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Solène Chalvon-Fioriti, grand reporter, réalisatrice du documentaire "Afghanes", est l'invitée de 7h50. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-09-mars-2023-4799733

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Transcription
00:00 Bonjour Solène Chalvon-Fioritti.
00:02 Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 On avait fait une promesse à la matinale d'Inter le 15 août 2021,
00:07 le jour de la chute de Kaboul aux mains des talibans.
00:09 C'est de ne pas oublier les femmes afghanes,
00:11 de continuer de parler du cauchemar absolu
00:14 qu'elles vivent tous les jours depuis un an et demi.
00:16 Et en cette semaine internationale des droits des femmes,
00:18 c'est à elles qu'on avait envie de penser ce matin.
00:21 À elles à qui vous donnez la parole dans votre documentaire
00:24 « Afghan » qui sera diffusé ce dimanche à 21h sur France 5.
00:28 Un documentaire exceptionnel.
00:30 Exceptionnel et déchirant, d'une gravité, d'une tristesse infinie.
00:34 Quatre générations de femmes bravent les interdictions
00:37 et acceptent de vous parler face caméra.
00:39 La situation des femmes est très dure,
00:41 on le sait dans de nombreuses régions du monde,
00:43 en Iran notamment on en parle.
00:45 Mais on se dit en voyant votre film, Solène,
00:47 que le pire du pire pour les femmes,
00:49 l'horreur absolue peut-être aujourd'hui,
00:51 au XXIe siècle, c'est de vivre dans l'Afghanistan des talibans.
00:55 Oui c'est ça, c'est une chute très très longue
00:58 dans un trou noir qui paraît ne pas avoir de fond.
01:01 Parce qu'on a d'abord vu les talibans s'attaquer aux femmes des villes.
01:05 Mais ça on l'attendait.
01:06 C'était leur rhétorique évidemment de s'en prendre aux femmes dépravées
01:09 qui s'étaient éduquées avec l'argent de la coalition internationale.
01:12 Mais ce qui est terrible,
01:13 et ce qui était franchement, ils ont défié les pronostics les plus pessimistes,
01:17 c'est qu'en fait ils s'en prennent aux femmes pauvres.
01:19 Ils s'en prennent aux femmes les plus vulnérables.
01:20 Parce que quand vous privez une femme de se baigner dans les bains publics,
01:23 vous pensez bien que c'est pas la classe moyenne supérieure que vous visez.
01:26 Quand vous les interdisez de mendicité,
01:28 interdite de mendicité, c'est évidemment les femmes les plus vulnérables,
01:31 les veuves, 3 millions dans le pays, que vous ciblez.
01:34 Et je parle même pas des femmes qui sont interdites des ONG,
01:37 parce que ça veut dire que si vous n'avez pas de femmes dans les ONG,
01:39 vous n'avez pas de femmes qui obtiennent de la nourriture
01:43 via les distributions de nourriture d'urgence
01:45 dans un pays où 90% des gens ont faim.
01:48 Donc c'est un cauchemar, vous l'avez dit.
01:50 Il n'y a pas d'autre mot pour parler de ce que vivent les Afghanes aujourd'hui,
01:54 des villes et à la campagne,
01:55 puisque à la campagne, même quand le quotidien n'a pas changé
01:58 par rapport au quotidien pré-Taliban,
02:00 elles meurent de faim.
02:01 Donc c'est un cauchemar, oui.
02:03 L'Afghanistan, c'est votre pays de cœur,
02:04 le pays où vous avez été correspondante pendant 10 ans.
02:06 Aujourd'hui c'est fini, puisque les Talibans vont vous en retirer.
02:08 Il y a quelques mois, votre permis de travailler.
02:11 On vous avait reçu il y a un an pour la sortie de votre livre.
02:14 Est-ce que vous diriez que la situation a empiré en un an ?
02:16 Que la situation des femmes s'est dégradée ces derniers mois ?
02:19 Non mais il n'y a pas de mot pour dire ce que c'est.
02:21 C'est une course à l'effacement du féminin.
02:23 C'est de la science-fiction.
02:25 Et alors je ne sais pas si c'est parce que je suis une femme que je ressens ça comme ça,
02:28 mais vous êtes là-bas.
02:29 Je pense qu'en Afghanistan, plus que dans n'importe quel autre pays du monde,
02:33 on se dit cette phrase qu'on se dit souvent quand on est journaliste,
02:35 c'est-à-dire "ma vie, ça aurait pu être ça".
02:37 "Ma vie, ça aurait pu être, parce que je suis une femme,
02:39 de ne pas être présentée au monde".
02:41 Et là, moi je l'ai déjà vécue en Afghanistan avant,
02:43 mais je pensais le vivre parce que c'était la guerre,
02:45 et parce que c'était pour ça qu'on faisait si peu sortir les femmes dehors.
02:48 Mais vous passez dans des foyers, dans des villes entières,
02:50 où en fait les petites filles regardent leurs frères aller à l'école,
02:54 ou dans des rues où vous passez des semaines à voir de moins en moins de femmes,
02:57 des ministères, même talibans, où je pouvais aller il y a un an,
03:00 où maintenant je ne peux plus rentrer parce que je suis une femme.
03:02 Donc ça vous envoie des flashs dans le ventre.
03:04 L'éducation.
03:05 On voit en fait dans votre film qu'après 12 ans, après l'âge de 12 ans,
03:09 elles n'ont plus le droit d'aller à l'école.
03:11 C'est interdit.
03:12 C'est interdit et du coup ce qui est en train de se développer,
03:14 et ça vous le montrez très bien,
03:16 ce sont des écoles clandestines.
03:17 C'est-à-dire à l'intérieur on voit les filles de 10-11 ans
03:21 qui ont encore le droit d'aller à l'école,
03:23 et en dessous, planquées dans des caves, cachées dans des sous-sols,
03:27 il y a des adolescentes de 15 ou de 16 ans qui sont cachées,
03:31 et à qui on enseigne de manière illégale donc,
03:34 et qui ont l'instruction, si jamais les talibans débarquent dans l'école,
03:38 vous fuyez par une porte cachée en dessous.
03:41 Oui, et c'est d'ailleurs absolument ce qu'il faut entendre,
03:44 et c'est pour moi très important de ne pas parler des afghanes sur un ton victimaire,
03:49 comme ça, avec ce logo qui nous aide beaucoup, la burqa avec son grillage,
03:52 comme si c'était l'important aujourd'hui en Afghanistan.
03:55 Les afghanes ne vont pas des apprendre à lire.
03:58 D'accord ? C'est trop tard.
04:00 Et les talibans l'ont très bien compris d'ailleurs,
04:02 puisque étonnamment, même s'il y a eu quelques exceptions dans les villes,
04:05 mais parce que c'était des écoles clandestines qui étaient dans les mains des femmes,
04:08 en réalité il faut qu'il y ait des patriarches associés à ces projets,
04:12 en réalité les talibans laissent faire pour le moment.
04:14 Et même en ruralité.
04:15 Et moi je vous assure, à chaque fois que j'y vais, j'envoie des nouvelles,
04:19 c'est toujours la même chose, c'est des petites structures, c'est 15, 10 nanas, pas plus.
04:24 Il faut quand même dire que les lycéennes...
04:25 Planquées ?
04:26 Planquées !
04:26 Mais ils le savent ?
04:27 Ils le savent parce que tout se sait en Afghanistan,
04:29 c'est-à-dire qu'ils le savent parce que les voisins sont au courant,
04:31 parce que les communautés sont au courant, mais aussi parce que très souvent,
04:34 les talibans sont même mis au courant,
04:35 mais parce qu'il y a un patriarche qui dit « Vous inquiétez pas, je check,
04:38 il n'y aura pas d'adolescents, il n'y aura pas de garçons autour,
04:41 tous les voisins connaissent ma maison, le Molla est au courant »,
04:44 ils laissent faire pour le moment.
04:45 Et il faut se réjouir parce que franchement, c'est peut-être le seul système éducatif
04:49 qui va exister pour les adolescentes afghanes dans les années à venir.
04:52 C'est ces écoles cachées.
04:54 C'est ces écoles clandestines, parfaitement.
04:56 Il y a le témoignage glaçant, peut-être le plus insoutenable de votre film, de Jamahel.
05:00 Jamahel, elle a 21 ans, elle a déjà 6 enfants.
05:02 6 enfants à 21 ans.
05:05 Et elle vous explique qu'elle a dû vendre sous la pression de son mari,
05:07 3 de ses petites filles.
05:08 On les voit jouer à côté d'elle d'ailleurs.
05:10 Elles disent « Moi quand je serai livrée à mon mari, je fuirai ».
05:15 300 euros chacune.
05:17 Et elles partiront quand elles auront 12-13 ans, pubères, rejoindre leur mari.
05:21 Et la mère vous dit « Je n'arrive plus à dormir depuis que j'ai vendu mes 3 filles ».
05:24 Oui, mais alors ça c'est vrai que la vente des petites filles,
05:27 on a assez peu d'outils pour mesurer à combien de milliers de familles on est.
05:32 Mais c'est un phénomène qui préexistait,
05:34 qui existait avant les talibans, qui était condamné par la république afghane.
05:37 Mais la vérité c'est que les juges de la république afghane,
05:39 comme les juges talibans aujourd'hui,
05:41 ne se soucient pas du tout de ce fléau terrible,
05:45 qui en plus, c'est là vraiment tous les effets pervers de ce qui est en train d'arriver en ce moment,
05:49 qui en plus est en hausse,
05:51 notamment à cause du fait que les filles ne vont plus à l'école.
05:54 Parce qu'elles ne vont plus à l'école.
05:56 Et donc elles restent dans les familles à ne rien faire.
05:59 Et donc les parents précipitent dans un contexte de crise économique foudroyant.
06:03 Je rappelle à nouveau, 90% des Afghans ont faim aujourd'hui.
06:06 Les parents précipitent les mariages de petites filles et les ventes.
06:10 Ils ont faim vous dites ?
06:12 La famine elle est partout.
06:13 Mais ils meurent de faim.
06:14 Et ce qui est terrible c'est que les filles,
06:16 parce que la tradition c'est de donner à manger d'abord aux garçons,
06:19 quand il reste parfois des restes,
06:21 on donne aux petites filles.
06:22 La malnutrition chez les petites filles est catastrophique.
06:25 C'est pour ça aussi que moi je suis évidemment très touchée,
06:28 et j'ai absolument voulu parler de l'éducation dans le film.
06:30 Mais il faut bien comprendre que les Afghans sont comme tous les parents du monde,
06:34 sont comme vous et moi,
06:35 avant de faire ouvrir un bouquin à leur gosse,
06:37 il faut que l'enfant il mange.
06:39 Et là en ce moment, vraiment ce qui est gravissime en Afghanistan,
06:42 c'est pas moi qui le dis, c'est l'ONU,
06:44 c'est la pire crise humanitaire en termes de densité, d'intensité pardon,
06:48 et de personnes touchées.
06:49 Et les premières victimes sont évidemment les femmes.
06:51 Et c'est pour ça que nous avons une responsabilité.
06:54 On ne peut pas se contenter de dire
06:56 "les talibans les détestent, on les déteste".
06:57 C'est trop facile, tout le monde les déteste.
06:59 Même les théocraties islamiques aujourd'hui les détestent,
07:01 ce sont l'AC2, le Pakistan, le Qatar.
07:03 Ils envoient des émissaires, les types arrivent là-bas,
07:05 ils prennent le thé, ils repartent dans l'avion,
07:07 ils ne saient rien passer.
07:08 On n'a pas de prise sur les talibans.
07:09 En revanche, on a une prise sur deux volets importants.
07:12 Le volet économique, il ne faudrait quand même pas oublier,
07:14 que la crise humanitaire a été précipitée par les pays donateurs,
07:18 que nous sommes, qui toutes ces années-là ont financé 40% du PIB afghan,
07:22 du jour au lendemain se retirent, retirent leurs billes.
07:25 Résultat, le système financier est complètement écroulé.
07:28 Les talibans ne sont pas chefs d'entreprise,
07:30 les talibans ne sont pas ingénieurs,
07:32 on paralyse complètement une économie nationale.
07:34 Qu'est-ce qu'il faut faire ?
07:35 Déjà on peut parler de...
07:36 Parce que ce qu'on ressent quand on regarde votre film,
07:38 c'est évidemment qu'on est bouleversé, on est bouleversé.
07:40 Je tiens à le dire, moi ça fait très longtemps que je n'ai pas vu un film
07:42 qui m'a scotché comme ça aussi fortement.
07:46 Voilà, c'est extrêmement fort.
07:49 Mais en même temps on se sent complètement impuissant.
07:51 C'est-à-dire que qu'est-ce qu'on peut faire ?
07:52 On ne l'est pas, soyez rassurés Madame Salamé, on ne l'est pas.
07:55 On peut questionner les sanctions américaines
07:58 qui aujourd'hui empêchent d'envoyer de l'argent en Afghanistan.
08:01 Vous voulez aider les gamines que vous avez vues dans le film
08:03 à envoyer 50 euros histoire d'avoir du bois dans le poêle
08:06 et des livres pour les gosses pour un an ?
08:07 Mais ça arrivera les 50 euros ?
08:08 Vous ne pouvez pas !
08:09 Mais non, parce que les sanctions financières vous empêchent d'envoyer de l'argent là-bas.
08:13 Parce que les sanctions américaines n'ont pas été levées.
08:16 On peut les questionner.
08:17 On a aussi tous les avoirs de la Banque centrale d'Afghanistan
08:20 qui sont bloqués encore aujourd'hui aux Etats-Unis.
08:22 Alors que vous avez plein d'économistes qui vous expliquent
08:24 que maintenant il y a des mécanismes, qu'ils expliqueront bien mieux que moi,
08:27 mais qui permettent de renvoyer de l'argent en Afghanistan
08:29 sans qu'il arrive dans la poche des talibans,
08:30 mais juste pour faire fonctionner une économie nationale.
08:33 Personne en fait ne questionne ça.
08:34 On oublie qu'on a encouragé les talibans à revenir
08:37 sous les ordres des palais présidentiels de Doha
08:40 et qu'en fait du jour au lendemain,
08:41 on a précipité ce pays dans un chaos humanitaire terrible.
08:45 Autre chose qu'on peut faire, je vous rappelle
08:47 qu'autour de nous, nous sommes en Europe,
08:49 que nous voyons des ukrainiennes arriver,
08:51 et je m'en félicite, évidemment je suis européenne toute la journée,
08:54 personne ne se pose la question d'empêcher les ukrainiennes de venir.
08:57 Pourquoi on ne fait pas la même chose avec les afghanes ?
08:59 Où ça en est ?
09:00 Vous avez une bonne nouvelle,
09:01 alors ceux qui regarderont le film, c'est Souraya.
09:05 Oui, tout à fait, c'est Souraya, cette physiothérapeute
09:07 qui est donc atrocement menacée et traquée
09:10 par un profiteur de guerre d'ailleurs,
09:11 qui n'est pas taliban, mais qui profite de ce régime délétère
09:14 pour être en amnesty.
09:15 Elle vient d'obtenir son visa pour la France,
09:18 et elle sera là la semaine prochaine,
09:19 et ça c'est une merveilleuse nouvelle.
09:21 Mais, Souraya ne doit pas nous faire oublier
09:23 que la France n'accorde pas l'asile systématiquement aux afghanes,
09:26 ce qui est le cas maintenant de nos voisins européens
09:28 danois, suédois et bientôt finlandais.
09:30 Alors moi je souhaite, évidemment...
09:32 C'est-à-dire que les finlandais et les danois, il faut comprendre,
09:35 la seule condition que l'on leur demande c'est d'être femmes.
09:37 C'est tellement grave la situation des femmes,
09:39 c'est qu'ils donnent des visas parce qu'elles sont juste femmes.
09:41 Sur la seule condition de votre genre,
09:43 je souhaite que mon pays fasse la même chose.
09:45 Et en réalité, ce qu'il se passe,
09:46 oui, ils donnent l'asile à 95% des afghanes,
09:49 mais elles attendent pendant des mois au Pakistan,
09:51 prises dans des réseaux de prostitution
09:53 et des marchands de sommeil,
09:54 des mois et des mois,
09:55 alors qu'il ne nous reste qu'à renforcer
09:57 les équipes consulaires sur place,
09:59 ce qu'on ne fait pas,
10:00 et évidemment c'est une décision politique.
10:02 Et bien déjà pour ne pas les oublier ces afghanes,
10:03 on peut regarder votre documentaire ce dimanche,
10:05 "Selen Chalvon Fioriti", ça s'appelle "Afghanes",
10:08 une heure et quart que vous n'oublierez pas,
10:10 et qui relativise beaucoup de choses sur ce qu'on vit ici,
10:13 le cri déchirant des afghanes,
10:15 c'est dimanche à 21h sur France 5.
10:17 Merci.
10:18 Merci à vous.

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