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Les chroniqueurs du Cercle débattent autour d'un film sortant en salles ou en diffusion sur CANAL+
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Transcription
00:00 et on fait beaucoup de bruit pour notre invitée,
00:02 la réalisatrice Justine Trier,
00:04 palme d'or au 60e Festival de Cannes.
00:07 (acclamations)
00:10 (musique)
00:12 (acclamations)
00:14 (musique)
00:16 Bienvenue, chère Justine.
00:19 C'est gentil de venir parler de cinéma avec nous.
00:22 On est extrêmement heureux de vous accueillir.
00:25 Est-ce que ça va ? -Oui, super.
00:27 Ravi de venir parler avec vous.
00:29 -Alors, "Anatomie d'une chute", on en a débattu avec passion ici.
00:33 Cela suit le récit du procès d'une femme
00:37 qui est accusée du meurtre de son mari.
00:39 Vous nous avez amené la première minute du film.
00:42 On regarde, on en parle après. -Ou pendant.
00:45 (Rires)
00:46 -Sorry. -It's OK.
00:48 -Well...
00:49 What do you want to know ?
00:52 -Donc là, on arrive dans...
00:54 -Just a second. -On sait pas trop où on est.
00:56 Dans une maison de femmes discutes.
00:59 -Visiblement, y a un enregistrement.
01:01 Une balle qui tombe, le chien vient regarder un personnage
01:05 qu'on ne voit pas, mais qui va être le personnage
01:07 qui va nous intéresser pendant les 2h30 qui suit.
01:10 Et puis, on va...
01:12 Voilà. On va très vite aller au premier étage,
01:15 retrouver les petites mains d'un enfant
01:17 qui, visiblement, on voit pas très bien
01:19 parce qu'on sent, à la manière qu'il a touché les robinets...
01:23 Voilà. Et puis, peut-être qu'il va réussir à laver son chien,
01:26 peut-être pas.
01:28 -Ah ! -Voilà. Et...
01:30 Et on revient, voilà.
01:33 Là, on découvre Sandra Huller,
01:36 qui est dans une discussion, déjà,
01:38 et qui lui parle de comment est-ce qu'on construit une fiction,
01:42 comment est-ce qu'on construit un récit.
01:44 Et... Voilà. Et en fait,
01:47 on sait pas si c'est une journaliste ou une étudiante.
01:51 Et...
01:52 Et en fait, y a un jeu qui consiste à ce que...
01:55 Enfin, voilà, Sandra essaye en tout cas
01:57 de dérouter un peu ce jeu de... de l'interview.
02:01 -What ? -Is that your goal ?
02:03 -What ?
02:04 -No.
02:06 -On est un peu perdus, mais c'est normal. C'est le but.
02:09 C'est le but, en fait.
02:10 Le film est censé nous mettre dans un état un peu de...
02:13 de confusion, au début.
02:16 -Viens, voilà.
02:17 -Là, on retrouve le chien, et là, voilà, le chien a été lavé.
02:21 -T'es pas malade !
02:22 -Et là, y a un troisième élément
02:24 qui entre. C'est la musique.
02:26 Le chien nous dit qu'elle vient du dessus
02:28 et qu'il veut s'exprimer.
02:30 Et voilà, c'est son mari qui parle à travers cette musique
02:33 et qu'on ne verra jamais.
02:35 -Et qui est mis présent.
02:37 -Voilà. -Sans qu'on puisse le voir.
02:39 -Pas évident de parler sur ce début de film.
02:42 -Vous aviez pensé...
02:43 C'est venu très vite, ce début de film,
02:46 avec l'idée du film ? -Oui.
02:47 L'idée, vraiment, de plonger le spectateur
02:50 dans un bain qu'il ne comprend pas
02:52 et que le film va s'employer à déchiffrer, à décrypter
02:55 pendant les 2h30. -Vous nous faites ressentir
02:58 cette dissonance. -Oui, tout à fait.
03:00 Mais oui, c'était une scène...
03:02 En tout cas, le fait que le chien nous amène,
03:05 qui est quand même un fantôme, et le regard de cet enfant,
03:08 et le fantôme du mari mort,
03:10 qui nous amène comme ça,
03:11 aussi dans ce truc de gravité avec la balle qui tombe,
03:15 encore la chute, vers ce personnage qu'on va observer
03:18 et qu'on ne comprendra pas pendant un long moment,
03:21 qui est difficile à comprendre.
03:22 Oui, voilà, c'était...
03:24 C'était intéressant de se poser cette question
03:27 de comment entrer dans un film.
03:29 C'est toujours complexe.
03:30 -Et cette musique, de 507, comment elle est arrivée là ?
03:34 Elle m'obsède, je ne peux plus l'entendre
03:36 sans penser au film.
03:37 -Vous lui avez cassé le mythe.
03:39 C'était pas censé être cette musique.
03:41 Ca devait être "Jolene" de Dolly Barton.
03:44 On a décrypté ce qu'elle raconte dans la chanson
03:47 au procès, donc ça a été très dur de lâcher ça,
03:50 mais ils voulaient pas nous le vendre.
03:52 Mon intention était de trouver une musique assez joyeuse.
03:55 J'ai hésité avec du classique, mais le classique faisait trop...
03:59 Rendait la chose trop pompeuse, trop Kubrickien,
04:01 même si j'adore Kubrick.
04:03 Il fallait trouver quelque chose d'assez léger,
04:06 en contraste avec la situation, évidemment,
04:08 qui arrive quelques minutes après.
04:10 -Cette musique hyper joyeuse est jouée de plus en plus fort,
04:14 elle oppresse tout,
04:15 et c'est le truc le plus passif, agressif
04:18 qu'on puisse imaginer.
04:20 Tout à coup, cette musique vient écraser
04:22 ces deux femmes qui parlent.
04:24 Ca prend des... Mais sur un truc de fête, quoi.
04:27 -Et moi, au deuxième visionnage...
04:29 -Je peux plus les arrêter.
04:31 Ils en profitent, ils lui sautent dessus.
04:33 -Le deuxième visionnage m'a frappé.
04:35 Une balle comme ça, projetée vers le spectateur,
04:38 dont on ne connaît pas l'émetteur, une musique qui se déclenche,
04:42 c'est des tropismes qui viennent souvent du cinéma de maison hantée.
04:46 -Vous l'aviez fait à dessin ou pas ?
04:48 -Complètement.
04:49 C'est un hommage à un film que j'adore,
04:52 qui s'appelle "The Change of Ling", "L'enfant du diable".
04:55 Je suis amoureuse de George C. Scott.
04:58 Je comprends toujours les deux noms.
05:00 C'est un film que j'ai vu peut-être 400 fois.
05:03 J'adore le début, j'aime pas la fin.
05:05 Mais c'est vrai qu'il y a vraiment cette balle qui tombe,
05:08 et c'est un hommage assumé à ce film.
05:10 Mais effectivement, après, le film est plus...
05:13 C'est pas un film pur de genre,
05:15 c'est d'entrer dans le film, c'était assumé, de passer par là,
05:18 et surtout d'arriver avec ce chien, finalement.
05:21 -Et "Autopsie d'un merde",
05:23 c'était une des références aussi ou pas du tout ?
05:26 -Plus pour Victoria que pour ce film-là.
05:28 J'ai fait un hommage à la petite culotte, le chien qui vient à la barre.
05:32 C'est un film qui me hante depuis 10 ans, je pense,
05:35 par sa modernité. Je suis fascinée,
05:37 pas par l'entièreté du film, mais par le moment où on est dans le procès.
05:41 Comment il fait, à cette époque-là, pour qu'on s'en mène pas une seconde,
05:45 c'est un film qui me hante.
05:47 Et après, il y a aussi plein de trucs assez misogynes dans le film,
05:50 et c'est passionnant de le revoir aujourd'hui.
05:53 -C'est bien mignon. -Oui, voilà.
05:55 -C'est l'heure du questionnaire du cercle.
05:58 Vous êtes prête à ouvrir votre cinémathèque intérieure ?
06:01 Un grand film de procès, justement.
06:03 -Il y en a plein, mais j'ai pensé à "Juvenile courte" de Weizmann,
06:08 qui est évidemment un film que j'ai vu très jeune, en fait,
06:12 et dont je me souviens assez abstraitement.
06:15 Je ne l'ai pas revu, mais je me souviens bien de la fin,
06:17 où on est avec un jeune homme de 20 ans.
06:20 C'est un endroit où on juge les mineurs,
06:22 et on est vraiment dans la machinerie entière.
06:25 On voit à la fois les délinquants,
06:27 mais aussi la partie vraiment juridique, les juges, etc.
06:30 Et c'est vrai que j'ai un souvenir...
06:32 -Les parents. -Les parents, voilà.
06:35 J'ai un souvenir vraiment extraordinaire
06:37 de ressentir puissamment ce que c'est que, finalement,
06:40 l'idée de pouvoir être emprisonnée 20 ans ou pas.
06:43 C'est un film qui a tant le verdict,
06:45 et je crois qu'il n'y a rien qui m'a le plus impressionnée,
06:48 peut-être avec le procès O.J. Simpson,
06:50 mais vraiment, que ce film...
06:52 Et aussi, un truc que j'adore, c'est que c'est pas du tout
06:56 sentencieux. Souvent, la justice, le juridique,
06:58 est toujours montré de manière très grave,
07:00 avec la lumière très... Et là, quelque chose de très anodin,
07:04 très quotidien, avec ces gens qui parlent doucement,
07:07 qui essayent... Il y a une très grande douceur
07:10 du président, qui doit juger. Il y a quelque chose
07:12 dans toute l'oeuvre de Weissman qui m'a passionnée.
07:15 Dans ce film, c'est un très grand film.
07:17 -Vous avez traîné dans les tribunaux ?
07:19 -Énormément, mais il y a très longtemps.
07:22 Quand j'étais jeune, étudiante au Beaux-Arts,
07:25 j'y allais tout le temps.
07:26 Mais j'ai pas commencé par apprendre le cinéma hollywoodien.
07:30 J'ai commencé par apprendre le documentaire.
07:32 C'était ce qu'on m'apprenait à l'école.
07:34 Je suis rentrée par cette porte-là.
07:37 -Une palme d'or que vous aimez particulièrement ?
07:39 -Une palme d'or, oui, tout de suite.
07:42 Je suis divisée par le "Gen Kampion", que j'adore aussi,
07:45 mais je dois avouer que celui qui continue à m'habiter,
07:48 c'est "Sexe, mensonges et vidéos" de Soderbergh,
07:51 qui, pour moi, est l'expression puissante
07:53 de ce que c'est que le cinéma.
07:55 On a un garçon, qui est magnifique,
07:57 je suis amoureuse de James Spader,
07:59 qui est... À l'époque, peut-être moins maintenant.
08:02 -Toujours. -Ah oui.
08:04 Qui est extraordinaire, parce qu'il n'arrive pas...
08:07 C'est très cru, mais il n'arrive pas à avoir d'érection
08:10 face d'une femme, mais qui arrive à en avoir
08:13 face à une vidéo, en tout cas, la vidéo qu'il fait,
08:16 parce qu'il interroge des femmes sur leur vie sexuelle.
08:19 Il y a tout de suite le processus du cinéma intégré dans le film.
08:23 Et...
08:24 Je pense que c'est des situations très simples de séduction,
08:28 mais qui sont tellement originales, tellement intéressantes.
08:31 Et puis, Andy McDowell...
08:33 -Il reste en tête. -Comment ?
08:35 -Il reste en tête, il honte longtemps.
08:37 On a presque peur de le revoir.
08:39 Ce qui est passionnant, c'est l'histoire du film.
08:42 Le type a 25 ans, il est jeune, il vient de vivre un drame amoureux,
08:46 il passe 15 jours à écrire ce film.
08:48 C'est presque un poison, j'ai l'impression.
08:50 -C'est badass. -Vive ça, quoi.
08:52 -Le film le plus inspirant sur le couple ?
08:55 -Love Streams. Oui, j'ai hésité aussi.
08:57 Love Streams, parce que c'est intéressant.
08:59 Le couple n'existe plus, il recrée un couple,
09:02 le frère et la sœur.
09:03 Les histoires d'amour sont toutes complètement annulées,
09:07 l'amour a tout détruit.
09:09 Cette sœur et ce frère se retrouvent à vivre ensemble
09:12 et essayent de résoudre un peu leur chagrin.
09:15 Et je sais pas, il y a un truc qui m'inspire
09:18 sur une fin de vie possible.
09:19 -Ca vous redonne de l'espoir. -Voilà.
09:22 -Un acteur ou une actrice
09:24 qui vous donne immédiatement envie d'aller au cinéma ?
09:27 -Vraiment, Alison Jenney, qui est pour moi un mythe.
09:30 Je comprends pas. Elle a eu un Oscar,
09:32 mais elle reste dans les seconds rôles.
09:34 Pour moi, c'est une grande sœur, la sœur que j'aurais voulu avoir.
09:38 Tout ce qu'elle fait, j'ai vu "Muatonia",
09:40 elle est extraordinaire. J'ai vu toute la série "Mom",
09:43 qui est une série très confidentielle,
09:46 mais rien que pour elle, elle est extraordinaire.
09:49 Je l'adore. J'aime l'écouter.
09:50 -Vous avez répondu la dernière fois que vous êtes venue au Cercle ?
09:54 -Non. -C'est en dry-huller.
09:56 -C'est fou. Amnésie totale.
09:57 -Peut-être que le prochain film, vous pourriez la faire tourner
10:01 et re-remporter une palme d'oeuvre. -Oui, mais ça, on va se calmer.
10:05 -Un cinéaste ou une cinéaste
10:07 dont vous avez vu absolument tous les films ?
10:09 -C'est quelqu'un que j'ai découvert très tard,
10:12 mais c'est grâce à vous. J'avais vu une émission avec Axel Roper,
10:15 qui en parlait, de "Terreur aveugle" de Fleischer.
10:18 J'en avais parlé avec des amis, j'avais tout vu chez moi.
10:22 J'ai dit que j'allais voir tous les films de Fleischer.
10:25 J'ai découvert d'abord "Terreur aveugle"
10:27 et j'ai tout revu. J'avais déjà vu, il y a longtemps,
10:30 "Les 30 heures de Boston" qui m'était passé au-dessus.
10:34 J'ai tout revu et c'est vrai que c'est quelqu'un qui me fascine
10:37 pour une raison assez précise.
10:39 Je le trouve d'une modernité folle et assez mal aimée
10:42 par rapport à d'autres... -Il m'a même apprisée.
10:44 -Je trouve qu'il mélange une chose qui me fascine
10:47 chez beaucoup de cinéastes, c'est un mélange d'extrême maîtrise
10:51 et en même temps, quelque chose de très violent,
10:54 une espèce de caméra qui s'emballe et qui fait surgir une vérité
10:58 dans un cinéma qui serait plutôt un cinéma extrêmement contrôlé.
11:02 Et donc, il y a quelque chose qui me fascine,
11:05 qui est impossible. Je ne comprends pas comment il fait.
11:08 Il y a un plan qui me fascine. Je le vois pas tout le temps,
11:11 mais comment il fait ? Caméra à moitié cachée, il suit.
11:14 C'est une intelligence folle.
11:16 Et voilà, "Mandingo", c'est un film extraordinaire
11:19 de contre le racisme, qualifié quand il est sorti de raciste.
11:23 -Alors qu'il était très en avance. -Exactement.
11:26 C'est l'anti "autant n'emporte le vent".
11:28 Non, c'est vraiment... C'est quelqu'un qui me fascine
11:31 et que j'ai énormément revu avant de faire ce film,
11:34 même si je ne me mets pas du tout à sa hauteur.
11:37 Mais voilà, c'est quelqu'un... J'ai pas tout vu.
11:39 Un film à envoyer aux extraterrestres ?
11:42 Alors, c'est compliqué, cette question.
11:44 J'ai pensé à "L'aura poitras". C'est "L'aura" ? Non.
11:48 "Toute la beauté, le son versé".
11:50 C'est un film qui m'a complètement anéanti.
11:53 Je l'ai revu plusieurs fois. C'est un film qu'on voit seul,
11:56 qui nous amène à quelque chose de solitaire.
11:59 -Il demande d'être seul, en tout cas, après.
12:01 -Et non, ça m'a ramenée aussi à mes années d'étudiante jeune.
12:05 On a dit que maintenant, on est habitués.
12:07 Les gens se prennent en photo. Cette photographie,
12:10 elle a été tellement copiée. On est habitués à cette façon.
12:13 Mais c'était très nouveau quand elle l'a commencé à le faire.
12:16 Elle est aussi une figure très engagée.
12:19 Et puis, elle dit une chose dans le film que j'aime énormément.
12:22 Elle dit, et qui m'a parlé,
12:24 "Quand j'ai pris la première fois un appareil photo
12:27 "et que j'ai posé contre moi, je me suis sentie protégée."
12:30 C'est une chose que j'ai ressentie il y a des années au Brésil,
12:33 quand je me suis retrouvée dans une favela.
12:35 Je ne savais pas parler la langue.
12:37 J'avais peur et je passais mon temps à voir cette caméra
12:41 en me disant qu'elle me protège.
12:43 Je trouve le film extraordinaire.
12:45 Et aussi, évidemment, pour ce que ça raconte d'une époque,
12:48 mais pas seulement, aussi, d'une façon de s'émanciper,
12:51 d'une façon de prendre aussi le...
12:53 Pas le pouvoir, j'aime pas cette idée-là,
12:56 mais de trouver sa façon de parler.
12:58 -Le doyer pour la révolte.
13:00 -Ouais, mais c'est tellement unique,
13:02 c'est tellement pas édifiant.
13:04 Enfin, voilà, j'adore cette femme.
13:06 ...

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