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Xerfi Canal a reçu Jean-Luc Moriceau, professeur à l'Institut Mines-Télécom Business School, pour parler du libéralisme autoritaire. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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00:00 Bonjour Jean-Luc Morisseau.
00:14 Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:15 Jean-Luc Morisseau, professeur à l'Institut Mines Télécom Business School.
00:19 Jean-Luc Morisseau, auteur de "No Pas Salane", du libéralisme autoritaire qui passe par
00:25 l'enseignement de la gestion.
00:26 C'est dans la RIDO, la Revue Interdisciplinaire Droits et Organisations.
00:30 Et dans cet article, vous partez notamment de l'ouvrage de Grégoire Chamaillou, "La
00:36 société ingouvernable, généalogie du libéralisme autoritaire".
00:39 Alors, le libéralisme autoritaire, ce n'est pas un oxymore, c'est un pléonasme.
00:43 Et ce que vous nous dites, c'est finalement, attention, parce que la gestion est totalement
00:49 contaminée par une vision économique de ce libéralisme autoritaire.
00:54 Et il est urgent de s'en émanciper.
00:56 Alors, expliquez-nous.
00:57 C'est surtout ce qui fait peur quand on en prend conscience.
01:02 Parce qu'on en est difficilement conscient.
01:04 Tellement c'est de naturaliser, tellement c'est…
01:07 Tellement l'entreprise n'est pas une entreprise, mais une firme.
01:10 Exactement.
01:11 Et ça se retrouve donc dans nos outils de gestion, ceux qu'on enseigne.
01:16 Parce que les outils de gestion, c'est-à-dire ils performent.
01:18 Ils font une performance.
01:20 Performer, ça veut dire qu'ils incarnent un imaginaire, ils incarnent une idéologie,
01:24 ils incarnent un système de pensée.
01:26 Après, ils le reproduisent et ils cherchent à avoir un effet qui va dans ce sens-là.
01:30 Ils transforment le réel.
01:32 Ils transforment le réel, absolument.
01:33 Ce n'est pas simplement une description.
01:35 Ils ont pour but de transformer le réel.
01:37 Mais quand on fait un acte, quand on calcule, par exemple, moi je suis en comptabilité
01:40 ou en contrôle de gestion.
01:41 Forêt et Gramassa, ils appellent ça un acte de calcul.
01:45 C'est-à-dire que c'est une action.
01:47 Ce n'est pas simplement une mesure.
01:48 D'un seul coup, on va véhiculer tout.
01:51 On fait passer quelque chose.
01:52 On fait passer une idéologie.
01:54 On fait passer tout un ensemble de choses.
01:55 Et ce qu'il y a dans le livre de Chamayou que vous avez rappelé, ce qui est saisissant,
02:02 c'est que même si on pense qu'on est généreux, qu'on est critique, qu'on veut
02:07 quelque chose de plus soft, plus doux.
02:08 On va nous dire qu'aujourd'hui, ce n'est plus la même chose.
02:11 Ces entreprises font de la RSE.
02:12 Elles essaient de faire le bien aussi.
02:15 On peut utiliser justement les outils de la RSE, nous dit Chamayou, les outils de la
02:22 théorie des parties prenantes, justement pour identifier les adversaires, pour les
02:27 délégitimiser, pour les réduire au silence.
02:31 Et donc, qu'est-ce qui passe ? Qu'est-ce qui passe dans nos outils, même si jamais
02:38 on les présente comme quelque chose de généreux ?
02:40 Quelque chose passe à travers nous.
02:42 D'où le "no pasarán".
02:44 "No pasarán", ça veut dire "on ne veut pas qu'il passe à travers nous".
02:48 Parce que ce néolibéralisme, ce neolibéralisme, ce n'est pas simplement une opinion, ce n'est
02:54 pas simplement une théorie, une approche, un point de vue.
02:57 Le néolibéralisme, j'ai envie de dire, c'est la licence que quelques-uns s'accordent,
03:05 la licence presque sans contre-pouvoir des plus puissants pour exploiter, pour réduire,
03:11 j'allais dire, en dépendance les plus précaires.
03:15 C'est le droit qu'on se donne d'utiliser toutes les ressources sans se poser la question
03:21 de la santé, par exemple des effets sur la santé.
03:23 On parle de cancer, de mal-l'hécarto-vessel, sans se poser la question des effets qu'il
03:27 y a sur l'environnement.
03:28 On pense à l'Amazonie, on pense au problème des abeilles ou ce genre de choses.
03:34 Cet ultralibéralisme, c'est comme si on creuse la différence toujours plus grande
03:41 entre ceux qui possèdent, qui sont l'élite, qui se présentent comme l'élite, et puis
03:48 tous les autres, les exécutants, les migrants, les pauvres, ceux qui ne sont rien, ceux qui
03:57 ne font rien, les minoritaires et qui sont toujours un peu plus autres, un peu moins
04:01 humains.
04:02 J'ai envie de vous poser la question, se libérer, voire s'émanciper de ce libéralisme
04:08 autoritaire, ça veut dire s'émanciper de l'imaginaire économique.
04:10 Cet imaginaire économique passe par des mots, la firme, par des théories, théorie des
04:15 droits de propriété, théorie des coûts de transaction, théorie de l'agence.
04:19 Ça forme un cadre conceptuel totalement cohérent, et c'est par là que ça passe.
04:25 Donc ça veut dire qu'il faut arrêter de l'enseigner, ce cadre, ou ça veut dire
04:30 qu'il faut l'enseigner mais avec tout ce recul-là, c'est-à-dire le recul non
04:34 pas d'un paradigme contractuel mais d'un paradigme de libéralisme autoritaire, où
04:38 on fait croire au salarié par exemple qu'il est mandataire, qu'il aurait un pouvoir
04:41 de discussion et de négociation aussi important que le chef d'entreprise, ce qui à l'évident
04:46 ce n'est pas le cas.
04:47 C'est une vraie question et ça on va mettre en débat.
04:51 Arrêter de l'enseigner, ce serait peut-être une erreur parce qu'il faut connaître aussi
04:56 le langage, il faut connaître les logiques les plus habituelles et la logique de l'autre.
05:03 Donc enseigner d'abord la pluralité, une pluralité d'approches, une pluralité
05:08 d'autres histoires, montrer les faits, enseigner la réflexivité et j'aurais envie de dire
05:12 aussi enseigner la capacité à se mettre des limites.
05:16 Parce que l'ultralibéralisme c'est l'absence de limites, c'est l'absence de honte,
05:19 c'est l'absence de responsabilité, l'absence d'éthique.
05:21 Ça peut être lorsque c'est poussé au maximum et je crois que, en regard, en contrepoint
05:29 de tous les cours d'économie ou de tous les cours de gestion de finances qui passent
05:33 à travers tous ces modèles, il faut aussi enseigner, enfin en même temps, c'est même
05:39 pas qu'il faudrait être à côté, c'est en même temps, alors en même temps c'est
05:43 peut-être pas la meilleure expression ici, mais c'est à l'intérieur de ces outils
05:47 apprendre à en voir l'histoire, apprendre à en voir les effets et apprendre à comprendre
05:54 par quoi ça passe quand on fait un calcul, qu'est-ce que ça veut dire.
05:58 Revenir aux racines idéologiques que véhiculent tous les outils, évidemment, et ça veut
06:03 dire donc une critique au cœur du noyau atomique des théories et non pas une critique, une
06:10 critique générale.
06:11 On espère et c'est tout un travail.
06:14 Tout un travail qui ne fait que commencer.
06:16 Merci Jean-Luc Morisseau.
06:17 Merci Jean-Philippe Denis.
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