25 mais vous lancez un immense débat.
36:27 D'abord, pour répondre au dernier élément que vous venez de mentionner,
36:32 moi je suis très sceptique sur le fait de changer les institutions.
36:36 Vous savez ce qu'il fait, de Gaulle le disait d'ailleurs,
36:38 "tout dépendra des hommes" disait-il à propos de la Vème République.
36:42 Ce n'est pas parce que vous allez allonger, raccourcir le mandat présidentiel,
36:46 mettre plus de parlementarisme, que vous allez changer la durée du mandat,
36:50 vous allez faire que la France soit mieux gouvernée ou d'autres pays.
36:56 Non, je pense qu'il y a une question d'état d'esprit,
36:59 et là vous avez raison, bien entendu, c'est que la communication
37:05 est souvent la boussole de politiques qui ne prennent jamais le temps
37:11 de réfléchir. Regardez aujourd'hui, dans les cabinets ministériels,
37:16 le bureau le plus proche du ministre, c'est le conseiller en communication.
37:19 – Bien sûr, vous voulez dire géographiquement ?
37:21 – Géographiquement, regardez, allons dans les différents ministères,
37:25 vous allez voir que c'est comme ça que ça se passe.
37:27 Autrefois c'était le bureau du directeur de cabinet.
37:30 – Bien sûr.
37:31 – Donc, il y a quelque chose d'essentiel, c'est une drogue d'ailleurs,
37:37 parce que si vous voulez, les spin doctors, mais c'est aussi, je crois,
37:42 quelque chose qui a été très sciemment entretenu par une dynamique,
37:48 vous savez, parlons des choses essentielles, un pays comme la France
37:54 a remis une partie de sa souveraineté à Bruxelles.
37:56 – Oui.
37:57 – La vérité c'est que le président français se croit puissant,
38:00 mais il est dépouillé d'un certain nombre de prérogatives.
38:03 – Il en a conscience.
38:05 – Oui, mais il se le cache à lui-même en faisant de la com'.
38:08 – Peut-être, oui, peut-être, c'est vrai.
38:10 – C'est ça qu'il faut comprendre.
38:11 Et donc, en fait, on est dans une dynamique.
38:13 Alors, chez les Britanniques, on a effectivement quelque chose
38:19 peut-être d'un peu plus complexe, parce que les Britanniques,
38:23 les politiques britanniques ont le sentiment d'être du côté du manche.
38:26 – Oui.
38:27 – Il n'empêche que le Premier ministre dans la série,
38:31 il est effectivement en partie impuissant face à son opinion publique,
38:36 face à la complexité du monde.
38:37 Moi, je crois que ce qui est la leçon de cette série, "La Diplomate",
38:41 c'est qu'une partie des observateurs anglo-saxons comprennent
38:47 que le monde devient beaucoup plus complexe qu'il n'était il y a 10 ans,
38:51 et ça les effraie.
38:53 Et donc, à partir de là, la série explore de manière assez à droite
38:58 les réactions possibles.
38:59 Et comme ils sont américains, ils ont tendance à dire
39:02 "Les méchants, c'est les britanniques, les radicaux, c'est pas nous".
39:05 – Bien sûr.
39:06 – Voilà, alors, la fiction, c'est plus ou moins vraisemblable,
39:09 mais fondamentalement, je pense que ce qui menace,
39:14 non seulement d'ailleurs les États-Unis et la Grande-Bretagne,
39:16 mais aussi les pays de l'Union européenne, les grands pays,
39:18 la France, l'Allemagne en particulier,
39:20 c'est la tentation de refuser la complexité du monde.
39:26 C'est tellement facile un monde où l'Occident domine,
39:29 c'est tellement facile un monde où la Russie est la méchante,
39:33 c'est tellement facile un monde où le seul horizon,
39:36 c'est le changement climatique.
39:38 C'est ça l'enjeu.
39:39 Et là, tout d'un coup, on prend conscience avec la guerre d'Ukraine
39:43 que le monde va être effroyablement complexe.
39:45 Alors, il y a la tentation de le refuser.
39:47 – Oui, oui, enfin, quand même, il y a un truc intéressant
39:51 quand même aussi dans la série, vous dites "Les Russes sont les méchants".
39:55 Oui, c'est les méchants, mais ils n'en font pas des tonnes au fond.
39:59 – Alors là, il y a…
40:01 – On passe dessus, mais vraiment tellement…
40:03 Moi, je m'attendais à une série, comme d'habitude, sur Netflix,
40:07 très "woke", etc.
40:08 Bon, il y a très peu, il y a un truc un peu "woke" à un moment,
40:12 c'est une espèce de conseiller non-binaire,
40:15 on peut se demander s'il n'y a pas un dress code qui est imposé,
40:18 parce que c'est le conseiller qui a un noeud de papillon, etc.
40:22 Quand on pense que les trois quarts des pays
40:25 ne sont pas du tout tolérants sur la chose.
40:29 Donc, bon, peu importe, il y a très peu de "wokisme",
40:32 très très peu de "wokisme", la Russie n'est pas très méchante.
40:36 Et par contre, vous m'avez dit s'il y a une relation directe avec Wagner.
40:41 – Oui, alors, si vous voulez, je crois qu'effectivement,
40:46 beaucoup de ces auteurs des séries politiques américaines
40:49 vivent dans la nostalgie de John Kennedy.
40:52 Et Kennedy, c'est quelqu'un qui, après la crise de Cuba,
40:54 a essayé de traiter avec Rousseff et de trouver de bonnes relations avec Rousseff.
40:59 Bon, on pourrait le dire sur beaucoup de présidents américains,
41:01 d'ailleurs jusqu'à la fin de la guerre froide,
41:03 Nixon a sa manière à essayer de traiter,
41:05 alors lui c'était plutôt avec la Chine,
41:06 Reagan a fini par traiter avec Gorbatchev,
41:09 donc il y a cette nostalgie du monde d'avant.
41:12 Et cette peur qu'inspire finalement ce qui s'est mis en place
41:16 avec Bush Junior et avec le duo Obama-Clinton,
41:22 c'est-à-dire une espèce d'intransigence, en particulier vis-à-vis de la Russie.
41:27 Donc, l'épisode où, sans dévoiler le déroulement de la série,
41:37 mais on va essayer de jouer de division entre d'une part le gouvernement russe
41:42 et d'autre part un groupe de mercenaires qui ne s'appelle pas Wagner
41:47 mais qui ressemble beaucoup à Wagner,
41:49 effectivement ça fait partie des astuces pour essayer de dire
41:52 "mais les Russes pourraient peut-être être raisonnables,
41:55 essayons de trouver un accommodement avec eux".
41:58 Alors l'allusion au groupe Wagner, de ce point de vue-là,
42:03 est tout à fait intéressante.
42:06 – Alors, écoutez, j'avais beaucoup de questions,
42:09 et maintenant on ne va pas pouvoir les traiter toutes.
42:11 Il y a des trucs un peu bizarres, je trouve qu'une équipe iranienne
42:15 qui s'infiltre dans l'ambassade et enlève quelqu'un, ça me paraît curieux.
42:20 – Ne sous-estimez pas les Iraniens.
42:22 – D'accord, non, je ne sous-estime pas les Iraniens,
42:25 mais enfin de la pénétrer dans une ambassade, et puis bon, d'accord, ok.
42:29 – Ce n'est pas ce qui m'a paru le plus invraisemblable.
42:31 – Et l'ambassadeur iranien qui est empoisonné dans l'ambassade d'Angleterre,
42:36 ça ne vous paraît pas…
42:38 – Ce qui est montré des luttes de factions au sein du pouvoir iranien,
42:44 me semble aussi… alors là, pour le coup, sur l'Iran, ça relève du vraisemblable.
42:50 – D'accord, ok, très bien.
42:52 Alors, en conclusion, pas de wokisme.
42:56 – Très peu, très gentil.
42:58 – Il n'y a pas de scène de cul gratuite pour attirer le chaland, quoi.
43:03 – Ils n'ont pas le temps, ils sont en train de sauver le monde.
43:05 – C'est ça, ils sont en train de sauver le monde.
43:07 Il y a de l'action, ce n'est pas de la violence, c'est de l'action.
43:10 Il y a une trame géopolitique qui est bonne, les images sont plutôt pas mal réussies,
43:16 c'est du gros budget, il y a deux acteurs qui jouent remarquablement bien.
43:21 – Et les seconds rôles aussi sont bons.
43:23 – Ils sont pas mal.
43:24 – Le secrétaire au foreign office, le président américain,
43:28 j'ai trouvé que dans le genre, il jouait très bien.
43:31 – Très bien aussi.
43:32 – Non, c'est une série qui… quand je disais au départ
43:35 les anglo-saxons gardent un vrai savoir-faire dans leurs séries politiques,
43:39 on le voit à l'œuvre.
43:41 – Voilà, écoutez, moi je n'aime pas en règle générale les séries sur Netflix,
43:45 je suis toujours un peu dubitatif, mais là, je vous recommande de la voir,
43:49 et Edouard Husson aussi.
43:51 Merci Edouard.
43:52 – Merci à vous.
43:53 [Générique]
44:22 [Générique]

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