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Il y a 20 ans, les États-Unis envahissaient l’Irak qu’ils accusaient de faire partie de “l’axe du mal” post-11 septembre 2001. Mais comment un mensonge les a aidés à mener cette guerre ? On vous raconte.

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Transcription
00:00 Voici comment, il y a 20 ans, le plus gros mensonge de l'histoire
00:03 allait tuer des centaines de milliers d'innocents
00:06 et changer le monde à tout jamais.
00:08 Ça commence avec cette image historique.
00:10 C'est le 5 février 2003 et on voit Colin Powell,
00:13 alors secrétaire d'État américain,
00:14 expliquer devant le Conseil de sécurité de l'ONU
00:17 que l'Irak détient des armes de destruction massive.
00:20 Une fiole d'anthrax à la main
00:22 pour convaincre la communauté internationale d'attaquer l'Irak.
00:25 Une comédie et une tragédie à la fois.
00:28 Une comédie parce que Colin Powell lui-même
00:30 n'était absolument pas convaincu par cette image-là.
00:34 Mais en même temps une tragédie
00:35 parce qu'à cause de ce comportement-là,
00:37 à cause de cet affichage-là,
00:39 nous avons sacrifié des Américains et des Irakiens,
00:42 nous avons perdu des milliers et des milliers d'individus.
00:45 Les trois raisons pour aller en guerre contre l'Irak
00:47 invoquées par les États-Unis étaient toutes fausses.
00:50 Première raison, démanteler les fameuses armes de destruction massive.
00:54 Dans les années 90,
00:56 nous avons détruit, la communauté internationale
00:58 a détruit la totalité des armes de destruction massive.
01:01 On savait tous très bien,
01:03 les Américains ont promis que depuis 91-92,
01:08 le régime de Saddam Hussein ne disposait plus
01:10 des armes de destruction massive.
01:11 On l'a appris plus tard que la CIA était très dubitative
01:15 sur les preuves et les sources
01:17 de ces liens entre Saddam Hussein et les armements.
01:19 Et donc on a compris très vite
01:22 et aujourd'hui c'est totalement certifié
01:24 et Georges W. Bush lui-même l'a admis
01:26 qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive.
01:28 Deuxième raison, pour établir la démocratie.
01:31 La deuxième justification, c'était la lutte contre la dictature.
01:35 Or, les États-Unis d'Amérique avaient en 2003
01:39 des liens très très forts avec des régimes au Moyen-Orient
01:42 basés sur la dictature, beaucoup plus fort,
01:45 beaucoup plus puissant que le régime de Saddam Hussein.
01:47 De l'Arabie saoudite jusqu'à l'Égypte.
01:50 Alors que lors de la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988,
01:53 ça ne dérangeait pas les Américains de collaborer avec Saddam Hussein.
01:57 Mais dès l'invasion irakienne du Koweït en août 1990,
02:01 qui déclenchait la première guerre du Golfe,
02:03 la dictature de Saddam Hussein les gênait.
02:05 Ça faisait aussi partie d'une stratégie qui était déjà étudiée
02:08 il y a de nombreuses années par les néo-conservateurs américains,
02:11 c'est celui de remodeler le Moyen-Orient
02:13 et de le rendre plus démocratique.
02:14 Et en sous-main, surtout d'aller renverser des régimes
02:17 qui n'étaient pas à leur vote, si je puis dire.
02:20 Des régimes qui, même s'ils avaient été alliés à un moment donné,
02:23 mais lorsque Saddam Hussein a changé de politique,
02:25 a déplacé le curseur et a contredit la politique et les visées américaines,
02:30 on est allé le déboulonner.
02:31 C'est une histoire d'alliés qui sont devenus des ennemis.
02:33 Et enfin, troisième raison de l'invasion américaine en Irak,
02:36 le régime de Saddam Hussein aurait eu des liens avec Al Qaïda,
02:39 accusé d'être derrière les attaques du 11 septembre 2001.
02:42 On a très vite compris que c'était un mensonge.
02:45 On savait qu'il n'y avait aucun lien ni entre l'Irak et Al Qaïda,
02:49 ni entre Saddam Hussein et les attentats du 11 septembre.
02:52 Les trois argumentations pour lesquelles les États-Unis d'Amérique ont envahi l'Irak
02:56 n'avaient absolument pas de légitimité.
02:58 En plus de ces trois fausses raisons,
03:01 la guerre était surtout illégale selon le droit international.
03:04 Lorsque les Américains envahissent l'Irak,
03:06 ils n'avaient absolument pas la validation des Nations Unies,
03:09 ils n'avaient pas la légitimité du Conseil de sécurité.
03:12 Et donc, c'est une invasion unilatérale et unilatéralement imposée
03:17 à la communauté internationale.
03:18 Et illégale par définition.
03:20 Mais malgré l'illégalité de cette guerre,
03:22 les 10 millions de manifestants à travers le monde pour s'y opposer,
03:25 le nom de la France, de l'Allemagne et de la Russie,
03:28 la nuit du 19 au 20 mars 2003,
03:30 les États-Unis lancent l'opération "Liberté pour l'Irak",
03:33 accompagnée de l'armée britannique et d'autres contingents étrangers
03:36 dont la Pologne et l'Australie.
03:37 Et envahissent l'Irak.
03:39 Cette nuit horrible du 19 au 20 mars 2003,
03:43 où les premiers bombardements sont passés en direct à la télévision,
03:46 avertissement d'un chaos à venir,
03:48 graduellement, jour après jour, semaine après semaine.
03:51 Les attentats, les massacres, les kidnappings se sont faits quotidiens.
03:56 C'est devenu la routine.
03:57 Résultat de cette guerre injustifiée ?
03:58 Un dégât humain considérable.
04:00 Au moins 300 000 civils irakiens tués et 300 000 blessés.
04:04 Même si le nombre de morts pourrait être bien plus grand.
04:07 20 ans après l'occupation d'Irak, à ce jour,
04:10 nous avons 3 400 000 exilés irakiens dans 14 pays.
04:16 Nous avons 4 millions de déplacés à l'intérieur du pays.
04:20 Nous avons 1 700 000 irakiens qui vivent sous des tentes dans leur propre pays.
04:26 Nous avons 6 millions d'orphelins irakiens à cause de cette guerre-là.
04:31 Nous avons 12 millions de veuves.
04:33 Nous avons 6 millions d'individus qui ne savent pas lire et écrire.
04:37 Or, dans les années 70, l'Irak, le système éducatif irakien,
04:41 était un idéal type pour la totalité des sociétés moyen-orientales.
04:45 Nous avons 25 % des Irakiens qui vivent en-dessus du seuil de pauvreté.
04:51 Autre ravage, le sectarisme causé par la guerre.
04:53 Lorsque les Britanniques arrivent au Irak en 1921,
04:57 ils excluent les deux composantes majeures de la société irakienne,
05:01 les chiites et les kurdes,
05:03 qui composaient à peu près 71 %, 73 % de la société irakienne,
05:08 et confient la clé de cet État à une composante de la société irakienne,
05:14 à savoir les sunnites, qui dirigent le pays de 1921 jusqu'en 2003.
05:18 Lorsque les Américains arrivent au Irak,
05:20 ils vont approfondir ce communautarisme
05:23 en confiant la clé de cet État irakien aux chiites et aux kurdes,
05:28 en excluant la communauté sunnite.
05:29 Les Irakiens se sont mis à voter pour le chef de quartier,
05:32 pour le chef religieux, pour celui qui les représentait par l'apparence
05:37 et pas forcément par les idées.
05:38 Et donc, ça a structuré le pays dès le début comme ça,
05:40 de manière assez sectaire.
05:42 On a vu les chiites voter pour des chiites,
05:44 les sunnites voter pour les sunnites,
05:45 les kurdes pour les kurdes,
05:47 et c'est ce qu'on voit aujourd'hui, 20 ans plus tard.
05:49 On voit un pays fragmenté, sectarisé,
05:51 où il est difficile d'émettre une opinion ou de débattre d'une idée
05:55 sans être "fidèle" à son courant religieux, à sa confession.
05:59 Et ça, c'est quelque chose de catastrophique.
06:01 L'arrivée, ironiquement, d'al-Qaïda en Irak
06:04 et la création de groupes comme l'Organisation État Islamique.
06:07 L'occupation américaine de l'Irak a préparé des conditions objectives
06:11 qui ont permis la montée en puissance des macro-mouvements radicaux,
06:17 à l'instar d'al-Qaïda et d'Aj.
06:19 C'est un moment fondateur pour la naissance du djihadisme,
06:23 du terrorisme à l'échelle macro.
06:26 Sans l'occupation d'Irak, on n'allait jamais assister
06:29 à la naissance de ce monstre mondial et mondialisé
06:33 qui s'appelait et qui s'appelle toujours
06:34 l'Organisation d'État Islamique,
06:36 en tant qu'entité étatique, mais aussi en tant que groupe si actif,
06:40 en tant que macro-groupe à l'échelle nationale irakienne,
06:43 mais aussi à l'échelle régionale, moyenne orientale,
06:46 pour ne pas dire à l'échelle internationale.
06:48 Ces groupes armés ont bombardé des sites sacrés chiites en Irak,
06:51 ont tué des milliers d'Irakiens dans des attentats suicides
06:54 et des voitures piégées.
06:55 On retrouvait 100 cadavres par jour sur les trottoirs en Irak,
06:58 des personnes qui étaient enlevées puis exécutées,
07:00 et en face, on envoyait des voitures piégées dans les marchés.
07:03 Donc c'était réellement un quotidien fait d'attentats,
07:06 kidnappings et de meurtres.
07:08 C'était la terreur au quotidien.
07:09 On ne peut pas imaginer un Irakien qui n'a pas connu dans sa famille
07:12 un meurtre, un kidnapping, un attentat.
07:14 Les attentats en Irak sont nés suite à l'invasion américaine de 2003.
07:18 Pour rappel, à son apogée en 2014,
07:20 l'Organisation État Islamique contrôlait 40% de l'Irak,
07:23 mais aussi un tiers de la Syrie voisine.
07:25 Et le groupe a tué des milliers de personnes dans le monde entier.
07:28 En plus de l'Irak et de la Syrie,
07:30 l'Organisation État Islamique a tué dans tous ces pays.
07:33 Quatrième conséquence de l'invasion américaine,
07:35 les ravages culturels et artistiques sur un pays qui était autrefois
07:38 le berceau de la civilisation arabe.
07:41 Le pillage du musée national de Bagdad,
07:43 lorsque les Américains sont entrés,
07:44 c'était quelque chose de terrible à voir
07:46 et ça a été quelque chose de tragique pour les Irakiens.
07:49 Surtout que ce musée aurait pu être protégé
07:51 juste par un tank posté devant.
07:54 Ce qui n'a pas été le cas et on sait que le ministère du Pétrole,
07:57 lui, a été protégé.
07:58 Il y a eu énormément de pillages culturels
08:00 tout au long de l'occupation américaine.
08:02 L'Irak, c'est un pays tellement riche sur le plan archéologique,
08:05 sur le plan des sites qui n'avaient même pas été explorés,
08:08 pour qu'il y ait une des villes les plus vieilles du monde,
08:11 où on trouve des tablettes cunéiformes, etc.
08:13 Ce site, qui est un patrimoine mondial,
08:16 était dans l'enceinte de la base américaine de Nasiriyah,
08:19 qui est une ville au sud de Bagdad.
08:21 C'est dire à quel point le patrimoine irakien
08:23 n'était pas du tout la priorité ni de l'armée américaine,
08:27 ni du gouvernement en place.
08:28 Et après leur invasion,
08:30 les Américains ont orchestré une transition fantoche
08:32 vers un nouveau régime,
08:33 en même temps qu'ils jugeaient et exécutaient rapidement Saddam Hussein.
08:37 On a vu une espèce de coalition de représentants
08:40 des ethnies et des confessions d'Irak,
08:42 qui n'étaient même pas connus des Irakiens,
08:44 qui étaient sincèrement vus comme des clowns de la part des Irakiens.
08:47 Et lorsque Saddam Hussein a été attrapé,
08:49 les Irakiens, de manière générale, voulaient un procès équitable.
08:52 Sauf que les Américains et le gouvernement irakien mis en place
08:55 ont créé un tribunal spécial pour juger Saddam Hussein.
08:58 La liste des dossiers était longue,
09:00 et il n'a pas fallu longtemps pour l'exécuter.
09:02 Et les Américains eux-mêmes l'ont reconnu,
09:04 Saddam Hussein avait plein de choses à dire.
09:06 Et je pense qu'il avait des choses à révéler aussi
09:08 sur les relations ambiguës entre l'Irak et l'Occident,
09:12 mais les États-Unis de manière plus particulière.
09:14 Ça, ça a été quelque chose qui a été vécu de manière très difficile
09:18 par une grande partie de la population irakienne,
09:20 qui, je pense, aurait voulu aller au bout du procès,
09:22 qu'il soit condamné pour tout un tas de dossiers,
09:25 que ce soit fait dans les règles du droit.
09:27 Ça a été perçu comme une cabale d'un camp contre un autre.
09:31 Et quand on assiste à ça,
09:32 on n'a pas le sentiment d'assister à une justice internationale.
09:35 Et ça, ça a été condamné par toutes les grandes organisations,
09:38 que ce soit Amnesty International, Human Rights Watch.
09:40 Il fallait absolument pas prendre Saddam Hussein,
09:43 il fallait absolument pas tuer Saddam Hussein,
09:45 il fallait absolument qu'il reste en tant que témoin.
09:48 En 2003, ils ont envahi l'Irak
09:51 en imposant une formule aux Irakiens
09:54 sur laquelle les Irakiens devaient reconstituer leur société,
09:58 leur État et leur nation.
10:00 Cela n'a pas fonctionné.
10:02 Aujourd'hui, on est dans l'échec total.
10:04 Le devoir éthique, moral, la responsabilité des Américains,
10:09 mais aussi de la communauté internationale,
10:11 c'est accompagner les Irakiens
10:13 pour qu'eux-mêmes développent une nouvelle formule
10:16 qui permet la gestion de leur diversité
10:19 et de leur vivre ensemble.
10:21 Mais quelle leçon le monde a-t-il tiré de cet échec total ?
10:24 Et pourquoi aucun des dirigeants qui ont ordonné l'envoi de troupes en Irak
10:28 n'ont été jugés par la justice internationale ?
10:31 Sous-titrage Société Radio-Canada
10:35 Un film par Yannick Mahé
10:39 [SILENCE]

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