Alena a avorté à l'âge de 16 ans. Elle revient aujourd'hui sur cette étape de sa vie, le tabou autour de l'avortement mais aussi sur les remarques discriminantes qu'elle a reçues après être tombée enceinte.
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00:00 Je n'ose même pas imaginer ce que ma vie aurait été si je n'avais pas avorté.
00:04 J'ai appris que j'étais enceinte quand j'avais 16 ans.
00:06 J'étais en retard sur mes règles depuis peut-être une dizaine de jours,
00:09 mais je ne pensais vraiment pas que j'étais enceinte.
00:12 Enfin, je prends mes précautions.
00:13 À l'époque, j'utilisais le préservatif
00:16 et j'avais fait le test de grossesse vraiment au cas où, on ne sait jamais.
00:19 Je ne pensais pas qu'il allait être positif.
00:20 J'ai su directement que je voulais avorter parce que j'avais 16 ans,
00:24 j'étais en première.
00:25 Ce n'était vraiment pas du tout dans mes plans d'être enceinte ou d'avoir un enfant.
00:28 À l'époque, je ne voulais même pas d'enfant point barre.
00:30 Je ne me voyais pas du tout être mère à 16 ans, c'était hors de question.
00:34 J'avais peur déjà de la réaction de mes parents.
00:37 J'ai de la chance parce qu'au final, ma mère était avec moi quand j'ai fait le test.
00:41 J'avais peur aussi de la procédure.
00:43 À l'époque, c'était vraiment encore plus long que ça l'est maintenant.
00:47 Surtout quand on est mineur, il y a des étapes supplémentaires qu'on doit passer
00:51 pour vérifier qu'on n'est pas dans une situation où on est forcé.
00:54 Aussi, j'avais peur forcément de la réaction des gens,
00:59 des remarques que j'allais me prendre.
01:00 Au niveau médical, l'accompagnement s'est plutôt bien passé.
01:04 Je n'ai pas eu vraiment de pression ou quoi que ce soit du corps médical.
01:08 En revanche, je voyais que c'était vraiment un peu la honte.
01:13 Quand je suis allée faire ma prise de sang, tout le monde chuchotait.
01:15 Quand je suis allée au planning familial, c'était pareil.
01:17 C'était "Ah oui, d'accord, OK".
01:18 C'était pareil quand je suis allée à l'hôpital ensuite pour aller voir la gynéco.
01:22 Mais je sentais qu'il y avait un fort tabou à ce sujet-là.
01:26 Je pense que le tabou était encore plus présent
01:28 comme j'étais jeune et surtout mineure,
01:30 parce que non seulement il y a le tabou de l'avortement,
01:32 mais il y a aussi le tabou des relations sexuelles quand on est mineur.
01:36 Et quand j'ai fait des interviews l'année dernière,
01:39 je suis passée sur plusieurs médias pour parler d'IVG
01:42 et du coup de revenir sur mon expérience.
01:44 J'ai vu dans les commentaires "Ah ouais, mais de toute façon, à cet âge-là,
01:48 qu'est-ce qu'elle foutait ? Elle accouchait à droite, à gauche,
01:49 elle n'avait qu'à fermer ses culisses."
01:51 Comme si les gens découvraient qu'à 16 ans, on avait une sexualité.
01:54 Évidemment, ça s'est su dans mon lycée,
01:56 parce que j'étais dans un très petit lycée
01:59 et tu le dis à une personne, tout le monde le sait.
02:01 Mais je ne m'attendais pas à ce que les gens viennent directement
02:04 me faire des remarques là-dessus et être aussi méchants.
02:09 J'ai eu des remarques de la part surtout d'un mec
02:11 qui n'était pas vraiment anti-avortement,
02:14 mais contre le fait que j'en parle aussi librement après coup
02:18 et limite que j'en rigole,
02:19 parce qu'avec mes copines, c'était un peu devenu
02:22 une inside joke pour dédramatiser la chose.
02:25 Forcément, il faut trouver des manières de se réconcilier
02:27 avec ce genre d'expérience qui n'est pas du tout agréable.
02:30 Du coup, on en rigolait vite fait avec mes copines,
02:32 mais ça restait vraiment entre nous.
02:33 Et ce mec-là a été scandalisé
02:36 et est venu me faire la morale dans mes messages privés
02:39 en disant "T'as tué la chair de ta chair,
02:42 comment tu peux prendre ça aussi à la légère ?"
02:44 Et je lui ai répondu "Mais pourquoi tu ne vas pas en parler
02:47 à la personne qui m'a mise enceinte ?
02:49 Pourquoi c'est moi le problème ?"
02:51 Il y a eu des remarques en soirée,
02:53 "C'est la meuf qui a avorté."
02:55 Et ensuite, ça, c'est vraiment un truc
02:57 qui m'a le plus dérangée, je pense.
03:00 En gros, on avait un groupe de classe sur WhatsApp,
03:02 on s'échangeait les devoirs et tout.
03:04 C'est ces mêmes personnes-là qui faisaient des remarques,
03:06 qui, de temps en temps, allaient lancer des sujets
03:08 en mode "Petit débat aujourd'hui en toute neutralité,
03:11 on va parler d'avortement."
03:13 Comme s'ils ne savaient pas que moi, je voyais la conversation,
03:15 que je voyais les gens parler de ça
03:17 comme si c'était un sujet à débat
03:20 où on pouvait échanger les opinions
03:22 de façon totalement dépolitisée et neutre,
03:25 alors que moi, j'étais là, je voyais les choses,
03:27 j'avais vécu l'expérience.
03:28 En fait, c'était un peu une façon de se foutre de ma gueule,
03:31 j'ai l'impression, genre...
03:33 "Regarde, nous, on en parle, on s'approprie le sujet
03:34 alors qu'on n'y connaît rien,
03:36 et on se permet d'avoir des opinions vraiment juste dégueulasses là-dessus."
03:39 Alors que moi, j'étais là et je voyais tout.
03:41 Psychologiquement, c'est vrai que ça m'a affectée,
03:43 mais ça m'a pas déprimée, ça m'a pas rajoutée de la honte, en fait.
03:47 J'étais juste enragée, en fait.
03:49 J'en pouvais plus.
03:51 Il y avait un trop-plein,
03:53 j'en avais marre qu'on se foute de ma gueule.
03:54 Vraiment, c'était... Vraiment, les gens se foutaient de ma gueule.
03:57 Ils attendaient une réponse de ma part, voilà,
04:00 que je m'énerve, que je sois triste, que j'ai honte.
04:02 Ensuite, j'étais excédée par le truc.
04:04 Je me disais "Mais enfin, il y a d'autres choses quand même qui me définissent,
04:08 pas que ça.
04:09 Je pense qu'on peut passer à autre chose, voilà, c'est bon,
04:12 c'est personnel, de toute façon, je vois pas en quoi ça les regarde, quoi."
04:15 Mon partenaire, alors je sais que ça va vous étonner,
04:18 mais il n'a reçu aucune remarque.
04:21 Tout le monde savait que c'était lui, du coup,
04:23 parce que c'était mon copain qui m'avait mise enceinte,
04:25 mais rien.
04:27 Je m'étais pas sentie assez soutenue quand même.
04:29 Certes, bon, voilà, il était là pour moi,
04:32 voilà, si je voulais en parler, forcément,
04:33 il allait pas s'opposer à ma décision.
04:35 Néanmoins, en fait, je me faisais tellement embêtée
04:37 que j'aurais aimé que quelqu'un soit là,
04:40 un garçon, parce que forcément, les paroles d'un garçon,
04:42 ça a plus de poids que les paroles d'une femme,
04:46 voilà, patriarcat, tout ça,
04:47 j'aurais aimé qu'il soit là pour dire "fermez-la".
04:51 En fait, un "fermez-la" de la part d'un mec,
04:53 de mon mec, en l'occurrence,
04:54 ça aurait eu tellement plus de poids
04:57 que moi, toutes les heures de débat et de justification
05:01 que j'ai passées à avoir avec ces gens-là qui m'embêtaient,
05:04 juste, j'aurais aimé que frontalement,
05:07 ils prennent ma défense parce que...
05:10 Je me suis sentie toute seule face à ça,
05:12 et je sais que j'ai du répondant, j'ai mes opinions
05:15 et je sais me défendre,
05:16 mais ça fait toujours du bien d'être soutenue un peu plus...
05:19 de façon virulente, quoi !
05:21 Les grands clichés que j'ai vus
05:23 après avoir fait des interviews pour parler d'avortement
05:26 et même après en avoir parlé sur mes réseaux sociaux,
05:29 c'est "non, mais de toute façon,
05:30 l'avortement, maintenant, c'est un moyen de contraception,
05:33 il y a des gens qui avortent tous les mois".
05:35 Qui ? Source !
05:38 Quand je regardais les commentaires,
05:39 je voyais qu'il y avait justement pas mal d'adultes
05:41 qui commentaient un peu des trucs...
05:44 Mais...
05:45 Des grosses remarques de réac.
05:47 Et j'étais abasourdie,
05:48 Gisleine, 45 ans, sur son canapé,
05:51 qui regarde ton interview Konbini et qui te dit
05:53 à quel point t'es une salope ou quoi.
05:56 Tu te dis, mais ces gens-là ont une vie,
05:59 ces gens-là ont peut-être des enfants,
06:01 et si leurs enfants vont subir cette expérience-là,
06:06 ils vont pas être bienveillants avec, mais c'est scandaleux.
06:08 On est complètement ignorant, je pense,
06:11 majoritairement sur l'avortement,
06:14 et du coup, c'est ça qui laisse place à la désinformation.
06:18 Il y a des images qui circulent
06:20 pour un peu défaire les fake news, etc.,
06:23 avec des vraies photos de ce à quoi ressemble un embryon
06:27 à cette semaine,
06:28 ou bref, les semaines auxquelles on est autorisé d'avorter.
06:31 Mais en fait, on se rend compte que c'est juste un truc un peu blanc,
06:34 un peu bizarre.
06:35 Même si on met devant les gens des faits
06:39 en leur disant "Regarde, ça ressemble à rien,
06:41 c'est pas un bébé qu'on tue et qu'on évacue",
06:45 les gens sont arrêtés sur une idée de restreindre les droits des femmes
06:49 et l'autonomie corporelle des femmes,
06:51 parce qu'on le voit bien, les gens qui manifestent aux États-Unis
06:55 devant les cliniques d'avortement, etc.,
06:57 "Saving babies", machin,
06:59 ils en ont rien à foutre des enfants qui meurent de la pauvreté,
07:04 des enfants qui meurent de faim, des enfants LGBT
07:06 qui sont virés de chez eux et qui se retrouvent à la rue, etc.
07:10 Ils en ont rien à faire.
07:11 Le sujet principal, c'est vraiment enfermer les femmes
07:14 dans un carcan reproductif.
07:16 C'est des poupondeuses et voilà, quoi.
07:19 En France, la situation, pour moi, est un peu différente quand même.
07:22 Néanmoins, c'est pas non plus hors de notre forcé.
07:25 Enfin, faut pas se dire que c'est une fois
07:28 que l'extrême droite va arriver au pouvoir
07:30 qu'il y a des trucs qui vont peut-être se passer.
07:31 Il y a déjà des trucs actuellement qui se passent,
07:33 même sous l'électorat de Macron,
07:35 où on a vraiment un recul des droits sociaux,
07:38 une destruction du service public, etc.
07:41 Et là, le sujet principal, c'est l'immigration,
07:44 les Noirs et les Arabes,
07:45 mais une fois qu'ils en auront terminé avec ça,
07:47 ils vont s'attaquer ensuite aux droits des femmes,
07:49 et ensuite aux droits des LGBT, et ensuite à ci, à ça,
07:53 pour au final basculer, en fait, dans le fascisme.
07:56 Et je pense que c'est déjà en train d'arriver, en fait.
07:59 Il faut pas attendre que ce soit trop tard.
08:01 Ça suffit pas d'inscrire les trucs dans la loi.
08:03 La loi, de toute façon, ça change tout le temps.
08:05 Il faut concrètement et matériellement
08:07 mettre en place des moyens pour que les femmes et les filles puissent avorter.
08:10 Je veux dire, quand on est en milieu du mois d'août
08:12 et qu'il y a aucun médecin, qu'ils sont tous en vacances, etc.,
08:15 et que tu dois aller à Perpette-les-Oies pour te faire avorter
08:18 ou pour avoir même une prescription médicale, quoi,
08:21 parce que tous les médecins, évidemment,
08:22 acceptent pas de pratiquer l'avortement,
08:24 parce que sinon, ce serait trop simple.
08:25 Quand t'es pas véhiculé, quand t'es pauvre
08:27 et que t'as pas forcément les moyens de te rendre
08:30 même jusque dans un autre département ou quoi,
08:32 pour que tu puisses avorter,
08:34 moi, je pense qu'il faudrait très concrètement, par circonscription,
08:37 qu'on ait un centre d'avortement
08:38 ou un centre juste médical où on pratique l'avortement
08:41 pour que les gens puissent y rendre facilement,
08:43 que ce soit accessible, que ce soit rapide
08:45 et qu'on n'ait pas à attendre longtemps avant de pouvoir le faire.
08:49 Parce que c'est aussi là le sujet des délais
08:51 et l'importance de rallonger les délais.
08:53 C'est parce que les gens travaillent, les gens ont cours.
08:56 On n'a pas autant de temps que ça à consacrer à notre santé.
08:58 Et une semaine qui passe, c'est rapide.
09:00 Ça peut être le délai qui nous manque
09:02 pour pouvoir avoir accès à l'avortement.
09:04 Donc vraiment, pour moi, ça, c'est le plus important.
09:06 C'est avoir des moyens très concrets pour pouvoir avorter,
09:09 avoir des centres, avoir une éducation sexuelle,
09:11 surtout pour les jeunes filles,
09:12 avoir une écoute, même au niveau des lycées,
09:15 de l'infirmière scolaire, etc.,
09:16 pour qu'elles puissent écouter et accompagner et conseiller
09:19 les filles qui se retrouvent enceintes.
09:21 Et surtout, pour les mineures qui ont besoin d'avorter,
09:24 il faut qu'elles soient accompagnées d'âmes majeures.
09:25 Et ça, c'est pas simple.
09:26 Quand t'as 16, 15, 17 ans, t'apprends que t'es enceinte,
09:29 mais imagine la difficulté.
09:31 Et surtout, si ça vient d'une relation qui n'est pas consentie.
09:33 C'est juste horrible.
09:35 C'est un monde qui s'écroule.
09:36 Je n'ose même pas imaginer ce que ma vie aurait été
09:39 si je n'avais pas avorté.
09:40 Déjà, à 16 ans, psychologiquement, c'était compliqué.
09:45 Scolairement, j'avais un rythme qui était hyper soutenu.
09:47 Je n'étais pas du tout dans une situation stable
09:49 où même mes parents se seraient dit
09:50 "Bon, OK, en vrai, c'est pas grave, on lui donne un coup de main, etc."
09:54 Non, pas du tout.
09:56 Je pense... C'est hyper dur, ce que je vais dire,
09:58 mais je pense honnêtement que je me serais suicidée.
10:00 Et je pense que c'est le cas de beaucoup de personnes
10:03 qui n'ont pas accès à l'avortement.
10:04 Les femmes se mettent en danger
10:06 quand elles n'ont pas accès à l'avortement de façon légale.
10:09 Boire énormément d'alcool pour essayer de faire une fausse couche,
10:11 se jeter dans les escaliers,
10:12 ça, c'est des mises en danger. Tu peux mourir.
10:14 L'avortement, il y a des gens qui le vivent bien, comme moi,
10:18 où juste, ils se disent "OK, c'est une procédure médicale,
10:20 voilà, il y a quelque chose qui m'est arrivé,
10:23 c'était pas forcément prévu,
10:24 bon, j'avorte, je passe à autre chose."
10:26 Il y a des gens qui le vivent vraiment comme un drame.
10:28 Le choix est difficile, le processus est difficile et douloureux.
10:32 Il y a une honte qui se rattache à ça,
10:33 et surtout, si par exemple, on voulait avoir un enfant
10:36 et qu'au final, on peut pas l'avoir, c'est encore plus douloureux.
10:40 La question, c'est pas de priver les gens d'expérience personnelle,
10:44 c'est juste de démystifier l'avortement,
10:47 de dédramatiser la chose dans le sens où c'est au final un acte médical
10:51 et il devrait pas y avoir de honte
10:53 si on décide d'avoir recours à une procédure médicale.