Il y a 80 ans, les juifs du ghetto de Varsovie se révoltent contre l’occupant nazi. Enfermés dans un quartier situé en plein centre-ville, ils sont séparés du reste des Polonais par un mur haut de trois mètres. Nombre d’entre eux mourront de faim ou de maladie. D’autres seront déportés vers le camp d’extermination de Treblinka. Le 19 avril 1943, les troupes allemandes entrent dans le ghetto pour emmener les derniers survivants. Après 28 jours de résistance acharnée, le soulèvement est écrasé et le ghetto rasé.
Que reste-t-il de la mémoire du ghetto aujourd’hui dans une Pologne gouvernée par une droite ultra-conservatrice ? Reportage à Varsovie de Narimène Laouadi et de Renaud Lefort.Avec la participation de : Larissa Cain, survivante du ghetto de Varsovie, auteure du livre "Une enfance au Ghetto de Varsovie". Michael Schudrich, Grand rabbin de Pologne Pierre Motyl, fils de Symcha Binem et Necha, survivants du ghetto de Varsovie Patrycja Dołowy, Directrice du "Warsaw Jewish Community Center" Elżbieta Janicka, chercheuse, Institut d’Études Slaves, Académie Polonaise des Sciences Joseph Finkelsztajn, fils de Genia et Henryk, survivants du ghetto de Varsovie, et réalisateur du documentaire "Le Cri du Ghetto résonne encore"
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Que reste-t-il de la mémoire du ghetto aujourd’hui dans une Pologne gouvernée par une droite ultra-conservatrice ? Reportage à Varsovie de Narimène Laouadi et de Renaud Lefort.Avec la participation de : Larissa Cain, survivante du ghetto de Varsovie, auteure du livre "Une enfance au Ghetto de Varsovie". Michael Schudrich, Grand rabbin de Pologne Pierre Motyl, fils de Symcha Binem et Necha, survivants du ghetto de Varsovie Patrycja Dołowy, Directrice du "Warsaw Jewish Community Center" Elżbieta Janicka, chercheuse, Institut d’Études Slaves, Académie Polonaise des Sciences Joseph Finkelsztajn, fils de Genia et Henryk, survivants du ghetto de Varsovie, et réalisateur du documentaire "Le Cri du Ghetto résonne encore"
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NewsTranscription
00:00 [Générique]
00:13 C'est l'un des épisodes les plus marquants de la Shoah.
00:16 Un moment d'héroïsme et de résistance désespérée, c'était il y a 80 ans, le soulèvement du ghetto de Varsovie.
00:25 Depuis 1940, les Juifs de la capitale polonaise et des villages alentours étaient enfermés par l'occupant nazi
00:31 dans ce quartier du centre de Varsovie, entouré d'un mur surmonté de barbelés.
00:37 400 000 personnes y survivaient dans des conditions inhumaines, la faim, la soif, la maladie.
00:44 En 1942 commencent les rafles et les déportations vers le camp d'extermination de Treblinka.
00:50 Un an plus tard, il ne reste plus que 60 000 Juifs encore en vie dans le ghetto. Marek Edelman était l'un d'entre eux dans cet archive datant de 1993, il se souvient.
01:01 « Voici une partie du mur qui entourait le ghetto et qui pouvait avoir environ 10 km de long.
01:10 Ce morceau du mur est le dernier qui est subsisté.
01:14 Ici, on ne voit pas ces petites ouvertures par lesquelles les enfants se faufilaient vers le côté aérien pour essayer de rapporter quelques pommes de terre ou un peu de nourriture à leurs parents.
01:24 C'était deux mondes complètement différents.
01:27 Ici, le monde de la faim et des condamnés à l'extermination. Et là-bas, un monde pas facile, mais un monde vivant. »
01:34 Marek Edelman, qui a 24 ans en 1943 et qui va devenir l'un des leaders du soulèvement du ghetto.
01:41 Le 19 avril, à la veille de la Pâque juive, les troupes allemandes pénètrent dans le quartier pour déporter les derniers survivants.
01:48 Mais contre toute attente, ils se heurtent à une résistance acharnée de plusieurs groupes d'insurgés.
01:54 Les combats vont durer 28 jours.
01:56 Le 16 mai 1943, le soulèvement est écrasé.
02:00 Le ghetto est rasé, brûlé, comme pour effacer toute trace de la population juive.
02:06 Quelques survivants, quelques miraculés ont porté jusqu'à aujourd'hui la mémoire du ghetto.
02:12 Vous allez rencontrer l'une d'entre elles qui vit à Paris.
02:14 Mais 80 ans après, à Varsovie, que reste-t-il de cette mémoire dans une Pologne gouvernée par une droite ultra conservatrice ?
02:22 « Billets retour au ghetto de Varsovie », c'est un reportage de Narimen Lawadi et Renaud Lefort.
02:28 Le 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie est pour moi très important, mais comme c'est important pour le monde entier.
02:48 Quand un officier allemand venait, que ce soit un soldat ou un SS, vous ne saviez pas qui c'était.
02:58 Il s'agissait d'un inconnu.
02:59 Mais quand c'était votre voisin qui ne voulait pas vous aider, vous vous en souvenez plus.
03:05 C'est absolument humain.
03:07 Cette question de la mémoire, quand on la vit dans sa chair, est très difficile.
03:21 Et le passage de la génération suivante n'est pas nécessairement aisé non plus.
03:25 C'est quelque chose d'effroyable ce qui s'est passé.
03:38 On ne peut pas imaginer.
03:41 Je m'appelle Larissa Kain et je vis en France, mais je suis née en Pologne et j'ai subi toute la Deuxième Guerre en Pologne.
03:57 J'ai été enfermée dans le ghetto de Varsovie, dont j'ai pu m'évader par chance.
04:04 La vie dans le ghetto, ce n'est pas compliqué.
04:12 C'était la quête de la nourriture.
04:14 Il y avait une grande violence.
04:17 Les Allemands, on pouvait entrer, tirer et on mourait de faim dans le ghetto.
04:26 Et les gens morts étaient présentés sur le trottoir, dénudés parce que les vêtements étaient importants, et recouverts de journaux.
04:40 J'avais dix ans.
04:44 Quand Treblinka a été pris, en juin 1942, les Allemands nazis ont organisé cette grosse action.
04:53 Ils ont déporté plus de 300 000 personnes à Treblinka.
05:00 Treblinka, c'était la mort immédiate.
05:04 Ils ont dit que les gens qui travaillaient pour eux ne seraient pas déportés.
05:10 Ils ont même donné des certificats.
05:13 Ma mère devait partir pour le poste de nuit.
05:18 Je l'ai supplié de ne pas partir.
05:21 Et puis elle est partie.
05:24 Elle n'est pas revenue.
05:26 C'est terrible pour un enfant qui va partir à sa mère et elle ne revient pas.
05:33 On a organisé une invasion.
05:37 On a dû payer les policiers qui gardaient le mur.
05:41 On a posé une énorme échelle pour se mettre sur les trois mètres du mur.
05:47 Et je finis par sauter dans la neige.
05:51 Je ne me suis rien cassé.
05:54 L'ami de mon oncle Alexandre était là.
05:57 Il m'a amenée chez lui.
05:59 Et j'ai pu ce soir-là manger à sa siété.
06:04 Je me souviens même du menu.
06:07 On parle beaucoup de l'antisémitisme polonais.
06:16 Il faut dire qu'il est très virulent.
06:21 C'est vrai.
06:23 Ils ont dénoncé beaucoup de gens.
06:26 Même moi, j'ai été gardée, j'ai été accueillie,
06:33 j'ai été protégée par des gens qui ne l'étaient pas.
06:37 Et qui risquaient la mort pour moi, pour me garder.
06:45 Souvent, les gens me disent "Tourne la page, tourne la page".
06:49 Je ne peux pas tourner la page.
06:51 Il n'y a pas de page blanche pour moi.
06:54 Cette série de photos, je l'aime bien parce que c'est trois générations.
07:03 Il y a ma mère au centre, ici.
07:06 Qui a été au ghetto de Varsovie.
07:09 Et on l'entoure.
07:12 Toute la famille de mon père et toute la famille de ma mère ont été exterminées.
07:19 Ma mère m'a raconté que si un juif s'échappait dans la rue à Varsovie,
07:34 il y avait tout de suite un Polonais pour le dénoncer.
07:39 Tout de suite.
07:41 Il n'avait aucune chance de s'en sortir.
07:45 C'est ça que j'ai retenu malheureusement.
07:48 Mais les Polonais, comme ils ont extrêmement souffert eux-mêmes de cette guerre,
07:54 ils ont eu des destructions énormes, ils ont eu des millions de morts.
07:59 Aussi, ils ont énormément de mal à reconnaître qu'ils ont été à la fois victimes et coupables.
08:07 Ma mère, elle m'a en quelque sorte donné une injonction de ne pas aller,
08:16 de ne pas retourner à Varsovie.
08:19 Je n'ai personne, aucune famille à aller voir.
08:23 Je n'ai pas de cimetière.
08:26 Où aller à Varsovie ?
08:29 Le 1er septembre 1939, lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate,
08:48 il y avait 3 500 000 Juifs en Pologne.
08:52 Cinq ans plus tard, 90 % de ces 3 500 000 sont morts,
08:57 tués par les Allemands et leurs complices.
09:01 Ce chiffre est effrayant.
09:04 La plupart des personnes se demandent « Combien ont survécu ? »
09:07 10 % seulement.
09:09 Mais où sont-ils aujourd'hui ?
09:11 La plupart des Juifs sont partis.
09:14 Le trauma de l'Holocauste, additionné à la répression du communisme,
09:18 ont laissé deux options.
09:22 Quitter la Pologne ou quitter le judaïsme.
09:27 Certains Juifs sont restés en Pologne,
09:30 mais c'était vraiment un très petit groupe, une poignée, quelques milliers.
09:35 Je dirais qu'une dizaine de milliers sont restés en Pologne,
09:39 mais ont dû abandonner leur identité juive.
09:42 Donc, combien de Juifs restent-ils en Pologne aujourd'hui ?
09:44 On ne sait pas.
09:47 Le ghetto de Varsovie a été détruit à 99 %.
09:52 Seulement une poignée de personnes a survécu.
09:55 Est-ce qu'on s'en souvient encore ?
09:58 Y a-t-il assez de commémorations ?
10:07 Ça veut dire quoi « assez de commémorations » ?
10:10 Comment ça pourrait être « assez » ?
10:14 La Pologne, le quartier de la Pologne
10:19 Plus de Polonais devraient se rendre compte
10:31 que c'est important de prendre part à ces commémorations.
10:35 Dans mon entourage, les gens connaissent cette histoire,
10:39 mais ce n'est pas le cas de tout le monde.
10:43 Avec le gouvernement actuel,
10:53 il y a une haine grandissante, de plus en plus tolérée.
10:59 C'est pour cela que je suis là, pour combattre cette haine.
11:05 La Pologne, le quartier de la Pologne
11:09 Quand je vois un extrait de texte de mon papa,
11:26 quand je vois sa photo parmi ces douze personnes,
11:30 il y en a peut-être quelques autres,
11:32 et douze personnes, c'est sur 400, 500 000 personnes
11:37 dans le ghetto au début, sur 50 000 à la fin,
11:40 ceux qui ont eu la chance de pouvoir laisser un texte,
11:43 qui ont voulu témoigner, qui ont laissé quelque chose.
11:46 C'est un lien, c'est une sorte de lien avec mon père,
11:51 qui après la guerre était un homme très silencieux.
12:01 Je crois que c'est une des anecdotes
12:05 que j'ai trouvées dans les mémoires de mon père,
12:09 mais que quand un juif réussissait à s'échapper,
12:12 à faire le mur ou à sortir d'une manière ou l'autre du ghetto,
12:16 certains l'aidaient, mais il y avait aussi ce qu'ils appelaient des schtinker,
12:20 autrement dit des salopards,
12:25 qui emmenaient un juif dans le coin d'une porte,
12:27 qui disait "baisse ton froc",
12:29 et s'il était circoncis, se faisait un plaisir de le livrer à la Gestapo,
12:33 moyennant récompense.
12:35 Il y a aussi une série de trafics ignobles,
12:38 il y a eu des héros, il y a eu des gens ignobles,
12:41 et je crois que mes parents se sont demandé ce qu'il fallait faire de tout ça.
12:47 [Musique]
13:15 Le Centre communautaire juif de Varsovie existe depuis 10 ans.
13:19 Sa création répondait à un véritable besoin,
13:22 car durant de nombreuses années en Pologne,
13:24 la communauté juive vivait dans l'ombre.
13:28 On ne pouvait pas se rencontrer,
13:30 là on se sent bien dans cet endroit, ça nous ressemble.
13:34 Nous sommes cette petite communauté juive de Varsovie,
13:37 une communauté très diversifiée, pas très grande, mais très active.
13:43 [Musique]
13:57 C'est très important pour moi d'être là,
14:00 avec ce groupe de personnes,
14:02 pour commémorer l'anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie,
14:06 et de manière indépendante.
14:09 Ça n'a rien à voir avec les commémorations officielles,
14:14 j'ai vraiment l'impression que le gouvernement n'a pas sa place ici,
14:19 car il utilise les mêmes mécanismes de discrimination qu'avant.
14:29 Ici, on célèbre la mémoire de ceux qui ont combattu et qui sont morts ici.
14:37 On veut se rappeler d'eux, et de ce qu'ils ont traversé.
14:43 [Musique]
14:53 L'enjeu des cérémonies, c'est toujours la légitimation du régime au pouvoir,
15:00 et plus un régime donné est autoritaire et enclin à user de l'antisémitisme,
15:07 plus les commémorations de l'insurrection du ghetto sont somptueuses et spectaculaires,
15:13 comme c'est le cas cette année.
15:15 [Bruits de pas]
15:20 En 2018, le Parlement polonais a adopté une loi
15:23 qui pénalisait le débat public sur la part polonaise de responsabilité dans la Shoah.
15:31 Elle a été adoptée à l'unanimité, à la suite d'un scandale international.
15:36 Elle a été abrogée à l'unanimité également,
15:39 mais elle a apporté ses fruits en terrorisant les chercheurs notamment.
15:48 Finalement, le débat public ouvert sur la question n'existe plus en Pologne aujourd'hui.
15:54 [Musique]
16:03 Nous avons aujourd'hui un gouvernement révisionniste, ouvertement antisémite,
16:08 qui réécrit l'histoire de la Shoah encore plus qu'elle n'a été réécrite jusque-là.
16:15 Mais il faut dire aussi que c'est un facteur qui assure la popularité à ce gouvernement
16:21 et qui se base sur un antisémitisme structurel,
16:25 ce qui ne veut pas dire que la totalité de la population polonaise est antisémite,
16:30 mais c'est bien une majorité décisive qui participe de cette vision des choses.
16:38 [Musique]
16:41 Pour moi, ce qui reste du ghetto, c'est le mur,
16:46 mais pas un mur physique, pas un mur en briques,
16:50 mais le mur infranchissable de l'hostilité, de la haine.
16:56 [Musique]
17:06 Et voilà pour ce reportage à Varsovie, 80 ans après le soulèvement du ghetto.
17:11 Reportage à retrouver bien sûr sur france24.com.
17:14 Je vous dis à très vite pour un nouveau numéro de Clé en route.
17:17 [Musique]