Heidi Sevestre : "On commence à avoir des piliers du climat qui s'effondrent, après des décennies d'alertes"

  • l’année dernière
Heidi Sevestre, glaciologue, membre du programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique, du Conseil de l'Arctique, et enseignante à l’Université de Svalbard, est l'invitée de 7h50. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-29-juin-2023-4969947

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Transcription
00:00 Salamé, votre invitée ce matin est glaciologue.
00:02 Bonjour Heidi Sévestre.
00:04 Bonjour Léa.
00:05 Merci d'être avec nous en studio ce matin, pardon pour mon nez, parce que votre maison
00:09 est loin, très loin même.
00:10 Vous habitez où ? Oui, j'ai la chance d'habiter à peu près 4000 km d'ici, très au nord
00:17 dans l'Arctique, dans la ville la plus au nord de la planète, sur un petit archipel
00:21 qui s'appelle l'archipel du Svalbard.
00:23 Voilà, en Norvège c'est ça ? C'est administré par la Norvège, exactement.
00:27 Et c'est au pôle Nord ? C'est au pôle Nord, ouais.
00:29 C'est un environnement, je pense qu'on a du mal à s'imaginer, c'est un peu comme
00:33 les Alpes au cœur de l'Arctique.
00:35 Là-haut tout est de neige, tout est de glace, c'est un peu le monde de Narnia.
00:39 On est au cœur de la nature dans ce qu'elle a de plus pur et de plus puissant.
00:44 On va parler du rapport du Haut Conseil au climat qui a été rendu hier soir, un rapport
00:49 sévère et si manque la France, on en fait pas assez contre le réchauffement climatique.
00:52 Mais d'abord quelques mots sur vous.
00:53 Vous êtes glaciologue, vous êtes l'une des plus grandes spécialistes des glaciers
00:57 au monde, vous parcourez le monde pour étudier du pôle Nord au pôle Sud, de l'Himalaya
01:02 à la Cordillère des Andes, ces fameux glaciers.
01:04 Vous aimez vous définir comme la médecin des glaciers.
01:07 D'où vous est venue cette passion pour la glace, pour les glaciers ?
01:11 Je suis un peu tombée dans la marmite quand j'étais toute petite.
01:13 C'est vrai que j'ai grandi autour d'Annecy en Haute-Savoie et pour moi mon paysage de
01:18 tous les jours c'était les glaciers du massif du Mont Blanc.
01:21 Et quand j'ai eu 16 ou 17 ans, j'ai eu une rencontre qui a changé ma vie.
01:25 J'ai croisé un guide de haute montagne, Hubert, 70 ans à l'époque, et il m'a dit
01:30 "écoute Heidi, il y a des gens, on les paye pour étudier les glaciers.
01:34 Pourquoi est-ce que tu ne ferais pas ça dans ta vie ? Ça serait une bonne excuse pour
01:36 toi de rester en montagne".
01:37 Et voilà, vous avez décidé de faire ce bêtier.
01:40 Vous dites qu'en regardant les glaciers c'est un émerveillement absolu.
01:43 Qu'est-ce que vous ressentez en fait ?
01:45 C'est d'une puissance assez folle.
01:48 Ces glaciers, déjà pour moi les ancêtres qui habitent nos montagnes, ils sont absolument
01:53 gigantesques, magnifiques.
01:55 Quand on voit le bleu de la glace de glaciers, il y a quelque chose d'assez hypnotisant
01:59 par rapport à ça.
02:00 Ils ont aussi une importance considérable sur nos vies, sur nos écosystèmes.
02:04 Et on se rend compte que ces glaciers sont véritablement en train de devenir des géants
02:08 aux pieds d'argile aujourd'hui.
02:09 Voilà.
02:10 Et vous nous apprenez dans votre livre "Sentinelle du climat" chez Harper Collins que les glaciers
02:13 sont aujourd'hui malades, mais qu'ils sont pourtant notre meilleur clim.
02:18 C'est notre clim naturel à nous tous.
02:20 Et ça, vous l'expliquez très bien, et vraiment je voudrais que vous l'expliquiez aux auditeurs.
02:25 Les rayons du soleil, quand ils tapent sur la mer de glace, ils sont réverbérés vers
02:29 l'espace.
02:30 Or, comme la glace fond, les rayons du soleil ne sont plus réverbérés, ils tapent dans
02:35 l'eau.
02:36 C'est ça qui se passe ?
02:37 C'est exactement ça.
02:38 Si on regarde ce qui se passe au niveau du Nord, donc au niveau de l'Arctique, l'Arctique
02:41 c'est avant tout un océan, l'océan glacial arctique, qui est recouvert de ce drap blanc
02:46 naturel qui est la banquise ou la glace de mer.
02:48 Et vous l'avez très bien expliqué, quand on a des surfaces grandes, blanches sur Terre,
02:54 elles agissent comme un miroir, elles renvoient la chaleur du soleil dans l'espace et ça
02:58 permet de garder ces paysages froids.
03:00 Donc c'est vraiment les meilleurs climatiseurs que l'on a sur Terre.
03:03 On en a encore extrêmement besoin aujourd'hui.
03:05 Pourquoi en France on a besoin de la banquise du Nord ?
03:08 On en a besoin… Alors c'est assez simple en fait.
03:11 Le fait d'exterminer la banquise, aujourd'hui c'est vraiment le cas.
03:15 Plus on brûle d'énergie fossile, plus la superficie de la banquise dans l'Arctique
03:19 se réduit, de 40% en 40 ans ces dernières décennies.
03:22 Chez nous on le ressent très vite, c'est des événements météorologiques extrêmes.
03:27 Donc c'est par exemple des canicules ou au contraire des gels précoces, des gels tardifs,
03:33 des périodes très sèches ou des périodes très humides.
03:35 Tout ça c'est intimement lié à ce qui se passe au niveau de la banquise en Arctique
03:39 et là on sait que quoi que l'on fasse malheureusement, d'ici les 7 prochaines années, on risque
03:45 d'avoir des étés dans l'Arctique sans banquise.
03:49 C'est ça, c'est la mauvaise nouvelle qu'on a appris.
03:52 D'abord c'est que la glace en Arctique est en train de disparaître 10 ans plus tôt
03:57 que ce qu'avaient prévus les experts du GIEC, ça va à une vitesse folle.
04:00 Et puis cette nouvelle, c'était hier je crois, la banquise d'été aura disparu
04:05 en 2030, c'est-à-dire dans 7 ans.
04:07 C'est-à-dire demain, vous dites, c'est la pire étude scientifique que j'ai jamais
04:10 lue.
04:11 Oui, j'avoue avoir eu pas mal de soucis avant dormir après avoir lu cette étude.
04:15 Ce qu'elle nous montre cette étude, c'est qu'on commence à avoir des piliers du climat
04:19 qui s'effondrent après quand même des décennies d'alerte de la part de la communauté scientifique.
04:23 Mais c'est aussi une étude qui devrait être pour nous la meilleure motivation d'agir.
04:29 Elle nous dit que certes, il est trop tard aujourd'hui pour la banquise d'été en
04:33 Arctique, mais qu'il n'est pas trop tard pour le reste des piliers de notre climat.
04:37 Il est encore temps d'agir.
04:38 Donc là, il faut vraiment qu'on se remonte les manches et qu'on y aille.
04:41 Mais c'est quoi la différence entre la banquise d'été et la banquise d'hiver ?
04:43 Point très intéressant.
04:46 En fait, dans l'Arctique, là chez moi en ce moment, il fait jour 24h/24.
04:50 Donc c'est vraiment le moment dans l'année où on a besoin de ce miroir naturel, de
04:54 ce drap blanc naturel qui va se débarrasser de la chaleur du soleil.
04:58 Alors qu'en hiver, il fait nuit 24h/24.
05:00 Elle est quand même importante en hiver, mais pas autant que pendant l'été.
05:04 Vous pensez qu'on peut encore sauver les glaciers ?
05:06 Oui.
05:07 Alors, ce n'est pas mon avis personnel, ce n'est pas mon opinion.
05:10 C'est une réalité.
05:11 On sait qu'aujourd'hui, si on agit dès maintenant, mais quand on dit dès maintenant,
05:15 c'est qu'est-ce qu'on fait cette semaine ? Qu'est-ce qu'on fait ce mois-ci ?
05:18 On peut encore sauver une grande partie des glaciers de montagne.
05:22 On peut encore sauver les calottes polaires, une grande partie du permafrost et la banquise
05:26 d'hiver notamment en Arctique.
05:27 On peut encore sauver une grande partie des piliers du climat.
05:29 C'est là où on en vient au Haut Conseil pour le climat qui a donc rendu hier soir
05:33 ce rapport sévère, qui estime que la France n'en fait pas assez pour lutter contre la
05:36 chauvement climatique.
05:37 Si la France a bien baissé de 2,7% ses émissions carbone en 2022, le rythme de cette baisse
05:43 est largement insuffisant pour atteindre les objectifs de 2030.
05:47 Et notamment, les efforts ne sont pas suffisants dans les transports et dans l'énergie.
05:50 Comment vous réagissez à ce rapport, à ce nouveau rapport ?
05:53 C'est le cinquième rapport du Haut Conseil du climat.
05:56 C'est le rapport de référence pour ce qui se passe en France.
05:59 Donc j'encourage toutes celles et ceux qui se demandent là où on en est, en fait au
06:03 niveau français, par rapport à notre empreinte carbone, aussi par rapport aux conséquences
06:08 du changement climatique chez nous, d'y jeter un coup d'œil.
06:10 Et le rapport est sans appel.
06:12 On est dans la bonne direction.
06:15 Donc nos émissions de gaz à effet de serre se réduisent en France, ce qui est très
06:18 bien, il faut le saluer.
06:19 Mais il faudrait considérablement accélérer le rythme de baisse des émissions de gaz
06:24 à effet de serre.
06:25 Il faut au moins doubler le rythme de baisse.
06:27 Pourquoi ? Parce que, évidemment, nos objectifs climatiques nous le demandent, mais aussi
06:32 parce qu'on se rend compte que nos puits de carbone naturels, par exemple les forêts,
06:37 plus les températures augmentent sur Terre, plus le CO2 augmente dans l'atmosphère,
06:41 plus ces puits de carbone ont du mal à remplir leur rôle.
06:43 C'est-à-dire que les forêts ont de plus en plus de mal à travailler avec nous, à
06:46 absorber une grande partie de nos émissions de gaz à effet de serre.
06:49 Quand vous entendez le gouvernement qui lance une consultation pour imaginer ce que serait
06:55 l'avenir avec 4 degrés d'augmentation de la température mondiale d'ici 2100, vous
07:03 vous dites quoi ? C'est un aveu d'impuissance ? On pense déjà aux 4 degrés alors qu'on
07:08 a un objectif de 1,5 seulement ?
07:09 Je pense que c'est très important de se préparer au pire.
07:12 Il n'y a aucun doute là-dessus, il faut le faire.
07:14 On voit qu'on n'était déjà pas prêt à ce qui s'est passé l'année dernière.
07:17 C'est ce que dit le rapport du Haut Conseil du Climat.
07:19 Donc il faut se préparer à la pire des cas, au pire des scénarios.
07:23 Ça va demander énormément de travail, d'adaptation à mettre en place.
07:27 Il faut continuer à atténuer les effets du changement climatique, attaquer le problème
07:31 à la source.
07:32 C'est très clair qu'aujourd'hui, il va falloir demander des efforts de tout le monde.
07:37 Cette grande consultation, je la salue, mais quand on regarde les questions qui sont posées
07:41 aux Français, elles sont extrêmement techniques.
07:44 On ne peut pas, je trouve, ça c'est mon avis personnel, poser ce genre de questions
07:48 sans avoir un immense effort d'éducation, de sensibilisation au niveau du changement
07:52 climatique.
07:53 Aïdi Sévestre, comment vous arrivez à rester positive et même optimiste alors que chaque
07:57 jour, vous voyez des bouts de glace fondre, chaque jour vous avez un nouveau rapport alarmant,
08:01 chaque jour on apprenait encore que la Norvège lançait hier 19 nouveaux projets pétroliers,
08:06 que la demande de pétrole a battu des records en 2022, que les jeunes continuent de prendre
08:10 massivement l'avion.
08:11 Ça pourrait vous plonger dans un état de désespoir total et pourtant vous êtes une
08:15 de ces lanceuses d'alerte qui restent positives.
08:19 Oui, je ne suis pas toute seule, fort heureusement, je crois que je me réveille le matin avec
08:23 une rage au ventre d'essayer de faire changer les choses de façon positive, collaborative.
08:28 Aujourd'hui, ce qui est assez formidable, et le rapport du Haut Conseil du Climat le
08:32 dit, on a toutes les solutions qui existent pour éviter le pire.
08:35 C'est vraiment un souci de volonté politique et aussi un problème d'éducation au sujet
08:41 du changement climatique.
08:42 Donc en fait on a toutes les cartes en main, encore faut-il les utiliser ces cartes.
08:46 Et pour moi, je le sais et j'en suis convaincue, que c'est par l'éducation, c'est par la
08:51 collaboration.
08:52 Vous allez dans les écoles d'ailleurs, qu'est-ce qu'ils vous disent les enfants ? Ils comprennent,
08:54 ils entendent ?
08:55 Oui, alors c'est vraiment pas facile pour ces jeunes générations qui ont beaucoup
08:58 du mal à se projeter dans l'avenir.
08:59 C'est des jeunes générations qui sont complètement sensibilisées au changement climatique pour
09:03 la plupart, mais qui sont déjà pleinement dans l'action.
09:06 Et on voit que quand on travaille avec les jeunes générations sur des projets, sur
09:11 des actions concrètes, efficaces, et bien ils y vont quoi.
09:13 Et c'est comme ça qu'il faut qu'on fonctionne, il faut qu'on dépasse les clivages, il faut
09:17 qu'on s'élève à la hauteur du défi qui est le changement climatique.
09:20 La Sentinelle du climat, parue aux éditions Harper Collins d'Idy Sévestre, vous retournez
09:26 au Pôle Nord là, c'est vous qui avez fait visiter les glaciers du Pôle Nord à Tom
09:30 Cruise notamment ?
09:31 Ah j'allais pas le laisser filer d'Isvaldvar sans l'emmener voir les glaciers.
09:34 Et comment il a réagi ? En fait il faut y aller pour voir, pour comprendre ?
09:37 Alors, il faut pas que tout le monde y aille, c'est sûr, mais je pense, je suis convaincue
09:41 qu'il faut que les personnes clés, quand elles y sont déjà, pouvoir leur expliquer
09:45 ce qui se passe et pouvoir leur montrer en fait la puissance de la nature.
09:49 Que quand la nature en travaille pas avec elle, les conséquences sont vraiment majeures.
09:52 Idy Sévestre, la femme qui pourrait retourner à le pire climato-sceptique je pense.
09:57 Merci à vous et belle journée.

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