MARSEILLE - Anita, maman d'un garçon tué par balles, est l'invitée de Amandine Bégot
Maman d'un garçon tué par balles à Marseille, Anita prendra part dimanche à une marche de familles de morts par balle dans la cité phocéenne. Elle se confie dans RTL Matin.
Regardez L'invité de RTL du 16 juin 2023 avec Amandine Bégot.
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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h44, très bonne journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin Anita,
00:11 dont le fils a été tué sur le port de Marseille il y a cinq ans.
00:15 Bonjour Anita. - Bonjour. - Et merci beaucoup de prendre la parole ce matin sur RTL. Vous serez
00:20 donc dans la rue dimanche à Marseille pour dénoncer cette violence qui gangrène la ville, pour interpeller aussi les pouvoirs publics, on va y revenir bien sûr,
00:27 mais d'abord ces chiffres inquiétants. 23 morts déjà depuis le mois de janvier, jamais en début d'année n'avait été aussi meurtrier.
00:35 Et Anita, vous avez vous-même perdu votre fils, c'était il y a cinq ans, le 10 juin 2018, il avait
00:41 21 ans seulement et a donc été abattu sur le vieux port de Marseille, c'est ça ?
00:47 Voilà, on était en train de manger des glaces en plein été et c'était le mois du Ramadan
00:51 et voilà, ça faisait même pas une quarte d'heure que je l'avais quitté.
00:56 Sa fiancée elle m'a appelée pour me dire
00:58 "Est-ce que tata tu es toujours là-bas ?" J'ai fait "oui, je viens de rentrer", elle m'a dit "tant mieux, il y a un homme qui a été tué".
01:04 Et cet homme-là c'est mon fils.
01:07 Le comble de l'horreur, Anita, pour la maman que vous êtes, c'est que sa mort elle a été filmée
01:12 et diffusée sur les réseaux sociaux. - C'est une double peine, c'est...
01:16 Et ce jour-là, j'ai perdu mon fils deux fois. Non seulement qu'on l'a trouvé à coup de kalash,
01:23 comme chez nous les Marseillais, et puis après le voir mourir aussi, regarder à droite à gauche,
01:28 je savais qu'il me cherchait à moi parce que je venais de le quitter.
01:31 Qu'il était en train d'agoniser, en train de mourir sur le réseau. C'est une honte qu'ils n'ont pas bloqué cette image.
01:36 Et je voyais mon fils en train de mourir, moi et toute la famille.
01:40 - Il était lié au trafic de drogue ? - Lié, non, c'était un petit chouf, mais voilà, après ça a été fini.
01:47 - C'est quoi un petit chouf pour les auditeurs qui nous écoutent ?
01:51 - Un petit chouf, c'est pas une personne qui amène des conteneurs comme ce qui se passe en ce moment.
01:56 Voilà, c'est tout. C'est pas une personne qui vit le confort, c'est une personne qui demandait à avoir
02:04 10 euros pour acheter un paquet de cigarettes parce qu'il venait à peine de commencer à fumer.
02:08 Donc voilà, c'est ça pour moi, un petit chouf qui a pas tout le temps de l'argent.
02:12 - C'était pas un trafiquant de drogue, ni un dealer ? - C'était un petit chouf.
02:17 - Est-ce que vous saviez qu'il était menacé d'une façon ou d'une autre ? Est-ce qu'il vous avait dit des choses ?
02:22 - Tout ce qu'il recevait, c'était des menaces, mais des menaces masquées.
02:26 On lui disait, en fait, voilà, tu vas voir, tu te prends pour qui, tu pars, des insultes.
02:33 Il m'insultait à moi, voilà, des trucs comme ça, c'est ce qu'il me disait.
02:36 - Parce qu'il avait quitté Marseille justement pour se protéger ?
02:39 - Je l'ai fait quitter Marseille, ouais. C'est ça.
02:43 - Anita, vous le disiez, ça fait 5 ans, et aujourd'hui, vous êtes donc membre d'un collectif de familles de victimes,
02:50 collectif qui organise cette marche dimanche. C'est quoi l'objectif pour vous ? Vous auriez pu vous dire,
02:55 "Moi, allez, j'ai vécu l'horreur, j'ai perdu ce que j'avais de plus cher, mon fils, je tourne la page."
03:01 Aujourd'hui, vous voulez vous battre contre tout ça ?
03:04 - Si je fais tout ça, c'est parce que, en fait, je le fais parce que, voilà,
03:08 c'est pour me dire que je fais quelque chose pour tous ces jeunes qui sont assassinés.
03:12 Mais moi, le jour qu'il est décédé, mon fils, ils m'ont déjà tué avec lui.
03:15 Je ne veux plus voir ces jeunes mourir. Je ne veux plus entendre parler d'assassinat, plus rien.
03:21 C'est des assassinats, c'est des meurtres, c'est pas des règlements de comptes.
03:25 - Pourquoi vous voulez pas qu'on parle de règlements de comptes ? Pourquoi ce terme ?
03:28 - Parce que ce n'est pas des règlements de comptes. Pour moi, un enfant qui a 14 ans, on peut pas dire règlement de compte.
03:33 Cette jeunesse, elle est pas protégée.
03:36 - Anita, je rappelais les chiffres tout à l'heure. 23 morts depuis le début de l'année, depuis le mois de janvier,
03:41 contre 31 pour toute l'année 2022. Jamais le bilan a été aussi lourd en 6 mois.
03:48 Et pourtant, le gouvernement a annoncé des moyens, des effectifs supplémentaires.
03:52 300 policiers en plus, rien qu'à Marseille depuis l'an dernier.
03:54 À cela s'ajoute 200 CRS qui ont été déployés depuis le mois de septembre.
03:58 Le nombre de saisies de drogue est en forte hausse. Pourquoi est-ce qu'on n'y arrive pas, Anita ?
04:03 - On peut pas dire que le gouvernement ne fait pas son travail, parce qu'ils le font.
04:06 Parce que la preuve, regardez combien de CRS, ils font. Et après, pourquoi ils n'y arrivent pas ?
04:13 C'est à eux qu'il faut leur poser la question.
04:15 - Mais vous qui êtes sur le terrain, vous voyez...
04:17 Je sais pas, est-ce qu'il faut sensibiliser ces enfants dès le primaire, par exemple, dans les écoles ?
04:24 - Primaire, collège, oui. Pour pas que, quand on leur promet des choses, pour pas qu'ils écoutent,
04:29 pour pas qu'ils se laissent glisser. Il faut qu'il y ait plus de prévention.
04:33 - Mais la prévention, j'imagine qu'elle existe.
04:35 - Elle existe, tout à fait. Mais il faut qu'il y en ait plus, parce qu'on est vraiment en danger, ici, à Marseille, maintenant.
04:41 Je comprends pas comment ça se fait que nous, le collectif, qu'on est si petit, que ces jeunes,
04:46 on a quand même réussi certains à les faire partir et à les sauver, à leur trouver, de leur faire des contrats
04:52 avec des connaissances, des contacts, que ce soit à Corsica ou n'importe où pour des colis,
04:58 et qu'ils ont bien accepté de les écouter en leur disant "Regardez, vous voulez finir comme nos enfants,
05:04 ou nos frères, ou nos nièces ?" Et voilà, donc je pense qu'ils ont juste besoin d'exister, quoi, de se faire écouter.
05:11 - Les sortir de Marseille, c'est ça aussi une des solutions, au moins pour un temps ?
05:16 - Après, si tout le monde sort de Marseille, qu'est-ce qu'elle va devenir, Marseille ? Il y aura plus personne, alors.
05:21 C'est pas la solution. Il faut juste mener un combat, tous ensemble, et trouver des solutions pour ces jeunes.
05:26 - Je sais pas. Je sais pas ce qu'ils ont pu rater en tête.
05:30 - Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui pointent du doigt parfois la responsabilité des parents qui vous accusent,
05:36 je dis vous au sens large, de laisser traîner vos enfants, par exemple ?
05:40 - Alors, je vous explique. Moi, quand mon fils faisait ça, au-delà, il était jeune, peut-être d'âge,
05:45 mais il était grand de taille. Au-delà de ce 2 mètres, j'allais, je lui mettais des claques,
05:50 et je lui disais "Tu restes pas de quintelle", et je les ai insultées de tout, comme ils disent chez nous,
05:54 et je me permettais de faire des choses comme ça. Pourquoi ? Parce que pour moi, c'était très important,
05:59 alors qu'on arrête de dire que les familles ou les parents, je pense qu'on donne la meilleure éducation, nous, les gens des quartiers,
06:05 nous, les Marseillais, que par rapport à certaines personnes qui sont... qui ont plein d'argent,
06:10 que c'est leurs enfants, c'est des consommateurs, ou sinon des toxicaux.
06:14 Donc, pour moi, même les consommateurs, ils devraient être responsables de la mort de nos enfants.
06:20 - Il faut pénaliser les consommateurs, ça peut être une solution ?
06:23 - Oui, tout à fait. Ils sont aussi coupables que les personnes qui vendent, ou peu importe.
06:30 - Mais alors c'est la faute de qui, Anita ?
06:33 - C'est la faute à qui ? Je sais pas. À tout le monde. C'est la faute de...
06:37 Moi, c'est la faute aux gens qui font pas, qui sont... ils ont pas été là pour... quand ils demandent de l'aide,
06:43 c'est la faute aux réseaux, depuis qu'il y a les réseaux sociaux, Snap, tout ce qui s'ensuit,
06:47 c'est ça qui est en train d'étrouver nos enfants.
06:51 Qu'on arrête Snap et qu'on arrête les réseaux, et vous allez voir que tout va bien.
06:54 Moi, c'est ça qui me met en colère. C'est comme ça qu'ils arrivent à le recruter de ville en ville.
07:01 - Ça se passe sur les réseaux, aujourd'hui, on recrute comme ça ?
07:04 - Tout à fait. 14 ans, 13 ans. Si c'est pas les Snap et les réseaux sociaux, c'est quoi, alors ?
07:09 - Emmanuel Macron doit se rendre à Marseille prochainement. Cette visite, elle a été reportée à plusieurs reprises, Anita,
07:15 mais elle aura peut-être lieu à la fin du mois de juin.
07:18 Si vous aviez le président de la République en face de vous aujourd'hui, vous lui diriez quoi ?
07:22 - Je l'ai déjà eue en face de moi, monsieur le président, 3 ou 4 fois.
07:29 Je lui ai expliqué, il connaît bien le problème, et il a dit même à son secrétaire, ou je ne sais rien,
07:35 la personne qui l'accompagne, "prenez son numéro de téléphone", j'attends toujours son appel.
07:39 - Alors, ce matin, peut-être qu'il nous écoute, qu'est-ce que vous lui diriez ?
07:43 - Je dirais, monsieur Macron, la drogue, c'est pas d'aujourd'hui, et les assassinats, c'est pas d'aujourd'hui.
07:48 Mettez-vous juste à notre place, dites-vous, bien que c'était un enfant à vous, un cousin ou un neveu,
07:53 comment vous allez vous comporter ? Est-ce que vous allez prendre les choses en main, telles que...
07:57 Ça fait 4 ans que je vous ai sollicités, et j'ai toujours rien eu, et moi et mon collectif.
08:04 Donc, pour moi, on est déjà abandonnés. Ça, c'est pour monsieur Macron.
08:08 - Un grand merci, Anita, pour votre témoignage. Je rappelle cette marche qui aura lieu dimanche à Marseille.
08:14 Merci également à Hugo Hamelin, notre correspondante sur place, qui a permis justement la liaison. Merci beaucoup.
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