Ces mots qui changent d'une région à l'autre

  • l’année dernière
Mais pourquoi les Parisiens disent "un grec" pour parler d'un kebab ?

Tipp-Ex ou blanco, crayon de bois ou crayon à papier… Le linguiste Mathieu Avanzi explique pourquoi certains mots changent d'une région à l'autre.
Transcript
00:00 Comment tu dis ça ?
00:01 Une chocolatine.
00:02 Une chocolatine.
00:03 Pain au chocolat.
00:04 C'est pain au chocolat les gars.
00:05 C'est un pain au chocolat.
00:07 Vous pouvez aller dans le sud-ouest
00:08 et entendre quelqu'un qui vous dit
00:09 est-ce que la chocolatine,
00:10 je vous la mets dans une poche.
00:12 Un sac ?
00:12 Une poche ?
00:13 Ah...
00:14 Ne soyez pas étonné si vous changez,
00:17 si vous allez dans l'ouest de la France,
00:18 d'entendre des mots qui peuvent parfois
00:20 gêner la communication
00:21 puisque vous venez de l'est de la France
00:23 par exemple et que vous ne les comprenez pas.
00:24 Je m'appelle Mathieu Avanzy
00:25 et je fabrique des cartes depuis 2015,
00:27 des cartes qui nous permettent de voir
00:29 comment tel ou tel objet change de nom
00:30 en fonction des régions de France,
00:32 de Suisse et de Belgique.
00:32 Avec les nouveaux médias,
00:34 de plus en plus de jeunes
00:35 sont enclins à utiliser des mots régionaux
00:37 qui sont connus normalement,
00:39 a priori, dans une seule région.
00:40 On va prendre l'exemple du cas de Marseille
00:42 avec des mots comme tarpin
00:43 qui veulent dire beaucoup
00:44 ou des mots comme dégain
00:46 qui veulent dire personne.
00:47 Et ces mots ne viennent pas alimenter
00:48 le français général,
00:49 ils viennent alimenter l'argot des jeunes.
00:50 Non seulement parce qu'ils voient à la télé
00:52 ou aussi parce qu'ils entendent
00:53 parce que certains rappeurs
00:54 sont d'origine de la cité phocéenne.
00:57 On entend beaucoup de gens qui s'appellent
00:58 fratés ou fradés,
00:59 qui ont un mot corse
01:00 qui veut dire frère ou soeur.
01:01 Les mots régionaux ont différentes origines.
01:03 Il y a beaucoup de mots qui viennent
01:05 des patois ou des dialectes
01:06 ou des langues régionales
01:07 comme on les a eu appelés,
01:08 c'est-à-dire des langues que parlaient nos ancêtres.
01:10 Les noms de la fête foraine,
01:11 donc si vous êtes dans la région ronale,
01:13 vous appelez ça une vogue,
01:14 jusqu'à Genève.
01:15 Et puis si vous êtes dans le sud de la France,
01:16 on dit fête votive
01:17 qui continue un mot emprunté aux Occitans,
01:20 un mot qui était le mot "vota".
01:22 Vous avez le préveil,
01:23 vous avez le festin à Nice.
01:25 Donc tous ces mots
01:26 ont été utilisés par les anciens
01:28 en français comme dans les langues régionales
01:29 et aujourd'hui,
01:30 ils ne sont plus qu'utilisés en français
01:31 puisque ces langues régionales
01:32 ont souvent disparu.
01:34 - Un typex ?
01:35 - Tu dis comment toi ?
01:36 - Bah une souris, je sais pas.
01:38 - Un blanco ?
01:39 - Un blanco, voilà, c'est le mot que j'ai cherché.
01:40 - Un blanco.
01:41 - Blanco.
01:41 - Typex.
01:42 - Un blanc.
01:43 À part les mots qui viennent des dialectes
01:45 ou des langues régionales
01:46 qui étaient parlées naguères,
01:47 il existe tout un tas de régionalismes
01:49 qui sont ce qu'on appelle des innovations
01:50 ou des néologismes,
01:51 c'est-à-dire des mots qui sont créés de toutes pièces
01:53 pour correspondre à des nouvelles réalités.
01:55 Alors dans les années 70,
01:57 quand les premiers blancs correcteurs
01:58 arrivent sur le marché,
01:59 ils sont fabriqués en Allemagne
02:01 par une entreprise qui s'appelait Typex.
02:02 "Type" veut dire "verser"
02:04 et "ex" veut dire "revenir en arrière".
02:08 Et donc finalement, par le commerce
02:10 ou par les usages,
02:11 notamment par les mouvements
02:13 qu'il y a pu y avoir dans les écoles,
02:14 le mot "typex" est resté à Paris,
02:16 il est resté dans l'Est de la France,
02:18 mais dans le reste de la France,
02:19 à l'Est, on parle de blanc,
02:21 dans l'Ouest, on parle de blanco.
02:22 - Un kebab ?
02:23 - Un grec.
02:23 - Un kebab ?
02:24 - Un grec.
02:25 - Un keugré.
02:26 - Les langues des migrants,
02:27 comme par exemple,
02:29 beaucoup de migrants italiens ou espagnols
02:31 dans les années après-guerre,
02:34 l'immigration maghrébine
02:36 ou alors l'immigration des différents pays francophones
02:38 d'Afrique aujourd'hui,
02:39 donnent rarement lieu à la naissance de régionalisme,
02:42 puisque souvent les mots qui découlent de ces populations
02:44 sont absorbés directement par le français standard.
02:49 L'immigration grecque qu'on a connue à Paris,
02:51 avec les différents restaurants,
02:53 par méthodimie, on a appelé les sandwichs à la viande
02:55 qui vendaient des grecs,
02:57 et c'est un usage qui est connu seulement
03:00 dans l'île de France, dans la région parisienne.
03:02 Dans le reste de la France, on a adopté d'autres termes,
03:04 comme le mot "kebab",
03:06 et puis du côté de l'Alsace,
03:08 où il y a une immigration turque beaucoup plus importante
03:10 et beaucoup plus focalisée,
03:12 on a utilisé le mot "doner" ou "dener",
03:15 qui est l'abrivation de "doner kebab" tout simplement.
03:18 Pour certains mots, on arrive facilement à retracer leur origine,
03:20 puisqu'on va chercher dans la presse,
03:22 ou alors on va aller regarder dans les journaux
03:24 ou dans les romans qui ont été publiés
03:26 depuis qu'on parle français, depuis au moins le XVIe siècle,
03:28 et puis on va essayer de voir,
03:30 bon, est-ce que ce mot existait dans tel endroit,
03:31 quelle est sa trajectoire,
03:32 est-ce qu'on le retrouve chez qui, dans quelle région, etc.
03:35 Et puis il y a d'autres gens que nous qui ont travaillé
03:37 sur des dictionnaires, des dictionnaires de régionalisme,
03:40 ou des lexiques, ou des traités de patois,
03:42 ou de langue régionale, ou de dialecte,
03:44 qui nous permettent aussi de nous renseigner
03:45 sur l'état de la langue il y a un siècle, deux siècles.
03:48 - Un crayon à papier.
03:49 - Une mine.
03:50 - Une mine.
03:50 - Un crayon.
03:51 - De papier.
03:52 - Crayon à papier.
03:52 - Des mots dont l'origine est floue,
03:54 ou des cartes dont on n'arrive pas à comprendre
03:56 ou à expliquer pourquoi on retrouve telle ou telle géographie,
03:59 c'est par exemple l'exemple du crayon,
04:01 ou du crayon de bois avec ses variants de crayon gris,
04:03 crayon à papier, crayon de papier,
04:05 dont on n'a aucune idée d'où viennent ces dénominations.
04:07 Il faut savoir que les crayons de mines,
04:08 ou ces mines de graphite,
04:10 existent seulement depuis le XVIIIe siècle,
04:12 et puis on a peu de ressources qui nous permettent de dire
04:15 pourquoi c'est comme ça aujourd'hui.
04:16 Sans doute à cause de l'école,
04:17 sans doute à cause des mouvements de population et des zones,
04:20 mais d'où viennent ces dénominations, on n'en a aucune idée.
04:22 - Est-ce que ça continue d'évoluer ?
04:24 Est-ce que certains mots vont plus disparaître,
04:26 ou au contraire vont plus gagner en influence dans d'autres régions ?
04:29 - Il y a énormément de mots qui sont en train de disparaître,
04:31 alors quand on interroge les grands-parents,
04:33 ou quand on interroge les personnes qui ont aujourd'hui plus de 60 ans,
04:36 on peut voir que ces personnes connaissent des mots
04:38 que les jeunes ne connaissent pas.
04:40 Par exemple, les dénominations de la mâche,
04:42 donc la mâche c'est cette salade qu'on consomme surtout en hiver,
04:45 qui aujourd'hui s'appelle mâche un peu de partout,
04:47 mais qui, il y a quelques années, une vingtaine d'années,
04:50 trentaine d'années, s'appelait plutôt doucette
04:52 dans l'ensemble du sud de la France.
04:54 Ce qui touche également à la flore, ou tout ce qui touche à la faune,
04:57 par exemple dans la région de l'Est,
04:59 on appelait darbon pour une taupe, ou alors caillon pour un cochon,
05:03 ce sont des mots qui sont en train de disparaître,
05:05 parce qu'ils désignaient surtout des réalités locales, agricoles, paysannes.
05:10 Aujourd'hui, dans notre société, ces mots n'ont plus lieu d'être,
05:13 parce que quand vous achetez un livre d'images à des gamins,
05:16 il va lire cochon, il va lire taupe, il va lire blaireau,
05:18 il ne va plus trouver tasson, etc., des mots régionaux.
05:22 Donc tout ça explique que des mots peuvent disparaître.
05:25 À l'inverse, des mots qui disparaissent, il y a des régionalismes qui s'étendent,
05:27 qui se dérégionalisent.
05:29 Le chalet désignait une habitation typique des Alpes,
05:32 une petite maisonnette en bois.
05:33 Aujourd'hui, tout le monde connaît le mot chalet,
05:35 puisque le référent, c'est lui-même exporté.
05:37 On a le mot "cagnard", que certains dictionnaires
05:40 continuent de donner comme régional,
05:42 mais "cagnard" qui désigne un chaud, une chaleur très étouffante.
05:45 Pourquoi ces mots se dérégionalisent ?
05:47 Parce qu'ils rendent des services, si on veut,
05:51 aux Français qui n'ont pas de mots, qui n'ont pas de concepts précis,
05:55 sans passer par des longues phrases ou des périphrases
05:58 pour désigner tel ou tel objet.
05:59 C'est comme ça que fonctionne la langue,
06:01 que les régionalismes peuvent venir enrichir la langue française
06:04 jusqu'à terme, que les dictionnaires les donnent
06:08 comme sans marque régionale,
06:10 et leur origine restera toujours régionale.
06:12 Ces régionalismes nous permettent, comme les équipes de foot
06:15 ou comme certaines curiosités touristiques,
06:19 de dire "moi je viens de là, moi j'appartiens à cette communauté".
06:22 [Générique de fin]
06:24 [SILENCE]

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