Mathieu Belezi obtient le prix du Livre Inter 2023 pour "Attaquer la terre et le soleil". Il répond aux questions de Nicolas Demorand et Léa Salamé aux côtés de David Foenkinos, romancier, président du jury ; Eva Bettan, responsable du prix du Livre Inter ; et plusieurs jurés auditeurs de France Inter.
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00:00 Et le grand entretien autour du lauréat 2023 du prix du livre inter que nous vous
00:04 réveillons dans le journal de 8h.
00:06 Avec Léa, nous sommes en studio avec…
00:09 Monsieur le président du jury de l'édition 2023, David Funkinos, bonjour.
00:13 Bonjour.
00:14 Avec sa majesté Eva Bettencourt, reine du livre inter.
00:16 Bonjour Queen Eva.
00:18 Merci citoyen.
00:19 Et enfin, évidemment, avec le lauréat, Mathieu Bélézy.
00:23 Bonjour.
00:24 Bonjour.
00:25 Bravo encore, attaqué la terre et le soleil aux éditions du Tripod.
00:29 C'est donc le prix du livre inter 2023.
00:32 Vous êtes heureux ce matin ?
00:33 Plutôt.
00:34 Plutôt heureux.
00:35 Et comment vous avez réagi hier quand on vous a appelé, on vous a dit c'est vous ?
00:39 On m'a appelé tard, avec mon éditeur, on ne croyait plus du tout qu'on avait le
00:45 prix.
00:46 On se disait bon, tant pis.
00:47 Et vraiment, il était quasiment 21h.
00:52 C'est bizarre parce que moi je vis assez loin finalement du milieu littéraire parisien.
01:03 Vous vivez à Rome.
01:04 Et puis à Rome et ailleurs.
01:06 Et je vis quand même assez retranché.
01:09 Donc déjà, j'étais très content d'avoir la sélection, mais le prix pour moi, ça
01:13 me paraissait inatteignable parce que c'est le sujet.
01:16 Le sujet va forcément bloquer la délibération.
01:20 On va parler du sujet qui n'a pas bloqué la délibération.
01:22 Je rappelle que le jury est composé de 24 auditeurs, lecteurs, 12 hommes, 12 femmes.
01:28 C'est un prix d'amoureux de la littérature.
01:31 En quelques mots évabétants pour commencer, racontez-nous comment se sont déroulées
01:35 les délibérations hier dimanche.
01:37 Ça a fini tard, c'était des délibérations âpres, disputées.
01:42 Comment ça s'est passé ?
01:43 C'est-à-dire que ce serait plus facile si on n'avait pas beaucoup de bons livres.
01:48 Alors que ce serait simple, il y en a un ou deux bien, assez pliés, en deux minutes.
01:51 Mais non, il y avait beaucoup de choses de très bon niveau.
01:54 Et on fait d'abord un tour de table, les gens donnent leur avis.
01:57 Et puis on voit qu'il y a quelques livres qui ressortent et puis on rediscute.
02:00 Et puis après, on discute d'idées.
02:02 Qu'est-ce qu'on attend d'un livre ? Plusieurs livres parlaient de la violence.
02:06 Il y a des violences différentes, de différentes manières.
02:09 On a parlé de la langue.
02:10 Il y avait Antoine Wauters, le lauréat de l'an dernier, fait partie du jury l'année
02:14 d'après, qui a aussi très bien parlé de ce que c'est qu'être un écrivain de la langue.
02:19 Et oui, ça a été très disputé.
02:22 C'était vraiment un suspense.
02:23 Parce que moi, on vote avec des petits papiers.
02:26 Donc je passe les papiers à David et qu'il y a une lance et on met les bâtons.
02:30 Et on voit au troisième tour, tac, tac, quand c'est à la majorité relative.
02:34 Là, ça a été dur cette année.
02:35 Il y a des années, c'est plié en un tour, boum, boum.
02:38 Là, cette année, ça a été dur.
02:39 Peut-être pas en un tour, ça c'est plutôt rare.
02:41 Mais là, que ce soit comme ça, jusqu'à la fin, on ne savait pas ce qu'il y a des
02:45 sorties.
02:46 Donc il y a eu un vrai suspense.
02:47 David Funkinos, monsieur le président, vous disiez à ce micro au moment de votre nomination
02:50 comme président du jury que ce livre, ce prix du livre inter, était beau et démocratique
02:55 parce qu'il permettait aussi de mettre en lumière des écrivains peu connus.
02:58 Comment ça s'est passé ? Est-ce que la promesse a été tenue ? Ça a été démocratique ?
03:03 Est-ce qu'il y a eu de la dispute au beau et bon sens du terme ?
03:07 Exactement.
03:08 Ça a été incroyablement démocratique.
03:11 Moi, j'ai découvert plein d'auteurs que je n'aurais pas forcément lu.
03:13 Ça a été merveilleux, surtout d'écouter 24 hommes et femmes parler des livres, échanger,
03:18 ne pas forcément être d'accord.
03:20 C'est passionnant, même quand on est écrivain, d'avoir cet accès directement à la sensibilité
03:26 de chacun, aux lectrices, aux lecteurs.
03:29 Et c'est vrai que, Eva vient de nous dire, la sélection était aussi très très belle,
03:33 très relevée, avec vraiment des textes différents et qui prêtaient aux échanges.
03:38 C'est vrai que je peux dire immédiatement que le livre de Mathieu a été unanime sur
03:51 la beauté de l'écriture, la poésie qui nous a vraiment transportés.
03:57 C'est vrai que le texte est magnifique, le style est particulier, il n'y a pas de point.
04:02 C'est comme un souffle, comme un cri, c'est une puissance impressionnante quand on lit
04:10 votre livre, qui a sidéré d'ailleurs le monde, puisque vous avez eu avant le prix
04:14 du livre inter le prix du livre du monde, pour un texte, Mathieu Bélazig, qui ne devait
04:19 pas paraître, puisque vous l'aviez envoyé à deux maisons d'édition qui vous avaient
04:22 refusé le texte, avant que cette petite maison d'édition qui a été créée il y a une
04:27 dizaine d'années, le Tripod, l'éditeur lise et soit foudroyé par la beauté de
04:31 votre texte.
04:32 Il y a plus de deux maisons d'édition qui ont refusé le texte, il y en a au moins
04:36 quatre ou cinq, je ne dirai pas les noms.
04:38 Mais j'ai l'habitude, c'est le sujet qui veut ça.
04:42 Effectivement, je fais très attention à la langue, à la musicalité de la langue,
04:51 au souffle de la langue.
04:52 C'est une manière d'écrire que j'ai expérimentée dans le premier roman de la
04:58 Tétralogie, parce qu'il y a quatre romans sur l'Algérie coloniale.
05:02 Et si je n'avais pas trouvé cette manière d'écrire, je crois que je n'aurais pas
05:05 écrit sur le sujet.
05:06 Je crois que le sujet est tellement grave qu'il demandait une langue particulière.
05:11 Et vous la décririez comment cette langue ?
05:13 Je peux vous donner quelques exemples.
05:17 Moi, j'étais très influencé par le réalisme magique sud-américain, c'est-à-dire les
05:25 Garciamarchais, Aléro Carpentier, Assourias.
05:30 Pendant dix ans, je ne lisais pratiquement que ça.
05:32 Mais vous parlez du sujet, le sujet, Eva, David et vous Mathieu, le sujet est particulier
05:38 comme vous dites, parce qu'il s'agit de la guerre d'Algérie, mais pas du tout de
05:40 la guerre d'Algérie, c'est la conquête d'Algérie.
05:42 En fait, ce qui vous intéresse et vous passionne, Mathieu Bélézy, ça a déjà été le sujet
05:47 de vos deux livres précédents, c'est la conquête au 19e siècle de l'Algérie par
05:51 les premiers colons français.
05:52 Et c'est de ça qu'il s'agit dans ce livre-là.
05:53 Oui, parce que la littérature française n'en parle pas, le cinéma non plus d'ailleurs.
05:59 Alors qu'au 19e siècle, les débuts de la conquête, c'est le western.
06:03 Je pense qu'on pourrait faire des films extraordinaires.
06:05 Et on ne fait pas ça.
06:06 Et je me suis dit, mais pourquoi ça bloque en France sur ce sujet-là ? Et je me suis
06:12 dit, peut-être que c'est trop difficile.
06:14 Donc je me suis dit, je vais tenter quelque chose.
06:16 Et puis si j'y arrive pas, moi non plus, ben voilà quoi.
06:18 Comment vous avez travaillé précisément sur cette période ? Comment vous vous êtes
06:23 documenté pour faire vivre et revivre cette Algérie du 19e siècle ?
06:28 En fait, j'ai assez peu de documentation.
06:32 Je ne voulais pas me charger de tout un tas de références.
06:36 Mais des lettres de militaires, par exemple.
06:40 Parce qu'on peut, en allant sur le site de Gallica, retrouver les lettres présentes
06:45 du maréchal de Saint-Arnaud.
06:47 Et tous ces militaires écrivaient à leur famille et racontaient tout ce qu'ils faisaient
06:51 au quotidien.
06:52 Parce qu'ils étaient en pays de barbarie, donc ils ne se censuraient pas du tout.
06:56 C'était normal de raser un village, de couper des têtes.
06:58 Il y a eu ça.
07:00 Puis il y a quelques récits de colons.
07:03 Notamment un dénommé, on le nommait le grand Eugène, qui était arrivé dans les années
07:12 1848, un peu comme mon personnage Séraphine, et qui est resté jusqu'à... et qui est mort
07:17 d'ailleurs en Algérie, mais qui a perdu toute sa famille.
07:20 Et il raconte ce qui s'est passé.
07:21 Et d'ailleurs, Albert Camus a pris dans son histoire, dans le premier homme, il y a trois
07:31 pages sur les débuts de la colonisation, dans le premier homme de Camus.
07:34 Et ça vient du grand Eugène.
07:35 De cette lettre-là.
07:37 Eva, qu'est-ce qui vous a touché dans ce texte, avant de donner la parole ? Puisqu'on
07:40 a, comme chaque année, des jurés qui sont là, qui vont nous dire pourquoi ils ont aimé
07:46 votre texte aussi.
07:47 Parce que sans doute c'est eux qui en parlent le mieux.
07:49 Il y a le fond, mais si un livre n'était qu'un sujet, nous serions tous écrivains.
07:54 C'est la langue.
07:55 J'avais l'impression d'entendre des voix.
07:57 Et c'est assez extraordinaire parce que c'est deux personnes qui parlent.
08:01 Il y a une femme colon, Séraphine, qui comprend tout de suite d'instinct qu'elle n'a rien
08:06 à faire là.
08:07 En gros, la République les a trompés en leur disant que ça allait être le paradis.
08:11 Et il y a un soldat qui est venu pour « pacifier ». Pacifier, c'était un joli mot pour dire
08:17 massacrer et prendre.
08:18 En fait, ce que m'avait expliqué quand j'ai interviewé Mathieu Bélizy, c'est
08:21 une colonie de peuplement.
08:22 On vient prendre la place des autres.
08:24 Donc c'est sauvage.
08:25 Mais c'est la langue.
08:26 C'est que j'avais l'impression d'entendre des voix et que c'était comme un chant,
08:31 comme quelque chose obsédant.
08:32 Cette femme, elle dit à chaque fin de phrase « Sainte et Sainte Mère de Dieu ». Et
08:37 c'est des voix.
08:38 Donc si vous voulez, si vous êtes d'accord, une de nos jurées va nous lire un petit passage
08:43 parce que vous comprendrez mieux.
08:44 C'est Cécile Marmonnier Sota qui est agricultrice en Isère.
08:49 Et elle va nous lire.
08:50 Et on la salue.
08:52 Et on la salue.
08:53 Il était loin le paradis que le gouvernement de la République nous avait promis.
08:58 Et on n'était pas près de l'atteindre, nous tous entassés sous les tentes militaires
09:02 au milieu de nulle part.
09:04 Dans ce trou perdu que l'autorité militaire avait osé appeler « colonie agricole ».
09:09 On n'était pas près de l'atteindre.
09:11 Et peut-être qu'on ne l'atteindrait jamais.
09:13 C'est comme, vous voyez, il y a un rythme.
09:16 C'est l'ancien.
09:17 Et je crois que vous lisez à haute voix vos textes, c'est ça ? Quand vous écrivez.
09:22 Toujours.
09:23 Je relis deux, trois fois mes textes à haute voix.
09:25 Comme ça je vois quand il y a une phrase qui est bancale, un adjectif en trop.
09:29 Ça me paraît très important.
09:30 La musicalité me paraît très importante quand j'écris.
09:34 Et puis vous disiez à Eva Bettenc, on a pu entendre les entretiens avec les différents
09:39 auteurs sélectionnés pour le prix, vous disiez à Eva que par le roman on peut faire
09:44 comprendre des choses qu'un récit théorique que dix historiens n'arriveront jamais à
09:49 faire saisir.
09:50 Comment décrire cette force spécifique de la littérature précisément sur un moment
09:57 pareil, celui de la première conquête brutale de l'Algérie ?
10:01 C'est le pouvoir de la littérature, je crois.
10:06 Effectivement, c'est la magie de la littérature.
10:08 Il y a l'incarnation romanesque, parce qu'on parle du sujet, de l'écriture, mais c'est
10:13 une famille.
10:14 Tu as évoqué Séraphine, c'est un personnage bouleversant.
10:18 Et c'est vrai qu'avec les enfants, c'est incarné.
10:21 C'est surtout ça, on suit cette histoire, on les ressent physiquement.
10:28 Mais ce n'est pas venu comme ça.
10:30 Au départ, j'avais écrit une nouvelle, qui s'appelait « Bains de sang » que j'avais
10:35 publiée dans une revue.
10:36 Je voulais écrire un recueil de nouvelles, mais je n'arrivais pas à trouver de personnages
10:45 féminins.
10:46 Je suis resté un an bloqué comme ça.
10:48 Et puis je ne sais pas, un jour…
10:50 Séraphine, vous êtes à Paris.
10:51 C'est vrai que ce dialogue, parce que ce livre est un court texte où cette femme de
10:56 colons parle de son sentiment de désespoir absolu d'arriver sur cette terre où elle
11:02 pensait que c'était un paradis.
11:03 Et ça n'est pas un paradis.
11:04 Et face à elle, il y a ce soldat français qui raconte les exactions, la violence, les
11:11 viols, tout ce qu'il pratique, toute cette violence folle de cette période qui a été
11:17 le début de la colonisation.
11:18 Je voudrais entendre Sandra Spano qui est avec nous, une des jurées.
11:22 Pourquoi vous avez été touchée par ce texte ?
11:24 Bonjour, c'est un texte magnifique, comme vous l'avez déjà dit tout à l'heure.
11:28 La langue est incroyable.
11:29 Pour moi, c'est un grand livre parce que c'est aussi un livre politique.
11:33 Il massacre une histoire officielle ou en tout cas une histoire qu'on ne nous apprend
11:38 pas.
11:39 Moi, je ne l'ai pas apprise.
11:40 Par exemple, l'histoire de la colonisation en Algérie, en France.
11:42 Et ce qu'on entend comme petite musique ici ou là, sur des plateaux, des fois, c'est
11:46 qu'il pourrait y avoir des effets positifs.
11:48 Et c'est très choquant.
11:50 Et quand on lit ce livre, on comprend pourquoi c'est très choquant.
11:53 Et pour moi, la littérature, c'est ça.
11:56 Elle est immense quand justement, elle vient massacrer une histoire officielle qui, en
12:00 fait, se nourrit de travestissements de mots, c'est-à-dire qu'on appelle barbares des
12:04 gens à qui on impose une violence.
12:07 On vient chez eux les massacrer.
12:08 Et en fait, la littérature s'est réappropri ça et vient remettre du sens et la vérité
12:16 au cœur de tout ça.
12:17 Et c'est la littérature qui vient demander des comptes aux puissants, qui impose une
12:21 violence à tout le monde.
12:23 Et heureusement qu'elle est là pour le faire.
12:25 Et Christian Vergara, Aguilar, vous êtes bibliothécaire, musicien, Chilien.
12:30 Comment avez-vous reçu le texte de Mathieu Bélézy ? En quoi vous a-t-il séduit ?
12:36 Bonjour.
12:37 En plus de tout ce qui a déjà été dit, moi, ce qui m'a séduit aussi, c'est le
12:43 caractère universel du roman, puisque même si ça parle d'un passage de l'histoire
12:47 de la France et de l'Algérie, moi, ça m'évoquait certains passages des Conquistadors
12:51 espagnols, de scènes de dictature, comme on a pu le lire dans des livres de García
12:57 Marqués, de Vargas Llosa.
12:58 Et j'étais très content de discuter avec l'auteur hier soir.
13:02 Il confirmait effectivement que ça fait partie de ses influences.
13:05 Donc c'est ça, c'est la richesse universelle, que cette histoire qui peut, je pense, toucher
13:11 des lecteurs du monde entier, pas nécessairement de la France.
13:14 Il y a une portée universelle dans le livre.
13:15 Je voulais aussi souligner, puisque c'est sûr que c'est un livre qui parle beaucoup
13:19 de violence, mais en parallèle, il y a des scènes d'une énorme tendresse d'une famille,
13:25 de Séraphine, de ce personnage.
13:26 Même si c'est un destin très douloureux, il y a vraiment un équilibre, je trouve,
13:32 aussi entre des passages très violents et des passages très doux.
13:34 Et c'est ça qui rend le roman très émouvant.
13:38 Et à côté de vous, vous donnez la parole à Quentin Barrieux.
13:41 Vous avez 33 ans.
13:43 Bonjour.
13:44 Vous êtes soudeur chaudronnier, mais vous préférez dire soudeur, ça fait flashdance.
13:47 J'ai adoré ça.
13:51 Alors, qu'est-ce qui vous a touché dans ce texte-là ? Et qu'est-ce qui a peut-être,
13:56 je ne sais pas, quelque chose qui vous a touché à l'aune de votre histoire, à vous, et
13:59 de votre rapport à la littérature, à vous ?
14:02 Je tiens à souligner que c'est quand même un livre qui a beaucoup, beaucoup de rythme.
14:07 C'est quelque chose qui se lie, il ne faut pas figer.
14:10 C'est comme une aventure, c'est comme un western, vous en avez parlé.
14:15 Et ça, c'est vraiment intéressant.
14:16 C'est vrai qu'on ne le lâche pas.
14:17 Il n'y a pas un moment chiant, pour le coup.
14:20 Voilà, je dis à ma mère, "maman, c'est pas chiant, c'est vraiment bien".
14:23 Vous avez dit à votre mère, "c'est pas chiant".
14:25 Voilà, c'est ça.
14:26 On ne le lâche pas.
14:27 Et j'ai fait un record d'apnée dans votre livre.
14:29 C'est incroyable parce que j'ai retenu mon souffle tout le long.
14:32 C'est remarquable.
14:35 Et aussi le fait que vous soyez un romancier qui sort de son corps et qui se prête à
14:41 des personnages, qui invente des personnages, c'est de plus en plus...
14:44 Enfin, pas rare, mais l'autofiction, je commence à avoir un peu du mal.
14:48 Et pour ça, je vous remercie.
14:50 Et puis, il y a autre chose, c'est que c'est comme un grand tableau.
14:57 Quand vous arrivez à retransmettre le sable du désert, j'avais l'impression que je respirais
15:03 du sable.
15:04 Et le tableau, pareil, c'est magistral.
15:07 Moi, je vous ai félicité hier, mais vous êtes très timide, vous ne me parlez pas.
15:10 Mais voilà.
15:11 Et vous, Quentin, vous n'êtes pas tellement timide.
15:14 Vous dites que les écrivains sont des êtres supérieurs, juste derrière Zidane.
15:17 Oui.
15:18 Parce qu'il y a Zidane en premier.
15:19 Maintenant, je connais M.
15:21 Bélézis.
15:22 Vous avez revu le...
15:23 Oui, j'ai revu.
15:24 J'ai revu mon diop.
15:25 Bruno Dureo, vous êtes directeur financier d'une ONG.
15:30 Qu'est-ce qui vous a séduit ?
15:32 Il vient de Finlande.
15:33 Et vous venez de Finlande, pardon.
15:34 Effectivement.
15:35 Qu'est-ce qui vous a séduit alors dans ce livre « Attaquer la terre et le soleil »
15:39 de Mathieu Bélézis ?
15:40 Bonjour.
15:41 Alors, je ne vais pas répéter ce qu'ont dit mes collègues, les journalistes, Eva
15:46 Béthan et David Fuenquinos.
15:47 C'est effectivement la puissance d'un texte qui sort d'un souffle, la violence qui est
15:51 très poétique, qui nous emmène dans un terrain que j'ai rarement lu.
15:56 Moi, ça m'a fait penser à d'autres auteurs, comme Céline peut-être, que je cite.
15:59 Oui, parce que ce matin en arrivant, j'ai dit, c'est comme la gifle que te met Céline
16:07 quand tu lis la première fois « Le voyage au bout de la nuit », ce langage parlé
16:10 qui fout droit.
16:11 Tu ne peux pas lâcher le livre.
16:12 Exactement.
16:13 Et « Guerre » qui est sorti l'année dernière, effectivement.
16:15 Et dans ce livre, pour ajouter un thème qu'on n'a peut-être pas abordé encore, c'est
16:20 le récit de cette violence institutionnelle qui, aujourd'hui, a un écho direct.
16:25 On pense bien évidemment à l'Ukraine et évidemment, c'est un clin d'œil, un
16:29 prix inter qui parle de notre actualité immédiate.
16:32 C'est intéressant.
16:33 Et dans ce livre aussi, on peut se projeter, on peut comprendre.
16:38 Sinon, on avait été lancé là à la fin du 19e siècle.
16:41 Comment est-ce qu'on aurait pu traverser ces instants-là, cette violence non seulement
16:45 institutionnelle, mais aussi la violence d'un terroir ? Et c'est un point peut-être
16:48 dont on n'a pas discuté.
16:49 C'est que votre langue s'ancre dans un terroir, dans l'Algérie, qu'on découvre
16:54 aussi sous cet ongle-là.
16:55 Vous mettez en exergue de votre livre cette phrase de Claude Lévi-Strauss « Une civilisation
17:11 proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers ». Expliquez-nous.
17:17 Oui, je pense.
17:19 Parce qu'effectivement, au-delà de cette histoire de l'Algérie, c'est plutôt de
17:25 la colonisation d'une manière générale dont j'ai envie de parler.
17:28 Parce que cette violence-là, ce qui s'est passé se retrouve ailleurs avec les Espagnols,
17:34 avec les Portugais, avec les Belges au Congo ou autre.
17:37 Et c'est la folie de l'Europe d'une époque du 18e, 19e siècle.
17:47 On pensait avoir les Lumières et on pensait pouvoir les distribuer à travers le monde.
17:53 Je pense que c'était une très grave erreur.
17:56 Vraiment une très grave erreur.
17:59 J'avais relu « Tristes Tropiques » en écrivant ce livre-là.
18:05 Et l'Europe, pour moi, au 19e siècle, a été un danger vraiment pour le reste du
18:13 monde.
18:14 Et on le paye encore maintenant.
18:16 Ce qui est intéressant aussi, pardon de vous le dire, c'est que vous n'avez aucun lien
18:19 avec l'Algérie.
18:20 C'est-à-dire que le matériau, on pourrait dire c'est un fils de pied noir qui écrit
18:24 rien, rien à voir.
18:27 Pourquoi cette histoire algérienne vous a touché dans ce cas-là d'universel ?
18:30 On entend bien, mais enfin tout de même, trois livres sur ça, sur cette période-là,
18:34 la colonisation.
18:35 Quatre livres sur la colonisation.
18:36 Oui, oui.
18:37 Je vous dis, comme la littérature française n'a pas fait le travail, je me disais pourquoi.
18:43 Et j'ai vraiment eu envie.
18:46 Et je me suis pris au jeu.
18:47 Et c'est vrai que ça correspondait tout à fait à mon style d'écriture.
18:53 Je trouvais aussi une démesure, une folie dans cette histoire coloniale de l'Algérie
18:58 qui allait très très bien avec mon écriture.
19:02 On est au standard avec Luce.
19:04 Bonjour, bienvenue Luce.
19:05 Bonjour.
19:06 Vous nous appelez des Pyrénées.
19:07 Oui.
19:08 Soyez la bienvenue.
19:09 Je vous appelle des Pyrénées.
19:10 Oui, on vous écoute.
19:11 Je voulais remercier l'auteur de s'être attaqué à ce sujet.
19:17 Parce que c'est un sujet qui me tient à cœur.
19:19 Parce que mes ancêtres sont partis, sont allés en Algérie.
19:25 Et ils ont quitté des régions de France formidables, l'Alsace, l'Ardèche.
19:32 Et pourquoi sont-ils partis ? Ils ne sont pas partis pour aller à la conquête.
19:36 Ils sont partis pour se reconstruire.
19:39 Les Ardèches avaient une usine qui avait été inondée deux fois.
19:44 A la deuxième fois, ils n'ont pas pu la remonter.
19:46 Et donc, ils sont partis.
19:48 C'étaient des personnes très bien installées en France.
19:51 Et ils sont repartis.
19:53 Et souvent, je me dis, quand ils sont arrivés, qu'ont-ils trouvé ? Ils n'ont pas trouvé
19:59 de logement.
20:00 Comment ont-ils pu se loger ? Je sais qu'ils sont arrivés sur des terres arides.
20:05 Des terres arides et mon ancêtre avait choisi d'être vers Clinchamps parce qu'il y avait
20:12 le chemin de fer et qu'il pensait que c'était important d'être près du chemin de fer.
20:16 Et en fait, c'était une terre très pauvre.
20:18 Et ils ont été pauvres et ils sont restés pauvres en ayant beaucoup travaillé.
20:24 Et leurs enfants, mon arrière-grand-mère était assidutrice.
20:28 Et toute ma famille ensuite a été dans l'enseignement et y est restée.
20:34 Les parents sont restés jusqu'en 1964 parce qu'ils sont restés en coopération après
20:40 l'indépendance.
20:41 - Merci Luz d'avoir partagé ce souvenir et d'être remonté à la première installation
20:49 de votre famille, le moment fondateur.
20:53 - C'était un moment terrible, effectivement.
20:55 Ils sont arrivés à la fin des années 1840.
20:59 Il n'y avait strictement rien.
21:01 Il fallait tout construire, tout faire.
21:03 Alors ça a été d'abord sous des toiles de tente.
21:06 Après on a construit des cabanes en bois.
21:07 Et bon, ça c'est juste un petit problème.
21:12 Parce qu'après, il y a eu à combattre les maladies.
21:15 Ils n'imaginaient pas qu'ils allaient leur tomber dessus le choléra.
21:19 Et il y a des villages qui ont été décimés totalement.
21:23 En l'espace de dix ans, il n'y avait plus aucun colon.
21:26 - Et je précise, comme disait Christian Indéjurer, que ce n'est pas que de la déploration.
21:31 C'est pas que lourd votre livre.
21:32 Il y a aussi des moments de tendresse.
21:34 Il y a aussi de la beauté.
21:36 - Il y a un mariage.
21:37 Ça fait penser à certaines scènes de romans ou certaines scènes de films.
21:41 Moi, ça m'a fait penser au cinéma.
21:42 Ça m'a fait penser à Chimino.
21:44 Avant d'aller faire la guerre, il y a un mariage.
21:46 Ça m'a fait penser à Gang of New York.
21:48 L'Amérique s'est construite dans le sang.
21:50 Donc il y a aussi quelque chose, pour moi, qui a trait au cinéma américain.
21:54 - Oui, parce qu'on a une auditrice, Nadine, sur l'application qui s'inquiète, qui dit
21:58 « c'est quand même un sujet lourd, non ? À qui pourrais-je offrir ce livre ? »
22:01 Donc, vous la rassurez, Eva.
22:04 - Non, non, je la stimule, au contraire.
22:06 Ne sous-estimez pas celui à qui vous allez l'offrir.
22:09 Il va avoir une force d'émotion qui va lui venir par l'écriture, par le fait que ce
22:16 n'est pas démontré, mais senti.
22:18 C'est-à-dire, comme disait un de nos auditeurs tout à l'heure, « vous sentez la boue,
22:21 vous sentez la pluie ». Cette femme, Zéraphine, c'est elle qui sent, dans son corps, qu'elle
22:27 n'est pas à sa place, que cette terre n'est pas la sienne, qu'on s'est moqué d'elle
22:31 en lui disant « tu vas voir le paradis ». Donc, c'est ce qu'apportent les livres, c'est
22:35 que vous sentez, on ne vous démontre pas, ce n'est pas un tract.
22:39 - Et là, vous sentez vraiment, vraiment avec votre livre.
22:41 - Elle a envie.
22:42 Évidemment, en arrivant, elle a quand même envie de réussir.
22:46 - Oui.
22:47 - Elle a envie d'être heureuse aussi.
22:48 Donc, il y a des moments, c'était très important pour moi, des moments de joie,
22:55 effectivement, comme le mariage, sentir que ces gens-là avaient envie de réussir quelque
22:59 chose.
23:00 Et je voulais faire sentir ça.
23:03 Bien évidemment.
23:04 Le but de chaque voix, quand j'invente des voix, c'est que les personnages aient vraiment
23:12 une chair, qu'on sente leur corps.
23:16 Ils ne sont pas artificiellement plantés là, dans un bonbon, par exemple.
23:22 Mais non, il faut qu'ils sentent les lumières, les odeurs, les couleurs, tout rentre en jeu.
23:28 C'est le rôle de la littérature, de rendre crédible un personnage.
23:32 - Merci.
23:33 - Merci.
23:34 - Et bravo.
23:35 - Et bravo.
23:36 On vous applaudit à nouveau.
23:37 Merci Mathieu Bélézy.
23:38 Bravo pour ce prix du livre Inter qui vient récompenser, attaquer la Terre et le Soleil
23:43 publié aux éditions Le Tripode.
23:45 Merci infiniment aux jurés d'avoir passé hier une longue journée à débattre.
23:52 - Avec le président du jury, Louis.
23:55 - Pour arriver à ce verdict, à ce prix.
23:58 Merci à David Fonquinos et merci à Sa Majesté.
24:00 Et va béton ! Il est 8h47.