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Xerfi Canal a reçu Matthieu Mandard, maître de conférences HDR en sciences de gestion à l’IGR-IAE de Rennes, pour parler des connaissances en sciences de gestion.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Mathieu Bondart. Bonjour. Mathieu Bondart, vous êtes maître de conférence,
00:12habilité à diriger les recherches en sciences de gestion et du management, IGR, IAE de Rennes,
00:17Université de Rennes. Un papier sublime, dire ça comme ça, sublime. Merci. Ce que l'on reproche
00:27aux sciences de gestion est une synthèse des critiques adressée à notre discipline. Pourquoi
00:31je dis sublime ? Parce qu'un beau papier, c'est une belle idée. Et la belle idée, c'est de dire
00:35mais au fond, est-ce qu'on ne peut pas rassembler toutes les critiques et essayer de typologiser un
00:39peu tout ça et de voir que finalement, on retombe sur Boltanski et Thévenot et leur fameuse cité,
00:46je les cite, cité industrielle, marchande, civique, verte, domestique, de l'opinion,
00:53inspiration, le monde de l'inspiration. Pourquoi les producteurs et les artistes ne peuvent pas
00:57s'entendre ? Parce que les artistes sont dans la cité de l'inspiration, les producteurs,
01:00ils sont dans la cité marchande. Pourquoi, je ne sais pas, les politiques en attendent mal ? Est-ce
01:05que l'école est une entreprise ? Tiens, éternelle question. Ah ben non, parce qu'à l'école,
01:09on pense cité civique, à l'université aussi souvent. Et finalement, l'entreprise, c'est
01:13fondamentalement la cité industrielle. Pas que la cité industrielle, évidemment, mais elle nous
01:17vient quand même de la cité industrielle, la grande entreprise. Tout à fait. Alors justement,
01:21c'est l'intérêt de cette grille d'analyse de Boltanski et Thévenot que de montrer que de
01:26tenir mordicus la défense de sa cité, c'est typiquement engager ce qu'on appelle un dialogue
01:32de sourds. Parce qu'en fait, les positions étant incommensurables, on ne peut pas obtenir un accord
01:37tant qu'on n'a pas perçu ce différentiel de jugement. Et donc, ce sont des compromis qui
01:42doivent se construire entre ces cités. Des bouts de chemin les uns entres les autres. Ce qui suppose
01:46une certaine ouverture d'esprit. Et précisément, puisque ça suppose une certaine ouverture d'esprit,
01:51dans cet article, vous nous dites il faut peut-être commencer à penser une production de connaissances
01:58qui tire les enseignements de toutes les critiques. J'ai bien dit toutes. C'est ça qui est passionnant.
02:03Et c'est ça qui doit être critiqué dans votre papier. C'est un appel à un commentaire de votre
02:07papier. Toutes les critiques à la discipline, ça doit nous inciter à continuer à produire en
02:13maintenant le cap là où il y a eu des progrès. Et accroître nos efforts lorsque les avancées sont
02:17encore jugées par trop insuffisantes. C'est très pocuménique tout ça. Vous n'êtes pas dans la
02:22controverse. Vous êtes dans le « continuons l'effort, prolongeons ». Alors, pour reprendre peut-être
02:30rapidement la jeunesse de ce papier, quelque chose que je n'ai pas mentionné dans l'article, c'est
02:34qu'en fait, ce n'est pas sans précédent d'avoir utilisé le modèle des cités. Enfin, je l'ai
02:37mentionné rapidement, mais ce n'est pas sans précédent d'utiliser le modèle des cités en
02:41sciences de gestion. Et notamment, j'ai un collègue du CREM, le professeur Philippe Robert de
02:45Moron, qui l'avait utilisé dans un travail antérieur. Ce qui est nouveau, c'est de l'avoir
02:49utilisé donc pour recenser ces diverses critiques. Le but de ce travail, c'était justement, comme
02:55vous le soulignez, de ne pas nécessairement rentrer dans quelque chose de clivant, mais au moins de
03:00poser à plat les éléments essentiels de compréhension des débats en gestion. De remettre
03:07les idées en place, il y avait quasiment une vocation didactique, et de ne pas rentrer dans
03:11quelque chose de trop tranchant, ce qui est un parti prié tout à fait. Et à la fin, en fait, il
03:18s'agit de montrer qu'il y a des critiques qui sont... Alors, première remarque d'une manière générale,
03:23ce qui est intéressant, contrairement à ce qu'on pourrait croire, c'est que toutes les critiques
03:25sont prises en compte, d'une manière ou d'une autre. Ce qu'on peut reprocher, en fait, c'est
03:29l'intensité avec laquelle on aura pris en compte ces critiques. Il y a en effet des critiques qui
03:34sont parfaitement entendues par notre discipline, même si on peut encore faire mieux. Par exemple,
03:38le caractère scientifique de notre discipline, c'est quelque chose auquel on est très vigilant
03:44depuis des années. Le fait de se mettre au service des intérêts des entreprises, ce qui est tout à
03:51fait normal, ce sont parmi nos parties prenantes d'importance. On peut faire mieux, etc. Mais ce
03:57sont des choses qui sont bien, bien prises en compte. Des choses qui sont moins prises en compte,
04:02et par rapport auxquelles des chercheurs s'insurgent, notamment dans tout le courant qu'on
04:06appelle « critical management studies », les études critiques en management, c'est « est-ce qu'on va
04:10assez loin pour les problématiques sociétales, sociales, pour les problématiques environnementales ? ».
04:15Et alors là, évidemment, j'aurais tendance à dire que pas du tout. De toute façon, il suffit de
04:19regarder, par exemple, les enjeux environnementaux à l'heure actuelle, on n'est pas du tout à la
04:22hauteur. Et les débats les plus récents le redisent encore. Donc, ce texte est de 2021. Si on prend les
04:28débats actuels, 2023-2024, les sciences de gestion ne sont pas à la hauteur des enjeux
04:33environnementaux à l'heure actuelle. Même si on observe un tournant, un tournant tout récent avec
04:38une radicalisation des postures par rapport à l'environnement, ou du moins des perspectives
04:43employées. Absolument. Maintenir le cap en ce qui concerne la cité industrielle marchande de
04:47l'opinion est inspiré, parce qu'un des points quand même, c'est, vous évoquez l'idée de
04:52radicalisation, un des points c'est quand même qu'un reproche constant qui est fait aux sciences
04:56de gestion, c'est le fait qu'elles se sont éloignées des pratiques de l'empirie, au motif de
05:02la rigueur. Et ça, ça nous vient pas du bistrot du coin, ça nous vient de l'Academy of Management,
05:10l'Academy of Management Journal, l'administratif science quarterly, c'est-à-dire les revues
05:14scientifiques les plus prestigieuses de la discipline, ou elles-mêmes, qui produisent
05:19elles-mêmes des éditos en disant attention, là on est allé trop loin, on est allé trop loin. Et ça,
05:24c'est votre deuxième point, c'est qu'il faut évaluer autrement la recherche.
05:26Oui, oui, alors il y a des excès, quand on se met à étudier un effet médiateur, modérateur,
05:32d'un micro-paramètre, d'une micro-variable sur un micro-sujet, on peut se poser la question de
05:38vraiment l'utilité, mais ça paraît peut-être un peu réducteur, je trouve qu'il faut quand même
05:46pas occulter la quantité de travaux qui ont quand même une portée pratique. Donc,
05:51je ne serais pas tranché par rapport à cette chose, par rapport à ce problème. Mais en effet,
05:58toujours est-il que les appels sont nombreux, il faut continuer, il faut continuer. Et par rapport
06:05à votre point où vous disiez justement les problématiques d'évaluation de la recherche,
06:09bon, là le publish or perish, publier ou périr, la course aux étoiles, bon, c'est certain qu'il
06:17faut en revenir. Alors le phénomène est récent, ça date du début des années 2000, où vraiment,
06:20on a cette sorte d'inflation en termes de publication. Il faut en revenir, je pense
06:28notamment, c'est plus facile de s'en écarter au fur et à mesure où on avance dans la carrière. Au
06:35tout début, peut-être qu'on va chercher davantage à rentrer dans ce genre de course, mais je trouve
06:41que, et notamment c'est peut-être aux collègues qui sont expérimentés, de donner le ton et de
06:48dire, il y a des débats par exemple en faveur de la slow science, justement des débats en faveur
06:54de est-ce que j'opère une contribution significative pour la société, pour mon territoire, pour
06:59l'environnement ? Et vraiment avoir cette multipolarité qui se développe dans notre
07:04discipline, puisque l'affaire n'est plus tenable. Et c'est pas seulement propre aux sciences de
07:08gestion, il y a un élan généralisé en faveur de produire moins, produire mieux, produire de
07:16manière plus ciblée pour certains enjeux, par rapport à certains enjeux. Ce que l'on reproche
07:22aux sciences de gestion, une synthèse des critiques adressées à notre discipline. Merci Mathieu
07:27Mandart, un papier qui doit être discuté partout, partout, partout. Merci à vous.

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