“Samantha a été prostituée au Bois de Boulogne depuis l'âge de 22 ans. Entre grande famille, violences et misère, elle raconte la vie d’une travailleuse du sexe au Bois de Boulogne sans tabou et milite pour une meilleure protection des prostitué.e.s du Bois.”
Category
🛠️
Style de vieTranscription
00:00 Je pense que la prostitution est un métier d'utilité publique.
00:02 Si mes collègues et moi n'étions pas là, il y aurait une récrudescence de viols.
00:05 Je m'appelle Samantha, je suis une femme transgenre, j'ai 48 ans.
00:09 Je suis une prostituée.
00:10 Je travaillais dans un bar dans le Marais, une copine,
00:12 une soirée où j'étais un peu contraint et forcé de me maquiller, de m'habiller,
00:16 m'a dit "Ah, toi tu cartonnerais au bolboulogne".
00:17 Et j'ai saisi l'occasion.
00:19 J'avais 23 ans, 22 ans.
00:22 Et puis le bois m'a plu quoi.
00:23 Puis je me suis fait des relations d'amitié avec des copines comme moi.
00:26 Je me suis senti soutenu dans le monde de la prostitution,
00:29 ce que je n'ai pas senti forcément dans le monde normal.
00:31 Moi c'était ma deuxième famille le bois.
00:32 Beaucoup de gens se disent qu'on est prostituée parce qu'on ne peut pas faire autre chose.
00:36 L'extrême majorité des prostituées sont des femmes très intelligentes,
00:39 qui n'ont aucun manque de capacité.
00:40 Faut pas croire, on n'est pas des victimes.
00:42 Mais j'ai continué parce que j'avais une aisance financière à l'époque,
00:45 que je n'ai plus maintenant.
00:46 Les temps ont changé, la prostitution a beaucoup changé.
00:48 À cette époque là, ça me convenait parce que je décidais de mes horaires,
00:51 des actes que je voulais faire ou pas.
00:53 J'étais maître de moi-même, donc je décidais ce qui me convenait et ce qui ne me convenait pas.
00:56 Alors que dans un boulot, moi un patron qui me donne des ordres, qui me gueule dessus,
00:59 non, on ne me gère pas, je me gère toute seule.
01:01 Alors moi ma clientèle, ça a toujours été une clientèle de mariés quasiment.
01:05 Il y a des jeunes aussi qui ne sont pas mariés,
01:07 qui débutent leur vie dans le professionnel,
01:09 majeurs bien sûr, ou des gens d'un certain âge, des seniors.
01:12 J'ai eu un peu de tout, mais moi j'accepte tout le monde.
01:15 À partir du moment où on s'est fait dans le respect,
01:16 un être humain reste un être humain.
01:18 Qu'il soit handicapé, qu'il soit de religion différente, de pensée différente, on en fout.
01:23 Moi j'ai des clients à qui je les ai pris la pipe dans le bois,
01:25 le même prix alors qu'on partait en voiture, on se déplaçait,
01:28 je faisais le transfert du fauteuil de l'avant à l'arrière,
01:30 et puis je remettais son fauteuil après pour qu'il soit en position quand je rentre chez lui de récupérer.
01:34 Il n'a pas à en pâtir de ça.
01:35 Je lui prenais le même prix que dans le bois, 20 balles.
01:37 Et voilà, j'ai vu ma vie défiler plusieurs fois, deux, trois fois.
01:40 J'ai pris un coup de couteau au visage, on m'a cassé le nez,
01:42 j'ai pris un coup de couteau dans le dos, on m'a tiré dessus, elle a un mafieux.
01:45 J'ai eu un moment où il y a un mec qui m'a saisi, qui m'a immobilisé.
01:49 Le mec m'avait enlacé comme ça, il m'avait dit de toute façon maintenant, tu ne repars pas vivante.
01:53 Tu te sors ton osail, ton téléphone portable et tout machin.
01:55 Je lui dis mais il faut que tu desserres pour que je rattrape mon portable, que je te le donne.
01:57 Et quand il a desserré, j'ai eu l'amplitude pour lui mettre un coup dans le ventre,
02:00 lui mettre un coup de genou dans les couilles et le griffer au visage.
02:03 Et je me suis dit, toi, tu peux perdre la vie très vite.
02:05 J'ai assisté aussi à une copine qui venait tapiner,
02:08 qui était un peu sur la route, qui s'est fait rouler dessus par un 4x4.
02:11 Le 4x4, non content de ça, stop, fait une marche arrière,
02:14 reroule dessus et se rebarre.
02:16 Moi j'ai connu des filles dans les années 90 qui ont été assassinées, dont on n'a pas parlé.
02:20 Il n'y avait même pas une page, juste la rubrique des chiens écrasés.
02:22 Et c'est malheureux.
02:24 Alors moi j'ai arrêté la prostitution très récemment parce que la dernière fois que je suis allé,
02:28 trois mecs sont sortis d'une voiture, ont voulu m'agresser.
02:30 On voulait nous arracher les sacs à main.
02:31 Et que moi je ne conçois pas d'aller travailler, de me faire agresser sans avoir fait un client,
02:35 sans rien faire et gratuitement, sans avoir fait de mal.
02:39 Et que la violence qu'il y a au tapin, même moi maintenant me fait peur.
02:43 Et je ne me sens plus capable de me défendre contre 2-3 mecs, comme à l'époque.
02:46 J'ai plus 20 ans, j'ai 48 ans passés,
02:48 et j'ai envie d'atteindre mes 50 ans, voire plus.
02:51 Ça ne vaut pas la peine de risquer sa peau pour ça, donc non.
02:54 Concrètement, on survit de la prostitution parce que,
02:57 depuis la loi de pénalisation des clients, depuis 2016,
02:59 on nous a privés de nos revenus financiers.
03:01 Donc on ne peut plus en vivre.
03:03 Les filles qui en vivaient très bien à l'époque, qui avaient eu leur indépendance,
03:05 qui vivaient toutes seules, qui étaient autonomes,
03:06 se sont retrouvées à trois dans des studios.
03:08 Il y a des lits superposés, deux places en bas et une place en haut.
03:11 Et ça fait les 3-8.
03:12 Une qui travaille le matin, l'autre l'après-midi, l'autre le soir.
03:14 Pour payer 700€ ou 750€ de loyer,
03:16 elles donnent 250€ par mois chacune.
03:18 Et après, elles partagent les frais de bouche, l'alimentation,
03:21 s'achètent en gros.
03:22 La prostitution, je ne l'ai jamais connue comme ça, misérable comme ça.
03:25 C'est malheureux, mais c'est devenu ce que le gouvernement a voulu en faire.
03:28 Ils n'ont pas interrogé les associations de terrain,
03:31 qui étaient au courant, qui les ont prévenus.
03:33 Nous avons manifesté, et rien ne s'est fait.
03:35 On ne nous a pas entendus, on ne nous a pas écoutés plutôt.
03:37 Moi, j'ai ressenti les retombées catastrophiques.
03:40 Parce que je suis tombé de faire 150€ dans la journée sans trop forcer,
03:45 à me retrouver à faire 20 ou 30€.
03:46 20 ou 30€.
03:47 Donc c'est soit tu bouffes, soit tu payes ton loyer.
03:49 Donc non, c'est catastrophique.
03:51 C'est pour ça que maintenant, je travaille au bus des femmes,
03:52 j'ai un petit contrat qui m'a permis d'accéder au logement social
03:55 et d'avoir un toit sur la tête, d'être à l'abri.
03:57 Et c'est malheureusement mon cas à moi, mais pas le cas de mes copines.
04:00 Et ça me fait mal au cœur.
04:01 Ce sont des filles qui sont pleines de potentiel, qui sont intelligentes,
04:04 qui ne veulent pas dépendre des aides de l'État,
04:06 ou certaines ne peuvent pas parce qu'elles ne sont pas en situation régulière et tout ça.
04:09 Elles n'ont droit à rien, ni RSA, ni rien du tout.
04:12 On les laisse mourir ?
04:13 C'est de la naissance à personne en danger pour moi, c'est pour ça.
04:15 Alors pour mes copines qui sont encore au bois actuellement,
04:17 je souhaite que du bien, qu'elles soient à l'abri, qu'elles manquent de rien,
04:20 qu'on s'occupe d'elles et qu'on les humanise.
04:22 Parce que j'ai l'impression qu'on les met de côté, qu'on les oublie.
04:25 On ne parle pas de nous, on ne parle pas de notre cause,
04:27 on ne parle pas de l'utilité.
04:28 Parce que je pense que la prostitution est un métier d'utilité publique.
04:32 Si mes collègues et moi n'étions pas là,
04:33 je pense qu'il y aurait une récrudescence de viols, d'exhibitionnisme.
04:36 Les déviances peuvent aller très vite.
04:37 Moi j'ai entendu des clients, des fois, avoir des discours un peu bizarres,
04:41 même très bizarres.
04:42 Genre "Ah, ma belle-fille, elle commence à avoir les 5 000 pouces."
04:44 Et tu te dis que si toi tu n'assouvis pas ses fantasmes,
04:47 eh bien il va passer à l'acte.
04:48 Quand tu as des gens comme nous qui peuvent servir de tampon,
04:50 comme on dit, canaliser ça,
04:51 parce qu'on n'est pas que des prostituées, on est aussi psychologues,
04:54 on peut être une amie, avoir une sensibilité qui fait qu'on ressent les choses,
04:58 on est là sur le terrain, écoutez-nous.
05:00 Notre humanité peut servir.
05:01 Nos expériences de vie peuvent servir à beaucoup.