• il y a 2 ans
Ecrivain et journaliste à Valeurs actuelles, Olivier Maulin présente "Les fainéants dans la vallée fertile" d’Albert Cossery, cet écrivain égyptien de langue française qui s’est fait le thuriféraire élégant de la rébellion par le sommeil et qui a refusé toute sa vie de prendre le monde au sérieux. Retrouvez Olivier Maulin toutes les semaines dans les pages Culture de Valeurs actuelles et dans son dernier roman "Le Temps des loups" (Le Cherche-Midi).

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Éducation
Transcription
00:00 [Générique]
00:22 Il y a dix ans, paraissait un livre de Frédéric Andreux
00:26 qui évoquait avec tendresse la vie de l'écrivain égyptien de langue française, Albert Kosseri.
00:34 Au milieu de l'ouvrage, l'auteur était soudain pris d'un vertige face au vide abyssal
00:39 que constituaient les journées du sujet dont il avait entrepris d'écrire la biographie.
00:47 Né en 1913 dans une famille orthodoxe d'Égypte, Kosseri s'était installé à Paris en 1945,
00:53 à l'hôtel La Louisiane, au croisement de la rue de Seine et de la rue de Bussy,
00:57 qu'il n'avait plus quitté durant plus de 60 ans
01:01 et dans lequel il est mort en 2008 à l'âge de 95 ans.
01:08 L'écrivain se réveillait tous les jours vers midi,
01:10 arpentait le quartier de Saint-Germain-des-Prés
01:12 et finissait par s'installer dans une brasserie pour manger des œufs brouillés
01:16 et boire du café brûlant.
01:19 S'il faisait beau, il poussait jusqu'au jardin du Luxembourg
01:21 où il s'asseyait sur une chaise qu'il plaçait à l'écart des autres
01:25 pour ne pas être importuné.
01:28 Quand il y avait une forte affluence, et notamment les jours d'été,
01:31 il râlait et regrettait le temps où les chaises étaient payantes.
01:35 Parfois, il passait ses après-midi à regarder couler la Seine
01:39 avant de rentrer dans sa chambre d'hôtel écrire une phrase ou deux.
01:45 L'événement notable de sa vie est le passage de la chambre 58 à la chambre 77,
01:50 le moment de déménagement imposé par la direction de l'hôtel pour nécessiter de travaux.
01:55 Il ne possédait rien qui ne rentra dans une valise,
01:58 mais nourrissait une passion pour les chaussettes qu'il consommait en grande quantité,
02:02 les jetant après une utilisation unique.
02:05 Des lecteurs anonymes avaient pris l'habitude de lui en déposer à la réception.
02:11 Albert Caussery avait érigé le dénuement et la paresse en art de vivre,
02:17 telle une réponse au monde qu'il voyait ce monde comme une sinistre farce.
02:23 Ses livres, sept romans et un recueil de nouvelles se passent tous dans l'Égypte de son enfance
02:28 et sont une ode aux déclassés, aux mendiants, aux clochards, aux infirmes et aux prostituées,
02:34 tout un petit peuple des rues qui paresse
02:37 et a trouvé le meilleur moyen de saboter l'ordre social en s'en moquant.
02:42 On ne se révolte jamais chez Caussery.
02:44 C'est idiot.
02:45 On finit en prison et on s'y ennuie.
02:48 "Aucune violence ne viendra à bout de ce monde bouffon",
02:52 explique l'aristocrate de la cloche, Eikhal, héros sublime de la violence et la dérision,
02:59 héros qui collent partout des affiches louant de manière dérisoire le tyran qui les gouverne.
03:05 En 1948, Caussery publiait "Les fainéants dans la vallée fertile",
03:10 l'histoire de trois frères passant leur temps à dormir.
03:14 Les histoires qu'ils se racontent, pour se faire peur mais sans trop y croire,
03:18 évoquent certains pays où les hommes se lèvent à 4h du matin pour aller œuvrer dans les mines.
03:25 L'aîné, qui n'a pas quitté son lit depuis 7 ans, est néanmoins conscient des dangers de l'avenir.
03:31 "Je connais mieux que toi les hommes", dit-il à son cadet.
03:34 "Ils ne tarderont pas longtemps, te dis-je, à gâcher cette vallée fertile et à la transformer en un enfer."
03:42 C'est ce qu'ils appellent le progrès.
03:44 Tu n'as jamais entendu ce mot-là ?
03:46 Eh bien, quand un homme te parle de progrès, sache qu'il veut t'asservir.
03:52 Le scandale finit par toucher cette honnête famille
03:54 quand le plus jeune des frères développe l'idée folle précisément d'aller travailler en ville,
04:00 provoquant l'émoi et la colère du père.
04:03 "Fils ingrat, je t'ai nourri et habillé pendant des années et voilà tes remerciements."
04:11 L'art de la fainéantise est porté dans ce livre à son niveau le plus pur,
04:15 débarrassé de toute mauvaise conscience et de toute culpabilité.
04:20 C'est le seul livre avec Oblomoff qui fasse bailler sans que l'on s'y ennuie.
04:26 Quand on l'a achevé, on dort comme on n'a jamais dormi.
04:30 Sous-titrage Société Radio-Canada

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