Sylvain Angerand, ingénieur forestier et fondateur de l’association Canopée, Régine Touffait, ingénieure forestière à la direction des risques naturels de la forêt à l'ONF et Gilles Boeuf, biologiste et ancien président du Musée d'histoire naturelle, évoquent l'état des forêts françaises à 8h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-15-juin-2023-3054684
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00:00 Et un grand entretien sur les forêts, ce matin elles continuent de brûler au Canada
00:04 ou d'une côte à l'autre du pays, 226 incendies sont toujours hors de contrôle.
00:10 Hier c'est en France, dans les Vosges, oui dans les Vosges, que les pompiers parvenaient
00:14 à fixer un feu de forêt peu commun à cette date et en ces lieux.
00:17 Questions et réactions, amis auditeurs, au standard d'Inter et sur l'application.
00:22 Et je vous présente nos invités.
00:24 Gilles Boeuf, bonjour.
00:25 Bonjour.
00:26 Régis, ancien président du Muséum National d'Histoire Naturelle, président de l'association
00:31 des Amis de la Forêt de la Massane dans les Pyrénées-Orientales.
00:36 Sylvain Angerand, bonjour.
00:38 Bonjour.
00:39 Ingénieur forestier, fondateur de l'association Canopée.
00:42 Et pour finir ce tour de table en studio, Régine Touffet, bonjour.
00:47 Bonjour, en présence d'auditeurs.
00:49 Oui, ingénieur forestier à l'Office National des Forêts, le ENF, vous vous y occupez notamment
00:55 des risques naturels.
00:57 Quelques mots donc pour commencer sur le Canada où 450 feux sont encore actifs et 5 millions
01:05 d'hectares sont partis en fumée.
01:07 On a pu voir ces images absolument impressionnantes de la fumée de ces feux de forêt poussés
01:13 par le vent couvrir la ville de New York d'une brume épaisse.
01:18 Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, prépare les esprits à une saison des incendies
01:23 particulièrement sévères tout au long de l'été.
01:27 Dites-nous, Régine Touffet, comment vous analysez la situation au Canada aujourd'hui ?
01:32 A ce stade, elle est hors de contrôle ?
01:34 Oui, alors le réchauffement climatique est là et toutes les conditions sont réunies
01:38 actuellement pour avoir ces grands feux.
01:40 J'ai discuté récemment avec un pompier qui me disait, qui me parlait de la règle des
01:44 3,30.
01:45 Dès que les 3,30 sont satisfaits, on se retrouve avec des feux de telle ampleur.
01:50 Les 3,30 c'est quoi ? C'est 30 km/h de vent.
01:53 Bon, ça vient assez vite.
01:55 C'est 30% d'humidité seulement dans la végétation.
02:00 Donc avec les températures, avec la sécheresse, le stress hydrique, on se retrouve avec de
02:05 la végétation qui est peu humide.
02:07 Et c'est 30°C.
02:09 Donc actuellement, avec le réchauffement, les 30°C, on les atteint souvent.
02:13 Et donc, voilà, c'est la règle des 3,30 et malheureusement souvent là et on se retrouve
02:19 avec des feux de telle intensité.
02:22 Sylvain, on rend même constat, des feux d'une telle ampleur sont à relier au réchauffement
02:29 climatique, on peut le dire aussi simplement que ça.
02:31 Je crois que le constat scientifique il est partagé mais on pourrait parler des feux,
02:34 on peut parler de plus en plus d'événements extrêmes comme des tempêtes, des épisodes
02:39 de grêle, des gelées un peu tardives.
02:41 Voilà, on a beaucoup de phénomènes extrêmes qui ont tendance à se multiplier, arriver
02:46 à des moments de l'année inhabituels.
02:49 Un incendie parti d'une habitation a dévasté hier 30 hectares de forêt dans les Vosges.
02:54 Dans les Vosges, à ce stade de l'année, ça vous inquiète ?
02:56 Ça, ça m'inquiète.
02:57 Mais ce qui m'inquiète c'est que le premier incendie, il a eu lieu au mois de janvier
03:01 dans les Pyrénées et qu'on a de plus en plus.
03:04 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, la saison des incendies, elle commence non seulement
03:06 dès le mois de janvier jusqu'au mois de décembre et en plus, elle couvre des zones
03:11 qui aujourd'hui étaient très cantonnées dans le sud-est de la France et dans les
03:14 Landes.
03:15 Aujourd'hui, c'est tout le territoire français métropolitain qui est potentiellement concerné.
03:17 Donc ça, c'est inquiétant effectivement.
03:19 Ça veut dire que la donne, elle change.
03:20 Hier, 27 départements ont été placés par Météo France en vigilance modérée pour
03:26 les risques d'incendie.
03:28 C'est le nouvel outil qui a été mis en place par Météo France.
03:32 Deux tiers des nappes phréatiques sont sous la normale.
03:36 Le président de la République a alerté sur un été très difficile sur le plan des
03:40 feux de forêt l'été à venir.
03:42 Vous partagez son inquiétude, Gilles Boeuf.
03:45 Après l'été dernier, qui a vu 72 000 hectares partir en fumée en France.
03:50 Oui, bien sûr, chez nous en Gironde, on a perdu 60 000 hectares à la fin du mois de
03:55 juillet, début du mois d'août.
03:56 La Bretagne, la pointe bretonne, le Yonelles dans les monts d'Arrée qui brûlent.
03:59 Et chez moi, en pays catalan, là, le 25 avril dernier, 1000 hectares qui partent en fumée.
04:04 À des époques qui ne sont pas normales pour les feux.
04:07 Bien sûr.
04:08 Mais par contre, il n'y a plus de considération scientifique sur le fait que tout ceci est
04:11 lié aussi.
04:12 Je n'aime pas parler de dérèglement climatique.
04:14 Le climat n'a jamais été réglé.
04:15 Au changement climatique, bien évidemment, il se passe des choses qui ne se passaient
04:18 pas.
04:19 Mais moi, mon propos, c'est de dire voilà, le climat et le vivant.
04:23 Il faut qu'on regarde au cours de l'émission aussi ses impacts sur le vivant.
04:26 Alors expliquez-nous.
04:27 Simplement, un bébé humain qui naît, c'est trois quarts d'eau liquide, de flotte.
04:32 Vous imaginez un peu.
04:33 Alors vous voyez comment cette eau est si importante.
04:35 Ce n'est pas fait pour laver sa bagnole.
04:36 Deuxièmement, un humain, c'est plus de bactéries sur lui et dans lui que de cellules humaines.
04:42 Si l'humain admet qu'il est dans ce vivant, qu'il en fait partie, il changera un peu
04:47 son comportement.
04:48 Et pour revenir à la forêt, qu'on aime tant ici, tous les quatre, il y a un lien
04:52 absolument évident depuis l'origine.
04:54 L'humain a dû enlever de la forêt pour faire de l'agriculture.
04:57 Il y avait des humains sans agriculture, mais ils étaient des poignets à l'époque.
05:01 Il n'y a pas d'humanité sans agriculture.
05:03 Alors comment on fait aujourd'hui ? Et l'eau, elle est essentielle.
05:05 Aucun être vivant n'existe qui ne soit pas fait d'eau.
05:08 Voilà pourquoi il faut relier la forêt à l'eau.
05:10 Et un arbre, il sait faire des choses absolument géniales.
05:12 Donc il faut qu'on s'inspire aujourd'hui.
05:15 Donc cette forêt, il faut la garder avec nous, bien évidemment.
05:17 La forêt couvre 30% du territoire français.
05:21 Si on devait le dire à très gros traits, elle est dans quel état la forêt française
05:27 ? Régine Touffet ?
05:29 La forêt souffre actuellement.
05:31 Les hêtres des Périsses en plaignent, les sapins en Bourgogne ne vont pas bien, les
05:38 chênes dans l'Allier, pareil.
05:40 On a eu l'épisode d'Escolide sur IPCA récemment.
05:44 Donc elle est fragilisée.
05:46 Le stress hydrique qu'on parlait d'eau, forcément le stress hydrique fait qu'elle
05:49 photosynthétise moins.
05:51 Du coup, il y a moins de croissance.
05:53 Les arbres sont fragilisés, font des petites feuilles.
05:58 Et du coup, leur fragilité fait qu'ils sont attaqués par des parasites.
06:03 On appelle les parasites de faiblesse.
06:04 C'est le cas d'Escolide.
06:05 Donc effectivement, elle ne va pas bien.
06:07 Mais je pense qu'il faut aussi donner un message positif à nos auditeurs.
06:12 En fait, on est lucide sur l'état actuellement de la forêt.
06:15 Et je pense qu'en tant que forestier, c'est dans notre ADN.
06:18 Je voudrais rappeler par exemple que dès le 14e siècle, on disait à nos prédécesseurs
06:24 qui étaient les maîtres des eaux et forêts qu'ils devaient se soutenir en perpétuellement
06:29 en bon état.
06:30 Donc la notion de gestion durable, de soutenabilité de la forêt, c'est vraiment dans notre
06:34 ADN.
06:35 En fait, en tant que forestier, on a toujours relevé des défis.
06:41 Si on prend le risque incendie, dans les années 90, il y avait déjà ce risque-là.
06:46 Et avec l'État, on a mis en place une politique de défense des forêts contre les incendies
06:50 qui a permis de réduire de 80% la surface des incendies.
06:54 Donc là, on est confronté à ce défi d'incendie.
06:58 Et donc, on va réagir tout comme on va aussi adapter la forêt au climat demain en la
07:05 diversifiant, en plantant des essences différentes, en multipliant les différents espaces au
07:12 sein d'une forêt.
07:13 Les jardiniers parlent de gestion différenciée des espaces verts.
07:15 Nous, en forêt, on parle aussi de gestion différenciée de la forêt, c'est-à-dire
07:19 qu'aux côtés de zones pour produire du bois, le bois qui est important aussi pour
07:23 notre économie, pour décarboner l'économie.
07:26 C'est là où on voit que la forêt est aussi la solution au réchauffement climatique.
07:30 La forêt, elle capte le carbone.
07:31 Et donc, du coup, il faut, en tant que forêtier, qu'on la prépare pour demain.
07:36 Et c'est vraiment notre boussole que de la transmettre aux générations futures dans
07:40 un bon état.
07:41 Elle capte le carbone.
07:42 Sylvain Angerand, elle en a absorbé en 2021 31 millions de tonnes de CO2.
07:50 C'est 7,5% des émissions du pays.
07:53 Mais c'est deux fois moins qu'il y a dix ans.
07:56 Comment expliquer ce phénomène ?
08:00 Est-ce que la forêt est de moins bonne qualité ?
08:03 Pourquoi ? Est-ce qu'elle capte moins de carbone aujourd'hui ?
08:07 Quand on parle de forêt, souvent on se trompe d'indicateur.
08:10 C'est-à-dire qu'on nous dit que la forêt en France, elle gagne du terrain.
08:13 C'est vrai, c'est un indicateur, mais ce n'est pas le bon.
08:16 La forêt, aujourd'hui, elle est dans un mauvais état de conservation écologique.
08:19 Seuls 18% des forêts d'intérêt communautaire, c'est-à-dire les forêts identifiées par
08:24 l'Europe comme des forêts importantes, sont dans un bon état de conservation.
08:28 18%, c'est très faible.
08:30 Et derrière, ce qu'on voit, c'est qu'effectivement, Estoc, elle absorbe moins de carbone.
08:34 Elle absorbe moins de carbone pour trois raisons, qui ont été précisées par le Haut Conseil
08:37 pour le Climat.
08:38 Plus de mortalité, la croissance ralentit, essentiellement à cause du changement climatique.
08:44 Mais il y a un troisième facteur dont on ne discute pas.
08:46 C'est la hausse de la récolte de bois, qui augmente discrètement et qui, dans les stratégies
08:52 qui sont actuellement discutées par le gouvernement, sont en train d'exploser.
08:55 Et cette hausse de la récolte, elle est liée en fait à une hausse des prélèvements de
09:00 bois énergie.
09:01 Alors on va remplacer effectivement des énergies fossiles par du bois énergie.
09:05 Et aujourd'hui, on va aller faire voler les avions avec du bois énergie.
09:10 Le gouvernement vient d'accorder 7 millions d'euros à un projet qui s'appelle Élysée
09:14 pour faire des biocarburants à base de bois pour faire voler les avions.
09:16 Et derrière cette entreprise, c'est là où ça devient intéressant.
09:19 C'est qu'on a la plus grosse coopérative forestière française, Alliance Forêts Bois,
09:23 qui est le spécialiste de la couperasse de forêts diversifiées, des FEU, pour mettre
09:28 à la place des monocultures de résineux.
09:29 Donc en fait, derrière la libye du changement climatique, ce qui se joue, c'est un plan
09:34 d'adaptation de la forêt aux besoins d'industrie.
09:36 Et donc tant qu'on ne pose pas les choses clairement, qu'on ne se parle pas, est-ce
09:39 que la biodiversité c'est la solution ? Ou c'est juste un truc qui nous embarrasse ?
09:43 On n'avance pas.
09:44 NICOLAS : Gilles Boeuf, votre position sur le sujet ?
09:47 GILLES BOEUF, journaliste, La Biodiversité, c'est la solution, clairement.
09:49 NICOLAS, ça veut dire quoi alors ?
09:51 GILLES BOEUF, journaliste, La Biodiversité, il faut garder du vivant.
09:53 NICOLAS, une fois qu'on a dit ça, la forêt, il faut qu'elle soit diverse, plurielle,
10:00 qu'on y plante différentes espèces ? Expliquez-nous.
10:03 GILLES BOEUF, journaliste, La Biodiversité, c'est ça qui marche en fait.
10:04 Le vivant, il a presque 4 milliards d'années, vous vous rendez compte ? Et depuis le début,
10:07 quand on a fait Tara Océan, quand on sort avec notre bateau, et que dans ce plancton
10:11 du départ, on se rend compte qu'il y a infiniment plus de coopération, d'entraide et de
10:15 cinglose que de compétition, on a tout compris.
10:17 Et le vivant, il a quand même 4 000 millions d'années, ça fait une sacrée entreprise
10:20 quand même.
10:21 Donc inspirons-nous de ce vivant.
10:22 Et la forêt est un merveilleux endroit pour le faire en fait.
10:24 On me dit souvent « comment tu calcules le stock de carbone ? ». En gros, c'est
10:27 très simple, vous prenez la masse sèche de tout le bois d'une forêt, et puis vous
10:31 divisez par deux.
10:32 Et vous avez une idée du carbone qu'on trouve dans une forêt.
10:34 Et aujourd'hui, effectivement, je suis ce que disait mon ami à l'instant, ce qui
10:37 se passe c'est que la forêt est moins capable de le faire parce qu'elle est effectivement
10:40 agressée.
10:41 On parle des scolites, c'est plus du coléoptère, on parle des champignons, des amadouviers
10:44 aussi qui s'installent partout.
10:45 Donc il faut qu'on regarde aujourd'hui comment on trouve le compromis, subtil et
10:49 délicat à trouver, je le reconnais, entre comment on garde notre forêt, parce qu'il
10:54 faut quand même pas oublier que les trois quarts de la forêt française, elles sont
10:56 privées, et ça on doit en tenir compte.
10:58 Donc on ne peut pas ne pas travailler avec eux.
11:00 Évidemment qu'il faut travailler avec eux.
11:02 Mais il faut aujourd'hui qu'il y ait de la science et pas des opinions.
11:04 Je me bats là-dessus, il faut que ce soit de la science et pas des opinions qui régulent
11:08 nos activités.
11:09 Et pour ça il nous faut des aides publiques pour faire cela, bien sûr.
11:11 Aujourd'hui ce n'est pas le cas.
11:12 On est en ligne avec Lucienne Ahez, alias Lulu du Morvan.
11:17 Bonjour !
11:18 Bonjour à tous !
11:20 Vous êtes une figure historique, Lulu du Morvan, de la lutte pour sauver les forêts
11:25 de la monoculture.
11:26 Il y a 50 ans, vous baladez en forêt du Morvan et vous voyez que des chênes, des hêtres,
11:33 des châtaigniers sont coupés, remplacés par des épicéas et des pains doux glaces
11:38 qui sont des résineux, qui ne sont plus rentables.
11:41 On parlait de la question de l'économie à l'instant.
11:44 Vous êtes horrifiée.
11:46 Vous décidez de faire quoi à ce moment-là ?
11:48 J'ai vu mon âge, j'ai quand même l'avantage d'avoir vu l'évolution.
11:56 Et depuis que je milite pour la défense des forêts, effectivement j'ai vu une transformation
12:01 brutale et incontrôlée des forêts du Morvan qui s'accroît d'année en année.
12:09 C'est assez terrible.
12:10 Et donc, pour moi seule, j'ai essayé de me battre comme je pouvais, mais devant les
12:16 difficultés, j'ai quand même adhéré à une association de défense de l'environnement.
12:22 On s'est beaucoup battu par rapport contre les investisseurs institutionnels qui déjà
12:28 avaient fait une mainmise sur les forêts du Morvan et donc qui ont commencé à exploiter
12:34 des centaines d'hectares de forêts mélangées, étagées, pour les remplacer par des monocultures.
12:41 Alors c'était les doux glaces.
12:43 Oui, c'est ça.
12:44 Et donc vous vouliez préserver l'existant et lutter contre ce mouvement-là qui allait
12:50 vers l'uniformisation de la forêt, c'est ça ?
12:57 Exactement.
12:58 Et donc moi j'ai beaucoup travaillé sur le sujet.
13:01 Je n'étais pas très compétente, mais j'ai participé à tous les groupes de travail
13:04 commission qui pouvaient se passer sur la Bourgogne et au-delà.
13:08 Et pour comprendre un peu, parce que je doutais, je disais peut-être qu'on a raison, peut-être
13:12 qu'ils ont raison les spécialistes.
13:14 Quand vous étiez autour de la table, toute cette filière et tous ces gens-là, sur deux
13:20 de leur politique forestière.
13:22 Et vraiment, j'ai compris qu'il fallait se battre, il ne fallait pas lâcher.
13:26 Donc à ce moment-là, qu'est-ce qu'on a fait ? Au terme, en bourgogne, on a créé
13:30 un groupement forestier pour la sauvegarde des feuilles du Morvan.
13:32 Et on s'est dit, puisque c'est ça, on va essayer de devenir propriétaire pour au
13:36 moins faire une gestion forestière.
13:39 On ne met pas les forêts sous cloche, on exploite.
13:43 On exploite et on vend du bois.
13:45 Et c'est formidable et ça marche.
13:47 Et si vous voulez, moi ce qui m'émet en colère, je sais bien, il y a le climat, il y a tout
13:53 ça qui nous arrive, les incendies.
13:55 Mais enfin, est-ce qu'on se remet en question aussi ? Est-ce que justement d'avoir fait
13:59 des monocultures comme on l'a fait sur des centaines d'écarts, est-ce que ce n'est
14:03 pas des risques ? Est-ce qu'on se pose des questions ? Et est-ce qu'on ne va pas continuer
14:07 à faire exactement les mêmes erreurs à l'avenir ?
14:11 Puisqu'on a un plan de relance pour la forêt qui finance exactement des plantations de
14:17 80 % de Douglas.
14:18 Au lieu de dire, mais faisons une sylviculture couvert, continu, mélangé, comme on a l'exemple
14:27 par Pro Silva, qui fonctionne, les propriétaires sont intelligents ceux qui font cette sylviculture-là.
14:33 Ils voient le moyen et le long terme.
14:35 Actuellement, si vous voulez, moi ce qui m'émet en colère, c'est que le bois est devenu un
14:39 bien consommable.
14:40 Mais est-ce que tous ces décideurs-là ont lieu ? Et nos élus et le gouvernement, est-ce
14:46 qu'ils se posent la question dans 100 ans ?
14:48 Est-ce qu'on a encore du bois pour faire tout ce qu'on prévoit en bois énergie ou
14:53 autre, comme l'a dit Sylvain ?
14:55 On n'aura pas… les sols seront tellement pauvres qu'on ne pourra même plus planter
14:59 des Douglas, ils ne vont même plus pousser.
15:01 Merci, merci en tout cas.
15:03 On entend toujours votre indignation, elle est intacte Lulu.
15:07 Merci de ces mots sur France Inter.
15:10 Comment vous voulez y réagir Sylvain Angeron ? Sur la monoculture, c'est le sujet.
15:16 On l'entend en tout cas dans les mots de Lucien Aez.
15:19 Lulu, je t'aime, ne l'oublie pas.
15:21 Mais t'es pas la seule.
15:23 En fait, il y a plein de forestiers qui font un boulot formidable.
15:26 Virginie, Évrard Gaétan, Nicolas, j'en ai tellement à citer.
15:29 Et en fait, on ne parle jamais d'eux.
15:30 Et moi, ce qui me met en colère, c'est qu'en fait, aujourd'hui, on sait gérer la forêt
15:34 de façon intelligente.
15:35 Et la forêt, elle est comme l'agriculture dans les années 50-60, elle est un carrefour.
15:39 Il faut qu'on fasse un choix.
15:40 Est-ce qu'on décide de l'adapter en s'appuyant sur la biodiversité, l'écosystème ?
15:45 Et en produisant du bois, on sait le faire, du bois de qualité.
15:48 En pensant aussi en soutenant les ciries qui ont disparu, les ciries de feuillus.
15:51 Parce que si vous n'avez plus de ciries de feuillus, vous n'avez aucun intérêt à
15:54 produire des bois de qualité.
15:55 Soit on rase et on replante derrière.
15:58 Alors ça, ça fait du chiffre.
15:59 Ça fait un milliard d'arbres, c'est le chiffre du président.
16:01 Mais qu'est-ce qu'on plante derrière ? On plante du pain maritime notamment.
16:04 C'est génial, c'est résistant à la sécheresse.
16:06 Sauf que c'est sensible aux incendies.
16:08 Et ça, ce qui ne va pas aujourd'hui, c'est que les aides publiques, elles ne différencient
16:12 pas les pratiques de couperase, de plantation de forêt diversifiée, des ceux qui gèrent
16:18 bien.
16:19 Et moi, ce qui me met vraiment au colère, je vais finir là-dessus parce qu'on en
16:21 parle régulièrement, c'est sur le bureau du Premier ministre aujourd'hui.
16:25 Je pense que la majorité des forestiers font bien leur boulot.
16:28 Mais aujourd'hui, il y a une minorité, les coopératives forestières, la Fédération
16:32 des propriétaires forestiers, qui aujourd'hui s'est opposée par exemple à un vote qui
16:36 va avoir lieu à Bruxelles à midi pour que la biodiversité soit au centre des politiques
16:40 forestières.
16:41 Les gars, assumez ! Est-ce que effectivement on va adapter les forêts sans la biodiversité ?
16:45 Moi, je n'y crois pas.
16:46 On a une question d'auditeurs.
16:48 Denis Emmanuel Macron a promis un milliard d'arbres plantés.
16:52 Où, quand, comment est-ce vraiment réalisable ? Qui veut répondre à cette question ?
16:57 Régine Touffet ?
16:58 Oui, un milliard d'arbres sur dix ans, ça fait 100 millions d'arbres par an.
17:03 Actuellement, on plante 70, 75 millions d'arbres.
17:07 Donc du coup, ça fait un delta d'une trentaine de millions.
17:10 Je trouve que par rapport à l'enjeu d'adapter les forêts au changement climatique, c'est
17:14 effectivement une bonne solution.
17:15 Avec l'idée de diversifier, de ne pas planter n'importe quoi, de planter des feuillus,
17:22 de vraiment regarder le climat futur pour être sûr de planter les bonnes essences
17:28 au bon endroit.
17:29 Et puis par ailleurs, pour planter des arbres, pour fabriquer des arbres, il faut d'abord
17:35 des graines.
17:36 Donc du coup, il faut un outil de production, tant du côté récolte de graines, sécherie.
17:44 Nous à l'ONF, on a par exemple la sécherie de la Joux dans le Jura, qui avec Villemora,
17:48 on est les deux producteurs de graines en France, qui sont ensuite remis à des pépiniéristes
17:55 qui font l'élevage des plants.
17:57 Et donc, au moment du Fonds Forestier National, on produisait beaucoup de plants.
18:05 Donc en fait, on a l'outil de production, les pépiniéristes vont s'adapter pour pouvoir
18:08 produire les plants nécessaires à diversifier nos forêts.
18:12 Un milliard d'arbres fixés comme un horizon et une promesse, Gilles Boeuf, ça vous dit
18:17 quoi ?
18:18 On en écoute beaucoup des promesses comme ça.
18:20 C'est une bonne idée ou pas ?
18:22 Pourquoi pas, mais ça frappe.
18:23 Mais qu'est-ce qu'on plante ? Un arbre c'est comme un corps humain, que j'évoquais tout
18:26 à l'heure.
18:27 Lisez un très beau livre qui s'appelle « Jamais seul » de Marc-André Sellos, il raconte
18:30 ce qu'est un arbre.
18:31 Les mycorhizes qu'ils vont avec, les microchampignons.
18:33 Il y a plus de masse d'assortiment autour de l'arbre que son tronc, ses racines, ses
18:39 feuilles.
18:40 Il faut qu'on le fasse de la même façon.
18:41 Moi qui ai travaillé en Amérique du Sud, j'avais dit « Quoi en Patagonie, si on replante
18:44 un arbre graine par graine, ça marche pas ? » Ils vont mettre plusieurs dans le même
18:47 trou et là on relance de la diversité.
18:49 On ne peut pas relancer un plan national de forêt digne de ce nom.
18:52 Parce que l'enjeu il est là.
18:54 Le climat a toujours changé, mais il change trop vite en ce moment.
18:56 Et pour que les arbres puissent s'y adapter, il faut les y préparer.
18:59 Et pour ça, il faut travailler différemment avec du vivant.
19:02 La biodiversité n'est pas une ennemie, au contraire.
19:05 C'est l'adjoint indispensable pour qu'on puisse réussir.
19:07 Vous avez cette formule, Sylvain Angeron, « quand on plante, c'est qu'on s'est planté ».
19:11 Donc quand on s'apprête à planter un milliard d'arbres, ça veut dire quoi ? Qu'on s'est
19:16 massivement planté ?
19:17 Encore une fois, ce n'est pas le bon indicateur.
19:18 Aujourd'hui, en forêt, l'essentiel de la forêt est régénéré naturellement.
19:24 A l'ONEF, 80% de la forêt se régénère naturellement.
19:26 C'est-à-dire que dans la nature, lorsqu'un grand arbre arrive à maturité, il tombe.
19:30 Ça fait un puits de lumière et les jeunes pousses prennent le relais.
19:33 L'art du sylviculteur, c'est d'imiter la nature à tes son oeuvre, parable.
19:39 Et ça, aujourd'hui, effectivement, il va regarder, il va retirer quelques arbres,
19:45 il va jouer sur cette régénération naturelle.
19:46 Et la plantation, en fait, il va venir en faire lorsque la régénération naturelle
19:50 n'est pas suffisante, mais dans des petits trouées, parce que les plants seront mieux
19:54 protégés.
19:55 Mais si vous rasez la forêt et que vous replantez derrière en plein, on se rend compte que les
19:58 plants sont en plein soleil, il y a eu 40% de mortalité l'année dernière.
20:02 C'est pas Sylvain Angerand qui le dit, c'est le ministère de l'Agriculture.
20:04 40% de mortalité parce que les plants sont en plein soleil.
20:07 Donc, c'est pas le chiffre qui compte, c'est la qualité.
20:11 Venir faire de l'enrichissement, dire par exemple qu'on va prendre des chaînes
20:14 pubescents qui sont plutôt dans le sud de la France, qu'on va venir planter dans
20:17 des petites trouées, dans des forêts, qu'on va garder, en fait.
20:21 Améliorer dans le nord de la France, c'est très bon.
20:23 Le sujet, c'est pas de planter, c'est d'améliorer massivement l'existant.
20:27 Or, dans le plan de relance, il y a un critère qui ne fonctionne pas, c'est que dès que
20:32 vous avez 20% d'arbres morts, vous avez le droit de raser entièrement la forêt et
20:35 de replanter avec une monoculture.
20:38 Question de Frédéric Austandart.
20:40 Bonjour Frédéric.
20:41 Bonjour à tous.
20:42 On vous écoute.
20:43 Bonjour nos invités et merci pour ce bol d'air et d'intelligence que vous nous apportez.
20:48 Vous avez déjà, disons, un petit peu ou même beaucoup répondu à ma question.
20:51 On nous parle de planter des arbres, effectivement, pour, disons, diminuer le changement climatique.
20:58 Mais les arbres ont besoin d'eau.
20:59 Et alors, au manque d'eau, entre le manque d'eau de l'un côté et l'excès de feu
21:06 de l'autre côté, que faut-il faire pour assurer un avenir à nos arbres, ici ou ailleurs
21:10 sur la planète ?
21:11 Merci Frédéric.
21:12 Je ne pense pas qu'on ait répondu à cette question qui est quand même très profondément
21:18 tragique au fond.
21:19 Qui s'y colle ?
21:21 Vous voulez, Régine Touffet, y aller ?
21:25 Oui, je peux.
21:26 Ah non, personne ne veut.
21:27 Allez-y, allez-y.
21:28 Il y a des essences d'arbres qui ont besoin de moins d'eau que d'autres.
21:36 Donc l'adaptation des forêts au changement climatique passe justement par ces essences-là,
21:41 par des tests, en fait, d'essence, par des expérimentations.
21:45 En France, on a une diversité de climats, donc on a déjà beaucoup d'essence.
21:51 On peut remonter des essences qui sont actuellement dans les régions méridionales vers le nord,
21:56 le chêne plus baissant, on peut le remonter, le cèdre de la même manière.
22:01 Mais on peut aussi aller chercher des essences un peu plus loin pour les tester.
22:06 On met en place des îlots d'avenir en forêt.
22:09 Ce sont des petites surfaces avec une seule essence.
22:12 On va regarder comment cette essence se développe pendant 50, 70 ans.
22:15 Donc on aura le résultat dans 50, 70 ans, c'est un phénomène long.
22:18 Comme ça, nos successeurs pourront voir si ces essences sont adaptées.
22:22 On peut aussi adapter la sylviculture, c'est-à-dire qu'effectivement, il y a moins d'eau.
22:25 Donc avoir des peuplements moins denses avec moins d'arbres,
22:28 c'est aussi une manière de faire en sorte qu'ils aient plus de facilité pour se développer.
22:32 Donc tout n'est pas foutu pour répondre au crash régulièrement.
22:37 La question, c'est juste quel type de sylviculture en soutient.
22:39 Par exemple, sur l'eau, il y a une étude en Allemagne qui a montré que dans une étraie,
22:44 si vous faites une éclaircie, vous coupez trop brutalement,
22:47 d'un seul coup, vous vous dites "Ah c'est génial, il y aura moins d'arbres,
22:50 donc ils seront adaptés à la teneur en eau."
22:52 Sauf que d'un seul coup, il y a beaucoup plus de chaleur qui rentre dans le peuplement,
22:55 beaucoup plus de déshydratation.
22:57 Donc en fait, il faut comprendre qu'il y a plein de choses qu'on ne comprend pas.
23:01 Le hêtre des Péris, ok, c'est vrai, le hêtre des Péris,
23:04 mais on a des peuplements de hêtres dans les vallées du Siron, à Saint-Baume,
23:06 - Jil en parlera à la Massane, - À la Massane, bien sûr !
23:08 - qui résistent. - Oui.
23:10 Voilà, donc on ne comprend pas grand-chose de ce qui se passe dans la forêt.
23:14 Et donc toute la question, c'est de se dire, cette stratégie d'adaptation,
23:17 vous avez deux choix quand vous ne comprenez pas grand-chose,
23:18 et en plus, vous êtes dans un climat changeant.
23:20 Soit vous faites des stratégies sans regret, par tâtonnement, vous ne prenez pas de risque,
23:24 vous n'introduisez pas d'essence exotique, c'est un sujet qu'on n'a peut-être pas développé.
23:27 Soit vous vous dites effectivement, on tente le tout pour le tout,
23:30 on rase en replante, on met du pain maritime qui réussit sa sécheresse,
23:33 mais qui est sensible aux incendies.
23:34 - Et aux squelettes. - Gilles Boeuf, le mot de la fin ?
23:37 - Je vais réagir de la même façon, ça veut dire les sols.
23:39 Qu'on regarde les sols. On se rend compte que plus un sol est riche.
23:43 La maçane c'est au moins 30% d'espèces en plus.
23:45 10 000 espèces sur 336 hectares.
23:48 Qu'est-ce qu'on garde dans les sols ? Des bactéries.
23:50 On garde des micro-organismes et des macro-organismes.
23:53 Vous savez, ils font des petits trous.
23:54 Et ces petits trous, ils les induisent de mucus.
23:56 Et quand une goutte d'eau tombe là, elle reste là, elle ne va pas ailleurs.
23:59 C'est ce qu'on vit aujourd'hui. Dans la rareté de l'eau, ne pas la laisser ailleurs.
24:03 Elle s'écoule, elle s'infiltre à l'endroit où elle tombe.
24:06 Et pour ça, il faut garder les sols en bon état.
24:08 Donc tout ce qui était roto-avantage et couperase, il faut arrêter ça.
24:11 Simplement, vous savez, une grande partie de ce qu'on discute là,
24:13 ça s'appelle du bon sens quand même, je trouve.
24:15 - Et de la science ? - Bien sûr.
24:16 La science, ce n'est pas une opinion, je le recrie encore une fois.
24:19 Observons ce qu'il fera en libre évolution.
24:20 Je vais terminer sur la maçane parce qu'elle n'est pas détruite,
24:23 mais elle a été très habillée au 19ème siècle.
24:25 Cent ans, on lui fout la paix.
24:26 Eh bien elle est merveilleuse aujourd'hui. Foutons la paix aux vivants aussi.
24:29 - Merci Gilles Boeuf.
24:30 C'est une belle ligne de vie ça.
24:33 Merci beaucoup à Sylvain Angerand également et à Régine Touffet.
24:37 C'était passionnant de vous entendre ce matin au micro d'un...