• l’année dernière
Transcription
00:00 *Générique*
00:18 C'est le Book Club du vendredi, soyez les bienvenus, votre club de lecture sur France Culture.
00:22 Et nous sommes ravis de vous accueillir pour un nouvel échange entre deux auteurs sur les
00:27 thèmes qui les font monter sur scène ou dessiner. Un grand merci à vous aussi auditeurs, lecteurs,
00:33 auditrices et lectrices qui construisez cette émission avec nous.
00:36 *Hashtag Book Club Culture*
00:38 En 2023, comment fait-on pour raconter les rencontres amoureuses d'aujourd'hui, pour rentrer dans l'intimité
00:45 et l'exposer aux lecteurs ou aux spectateurs ? Chacun à leur façon, nos deux invités montrent le désir,
00:52 les désirs, leur pluralité et leur métamorphose. On va essayer de mélanger toutes ces idées pour
00:58 en ressortir quelque chose. Et comme nous sommes vendredi, nous sommes également avec Pierre Croce,
01:02 bonjour Pierre ! Bonjour Nicolas, bonjour à tous. De notre partenaire babelio.com et nous sommes,
01:06 comme tous les jours, avec les réflexions de nos auditeurs, lecteurs.
01:09 J'ai aimé voir ce couple en train de s'embrasser au beau milieu d'une jungle luxuriante et
01:15 surveillé par cet oeil gigantesque. Un beau voyage aussi halluciné qu'hallucinant au pays de l'amour.
01:20 Forcément fantasmé. Qui est absolument sublime. France Culture, le book club. Nicolas Herbeau et
01:29 Daniel Patricia Amélie, nos lecteurs électrices du jour, qui vont venir pimenter nos échanges.
01:33 Bonjour Blutch ! Bonjour, bonjour à vous. Auteur de bande dessinée, dessinateur,
01:37 donc illustrateur aussi. Vous avez publié à l'automne dernier cette BD intitulée donc
01:41 « La mer à boire » aux éditions 2024. Votre retour en solo, si je puis dire, après plusieurs années,
01:48 vous avez travaillé avec les autres. 70 pages écrites, dessinées et mises en couleur. 70 pages
01:56 de romances avec l'idée de raconter une rencontre amoureuse. C'était ça l'objectif du départ ?
02:02 Mon objectif du départ était quasiment mathématique. J'avais décidé de faire se rencontrer deux points
02:13 sur une ligne. Le point A et le point B. Et j'ai tracé une ligne et je tenais à ce que A et B se
02:20 rencontrent sur cette ligne. C'était vraiment mon idée de base. C'était ça. C'était vraiment aussi
02:25 ténu et sec et géométrique que ça. Géométrique, ça tombe bien puisqu'on va vous faire échanger sur
02:32 ces questions avec Johann Hibbert. Bonjour ! Oui bonjour. Vous êtes metteur en scène comédien,
02:37 plasticien, marionnettiste. Vous définissez vous-même comme un artiste hybride et vous êtes
02:43 avec nous à distance et en direct de Dunkerque puisque se joue ce soir au bateau-feu la scène
02:48 nationale de Dunkerque cette pièce que vous avez mise en scène pour la compagnie Théâtre de
02:52 Remetz. Ça s'appelle "La nouvelle ronde". Encore un élément géométrique, très librement inspiré
02:59 d'Arthur Schnitzler par Jan Verboeg. En quelques mots pour commencer, Johann Hibbert, qu'est-ce qui
03:05 vous a inspiré dans cette ronde de Schnitzler ? Comment est-ce que vous êtes parti sur ça pour
03:11 la renouveler ? Tout d'abord merci de m'accueillir. Je suis désolé de ne pas pouvoir être avec vous
03:17 en studio parce que j'aime beaucoup ce que fait Blotch et du coup j'aurais bien aimé le rencontrer.
03:22 La ronde en fait, ce qui m'a vraiment intrigué, c'est la structure même. C'est-à-dire que
03:28 Schnitzler en 1903 a écrit cette ronde à Vienne qui a fait grand bruit, qui a fait scandale et
03:35 c'était vraiment cette structure qui permettait que personnage A rencontre personnage B, ils ont
03:40 une relation sexuelle qu'on ne voit pas mais on a le avant et le après. Et puis ensuite le personnage
03:46 B rencontre le personnage C, etc. Et le dernier personnage rencontre le premier. Et ce qui était
03:51 vraiment intéressant pour l'époque, c'est que même si c'était une ronde très hétéropatriarcale,
03:57 c'était finalement une succession de gens qui étaient de niveaux sociaux différents et qui
04:03 se rencontraient, qui avaient des désirs sexuels ou des désirs amoureux ou des blessures. Et c'est
04:09 ça qui avait fait scandale à l'époque et qui m'a vraiment intéressé pour écrire, on va dire,
04:15 une ronde actuelle avec des personnages d'aujourd'hui et des dialogues et des situations très actuelles.
04:21 - Et on va évidemment rentrer dans le détail dans un instant. Cette question du personnage A et du
04:26 personnage B, ça tombe bien puisque ce sont les noms des personnages de votre BD, "La mère à
04:31 boire", "Bludge" et Amélie, notre lectrice, a lu et a adoré. - Cet album, j'ai acheté après avoir eu
04:39 un véritable coup de coeur pour la couverture. J'ai aimé voir ce couple en train de s'embrasser
04:45 au beau milieu d'une jungle luxuriante et surveillé par cet oeil gigantesque. On a une
04:50 atmosphère étrange et surréaliste qui est instaurée dès cette couverture et qu'on va retrouver
04:56 immédiatement. En fait, on n'a pas de page de garde, tout de suite on rentre dans l'intrigue.
05:00 On rentre dans cette course frénétique de l'attente de la rencontre amoureuse et c'est vraiment une
05:07 très très belle histoire d'amour qui raconte aussi le désir dans une narration éclatée. Et ça,
05:15 c'est à mon avis un des points très très forts de l'histoire parce que ce n'est pas classique.
05:19 On est sur quelque chose de très innovant et puis il faudrait parler de la beauté des pages. On en
05:26 a certaine l'impression d'être face à de véritables tableaux. C'est vraiment une très belle histoire,
05:31 un beau voyage aussi halluciné qu'hallucinant au pays de l'amour. Donc voilà, j'aurais une
05:37 question qui serait de savoir ce titre "La mer à boire", il vient d'où ? - Et la réponse de
05:44 Blutch s'il y en a une ? - Il vient d'Henri Calé. Il y a un des derniers romans d'Henri Calé qui
05:49 s'appelle "Monsieur Paul" et dans ce livre Henri Calé décrit, en gros, il a une image pour décrire
05:55 la vie de couple et il dit "la vie de couple c'est la mer à boire". C'est à dire que c'est impossible,
06:00 c'est à dire que la mer à boire, si on doit vraiment avoir embrassé cette vie de couple,
06:09 et bien il faut avaler toute l'eau de la mer avec tous les poissons qu'elle contient,
06:12 tout le plancton, toutes les algues. Voilà, donc c'était une métaphore de l'impossibilité de la
06:18 vie à deux en fait. - Pierre Crozat, un livre que vous aviez repéré. - Oui, effectivement,
06:21 il y a des critiques de lecteurs sur "Monsieur Paul", donc le livre d'Henri Calé, avec une
06:26 lissidité parfois brutale, une poésie un peu cocasse avec ironie et tendresse sans complaisance. Il
06:31 écrit les cheminements de son existence sur le ton de la confidence, une lecture qui fait l'effet
06:36 d'un baume d'une infinie douceur. Je ne sais pas si la douceur c'était aussi quelque chose que vous
06:39 souhaitiez retenir. - Non, non, pas du tout. Moi j'ai quand même une envie, enfin souvent,
06:46 quand je me mets à travailler, plus que la douceur c'est la virulence qui me... Je cherche une forme
06:51 de virulence. Mais même dans les rapports intimes ou dans les rapports doux ou dans ce qui pourrait
06:58 être... En fait, moi je redoute ce qui est... Je redoute la mièvrerie en fait souvent. Donc,
07:05 si vous voulez, moi je pencherais plutôt pour la virulence. Et je trouve que "Monsieur Paul"
07:10 est un roman virulent. Et drôle, mais virulent. - Bienvenue à Bruxelles, son lac, sa plage,
07:17 ses montagnes, ses promenades, son casino. Dès la première page, les premières pages,
07:24 vous nous plongez dans un univers mi-réel, mi-inventé. Ça c'est aussi une volonté de nous
07:29 garder dans une sorte de flou. - Mais tout est réel. Tout est réel. Vous voyez, c'est absolument
07:38 réel par exemple si je dessine Stresa, une ville par exemple qui est au bord du lac majeur. Mais
07:42 je remplace juste le panneau d'entrée de la ville Stresa et je mets Bruxelles. Mais je peux le faire
07:47 dans la réalité. Je veux dire, mon récit n'a rien, quasiment rien de fantastique. Je veux dire, tout
07:52 est absolument tangible. Pourquoi pas ? - Et bien pourquoi pas ? On va regarder les premières planches
08:00 avec donc le personnage B qui arrive à Bruxelles.
08:04 - Oh ! Daniel Lhermitte ! - Qui voilà ? Le jeune B, mon disciple le moins avisé.
08:12 - Brave Daniel, ne m'appelle plus B. Je voyage sous un nom d'aventure. - Digre. Et comment veux-tu
08:18 qu'on t'appelle à présent ? - Mon nom désormais est Espoir du soir. - Et qu'est-ce qui amène
08:23 Espoir du soir sur les pentes de Bruxelles ? - Le désir puissance HM. - Oula ! Voilà qui explique
08:29 l'œil luisant et le geste fébrile. - Tel que tu me vois, je m'apprête à mettre le pied en territoire
08:34 inconnu. Mais je n'en dévoile pas davantage au risque de compromettre ma mission. Ce que je peux
08:39 dire ici, c'est que le dénouement est proche. Je descends à l'hôtel Métropole de Bruxelles
08:43 afin de connaître le fin mot de cette histoire. L'histoire de vérité va sonner. - Attention jeune
08:48 coq, garde-toi de tout sentimentalisme. Nous autres, les hommes tels que nous, devons nous garder
08:54 de toute complaisance. - Bien entendu chef, mais si tu permets, nous en parlerons plus tard. L'heure tourne.
08:59 - Ventre affamé n'a pas d'oreille. Prends tout de même Espoir du soir. Une arme te sera utile.
09:05 Les périls te guettent, tu ne vas pas les vaincre avec de beaux sentiments. - D'accord, d'accord. Au revoir
09:10 mon bon Daniel. - Ah démon, va, cours à ta pertre. - On s'appelle et on déjeune. Lecture de ses premières
09:20 pages avec mon complice Romain Bechdeliev, producteur à France Culture. Merci vraiment
09:24 d'avoir joué le jeu. Il n'y a pas de chronologie dans votre récit et du coup on se laisse porter.
09:32 - Ouais, il y avait un désir de fiction aussi quand même, de fiction j'allais dire échevelée. Par exemple
09:38 le vieil ermite, là il lègue un pistolet, un revolver au héros B parce que pour moi le pistolet
09:45 c'est l'enfance, c'est l'aventure, donc c'est la fiction. Donc c'est aussi un récit complètement
09:50 j'allais dire enfantin. J'avais aussi une envie de jeu, un peu comme vous là, qui lisez ces dialogues.
09:59 Il y avait un peu de jeu mais comme le jeu de l'amour aussi. L'érotisme aussi c'est du jeu et c'est
10:06 aussi une forme peut-être d'enfance retrouvée ou d'enfance recherchée en tout cas. Le bouquin
10:12 tourne peut-être autour de ça, cette recherche d'innocence ou de, j'allais dire, de manière un
10:18 peu grandiloquente de pureté presque. - Johann Hiebert, vous vous reprenez évidemment, vous
10:24 en avez parlé il y a quelques instants, la trame de l'histoire originelle de "La Ronde", c'est-à-dire
10:29 cette succession de dix courtes scènes avec ces deux protagonistes et à chaque fois vous racontez,
10:36 vous la montrez cette fois-ci, cette relation sexuelle, cette relation charnelle. - Oui alors on
10:42 la montre pas tout le temps mais elle est parfois suggérée. La particularité c'est que depuis
10:49 plusieurs années en tant que metteur en scène, puisque moi je ne suis pas auteur ni de livres,
10:55 voilà, ni de textes mais on va dire plutôt auteur d'images et metteur en scène, la particularité
11:02 en fait c'est que j'avais envie de travailler avec des marionnettes qui sont fabriquées, voilà,
11:09 qui ont dans un, on va dire, un univers assez réaliste et donc le travail de la marionnette
11:15 peut se rapprocher parfois d'ailleurs, j'ai l'impression, du travail du dessin ou de la BD,
11:19 c'est-à-dire qu'on doit choisir véritablement le dessin, on va dire, d'une image, le dessin
11:24 d'une situation et comment les personnages peuvent réagir, sachant qu'il y a des manipulatrices et
11:31 manipulateurs qui sont acteurs, actrices, qui manipulent ces personnages avec beaucoup de
11:35 précision, beaucoup de dextérité et ça permet effectivement peut-être, en tout cas pour moi,
11:40 depuis plusieurs créations, peut-être de dépasser la question du corps humain, la question du réalisme
11:46 et d'embarquer vraiment les spectateurs dans un univers que l'on crée nous et qui permet comme
11:54 ça une projection, qui permet aussi de la folie et pour avoir lu votre BD ce matin même, donc c'est
12:00 vraiment tout frais, la mer à boire, je retrouve comme ça une forme de liberté dans ce que j'ai lu,
12:07 en tout cas c'est ce que j'ai vécu, une forme de liberté dans le dessin, dans le propos que j'aime
12:13 beaucoup et qui est, je l'espère, en tout cas dans le spectacle que nous avons fait.
12:17 - On retrouve effectivement, Blush, vous vouliez vous dire quelque chose, on retrouve dans vos deux
12:25 œuvres, c'est-à-dire votre BD et la mise en scène de Johanni Berth, la présence des corps,
12:30 ces corps habillés, déshabillés, des corps qui évoluent aussi en fonction de l'histoire et dans
12:36 la pièce de théâtre avec les marionnettes aussi en fonction de l'état d'excitation du corps,
12:41 il se passe quelque chose ? Comment vous avez-vous travaillé pour représenter les corps ?
12:45 - Non je ne veux pas vous détromper Nicolas mais j'ai mis beaucoup de soin aussi à représenter
12:50 la nature et le minéral. Je veux dire que mon ambition, on va dire, à la base c'était, je
12:59 voulais faire un livre sensuel, tout sensuel, que ce soit les plantes, les fleurs, les rochers et les
13:06 humains, les garçons et les filles représentés. C'est aussi la raison pour laquelle je me suis
13:11 résolu à mettre ce livre en couleur moi-même, c'est le premier livre que je colorie entièrement,
13:15 je le colorie à la main au pinceau. Donc pour moi c'était plutôt une approche globale de la
13:23 sensualité, même dans la nature morte parce qu'il y a des bouquets, il y a quand même pas mal de,
13:29 voilà, il y a des choses comme ça dans le livre. Maintenant, comment répondre à votre question ?
13:37 Il y a une chose quand même qui moi me guide, c'est voir, donc c'est le travail d'après nature aussi,
13:50 la présence, l'artiste, le modèle, voilà. - Et quand vous dites "représenter la sensualité par
14:03 la couleur", ça veut dire quoi dans le choix des couleurs par exemple, dans la texture ? Racontez-nous
14:08 un peu les coulisses de ce travail qui est l'une des étapes de votre création ? - Bah pour moi,
14:16 je débutais là, parce que j'ai toujours travaillé avec des coloristes, même très très talentueux,
14:22 mais comme c'est un livre très intime, très personnel, je sentais pas la nécessité qu'il y ait
14:30 quelqu'un d'autre, je veux dire, entre moi et ce bouquin. Donc je me suis vraiment résolu à le
14:34 mettre en couleur moi-même, je me sentais pas dans la peau d'un grand coloriste. Alors je vous avoue
14:41 que j'ai travaillé avec un Tintin sous le bras, en l'occurrence l'oreille cassée, qui a été mis en
14:46 couleur par la première coloriste de Tintin qui s'appelait Alice De Vos. Et Alice De Vos a utilisé
14:52 des gammes dans cet album qui m'ont toujours beaucoup séduit, des gris, des roses, des verts,
14:55 et puis j'ai essayé de combiner tout ça, mais un peu à la manière d'un élève. Comme un élève d'Alice
15:02 De Vos, j'ai un peu suivi... Ce bouquin m'a servi de bible, j'ai trimballé mes tous les tés, quand
15:06 j'ai fait les couleurs du bouquin, j'emmenais le Tintin à la plage, il était complètement
15:14 démantelé, et puis je me référais tout le temps à ce bouquin, il m'a servi de guide. Donc j'ai
15:20 travaillé vraiment, j'ai mis en couleur mon album grâce à l'oreille cassée. - Et ça n'a pas échappé
15:24 à Emmanuel, notre lecteur, écoutez. - Bruxelles, la rivière, des cow-boys, des indiens, des scènes
15:32 de sexe, l'hommage à Hergé et à son oreille cassée, des forêts luxuriantes, noir fantasmagorique,
15:38 c'est tout ça qu'on retrouve au fil des pages de "L'excellent La Mer à Boire".
15:44 Et la question que je me posais était dans quelle mesure l'onirisme de cette histoire, de ces scénarios,
15:49 était surtout au service du dessin et du plaisir de dessiner. En tout cas, ça marche extrêmement
15:57 bien et ce plaisir, je crois, est partagé par le lecteur. - Question donc d'Emmanuel, dans quelle
16:02 mesure l'onirisme de ce scénario est au service du dessin et du plaisir de dessiner ? - En tiens,
16:08 complètement. Complètement en fait. Cette histoire, je l'ai pliée, j'ai plié tous les éléments à mon
16:17 envie de dessiner. Tout ce qui était à ma disposition, j'en ai fait, j'ai tout,
16:26 j'ai instrumentalisé le monde, la géographie et les corps, mais juste pour mon propre plaisir de
16:33 représentation, bien sûr, évidemment. C'est peut-être ça l'art, non ? - Certainement. Une façon de
16:38 faire, effectivement. Blush vous disait avoir travaillé tout seul, d'avoir quasiment tout fait
16:42 dans cette BD. Johanni Berre, vous vous entourez à chaque fois de nouvelles personnes, de nouveaux
16:48 artistes, de techniciens, en tout cas de rencontres. Et vous parliez de ces marionnettes et de ces
16:54 marionnettistes, puisque c'est ce qui est le plus bluffant, en tout cas pour moi, qui n'avait pas
16:58 l'habitude des spectacles de marionnettes. Alors on va, si vous le voulez bien, Johanni Berre, fermer
17:02 les yeux, imaginer ce dispositif et se laisser porter. Voici un extrait de la nouvelle ronde.
17:08 - Pendant plusieurs années, on a vraiment essayé de ressembler à un couple. On vivait dans le village
17:13 de mon enfance, où je vis toujours aujourd'hui. On faisait du sexe vanille, normal. On avait un
17:18 chien, normal, une bagnole, normal, et des petites soirées entre amis avec des vérines, bien normal.
17:23 Au bout de huit ans de vie commune, je rencontre Paula. Un coup de foudre. Pas comme toutes mes
17:31 histoires, tu me diras. Mais ça a complètement chamboulé ma vie. J'aimais toujours Bastien,
17:37 je t'assure. Mais je me sentais obligée de lui mentir pour passer du temps avec Paula. Et j'avais
17:41 l'impression de la tromper quand j'étais avec Bastien. Je devenais dingue. Mais moi, j'ai
17:48 grandi dans une famille cateau. Elle-même, biberonnée au dictat, bien pensant pour devenir de bons
17:53 couples capitalistes. - On est bien en 2023. Johanny Baird, votre lecture moderne, elle prend
17:59 évidemment en compte les évolutions de la société et toutes les relations amoureuses qui existent
18:04 aujourd'hui. - Oui, même si j'ai l'impression que c'est pas si nouveau que ça. C'est-à-dire que je
18:10 pense que toutes ces relations multiples ont toujours existé. Il y a dix mille façons d'aimer,
18:15 dix mille façons d'avoir du désir et d'avoir des relations sexuelles avec d'autres personnes.
18:22 Simplement, peut-être que la société a évolué et accepte un peu plus de les voir. Même s'il y a
18:29 encore beaucoup de discrimination et de violence liées à ça. Mais peut-être qu'effectivement,
18:33 on accepte un peu plus d'en parler. On accepte un peu plus de les voir. En tout cas, c'était un peu
18:38 le sujet de ce spectacle. C'est-à-dire parler d'amour, parler de désir. Comment on sème
18:43 aujourd'hui, y compris comment on réinvente l'amour et le désir quand on est ensemble depuis 20 ans.
18:49 Comment on garde cette chose-là active tout le temps. On passe par l'objet marionnettique,
18:56 qui est un objet qui est malheureusement souvent affilié à l'enfance. On imagine que la marionnette,
19:02 c'est pour les enfants. Or, le travail que je fais, et avec d'autres, d'ailleurs,
19:07 metteurs en scène et compagnie, c'est vraiment de développer cet objet qui est vraiment un
19:12 instrument pour l'acteur, de le développer pour une dramaturgie, on va dire vraiment
19:17 publique adulte, avec une recherche, je l'espère, assez profonde d'un sujet.
19:23 - On va évidemment rentrer dans le détail de comment vous avez travaillé. Mais il y a,
19:27 dans votre mise en scène, Johanni Berre, et dans la bande dessinée de Blutch,
19:31 une scène qui nous a beaucoup marqué avec Oriane Delacroix, qui prépare cette émission avec nous.
19:35 Tellement ces deux scènes sont proches, on a envie de vous en demander peut-être le sens.
19:41 Est-ce que, Johanni Berre, vous avez lu la BD, elle vous saute aux yeux, cette scène ?
19:44 Ou pas vraiment ? Ou il faut que j'aille plus loin dans le détail ?
19:47 - Dites-moi, parce que je ne suis pas sûre.
19:49 - Alors, on a mis en parallèle ce rapport sexuel avec ce pénis tout à fait disproportionné,
19:56 très long, qui apparaît depuis une marionnette. Alors là aussi, vous pourriez nous expliquer
20:01 comment ça fonctionne, parce que c'est assez bluffant et assez impressionnant.
20:04 Et on retrouve dans la BD de Blutch ce fil, ce fil qui relie les deux personnages A et B,
20:10 ce couple qui est en train de se former. Et A marche sur ce fil, et ce fil se trouve être
20:16 le prolongement du sexe de B. Cette image de funambulisme entre les deux personnages,
20:23 est-ce que ça vous a inspiré ? Comment on en est venu là ?
20:28 - A qui vous posez la question ? - Johanni Berre d'abord, peut-être.
20:32 Personne ne me répond, dis-toi. - Non, ça m'a fait beaucoup rire,
20:39 d'autant qu'on a une scène de fantasme, à un moment donné, dans le spectacle,
20:43 où un des personnages a un sexe qui fait 1m20, et l'autre personnage fait du funambule sur son sexe.
20:52 C'est une image qui doit être de 4 secondes, peut-être, dans nos spectacles.
20:57 Comment c'est venu ? Très honnêtement, on avait envie de cette scène de fantasme,
21:03 et avec les actrices qui sont sur le spectacle, qui sont 6, qui sont vraiment une super équipe,
21:07 je les ai vraiment laissé proposer plein de délires avec ce sexe très long,
21:13 qui peut, dans le spectacle, devenir très dur, mais devenir très mou aussi.
21:17 Et donc on s'est amusé à faire tout un tas d'images, complètement bretzingues,
21:23 entre le serpent et à la fois l'espèce de chose qui traîne, qui est attachée à son corps,
21:29 et dont il ne sait pas trop quoi faire. C'est-à-dire ce sexe qui est censé représenter une virilité extrême,
21:34 et qui peut devenir aussi quelque chose de très gênant, qui traîne comme ça.
21:39 Mais en effet, c'est vraiment lié, on va dire, c'est vraiment né d'improvisations, de recherches.
21:46 Et ensuite on a écrit tout ça très précisément, puisqu'à ce moment-là,
21:49 ils sont presque tous les 6 à manipuler et les deux marionnettes, et ce sexe qui gesticule dans tous les sens.
21:56 Donc c'est vraiment lié, on va dire, des improvisations des comédiens au départ.
22:00 - Blanche-vous votre image du funambule, elle veut dire quoi ?
22:03 - Moi, quand j'entends Joannie, ça me fait penser à des réjourgences féliniennes aussi,
22:08 ça me fait penser à Félini, même la convocation des marionnettes,
22:15 ce côté, parce que la marionnette est synthétise en fait, c'est un humain synthétisé, on va dire,
22:22 donc ça me fait une espèce de schématisme félinien, ce côté poétique et outrancier aussi, ça me fait penser à ça.
22:31 Moi, j'ai cherché une image tout simplement, pour chercher une image métaphorique, pour figurer le désir.
22:41 Donc j'ai pensé à ce fil, ce lasso, parce qu'ils disent que c'est un lasso,
22:45 parce qu'au début on parlait des pistolets, parce qu'on est enfant, donc on joue, donc c'est plutôt un lasso.
22:50 Donc il y a ce lasso qui est en vue. - Et puis il y a les indiens qui sont présents aussi à Montauban.
22:53 - Oui, il y a les indiens qui sont là, et le danger continuel.
22:58 D'ailleurs l'œil sur la couverture dont on parlait au départ, pour moi c'est le danger,
23:03 il figure le danger, le danger qui plane au-dessus du couple.
23:06 Donc voilà, je cherchais une image métaphorique.
23:10 - Le cinéma dans vos influences Blutch, évidemment.
23:13 On va revenir sur scène dans un instant, mais ce n'est pas la première fois que vous vous inspirez du cinéma,
23:19 et c'est ce que nous rappelle Daniel Libreira-Saint-Louis en Alsace.
23:23 Blutch, attention.
23:24 - Il y a une dizaine d'années, Blutch signait, pour en finir avec le cinéma,
23:28 une déclaration d'amour un peu nostalgique à un 7ème art forcément fantasmé.
23:35 On y croisait Godard, Piccoli ou Guitry.
23:39 C'est le type de l'album qui m'avait attiré, et sa couverture.
23:44 En résumé, c'est par la porte de la salle obscure que je suis entré dans l'univers Blutchien.
23:49 Sa cinéphilie me parle et son trait me renvoyait à mes BD rêvés.
23:55 Et puis, Strasbourg, où je suis né, Blutch, lui, il retourne via La Mer à Boire,
24:03 éditée chez 2024, une maison stradourgeoise, bouclant ainsi une boucle géographique, voire intime.
24:12 Une histoire d'amour, comme celle qu'il dessine dans son dernier opus.
24:16 Quelque chose d'assez cinématographique en fait.
24:20 Un marionnabas d'option shabadabada.
24:24 Moi j'ai adoré.
24:25 Au fait, Blutch, quel est le dernier disque que vous avez acheté ?
24:29 - Question de Daniel en Alsace.
24:32 - Un disque de Guy Leventz avec le pianiste japonais Kikushi, un enregistrement de 1972.
24:39 - On mettrait la référence sur la page de France Culture.
24:42 - Est-ce que ça vous a inspiré quelque chose récemment ?
24:46 - Non mais moi la musique est continuellement présente.
24:49 La musique c'est ma caverne.
24:51 Et le jazz en particulier.
24:54 Donc je ne peux pas travailler sans la musique.
24:57 Parce que la musique m'isole du monde et du fracas et du tumulte de la société.
25:03 - Et Johanny Berne non plus n'arrive pas à mettre en scène son musique.
25:06 Il y a une présence d'une musicienne incroyable sur la scène de ce spectacle.
25:12 Johanny Berne qui nous met dans toutes les ambiances avec sa guitare et sa boîte à musique.
25:17 Si je dis ça comme ça.
25:18 - C'est une basse.
25:20 - C'est une basse.
25:22 Je suis moins calé en musique que Blutch.
25:24 - Elle s'appelle Fanny Lafargue et c'est une musicienne assez incroyable qui a vraiment
25:31 composé la musique en répétition et qui joue en direct durant le spectacle.
25:36 C'est vrai que moi j'adore bosser avec des musiciens en scène sur les spectacles et
25:41 qui créent la musique.
25:43 Je trouve qu'il y a une présence qui est tout à fait autre.
25:48 Il y a quelque chose qui réagit en fonction du plateau, en fonction des inflexions des
25:52 acteuristes qui sont en scène.
25:53 Donc pour moi c'est assez précieux.
25:55 - Avec évidemment aussi un dispositif scénique très brillamment pensé.
25:58 Il faut le dire.
25:59 Une scène en mouvement.
26:00 Une sorte de tapis roulant qui permet de passer d'une pièce à l'autre, d'une rencontre
26:03 à l'autre, comme le ferait un peu le travelling.
26:06 Ce plan où la caméra est en mouvement au cinéma.
26:09 Et franchement c'est très réussi.
26:10 On parlait de cinéma, de musique.
26:12 On va vers les autres inspirations qui sont aussi peut-être la mythologie.
26:16 Johanny Baird avec cette marionnette qui se transforme en centaure à un moment donné.
26:19 - Oui c'est vrai.
26:21 Oui c'est drôle parce qu'on jouait hier soir justement à Dunkerque et j'ai rencontré
26:26 un groupe de grands adolescents qui étaient là avec leur prof de théâtre et qui m'ont
26:31 posé la question de ce centaure en me disant mais normalement un centaure c'est plutôt
26:34 une figure masculine.
26:35 Et c'est vrai que dans notre spectacle on a un personnage féminin qui se transforme
26:40 en centaure avec vraiment le corps de cheval.
26:42 Et je leur disais, oui peut-être que c'est justement pour surprendre en fait peut-être
26:49 les spectateurs sur cette image normalement d'ultra virilité qui est transformée à
26:55 travers ce personnage féminin qui va ensuite pratiquer le BDSM de manière un peu détournée
27:02 et peut-être un peu onirique mais en tout cas qui devient un personnage dominant dans
27:07 la pratique BDSM.
27:09 Et donc effectivement ce corps de centaure c'est ce que permet aussi la marionnette.
27:13 C'est-à-dire que la marionnette elle me permet comme ça cet onirisme, ce décalage
27:17 de transformer un corps humain en corps de centaure.
27:22 - Alors la mythologie évidemment, Pierre Croce de babelio.com ça inspire tous les
27:26 lecteurs et lectrices.
27:27 - Oui et en entendant Joanie on peut penser aux Métamorphoses d'Ovid qui est un livre
27:32 dont on avait parlé ici même sur France Culture il y a quelques mois et qui est un
27:35 des livres les plus populaires sur le thème du désir.
27:37 Ce qui marque surtout dans cette oeuvre c'est l'omniprésence du désir amoureux qu'il
27:41 soit partagé ou pas.
27:42 Le poète nous narre les relations souvent amoureuses des différents personnages adultères,
27:46 incestes etc.
27:47 Les passions de l'homme poussées à l'extrême sont mises au devant de la scène nous offrant
27:51 des scènes de toute beauté.
27:52 Les hommes comme les dieux et autres créatures se laissent porter par leurs émotions, leurs
27:56 joies, leurs colères et n'hésitent pas à employer les grands moyens pour pas venir
27:59 à assouvrir leur désir.
28:01 Celui-là est un vrai trésor rempli d'histoires fantastiques.
28:04 On peut penser aussi parmi les livres qui sont très populaires autour du désir il
28:07 y a Amour et Psyché de Apulé, un récit fondateur autour du désir.
28:12 Le message délivré dans ce conte par Apulé n'est pas difficile à cerner, ne pas se
28:16 montrer curieux, ni désobéissant, ni jaloux, sous peine de se tracer un destin peu enviable.
28:20 On comprendra également que la notion de destin est implicitement mise en question.
28:23 Nos actions ouvrent des portes de ce qui sera la destinée que nous nous forgeons.
28:27 Et on peut penser, j'ai regardé un peu sur Babelio, il y a une adaptation du Satyricon
28:33 par Blotch de Petron.
28:34 Je ne sais pas à quel point la mythologie a pu vous inspirer aussi.
28:38 Je peux vous citer par exemple une critique d'un lecteur.
28:40 "Inspiré du Satyricon, Blotch rend bien compte du côté dur et violent de la Rome
28:44 antique.
28:45 On y retrouve aussi les jeux de l'amour bien plus libres de cette époque, ainsi que
28:48 les croyances en la magie et le surnaturel."
28:50 Blotch, ça vous inspire la mythologie ?
28:54 Ah oui, bien sûr.
28:55 Oui, évidemment.
28:56 J'ai lu Ogile, Lénéide et Virgile, etc.
28:59 J'ai plongé.
29:00 Enfin moi ce qui m'intéresse c'était le monde pré-chrétien.
29:04 C'est-à-dire je voulais plonger dans un monde qui n'avait pas du tout les mêmes
29:08 références que nous, comme on explore une planète inconnue.
29:12 Donc moi j'ai fait ce livre-là en essayant d'oublier toutes les... ce qui n'est pas
29:16 possible évidemment, c'était d'oublier toutes mes croyances, tout ce que j'ai appris
29:23 et de repartir à zéro.
29:24 C'est-à-dire rien n'est défini.
29:27 Donc moi c'était vraiment ce monde pré-chrétien qui m'a vraiment intéressé à un moment
29:34 donné.
29:35 C'est peut-être la raison pour laquelle j'ai adapté le roman de Petron, le Satyricon,
29:40 où il y a aussi, et même chez Schnitzler aussi, où il y a en plus de cette description
29:47 du désir et de l'amour physique, il y a une satire sociale aussi vraiment mordante.
29:55 Mais j'ai fait ce livre il y a 25 ans.
29:59 Pierre, c'est vraiment...
30:00 Vous faites plonger dans un monde...
30:01 C'était la question piège de Pierre, c'est comme ça qu'on va l'appeler.
30:06 J'étais un autre homme.
30:08 Pour réfléchir évidemment aussi à l'aspect social, sociétal, je ne sais pas, Johann
30:12 Hiebert, comment vous vous positionnez.
30:14 En tout cas, vous avez eu une démarche intéressante qui est une démarche de recueil de témoignages
30:19 aussi pour faire réfléchir sur ces évolutions de la société, sur la sexualité aussi,
30:24 le polyamour, la bisexualité, les amours transgenres bien sûr, et la sexualité aussi.
30:29 Sur cette question-là, c'était une évidence pour vous ?
30:32 Oui, ce n'est pas habituel, même si je travaille beaucoup sur des sujets de société, des
30:40 sujets qui sont autour de moi, autour de nous, j'espère.
30:44 En effet, pour ce projet, j'avais envie, besoin de documenter le travail au-delà de
30:51 lecture, de philosophe, au-delà de podcast, il y en a eu énormément sur ce sujet, etc.,
30:57 de documentaire, de rencontrer des personnes qui acceptent anonymement de nous raconter
31:02 comment ils aiment, comment ils ont des relations de désir, et c'était assez fort, je dois
31:08 dire.
31:09 Même si Yann Verburg, je lui avais passé commande d'un texte et que c'était très
31:13 clair qu'on écrivait une fiction, moi je ne me sens pas capable de faire du théâtre
31:18 documentaire, ce n'est pas la manière dont je souhaite travailler.
31:22 Mais en effet, parmi ces rencontres, il y a eu des tout petits éléments qui ont été
31:30 importants pour nous et qui nous ont aidés à réfléchir à comment on voulait présenter
31:35 ces différentes personnes.
31:36 Notamment, ce à quoi on s'attendait, c'est qu'on a eu aussi beaucoup de questions sur
31:41 notre légitimité à aborder la bisexualité, à aborder l'asexualité, c'est un sujet
31:47 très présent.
31:48 C'est qui on est pour pouvoir parler de ça, et la question qui était derrière,
31:53 qu'on a un tout petit peu essayé de développer dans le spectacle, c'est "faut-il être
31:57 asexuel soi-même pour pouvoir parler d'asexualité sur un plateau ?" Et ça, on peut le dériver.
32:04 Ou "Quelle est la place de personnes, par exemple trans, qui sont sur un plateau ou
32:10 qui parlent de leur propre parcours ?"
32:13 Donc tout ça, c'était des sujets assez excitants, assez forts, assez complexes,
32:18 que pendant un an et demi, on a essayé de traiter avant de pouvoir vraiment sortir,
32:24 et presque accoucher du spectacle.
32:27 - Blood sur la démarche qui a été la vôtre, ce n'est pas tout à fait la même, puisque
32:32 il y a quand même beaucoup de vous dans le personnage de Béé, même si évidemment
32:36 ce n'est pas autobiographique, mais c'est là aussi très intime, très personnel dans
32:41 ton perso.
32:42 - C'est presque le contraire du travail de Joannie, qui lui embrasse le monde.
32:48 Moi, je suis plutôt en retrait du monde, je me concentre juste sur deux personnages,
32:56 en l'occurrence A et B.
33:01 J'interprète le rôle de B, et il y a une part assez importante du travail dans le
33:12 terme interprétation.
33:13 Je rejoins un peu ce que disait Joannie à l'instant, moi je me sens absolument légitime
33:23 sur tous les plans, parce que je me sens capable d'interpréter n'importe quoi.
33:29 Mon propre rôle, mais aussi le rôle de A, et je peux interpréter un rocher, je peux
33:37 interpréter un feuillage, je peux interpréter un chien, je peux interpréter un africain,
33:43 et je pense que le fond du travail est là, c'est-à-dire dans quelle mesure je peux plonger
33:51 ou interpréter n'importe quel aspect de la nature.
33:54 - On a entendu dans les voice notes de nos auditeurs ce qu'ils ont pensé de votre BD.
34:00 Bletch, je me tourne vers Joannie une dernière fois.
34:03 Joannie, on rit parfois, on est parfois aussi un peu mal à l'aise par les situations.
34:09 Quels sont les retours des spectateurs qui vous ont le plus marqué ?
34:13 - Oui, ce que vous dites là, peut-être la surprise, et je dirais presque le combat
34:24 qu'on mène depuis longtemps, c'est-à-dire ce que je disais un peu tout à l'heure, c'est
34:28 de la marionnette, et en même temps, elle nous touche en tant qu'être humain, en étant
34:33 adulte.
34:34 Donc ça, c'est un combat, parce que vraiment, ce truc de se dire la marionnette, c'est pour
34:40 les enfants.
34:41 Autant la BD, par exemple, j'ai l'impression que ça y est, on a dépassé tout ça depuis
34:46 longtemps, autant la marionnette, c'est quand même encore difficile.
34:50 C'est drôle, mais encore ce matin, on nous avait proposé de faire une captation pour
34:57 Culture Box, par exemple, et Culture Box nous a répondu "non, c'est de la marionnette,
35:02 donc on ne veut pas faire de la marionnette chez Culture Box".
35:05 - Et bien nous, on vous a invité sur France Culture pour en parler avec vos marionnettes,
35:09 et on a mélangé aussi avec la BD, donc on a fait en quelque sorte une pierre deux coups.
35:14 On arrive au terme de cette émission.
35:15 Joannie Baird, merci beaucoup d'avoir été avec nous en direct.
35:18 La nouvelle ronde se joue ce soir encore à Dunkerque, à Niord, l'édition 11 mars à
35:22 Malakoff et à Toulouse.
35:24 Et puis merci également à vous Bludge d'être venu, La Mer à Boire, disponible aux éditions
35:28 2024.
35:29 Un grand merci également à Pierre Croce du site babelio.com.
35:32 Dans un instant l'épilogue de ce bout de club.
35:39 Mais comme il est 13h25, voici Mathias Senard pour ses Inquipites.
35:42 La semaine dernière, à ce micro, j'évoquais les Inquipites extraordinaires du non moins
35:46 extraordinaire Thomas Bernhardt, le fameux auteur autrichien décédé en 1989.
35:52 Inquipite dont la caractéristique principale me semble être la perfection de l'exposition.
35:57 En une phrase, la voix du narrateur, les personnages et les grands traits de l'action sont posés.
36:03 L'Inquipite du roman intitulé Béton, paru en 1982, me paraît à cet égard encore plus
36:09 caractéristique.
36:10 « De mars à décembre », écrit Roudolf, « alors qu'il me fallait, cela doit être
36:15 dit dans ce contexte, prendre de grandes quantités de prédnisolons afin de combattre ma troisième
36:20 crise aiguë de morbus boeck, j'ai rassemblé tous les livres et les écrits possibles de
36:25 et sur Mendelssohn-Bartholdy.
36:26 J'ai visité toutes les bibliothèques possibles et imaginables afin de connaître à fond mon
36:31 compositeur préféré ainsi que son œuvre.
36:34 Telle était mon ambition.
36:35 Avec le zèle le plus ardent.
36:37 Pour une entreprise telle que la rédaction d'un assez gros ouvrage, irréprochablement
36:41 scientifique qui, de fait, m'avait inspiré la plus grande appréhension durant tout l'hiver
36:46 précédent.
36:47 Mon propos avait été d'étudier avec le plus grand soin tous ces livres et ces écrits
36:52 et seulement ensuite, enfin, après cette étude approfondie adaptée au sujet, précisément
36:57 le 27 janvier à 4h du matin, de pouvoir aborder ce travail qui, du moins je le croyais, laisserait
37:03 loin derrière lui l'ensemble de mes écrits, publiés ou non.
37:06 Concernant ce qu'on appelle la musicologie, travail projeté depuis dix ans déjà, mais
37:11 jamais encore accompli jusque-là, après le départ, fixé au 26, de ma sœur, dont
37:17 la présence à Peyskam durant plusieurs semaines avait ruiné sur le champ, jusqu'à sa moindre
37:21 véléité, l'idée de m'attaquer à mon travail sur Mendelssohn-Bartholdy.
37:26 Nous savons tout.
37:28 Qui parle ? Un homme appelé Rudolph.
37:30 Malade.
37:31 Atteint de sarcoïdose.
37:32 Musicologue qui souhaite enfin se mettre à l'écriture de son chef-d'œuvre sur Mendelssohn.
37:37 Où ? À Peyskam.
37:38 Village de Haute-Autriche, situé à quelques kilomètres de l'endroit où Thomas Bernhardt
37:42 avait sa propre maison.
37:43 Quand ? Le 27 janvier, au cœur de l'hiver.
37:46 Avec qui ? Avec sa sœur Elisabeth.
37:49 « Rudolph écrit », nous dit Bernhardt.
37:51 « C'est un manuscrit de Rudolph que nous sommes en train de lire ». Et même si le
37:55 roman nous emportera jusqu'à Palma de Majorque, rompant ainsi l'enfermement qui caractérise
38:00 si souvent les textes de Bernhardt, « Béton » ne sort pas de la névrose musicale de Rudolph.
38:05 Ce Rudolph obsessionnel et savant.
38:07 Névrose si bien exposée dans cette première phrase, première phrase écrite par Rudolph,
38:13 car « Béton » est aussi un roman sur l'impossibilité d'écrire.
38:16 L'impossibilité d'écrire non seulement sur la musique, mais aussi, et c'est là
38:20 l'une des originalités de « Béton » dans l'œuvre de Bernhardt, sur l'impossibilité
38:25 de sortir de soi.
38:26 Une des facettes du génie de Bernhardt est là.
38:29 Adapter le ton, la phrase même, à la psyché du narrateur.
38:34 Faire de la boucle obsessionnelle du narrateur la réalité de la phrase du roman et du roman
38:39 lui-même.
38:40 Adapter le contenant à la névrose du contenu et le contenu à la névrose du contenant.
38:47 NICOLAS : Les inquipides de Mathias Senar à retrouver sur franceculture.fr.
38:50 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club.
38:52 Oriane Delacroix, Zora Vignet, Jeanne Agrappard, Didier Pinault et Alexandre Albégovitch.
38:56 Thomas Beaux réalise cette émission et a la prise de sang ce midi.
38:59 Et lise-le, voici l'épilogue.
39:01 Il y a dix mille façons d'aimer, dix mille façons d'avoir du désir et d'avoir des relations
39:07 sexuelles avec d'autres personnes.
39:09 Que ce soit les plantes, les fleurs, les rochers et les humains.

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