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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 13 Juin 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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00:00 *Générique*
00:06 Hier, c'était un Silvio Berlusconi à l'âge de 86 ans, déçu d'une leucémie chronique,
00:12 adulé ou détesté, l'ancien Premier ministre de l'Italie, également patron de presse,
00:16 homme d'affaires aguerri, a redéfini le paysage politique et médiatique du pays transalpin
00:22 sous le signe de la démesure et du scandale, chef de file de la droite qu'il a contribué
00:27 à rassembler sous ses trois mandats. Il s'est allié avec l'extrême droite dès ses débuts,
00:32 il a joué de ses frasques et adopté une posture populiste dont plusieurs leaders
00:37 s'inspirent encore aujourd'hui en Europe et ailleurs. Comment a-t-il marqué de façon presque
00:43 irréversible nos sociétés de son empreinte ? Pour en parler, nous sommes en duplex avec Marc Lasard.
00:50 Bonjour.
00:51 Bonjour.
00:52 Marc Lasard, vous êtes professeur émérite d'Histoire et de Sociologie politique à Sciences Po
00:56 et à l'Université Louis de Rome, où vous vous trouvez d'ailleurs actuellement,
01:00 et puis ici même à Paris, une écrivaine italienne. Bonjour, Andrea Marco Longo.
01:06 Bonjour.
01:07 Vous êtes héléniste, vous collaborez avec plusieurs journaux, vous avez eu une brève expérience
01:11 politique en 2013-2014 aux côtés du Parti démocrate de Matteo Renzi. On vous doit notamment
01:17 déplacer la Lune de son orbite aux éditions Stock. Andrea Marco Longo, vos souvenirs personnels
01:24 avec Berlusconi, vous ne l'avez probablement jamais rencontré, mais en tant qu'italienne,
01:29 si je vous dis Berlusconi, vous pensez d'abord à quoi ?
01:32 Je trouve très bien le titre de la stampe à autobiographie d'une nation, parce qu'effectivement,
01:38 Berlusconi pour moi, c'est vraiment mon autobiographie politique, malgré moi, je veux dire.
01:43 Moi, j'ai 36 ans et j'ai littéralement, je suis née, grandie, jusqu'à hier, avec Silvio Berlusconi.
01:51 Mon premier souvenir, tout souvenir politique, c'était avec Silvio Berlusconi à la fin
01:56 des années 80, qui rentre en politique. Jusqu'à aujourd'hui, mon adolescence, ma jeunesse
02:01 a été marquée par Silvio Berlusconi. Ma conscience politique s'est formée notamment
02:06 contre Silvio Berlusconi. Mais là aujourd'hui, c'est bizarre, moi j'ai même du mal à l'avouer.
02:12 Hier, quand j'ai appris la nouvelle du décès, je me suis sentie d'une fois délivrée,
02:17 mais de l'autre côté, presque orpheline. Ce sera très intéressant de découvrir
02:22 ce que ça va devenir l'Italie après Berlusconi et avec elle, les Italiens.
02:27 Marc Lasart, c'est un phénomène politique particulièrement complexe. Berlusconi était-il
02:35 inscrit en quelque sorte dans l'histoire de la politique italienne ? Est-ce qu'il
02:40 faut avoir une vision tragique de la politique italienne en se disant que Berlusconi et son
02:47 parachèvement sont en quelque sorte logiques ?
02:49 Je pense que d'abord, Silvio Berlusconi a été une surprise. La formule "l'autobiographie
02:56 d'une nation" est due à un philosophe, un intellectuel libéral italien qui s'appelait
03:00 Piero Gobetti. Il parlait à travers la figure de Mussolini de restituer ce que signifiait
03:06 ce chef Mussolini pour l'Italie. Ça a été une surprise en 1994, le 26 janvier 1994,
03:13 lorsque Silvio Berlusconi est entré en politique dans un contexte bien précis de tremblements
03:18 de terre politique qui secouait le système des partis traditionnels en Italie et pour
03:23 lequel il s'est présenté comme un homme neuf. Il a révolutionné la communication
03:28 incontestablement. Il a créé un parti personnel, Forza Italia, et son offre politique, ce
03:34 qu'il a proposé, ce qui est souvent contradictoire dans ses formulations, incontestablement a
03:40 séduit une partie de l'Italie. Mais je voudrais tout de suite dire attention parce
03:43 que souvent à l'époque où Berlusconi obsédait l'Italie, et il a obsédé l'Italie quasiment
03:49 jusqu'à sa disparition aujourd'hui, et on voit en ce moment combien il obsède encore
03:52 l'Italie, très souvent en France on dit "mais combien de fois j'ai entendu cette
03:56 question, comment se fait-il que les Italiens ont voté pour Berlusconi ?".
04:00 Je vais vous la poser, Marc Lazare, je vais vous demander effectivement. On a entendu
04:06 des réactions, on voit qu'en Italie les choses sont très mélangées. J'ai même
04:12 envie de dire que ses opposants politiques aussi lui rendent hommage. En France, on a
04:17 du mal à comprendre comment on peut être berlusconiste.
04:20 Deux choses, un petit rappel pour les auditeurs, attention Forza Italia, le parti de Silvio
04:28 Berlusconi, a oscillé entre 20%, 21% et un résultat spectaculaire en 2001 où il a
04:36 approché les 30%. Mais s'il a gagné, c'est parce qu'il a constitué une coalition.
04:40 Donc toute l'Italie n'a pas été séduite par Berlusconi, mais une partie de l'Italie
04:44 oui. Et c'est vrai que très souvent en France, à l'étranger, on s'est demandé
04:48 pourquoi cette partie de l'Italie a été séduite par Berlusconi. Alors bien sûr,
04:53 il y a beaucoup d'explications, sa personnalité, sa recherche, la recherche par une grande
04:59 partie des Italiens d'une nouveauté en politique. Il a cristallisé un vote de droite,
05:05 comme vous l'avez rappelé, avec ses alliances avec la Ligue du Nord et puis un parti néofasciste
05:09 qui s'est transformé en parti post-fasciste. Il a séduit une série d'électeurs différents,
05:16 les chefs d'entreprises du Nord, mais aussi une partie de l'électorat populaire du
05:20 Sud. Il a mêlé des propositions libérales sur le plan économique qu'il n'a pas du
05:24 tout faites lorsqu'il était au pouvoir. Et en même temps, il s'est présenté comme
05:28 le parangon de la modernité tout en faisant référence à la tradition, la famille, la
05:34 religion. Puis on a découvert que sa pratique religieuse et sa conception de la famille
05:38 était plus qu'étrange quand on a découvert les affaires Bunga Bunga, etc. Donc, vous
05:43 voyez, c'est un ensemble de mélanges composites. Mais il y a eu un berlusconisme et notamment
05:51 caractérisé d'un point de vue politique. Et je termine là-dessus par deux éléments,
05:55 l'anticommunisme, même s'il n'y avait plus de communisme depuis 1991.
05:58 - Alors ça, c'est l'humanité qui le rappelle aujourd'hui.
06:00 - Mais à juste raison. Il a ravivé une mémoire fraîche de l'anticommunisme. Vous savez
06:05 que l'Italie a brité le plus puissant parti communiste de l'Europe occidentale. En France,
06:09 il y a eu une énorme séduction de partis communistes italiens. Mais on a négligé
06:12 qu'il y avait un anticommunisme très fort en Italie. Il a réactivé cet anticommunisme
06:17 et puis il a associé l'anticommunisme à quelque chose qui parle à une partie d'Italie
06:22 en disant trois choses. Toute la gauche, c'est des communistes parce qu'ils veulent
06:28 créer encore un État envahissant, tâtillon, insupportable, parce qu'ils veulent des taxes.
06:33 Et puis cette gauche, elle est pessimiste, elle est triste, elle est lugubre. Et moi,
06:38 Berlusconi, je suis le symbole de l'optimisme, de la réussite, des succès.
06:42 - Donc il jouait le contraste. Andréa Marcolongo, même question. Comment peut-on être berlusconiste
06:49 autour de vous en Italie ? Qui étaient les électeurs de Berlusconi ? Comment justifiaient-ils
06:56 leur vote ? - Oui, il y a une blague en Italie. On avait
07:02 toujours l'impression que personne ne votait pour Berlusconi, mais finalement, il reportait
07:06 toujours les élections. Donc moi, personnellement, je n'ai jamais connu quelqu'un qui l'avait
07:11 avoué ouvertement d'avoir voté pour Berlusconi. - Vous n'avez jamais connu ?
07:13 - Non, mais ça, c'était vraiment quelque chose qu'on disait toujours. Personne n'avait
07:17 avoué ouvertement de voter, sauf les berlusconistes. Mais quand même, il reportait toujours les
07:23 élections. - Mais ça veut dire quoi ? Entre nous, par
07:26 exemple, dans les milieux intellectuels, on ne croisait pas de berlusconistes ?
07:29 - Dans les milieux intellectuels, plutôt vraiment, comme je disais tout à l'heure,
07:34 c'est notamment ma génération, de ceux qui ont entre 30 et 40 ans aujourd'hui, on a formé
07:39 notre conscience contre Berlusconi. Les milieux intellectuels, notamment, ils s'opposaient.
07:47 Ils s'étaient toujours opposés à Berlusconi. Ils en avaient même presque une mission. Mais
07:52 en général, c'était plutôt un berlusconisme, moi, je dirais, culturel. Moi, je connais
07:56 plein de gens qui n'ont peut-être jamais voté pour Berlusconi, mais qui sont berlusconistes.
08:02 - Berlusconisés de l'intérieur. - Voilà, berlusconisés. L'Italie a été
08:07 énormément berlusconisée. Donc, ce n'était pas simplement une question d'élection, mais
08:12 c'était finalement vraiment l'air qu'on a respiré en Italie pendant 30 ans. C'est
08:18 vrai, à l'étranger, on parle très souvent de ses frasques ou bien de ses phrases complètement
08:25 déplacées, de ses propos parfois bizarres. - Ce n'est pas le cas en Italie ?
08:31 - Oui, on parlait, mais en Italie, on était tellement berlusconisés, on le voit encore
08:35 aujourd'hui, des honneurs d'être chef d'État, ils sont reconnus qu'on a vraiment, on s'est
08:40 habitué à vivre avec cette honte et on l'a, de quelque façon, transformé dans une espèce
08:46 d'orgueil national. Donc, on avait tous un peu honte de Berlusconi, notamment sur la
08:51 scène étrangère. Mais en même temps, il a vraiment incarné, moi je dirais personnifié,
08:58 cet esprit, comme disait Marc Lazare tout à l'heure, de cette gaieté un peu italienne
09:05 de vivre, cette légèreté quand même d'être face au spectre du communisme, d'une gauche
09:13 triste peut-être, au pessimisme. - Mais vous la viviez ainsi, cette gauche ?
09:17 Gauche triste, vous diriez ? - Ah bah, surtout pas, dans mon cas, comme
09:21 je disais, moi j'ai 36 ans et la plupart des décisions politiques de ma vie, je les
09:27 ai prises, malgré moi, grâce à Berlusconi. Ce n'est pas à Nasa que je suis partie, que
09:32 je quittais l'Italie. Quand j'avais 25 ans, je décidais...
09:35 - Il vous a chassé ? - Oui, mais il a chassé une bonne partie de
09:39 ma génération, des jeunes Italiens qui sont aujourd'hui très déçus par le type d'Italie
09:47 qu'il a finalement créée. - Marc Lazare, il faut rappeler qui était
09:51 Silvio Berlusconi, puisque, on l'a dit, c'est un mélange étrange. A l'origine, c'est un
09:57 homme d'affaires, il est l'aîné d'une famille de la moyenne bourgeoisie lombarde, son père
10:02 est employé de banque, la banque Razzini, il va devenir l'un des dirigeants de cette
10:09 banque. Comment se déroule la première partie de la carrière de Berlusconi ? Comment devient-il
10:15 homme d'affaires, puis homme de médias ? Quelles sont les étapes qu'il franchit ?
10:20 - Juste avant ça, je me permettrais d'ajouter un petit correctif à ce qu'a dit Andrea
10:25 Marco Longo. Attention, derrière Berlusconi, avec Berlusconi, on le néglige trop, il y
10:32 avait un certain nombre d'intellectuels, de journalistes, de professeurs d'université,
10:36 conservateurs, libéraux, ex-socialistes, anticommunistes, et certains ont été fascinés
10:44 littéralement par Berlusconi, ou alors ont pensé instrumentaliser Berlusconi pour réaliser
10:53 une transformation fondamentale de l'Italie. Mais attention, parce qu'on a trop souvent
10:56 négligé ça en France, il y a des noms assez célèbres en Italie, surtout dans le monde
11:02 universitaire, certes minoritaire, Andrea a parfaitement raison là-dessus, mais non
11:06 négligeable. Alors oui, c'est un homme d'affaires, oui, il a commencé dans l'immobilier, il
11:11 a créé auprès de Milan une sorte de cité nouvelle pour les cadres qui étaient en train
11:16 d'émerger en Italie, dans cette Italie, il ne faut jamais oublier aussi, qui sortait
11:21 de cette période très compliquée des années 70, marquée par les années de plomb, le
11:25 terrorisme, la violence, mais qui était en même temps en train de s'enrichir, et dans
11:29 laquelle d'ailleurs il va créer une chaîne de télévision dans cette cité Milano Due,
11:34 qui est proche de Milan, et il va commencer comme ça, et puis il va se lancer dans la
11:41 télévision, une télévision commerciale, qui va rompre justement la routine de la
11:47 mamma rai, comme on dit en Italie, de la maman rai, qui avait biberonné si j'ose dire, sans
11:53 doute, peut-être l'enfance même d'Andrea, mais elle est tellement jeune que peut-être
11:56 elle avait déjà connu la télévision berlusconienne, mais la génération précédente c'était
12:00 la télévision publique, un peu conformiste, qui se répartissait en trois chaînes, une
12:04 pour la démocratie chrétienne, l'autre pour le parti socialiste, la troisième pour le
12:08 parti communiste, et lui il va créer une télévision commerciale avec le soutien d'un
12:12 homme politique important à Milan, le socialiste Bettino Craxi, et puis il va investir dans
12:17 le football, évidemment c'est le Milan Assi, alors là aussi je vois dans la presse française,
12:22 ah ben justement il a le Milan Assi, donc tous les italiens sont fous de football, et ils
12:25 le suivent comme un seul homme.
12:27 Attention, tout italien et toute personne qui connaît l'Italie sait que bien sûr
12:30 il y a des supporters du Milan Assi, mais il y a tous ceux qui détestent le Milan Assi,
12:35 à commencer par…
12:36 - C'est clivant !
12:37 - Ben oui, qui sont supporters de l'Inter, la grande équipe rivale du Milan Assi, donc
12:41 attention à ces facilités, puis il a créé aussi un groupe de presse très important,
12:46 un groupe éditorial, des agences de publicité, un conglomérat, alors là-dessus il a eu
12:50 des tas de poursuites judiciaires sur toutes ces affaires, mais il est devenu une des plus
12:54 grosses fortunes d'Italie, et voyez-vous, déjà à l'époque, il n'est pas admis
13:00 par les élites traditionnelles qui caractérisent ce capitalisme familial, il est le parvenu,
13:07 il est le parvenu au côté des années 80.
13:08 - Mais alors justement Marc Lazare, parce que ce capitalisme, à l'origine, on a beaucoup
13:13 dit par exemple que la mise de fonds nécessaires pour sa première affaire, vous l'avez évoqué,
13:18 une construction de lotissement, eh bien l'origine des fonds était mystérieuse,
13:25 et c'est cela qui a accrédité ses liens avec la mafia, on a toujours soupçonné
13:31 qu'il en avait, Salvatore Mangano, l'un des chefs mafieux, a été présent dans son
13:39 cercle d'amis, est-ce que ces liens sont avérés, soupçonnés, bref, que sait-on
13:44 à ce sujet ?
13:45 - C'est compliqué, lui a toujours renié, je crois que la justice l'a absou pour cela,
13:52 mais surtout parce qu'il y avait prescription des faits, il avait surtout, et ça s'est
13:56 avéré, un de ses plus proches, Marcello Dell'Utri, qui lui a été condamné pour
14:01 justement collusion avec la mafia.
14:03 Oui, il y a des zones d'ombre incontestables, et très préoccupantes pour la carrière
14:07 politique qu'il a faite, ensuite, incontestablement, et ça c'est un des déboires judiciaires
14:14 de Silvio Berlusconi qui lui a permis, et ça c'est, j'allais dire, ses capacités
14:19 de rebond assez phénoménales, il faut reconnaître, de Silvio Berlusconi, c'est-à-dire d'attaquer
14:23 les juges, les juges rouges, ça a été son obsession, un de ses ennemis c'est les juges
14:27 rouges, pour lesquels il a expliqué qu'il était persécuté, faisant, ou suggérant
14:33 aux Italiens "je suis persécuté, moi, aujourd'hui, mais demain ce sera vous".
14:36 Et en ce sens-là, il a beaucoup joué de cette corde, et Guillaume, vous faisiez allusion
14:41 au fait qu'il a pu servir en quelque sorte d'inspirateur à d'autres dans le monde,
14:46 et bien oui, ça peut être la justice.
14:47 Oui, évidemment, on pense à Donald Trump, dont il est probablement l'un des pères,
14:52 l'une des autorités tutélières.
14:53 Je ne sais pas d'ailleurs s'il y avait reconnaissance de part et d'autre des liens,
14:58 des affinités électives entre les deux.
15:00 C'est à moi que vous posez la question ?
15:02 C'est à vous, Marc, là, absolument.
15:03 Non, je crois pas, je pense que ces deux hommes qui ont une telle hubris et un tel
15:09 égo et une telle mégalomanie qu'ils ne se reconnaissaient aucun prédécesseur.
15:15 Andrea, Marc, Colungo, on vient d'évoquer la télé Berlusconi, on l'a eu en France,
15:20 la 5.
15:21 Et alors vous, par exemple, qu'est-ce que ça représentait ? De quoi était-elle faite
15:25 cette télé en Italie ?
15:27 Effectivement, comme Marc Lazare vient de le dire, moi, j'étais biberonnée à la
15:33 télévision de Berlusconi.
15:34 Je crois que c'était vraiment ces trois chaînes télé, ce sont les chaînes que
15:40 ma génération, je ne parle pas de quelqu'un si jeune, des gens qui ont presque 40 ans
15:45 aujourd'hui.
15:46 Donc ça fait 40 ans de télé Berlusconi, c'est vraiment ce qui a formé l'imaginaire
15:51 de la télé Italie dans les années 90.
15:53 Elle était composée de quoi alors cette télé ?
15:56 Sûrement, la chose qui me frappe aujourd'hui c'était le machisme dominant, le machisme
16:04 total.
16:05 C'était une télé, un programme très légère, très gay, où on exposait les corps
16:10 de la femme, de jolies filles, très peu habillées, un peu partout.
16:14 C'était une espèce de satire politique très fort.
16:18 Mais en général, des contenus américains.
16:23 Le machisme de Berlusconi, ses propos sur les femmes, là aussi c'est une composante
16:30 importante du personnage.
16:32 Oui, tout à fait.
16:33 Moi j'ai été blessée plusieurs fois par des propos de Berlusconi, pas seulement par
16:38 sa télé, mais il n'avait aucune honte.
16:42 Aujourd'hui, la plupart de ses propos, je crois qu'ils sont irrécevables par le public.
16:46 Mais moi je me rappelle quand j'avais 20 ans, j'étudiais à l'université, je faisais
16:50 mes études de langues anciennes, c'était difficile.
16:53 Je me rappelle une entrevue qu'il a donnée à la télé, il y avait une fille de 20 ans
16:56 qui lui a demandé comment on peut faire en Italie pour vivre des cultures et Berlusconi
17:00 lui avait répondu "ça suffit d'épouser quelqu'un de si riche comme mon fils".
17:06 Et là, il n'y avait pas de critique, disons que cela ne l'a pas disqualifié en Italie,
17:14 Andréa Marco Longo.
17:15 Comment expliquez-vous cela ?
17:16 Quand l'affaire Bunga Bunga et tout cela a éclaté, bien sûr qu'une partie, très
17:23 important, c'était vraiment impossible de le justifier, de le soutenir, mais pas tellement.
17:29 Et ce n'était pas il y a si longtemps, je crois que c'était justement une dizaine
17:32 d'années.
17:33 Mais c'est quelque chose qu'on a du mal à croire qu'effectivement Berlusconi a survécu
17:38 à un des scandales les plus gros, je dirais, les plus graves de l'histoire de l'Italie.
17:43 Andréa Marco Longo, on vous retrouve dans une vingtaine de minutes.
17:46 "Déplacer la lune de son orbite", c'est le livre que vous avez publié aux éditions
17:50 Stock.
17:51 Marc Lazare en duplex avec nous depuis Rome.
17:54 Vous êtes professeur émérite d'histoire et de sociologie politique et vous serez rejoint
17:59 par Enrico Letta, ancien président du Conseil italien, secrétaire du Parti démocrate et
18:05 président de l'Institut Jacques Delors.
18:07 On s'interrogera effectivement sur la matrice politique du Berlusconisme.
18:12 S'agit-il d'un laboratoire du populisme ? On en parle dans une vingtaine de minutes.
18:17 En attendant, il est 8h sur France Culture.
18:19 7h-9h.
18:21 Les Matins de France Culture.
18:26 Guillaume Erner.
18:27 Et pour parler du décès d'Il Cavaliere Silvo Berlusconi, présenté comme un dirigeant
18:34 inclassable par exemple à la Une des Echos, nous sommes en compagnie de Marc Lazare, professeur
18:39 émérite d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po, en duplex depuis Rome.
18:44 Andréa Marco Longo, écrivaine italienne, on vous doit notamment déplacer la lune de
18:49 son orbite et nous accueillons également en duplex Enrico Letta.
18:53 Bonjour.
18:54 Bonjour.
18:55 Enrico Letta, vous êtes ancien président du Conseil italien et président de l'Institut
19:01 Jacques Delors.
19:02 Pour vous aussi, qui était Silvio Berlusconi ? Peut-être de manière plus personnelle
19:08 puisque j'imagine que vous l'avez croisé.
19:10 Bon écoutez, c'est très difficile, presque impossible d'avoir une définition simple
19:16 parce qu'il s'agit d'un personnage qui a marqué l'histoire italienne pour 45 ans,
19:22 au moins 45 ans.
19:24 Mais c'est pour ça, je voulais justement peut-être un mot personnel pour vous qui
19:29 l'avez côtoyé, approché, même si c'était bien entendu un opposant politique.
19:34 Bon, c'était un opposant politique.
19:37 Tout m'a toujours divisé de lui, mais je garde toujours un souvenir d'une personnalité
19:44 toujours intéressante, toujours épatante dans ses propos, dans son attitude.
19:50 Comment il se comportait avec vous ?
19:52 Bon, c'était… Normalement, on parlait de foot parce que moi je suis un fan de AC
19:59 Milan.
20:00 Donc, il trouvait toujours la façon d'éviter de parler politique et de parler beaucoup
20:04 de foot quand on se voyait parce que c'était une passion commune.
20:08 C'était un bon connaisseur du football ?
20:10 Bon, franchement, ça a été un énorme dirigeant, quelqu'un qui a changé l'histoire du football
20:17 italien avec cette fameuse équipe de Sacchi, avec les Néerlandais, qui a remporté cinq
20:26 Coupes des Champions.
20:29 Donc, oui, ça a été quelqu'un qui a changé ça.
20:33 Et j'ajoute, je pense que je touche, je fais une référence au foot parce qu'il a employé
20:39 le foot aussi dans son épopée de vainqueurs, de gagnants.
20:43 Et alors, justement, dans le foot, il déléguait, pardonnez-moi Enrico Letta, il déléguait
20:49 ou alors c'était lui-même qui avait une connaissance particulière des joueurs, des
20:54 entraîneurs, de la manière dont il fallait organiser une équipe de foot ?
20:57 Bon, ça, vous devez demander à Sacchi, à Capello, à Jean-Pierre Papin, c'est grand.
21:05 Mais de ce que j'ai écouté en parlant avec quelques-uns des entraîneurs qui étaient
21:11 avec lui, il voulait être l'entraîneur, mais il se donnait une limite à la fin.
21:17 Il n'exagérait pas trop.
21:19 Et donc, à la fin, il déléguait assez à l'entraîneur.
21:24 C'est une des raisons du succès qu'il a eu.
21:27 Mais c'est intéressant l'emploi du sport dans la coutume italienne, dans la politique,
21:33 dans cette épopée de succès qu'il a employée comme narratif et qui a un peu changé le
21:37 tout parce que tous les autres dirigeants politiques, comme moi et les autres, on était
21:42 des dirigeants et nous sommes des dirigeants classiques.
21:45 C'est-à-dire, on est dans la politique, point.
21:47 On ne mêle pas les autres aspects de la vie.
21:50 Or, des terrains de foot, justement, Enrico Letta, le berlusconisme, s'agit-il d'un
21:57 populisme, peut-être le premier des populismes qui a donné ensuite Donald Trump ? Ou bien
22:02 vous l'analyseriez autrement ?
22:04 Je pense que oui, il y a une partie de ça.
22:07 Il y a une partie de ça parce qu'en effet, ça a été le premier avec son langage complètement
22:14 déplacé par rapport au langage typique, peut-être un peu ennuyant qu'avait la politique italienne
22:21 à l'époque.
22:22 Mais après, ça a été très difficile de remettre les choses.
22:25 Il a changé vraiment tout dans cet aspect de langage.
22:30 Moi, j'avais toute autre attitude et je reste convaincu que la politique doit être plutôt
22:35 sérieuse.
22:36 Justement, est-ce qu'il y avait une prime au clivage ? Comme tout ce qu'il disait était
22:42 clivant, déclenchait des réactions et beaucoup de controverses.
22:48 Est-ce que ça, c'est quelque chose qui l'a aidé ? Contrairement à ce que l'on pense
22:50 traditionnellement en politique, il ne faut pas faire lisse, il faut faire rugueux.
22:54 Je pense que oui, mais il y avait aussi en lui quelque chose de… disons, il a appliqué
23:02 la mentalité du manager à la politique.
23:05 C'est-à-dire, la première chose qu'il a regardée, c'était quelles étaient les
23:09 règles du jeu, c'est-à-dire la loi électorale, qui quand lui, il est entré en politique,
23:14 venait d'être changée, en passait d'un proportionnel pur à un système majoritaire,
23:21 disons pour se comprendre, à l'anglaise.
23:23 Donc d'un côté ou de l'autre.
23:25 Et ça a été le premier qui lit les règles et les applique un peu comme s'il s'agissait
23:33 d'appliquer des règles avec lesquelles faire une opération de bourse.
23:38 Et en appliquant ces règles, à la fin il a eu raison, parce qu'il a compris que le
23:43 système majoritaire avait besoin d'un clivage, comme vous venez de dire, et c'est celui
23:47 qui a emmené le clivage dans la politique italienne, alors que la politique italienne,
23:52 c'est celui qui, dans les années 50-60, il y avait le clivage communiste-démocrate-chrétien,
24:00 Moscou-Washington, mais en fait c'était un système dans lequel, surtout au Parlement,
24:07 les choses se faisaient avec une capacité de les faire ensemble, qui, à partir des
24:13 années 90, a été abandonné avec ce système, qui a été un système ou d'un côté ou
24:19 de l'autre, et c'est lui qui a inauguré ce système.
24:22 Cette façon de faire de la politique.
24:24 Andrea Marco Longo, dans ces conditions, est-ce que ces opposants auxquels vous apparteniez
24:30 étaient des personnes qui donnaient plus d'écho encore, parce qu'à chaque controverse
24:36 il y avait des polémiques, on ne parlait finalement que de Berlusconi, est-ce que vous
24:41 aviez la sensation justement de lui accorder trop d'importance à chaque fois ?
24:45 Oui, je ne peux que répondre oui, effectivement, pendant 40 ans la politique italienne, c'était
24:52 réduit plus ou moins à ça, à répondre aux provocations, aux propos de Berlusconi.
24:58 C'était vraiment lui qui choisissait la ligne politique.
25:03 Donc oui, j'ai cette impression, c'était très difficile et ça reste très difficile
25:09 pour la politique italienne, des droite et des gauche aussi, vraiment de s'en franchir.
25:14 Ça veut dire que Mme Meloni, par exemple, ne suscite pas les mêmes réactions parmi
25:20 ses adversaires politiques ?
25:21 Mme Meloni c'est un peu différent par rapport à Berlusconi, c'est-à-dire il y a la partie
25:27 du populisme dont Enrico Letta parlait tout à l'heure, elle est plus grande chez Mme
25:32 Meloni.
25:33 La tradition de base est très différente, c'est-à-dire Berlusconi, même si on était
25:37 allié à plusieurs reprises, donc Meloni n'est pas un outsider dans la politique italienne
25:41 et vient du méchant de Berlusconi, on a été allié plusieurs fois.
25:46 Mais si Berlusconi venait, il a essayé d'une certaine façon de récupérer les sangs du
25:50 parti de la démocratie christienne, de la démocratie quétrienne, Meloni a complètement
25:56 franchi les propos de l'extrême droite, voire du fascisme, et vient d'une tradition
26:02 beaucoup plus à droite.
26:04 Moi je crois que la différence, c'est notamment entre Berlusconi et Meloni, c'est plutôt
26:08 l'esprit de l'Italie.
26:10 Berlusconi a incarné une Italie gaie, légère, c'était facile parce que le système économique
26:16 allait bien à l'époque.
26:18 L'Italie de Meloni aujourd'hui, c'est une Italie beaucoup plus en colère, beaucoup
26:22 plus fâchée, beaucoup plus inquiète face à l'avenir.
26:25 Qu'est-ce que vous en pensez Henri Colletta ?
26:26 Moi je partage complètement ce que Andréa Marco Longo vient de dire.
26:30 Je pense que c'est une analyse très efficace.
26:33 Berlusconi venait du nord, de Milan, donc il incarnait cette idée d'un moteur italien
26:43 qui marchait très bien, et il ne faut jamais oublier la force de la télévision, de la
26:52 télévision commerciale qu'il a incarnée, là aussi avec une idée de télévision dans
26:59 laquelle c'était surtout pour rire et pour s'amuser.
27:02 Il n'y avait pas beaucoup de contenu sérieux quand il a commencé, et toutes les générations
27:10 comme la mienne et celles même des plus jeunes que moi ont vu le changement entre la télévision
27:16 sérieuse, mono, disons culturelle qu'on avait avant et le changement avec ce produit
27:24 de télévision commerciale.
27:25 Marc Lazare, est-ce qu'il y a un véritable changement culturel avec Giorgia Meloni ? On
27:32 assiste je crois à beaucoup moins de dérapages, ça veut dire que finalement le clivage dans
27:38 la droite, la droite dure italienne est quelque chose qui ne s'opère plus avec les mêmes
27:42 méthodes ?
27:43 Alors attention, d'abord Giorgia Meloni, bien sûr elle a été ministre d'un des gouvernements
27:49 de Silvio Berlusconi, ministre de la jeunesse, mais elle vient d'une autre famille politique,
27:54 et c'est important de bien rappeler aux auditeurs.
27:57 Bien sûr d'ailleurs, je vous propose de nous dire en quoi ils ont été alliés et
28:01 adversaires.
28:02 Elle a rendu un hommage vibrant à Silvio Berlusconi qui a été justement l'artisan
28:08 de cette coalition de centre-droit qui a gagné trois fois, mais attention, qui a été aussi
28:12 battue deux fois par Romano Prodi, deux fois Berlusconi a échoué, mais trois fois il
28:17 a gagné.
28:18 C'est une coalition de centre-droit qui regroupait Forza Italia, La Lega et le parti post-fasciste
28:23 Allianz National.
28:24 Maintenant, Giorgia Meloni, elle vient de cette famille politique dont elle ne renie
28:29 d'ailleurs en aucun cas ses origines, pour lesquelles elle proclamait même une fidélité
28:33 au mouvement social italien, c'est-à-dire pas simplement au post-fascisme, mais au
28:37 néo-fascisme, même si on ne peut pas la résumer comme étant fasciste, elle est d'une
28:42 droite radicale, extrême, conservatrice, traditionnaliste, mais dorénavant c'est
28:46 une coalition de droit de centre, dominée par elle.
28:50 Et c'est un renversement spectaculaire parce que là on insiste, et c'est normal, sur
28:55 justement les succès de Silvio Berlusconi, mais depuis 2011 c'est un grand déclin,
29:01 c'est un lent déclin, un lent déclin électoral, une désillusion de ses électeurs.
29:05 Et Giorgia Meloni aujourd'hui, je crois que d'un côté elle est l'héritière
29:10 de cette transformation fondamentale de la politique par Silvio Berlusconi, c'est-à-dire
29:16 de la personnalisation en politique.
29:18 Les partis avant Silvio Berlusconi, la démocratie chrétienne, le parti communiste italien,
29:23 le parti socialiste italien, bien sûr avait des leaders importants, Degas, Peri, Fanfani
29:29 pour la démocratie chrétienne, Aldo Moro, Enrico Berlinguer, Palmiro Togliatti avant
29:34 pour le parti communiste, Bettino Craxi pour le parti socialiste, mais la révolution berlusconienne
29:39 c'est la personnalisation grâce à ses télévisions et grâce à ses capacités personnelles.
29:45 C'est un formidable vendeur Silvio Berlusconi.
29:47 - Alors ça c'est ce que vous avez dit Enrico Letta, vous avez beaucoup insisté sur le
29:53 fait qu'il a bien entendu usé de la télévision, de sa télévision, de son empire médiatique,
30:00 d'une forme de truculence qui le distinguait également des autres forces politiques traditionnelles.
30:07 On a beaucoup évoqué parmi les zones d'ombre ces liens avec la mafia, que sait-on aujourd'hui
30:14 à ce sujet ?
30:15 - 30 ans d'histoire très complexe et très compliquée avec la justice, ça a été une
30:24 de ses luttes principales, qui a été une lutte aussi qui est devenue une lutte politique,
30:30 donc c'est un aspect controversé, très controversé de toute son histoire politique.
30:36 Ce qui a rendu le tout très compliqué, très complexe même aujourd'hui à raconter, c'est
30:45 cet aspect dans lequel ce que Marc Lazare venait de dire, c'est-à-dire une personnalisation
30:50 totale, c'est-à-dire une personne qui était en même temps une partie de la société italienne,
30:57 mais de tous les points de vue, pas seulement du point de vue politique.
31:01 Et cette totalisation de sa personnalité, qui aussi a eu cet aspect très controversé
31:09 de scandale et de lutte contre les juges, est devenue quelque chose qui reste comme
31:18 une continuité et surtout dans la phase finale, dans cette phase finale, ça a été un peu
31:24 le déclin de tout ça et le fait que tout ça aujourd'hui trouve en Giorgia Meloni
31:29 une héritière qui prend cet héritage et le pose plus à droite.
31:36 Ça c'est un peu l'histoire qui peut-être, en regardant les 30 ans, parce qu'il a entré
31:41 en politique en 1994, en incarnant la continuité de l'ancien parti socialiste et d'une partie
31:48 de la démocratie de l'époque, aujourd'hui tout ça est transféré vers une droite incarnée
31:55 par Meloni et ça c'est un peu le sens du déclin de cette histoire.
32:00 Et qui en un sens le respectabilise aussi cet héritage parce que quand on voit les
32:06 condamnations de Silvio Berlusconi, Enrico Letta, ça donne un peu le tournis.
32:12 Il a été condamné dans l'affaire où il avait eu des rapports avec une prostituée
32:19 mineure à 7 ans de prison et interdiction à vide tout mandat public.
32:23 Ensuite la cour d'appel l'a quitté, ensuite il a été condamné à 8 ans de prison pour
32:30 fraude fiscale.
32:31 Bref, une liste de condamnations quand même assez impressionnante.
32:33 Il n'est jamais allé en prison.
32:35 Qu'est-ce qu'il s'est passé Enrico Letta ?
32:37 Il s'est passé qu'il a su, du point de vue politique, transformer tout ça dans
32:43 un récit qui était un récit captivant pour une partie de l'opinion publique à cause
32:49 aussi d'une relation controversée entre une partie de cette même opinion publique
32:56 et du système économique avec la magistrature et les juges.
33:00 Donc il a transformé sa situation personnelle en quelque chose de général.
33:05 En fait, ça a été le système avec lequel il est devenu, il a su surmonter beaucoup
33:12 de chutes.
33:13 Il a toujours transformé ses problèmes personnels en quelque chose de général.
33:18 Et là, franchement, il a réussi dans des chutes dans lesquelles on avait prononcié
33:27 que c'était la fin.
33:28 Et à la fin, il a toujours...
33:29 Il réussissait à s'en sortir, Andrea Marconungo.
33:31 Alors à chaque fois, vous disiez "c'est fini, on en est débarrassé" et puis non.
33:35 Oui, c'est comme ça.
33:38 Et qui sait, Enrico Letta vient de dire "la fin n'est jamais arrivée".
33:42 Peut-être que ce n'était pas ni avec sa mort qu'on va se débarrasser de Berlusconi.
33:47 Mais là, on a déjà, comme on dit, avec Giorgia Meloni et tout cela, on vient déjà,
33:53 on a déjà vu l'héritage de Berlusconi en politique et dans la société.
33:57 Et on va découvrir tout cela dans les prochaines années.
34:00 N'oublie pas que, surtout par rapport à ces procès, à ces condamnations, qu'une partie
34:06 très importante du récit de Berlusconi, c'était le victimisme.
34:09 C'est-à-dire, lui, il se prenait pour le leader de la liberté.
34:12 Il n'hésitait même pas à se comparer à Jésus-Christ.
34:16 Il disait "moi, je suis persécutée par le magistrat, par tout cela".
34:22 Et c'est quelque chose, en général, qui plaît beaucoup aux Italiens.
34:25 Cet esprit de complotisme, de "je suis la victime d'un système, de l'ombre".
34:30 Le Christ avait un mode de vie plus ascétique, je crois.
34:33 Peut-être que si, oui, je crois que si.
34:36 Et justement, quand on voit cela, Marc Lazare, quand on essaye de voir le type d'homme
34:42 qu'il a été, en cela, il est quand même très proche de Donald Trump, avec, disons,
34:48 des excès, une série d'excès.
34:51 On se dit qu'en France, on a échappé jusque-là à cela.
34:55 Peut-être que Bernard Tapie était le modèle politique le plus proche de Silvio Berlusconi.
35:01 Oui, on a fait une comparaison.
35:03 C'est vrai, vous avez raison, Guillaume Werner.
35:05 On a fait une comparaison entre Bernard Tapie et Silvio Berlusconi.
35:09 Mais tout simplement, Bernard Tapie, ça a été une météorite en politique qui est
35:15 tombée très rapidement.
35:16 Peut-être aussi parce que les juges français sont plus efficaces à faire respecter le
35:19 droit.
35:20 Peut-être, mais aussi parce que je crois que Silvio Berlusconi, justement, avait une
35:24 assise, qu'il a construite une assise dans une partie de la population italienne parce
35:29 qu'il était bien entouré, je le répète.
35:31 Attention, ce n'était pas un homme seul.
35:32 Il avait un entourage à la fois composé de gens sulfureux et de gens particulièrement
35:39 bien avisés pour le conseiller.
35:41 Et ça, ça le rapproche ou ça le distingue de Trump ?
35:43 Alors, je pense que ça… Je connais mal le cas américain, mais je crois qu'il y
35:47 a un point commun quand même.
35:48 C'est en quelque sorte l'aspect Janus de ces personnages.
35:52 D'un côté, ils se présentent comme des antipolitiques, ceux qui, justement, critiquent
35:56 les politiques traditionnelles.
35:57 Enrico Letta vient de le rappeler.
35:59 Et du coup, ça explique l'attitude, y compris le gestuel, le langage du corps de Silvio
36:05 Berlusconi.
36:06 C'est-à-dire, ici, ces plaisanteries graveleuses, la manière dont il se comportait dans les
36:09 sommets.
36:10 On a tous en mémoire.
36:11 Et si jamais on ne l'a pas, on peut aller sur Google, le voir, comment, durant les sommets,
36:14 il faisait le pitre, il faisait des petits signaux pendant les photographies officielles.
36:19 Tout ça pour montrer qu'il n'était pas comme les autres.
36:21 Et de l'autre côté, il se présentait comme le plus grand politique de toute l'histoire
36:24 de l'Italie.
36:25 Le plus grand homme d'État, disait-il, après Mussolini.
36:27 Vous voyez la comparaison ? Et donc, c'est cette ambivalence.
36:31 C'est-à-dire, d'un côté, je ne suis pas comme les autres, mais je suis meilleur
36:33 que les politiques traditionnelles.
36:35 Et ça, c'est un élément à la fois de son style populiste et ça, ça confortait
36:40 justement un électorat composite, là aussi.
36:42 Parce qu'il y avait ceux qui croyaient en lui, encore une fois, qui disaient oui, voilà,
36:45 on a avec Silvio Berlusconi un homme nouveau en politique.
36:49 Et ceux qui disaient, eh bien, Silvio Berlusconi, c'est l'incarnation de tout ce qu'on
36:53 déteste en politique.
36:54 C'est cette capacité à jouer sur ces deux aspects qui a fait aussi la force politique
36:59 de Silvio Berlusconi.
37:00 - Alors, Enrico, l'État, lorsque l'on voit ce personnage haut en couleur, avec une
37:06 dimension à la fois extrêmement sérieuse, hélas, et cette dimension bouffonne, on songe,
37:12 par exemple, au portrait de Mussolini que fait le romancier Antonio Scorati dans M.
37:18 Est-ce que c'est légitime ? Est-ce que c'est comme ça que vous verriez les choses aussi ?
37:21 - Bon, franchement, non.
37:24 Je trouve qu'il y a des différences qui sont portées, évidemment, par l'histoire,
37:31 étant différent dans lequel on vit et il a vécu.
37:34 Je souligne surtout, parce que selon moi, c'est la vraie différence entre Berlusconi
37:42 et le reste des leaders populistes, le rôle de la télévision commerciale.
37:47 C'est-à-dire le fait qu'il a inventé en Italie une télévision qui était l'alternative
37:54 à la télévision d'État.
37:56 Et donc, il a incarné un choix différent qui entrait dans les ménages de tous les
38:04 Italiens, de toutes les Italiennes du Sud et du Nord.
38:07 Et tout ça, normalement, c'était pour faire rire, pour des sentiments, des émotions
38:15 positives ou simples.
38:16 Il n'y avait pas beaucoup de sérieux dans ces télévisions et à la fin, les Italiens
38:22 ont aimé ça.
38:23 Parce qu'on sortait, ça c'est important de citer cet aspect-là, on sortait de ce
38:29 qu'en Italie on appelait les années de plomb.
38:32 C'est-à-dire les années 70, les Brigades Rouges, années dans lesquelles on ne sortait
38:37 pas de la maison le soir, dans lesquelles il y avait peur.
38:40 Alors lui, il a incarné dans les années 80 une volonté de rire, de s'affirmer,
38:49 de vivre bien, de tourner la page.
38:51 Et tout ça, c'était avant son entrée en politique.
38:55 Donc il a préparé son entrée en politique, ou peut-être il n'avait pas encore imaginé
39:00 de le faire, avec cette capacité de changer une attitude importante d'une grande partie
39:06 de la société italienne.
39:07 Et ça, ça a été, de mon point de vue, l'élément distinctif par rapport à tous
39:12 les autres.
39:13 Une grande différence.
39:14 Même par rapport à Trump.
39:15 Andrea Marconongo, une conclusion, ce que vous retiendrez de Berlusconi ?
39:20 Comme je vous ai dit tout à l'heure, on va découvrir dans les prochaines années
39:26 l'héritage berlusconien.
39:28 Je ne sais pas, en écoutant Enrico Letta, je pensais notamment par rapport à mon secteur,
39:33 que c'est la culture.
39:35 Effectivement, c'est...
39:36 On dit par exemple qu'il a assassiné, c'est Jack Lang qui l'a dit hier, qu'il avait assassiné
39:41 le cinéma italien.
39:42 En général, ce qui l'a assassiné Berlusconi, c'est le sérieux.
39:46 C'est le sérieux.
39:47 C'est-à-dire pas seulement en politique.
39:49 Oui, bien sûr, la gauche, c'était le culbre triste.
39:52 Il fallait être gay.
39:53 Mais en général, la culture tout court.
39:54 C'est-à-dire, il s'exprimait contre les professeurs universitaires, les gens qui
40:02 l'ont trop étudié, alors sonnés nouillants, les écrivains.
40:05 Il faut rire, simplement.
40:07 Marc Lasart, un mot de conclusion ?
40:08 Je crois que Berlusconi est décédé, mais que le berlusconisme laissera des traces.
40:13 Incontestablement, ça laissera des traces profondes en Italie.
40:16 Reste à savoir ce qui va prospérer là-dessus.
40:19 Giorgia Molini se positionne.
40:22 On peut s'interroger aussi sur le destin du parti.
40:24 Mais surtout, il a laissé effectivement des traces culturelles, mais au sens large du
40:29 mot, c'est-à-dire une manière de penser et d'agir en politique qui effectivement
40:35 demeure.
40:36 Et puis, il a soulevé une série d'interrogations sur le devenir de la démocratie italienne.
40:41 Incontestablement, il a voulu la bousculer.
40:44 En même temps, il a été en quelque sorte assimilé, métamorphosé par cette démocratie.
40:49 Et par conséquent, oui, Berlusconi est décédé.
40:52 Il va y avoir des grandes funérailles demain à Milan, des funérailles d'État.
40:58 Et en même temps, le berlusconisme, je ne dirais pas qu'il prospère, mais il y a en
41:02 quelque sorte un humus qui va rester.
41:05 Merci beaucoup, Marc Lazare, d'avoir été avec nous.
41:10 Je rappelle que vous êtes professeur émérite à Sciences Po.
41:15 Merci également à vous, Andrea Marco Longo, de nous avoir éclairé sur votre vision du
41:22 berlusconisme.
41:23 Et puis, merci enfin à Enrico Letta, qui était également en duplex avec nous.

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