Connaître Schumpeter, le père de la gestion de l'innovation [Rémy Guichardaz]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Rémi Guichardaz, maître de conférences à l'Université de Strasbourg, pour parler de Schumpeter comme pionnier pour les sciences de gestions. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 [Musique]
00:08 Bonjour Rémi Guichardaz.
00:10 Bonjour.
00:11 Rémi Guichardaz, vous êtes maître de conférence à l'Université de Strasbourg,
00:14 laboratoire Beta.
00:16 Grand auteur en management de l'innovation et de la créativité.
00:20 J'ai envie de dire à l'heure de Chad Jipiti et de l'intelligence artificielle.
00:24 Ce qui nous sépare encore de la machine, a priori,
00:26 c'est notre capacité d'innovation et de créativité.
00:28 Donc il est urgent de méditer les grands auteurs en management de l'innovation et de la créativité.
00:34 Avec vous, on va parler de Joseph Aloys.
00:36 Joseph Aloys Schumpeter.
00:39 Les fameuses randes schumpeteriennes,
00:41 père de l'économie et de la gestion de l'innovation,
00:43 point d'interrogation, mais vous concluez en disant en fait,
00:46 il n'y a pas de point d'interrogation, c'est le père de la gestion de l'innovation.
00:50 Point.
00:51 Je résume.
00:53 En effet, oui.
00:54 Alors c'est vrai que c'est un petit peu un pied de nez auprès des collègues gestionnaires
00:57 parce que, bon, Aloys Schumpeter, évidemment, il a intervient dans une ambiance intellectuelle
01:02 et dans un tissu académique qui…
01:04 La gestion n'existait pas en tant que discipline.
01:06 Donc on pourrait penser que c'est un peu anachronique et c'est aussi un peu une provocation.
01:10 Néanmoins, on pense qu'il y a lieu de le considérer comme le père de la gestion de l'innovation,
01:16 on en reviendra après, mais rien que sur les éléments biographiques,
01:19 il y a des éléments intéressants qu'on peut souligner,
01:20 c'est déjà quelqu'un, un auteur, qui a mis les mains dans le cambouis puisqu'il était…
01:24 Alors sur le plan politique, il a été secrétaire d'État aux Finances de la Jeune République d'Autriche,
01:28 dans une ambiance de dislocation de l'Empire Austro-Hongrois, en tout cas juste après.
01:32 Et sur le plan économique, il a été en fait…
01:36 Il a fondé une banque d'affaires, qui fera faillite,
01:38 victime de la conjoncture et de certaines stratégies financières.
01:42 Et donc il a cessé finalement, dans ses travaux de recherche,
01:45 d'expliquer les cycles économiques, les cycles financiers,
01:48 le financement de l'innovation, sans doute aussi à l'aune de son parcours
01:52 en tant que gestionnaire ici d'une banque.
01:54 Et donc c'est un auteur qui a tout de suite cette appétence pour les organisations,
01:59 pour le financement de l'innovation et des projets entrepreneuriaux.
02:02 Et ce que j'ignorais pour ma part, il n'a pas appris à conduire,
02:04 jamais fait la cuisine ou un travail pratique.
02:06 Ah oui, il a aussi cette patte de la Vienne du XXe siècle, très aristocratique,
02:13 c'est presque un Juncker sans lettres, Joseph Schumpeter, de ce point de vue-là, effectivement.
02:18 Alors évidemment, l'apport de Schumpeter pour penser la gestion de l'innovation.
02:23 L'innovation a besoin d'oligopoles stables pour se déployer.
02:28 Je résume.
02:29 Oui, mais c'est un peu plus compliqué que ça, parce que justement,
02:32 ce qui est intéressant dans Schumpeter, et on va voir que ça irrigue aussi
02:34 des concepts de gestion, c'est qu'il y a une dynamique.
02:37 Il y a une dynamique du capitalisme, qu'il appelle donc le cycle des affaires,
02:40 et qui se traduit par une destruction créatrice.
02:42 Voilà, on est en plein dedans aujourd'hui avec les nouvelles technologies de l'IA,
02:47 de la blockchain, etc.
02:48 Et justement, au début d'un cycle des affaires, la concurrence des entreprises,
02:54 on voit toute la stratégie aussi d'innovation qu'il y a derrière,
02:56 enfin des implications de stratégie, elle se fait par le produit, par l'innovation,
03:00 incrémentale ou non, plus ou moins, généralement de plus en plus incrémentale.
03:03 Le cycle continue, et effectivement, une fois que la technologie est mature,
03:07 les opportunités créatives de cette technologie s'épuisent,
03:10 là on va avoir effectivement une forme de concurrence par les prix,
03:14 puis effectivement une baisse du cycle, parce que les prix baissent,
03:17 ou les technologies, les opportunités s'épuisent,
03:19 et les entreprises vont faire concurrence par les prix,
03:21 et seules les oligopoles peuvent être capables d'encaisser le retournement du cycle,
03:24 et éventuellement d'amorcer un nouveau cycle, en tout cas en partie.
03:28 C'est un peu plus ambiguë, je suis compétiteur selon les périodes
03:30 et selon les travaux considérés, mais on voit bien cette idée de cycle économique
03:34 qui va renvoyer par exemple au paradigme technologique de Dozie,
03:41 ou alors au cycle de vie des produits, d'autres auteurs,
03:44 le dominant design, ce genre de concept en gestion,
03:47 qui se base aussi sur cette lecture dynamique du capitalisme.
03:50 Il n'est pas du tout dans l'efficience statique, c'est ce que vous rappelez,
03:53 il est dans l'efficience dynamique.
03:55 Voilà, c'est ce qui l'intéresse, effectivement.
03:56 Et ce qui l'intéresse particulièrement, on le sait bien, c'est l'entrepreneur.
03:59 Un être exceptionnel, d'après Schumpeter.
04:02 Oui, alors là aussi il y a toute une littérature sur comment Schumpeter conceptualise l'entrepreneur.
04:07 Son innovation pour le coup, c'est de relier, de systématiser le lien entre entrepreneur et innovation.
04:13 Entrepreneur, c'est celui qui introduit la nouveauté dans le circuit économique,
04:17 avec toute cette question qui n'est pas forcément toujours très claire dans la littérature secondaire,
04:22 et nous on a notre opinion là-dessus, qui est de savoir d'où vient la nouveauté.
04:25 Alors, il vient de l'entrepreneur, mais est-ce que l'entrepreneur c'est juste une fonction ?
04:28 Est-ce que c'est quelque chose qu'on peut routiniser dans une entreprise,
04:30 dans une grande organisation ? Ou est-ce que ça vient toujours de l'individu ?
04:34 Et notamment des individus, on va dire, en haut de la distribution,
04:37 l'élite économique qui manifeste une forme de créativité sans borne,
04:42 un leadership impressionnant, un petit peu à l'Elon Musk.
04:46 Est-ce qu'on adhère finalement à la thèse romantique,
04:50 de l'introduction d'un nouveauté dans le circuit économique,
04:52 ou à une thèse peut-être plus rationaliste,
04:55 où finalement la créativité pourrait être routinisée,
04:57 être intégrée, internalisée par des organisations bureaucratiques plus traditionnelles ?
05:03 C'est là le grand débat qu'il y a entre le jeune Schumpeter, on va dire,
05:06 et le plus vieux Schumpeter, dans les écrits de cet économiste
05:10 qu'on pense être aussi un gestionnaire.
05:13 Et c'est là que vous nous dites, il se voulait pionnier hétérodoxe,
05:16 on le retiendra comme pas portodoxe.
05:19 Oui, alors ça c'est toute l'ambiguïté de Schumpeter.
05:22 C'est quelqu'un qui veut absolument s'insérer dans le paradigme dominant
05:26 qu'on va qualifier rapidement ici de néoclassique.
05:28 Il veut les sciences exactes, il veut des mathématiques.
05:31 Voilà, il est fasciné par Valrath, la modélisation de Valrath sur l'équilibre général.
05:36 Et pour autant, puisque ce qui l'intéresse dans sa problématique de recherche,
05:39 et on l'a souligné tout à l'heure dans les éléments biographiques qui pouvaient l'expliquer,
05:42 c'est la dynamique du capitalisme, il sait que les instruments et les concepts valrathiens,
05:46 et on va dire la grille de lecture néoclassique n'est pas satisfaisante.
05:49 Donc il va tenter une forme de synthèse, plus ou moins maladroitement,
05:54 entre finalement sa vision dynamique, qui renvoie encore une fois,
05:58 par ramification à des concepts de gestion et des réflexions de la gestion,
06:01 avec un cadre conceptuel initial qui est le cadre néoclassique.
06:06 Alors ça implique plein de contradictions et de paradoxes,
06:09 qui ont été soulignés par les auteurs et qu'on souligne aussi dans d'autres travaux.
06:13 Mais effectivement, ça fait de lui un auteur un peu au carrefour
06:16 entre le néoclassicisme économique, on va dire,
06:18 et les approches plus évolutionnistes, plus gestionnaires.
06:22 Donc à l'heure de Chadjipiti et de l'intelligence artificielle,
06:26 s'interroger sur les randchoum pétériennes,
06:28 et sur le fait que finalement le but de la stratégie c'est de se construire un monopole.
06:32 Exactement.
06:33 Pour faire simple.
06:34 C'est ça, exactement, c'est la randchoum pétérienne.
06:36 Merci Rémi Guichard d'Aze.
06:37 Je vous en prie, merci à vous.
06:39 [Musique]

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