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Michel Aubouin, ancien préfet, répond aux questions de Dimitri Pavlenko à l'occasion du vendredi thématique "La France fracturée". En 2016, il a rendu au premier ministre, Manuel Valls, un rapport sur la situation dans les banlieues. Son dernier livre "Le défi d’être français" a été publié en mai aux éditions des Presses de la Cité. Il est également l’auteur du livre "40 ans dans les cités" chez le même éditeur.

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Transcription
00:00 - 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le préfet Michel Auboin.
00:06 - Bonjour Michel Auboin. - Bonjour.
00:08 - Bienvenue sur Europe 1, préfet, inspecteur général d'administration, vous avez été de 2009 à 2013
00:13 directeur de l'intégration des étrangers et des naturalisations au ministère de l'Intérieur,
00:17 vous écrivez également en 2019 un livre qu'on a envie de ressortir de sa bibliothèque en ce moment,
00:22 "40 ans dans les cités" et cette année "Le défi d'être français",
00:26 tous deux publiés aux éditions presse de la Cité. On sollicite votre expertise ce matin sur Europe 1,
00:31 Michel Auboin, après cette troisième nuit d'émeute dans ces cités que vous avez sillonnées
00:36 pendant toute votre carrière, on s'interroge sur ce que signifie cette explosion de violence,
00:40 n'a-t-elle à voir qu'avec la mort du jeune Nahel ? Avec qui, avec quoi, les émeutiers règlent-ils leur compte ?
00:46 C'est le vendredi thématique de la rédaction d'Europe 1, Michel Auboin, on est face à quoi ce matin ?
00:51 Une émeute ? Une insurrection ? Qu'est-ce que...
00:54 - Alors, on est face à une émeute. Je ne pense pas qu'on soit face à une insurrection,
01:00 parce que ça voudrait dire qu'il y a une organisation, qu'il y a un sens politique, etc.
01:03 Il n'y a aucun sens politique.
01:05 - Mais il y avait une organisation, Gérald Darmanin le disait hier, il y a des actions coordonnées...
01:09 - Oui, mais c'est comme pour les Gilets jaunes, c'est-à-dire que c'est coordonné parce que les réseaux sociaux se coordonnent tout seuls.
01:14 Vous dites à 3h du matin on attaque, et nous aussi à 3h du matin, et ailleurs c'est aussi à 3h du matin.
01:20 - C'est tactique, mais il n'y a pas de stratégie, il n'y a pas de direction politique.
01:23 - Non, il n'y a pas de stratégie, et derrière il n'y a pas de message politique,
01:26 parce qu'on se leurre si on imagine que ces jeunes regardent la télévision,
01:31 écoutent les discours du président de la République,
01:34 ils ont une vision tellement étroite du monde dans lequel ils vivent,
01:38 que de toute façon, les institutions publiques sont un être totalement abstrait pour eux.
01:46 - En revanche, le tweet de Kylian Mbappé, vu 16 millions de fois, ça a de l'impact ?
01:50 - Ça c'est terrible, ça c'est absolument terrible, parce que là pour le coup,
01:53 ça c'est sur les réseaux sociaux, c'est un de leurs héros, à raison d'ailleurs,
01:57 et je trouve que c'est...
02:01 je n'ai pas vraiment de qualificatif pour ça, mais franchement c'était totalement inadapté.
02:07 - Qu'est-ce qui d'après vous, Michel Auboin, explique que ça ait cristallisé de la sorte
02:11 sur cette affaire, Naël, et pas sur une autre ?
02:14 Parce que factuellement, il y a eu 13 morts l'an dernier,
02:16 par l'ouverture du feu des forces de l'ordre, dans des circonstances de refus d'obtempérer,
02:22 ça n'a pas embrasé les cités ?
02:24 - Oui, alors ça n'embrase pas toujours les cités, mais c'est comme la mèche,
02:29 la lumette et la dynamite, la dynamite elle est toujours là,
02:33 et la mèche elle est toujours prête à s'enflammer,
02:36 donc l'événement qui crée l'émeute, il est toujours tenu,
02:40 mais là il y a l'identification, alors il y a les vidéos,
02:45 sur lesquelles il faut attendre quand même que l'IGPN fasse les analyses
02:51 pour savoir exactement comment les choses sont se passées,
02:53 parce que j'ai fait comme tout le monde, je les ai regardées,
02:55 mais je ne suis pas capable de porter un diagnostic,
02:57 mais au-delà des vidéos, il y a l'identification de la plupart des jeunes
03:03 à ce jeune qui a été tué.
03:05 L'âge, l'origine sociale et l'origine ethnique,
03:10 mais aussi le fait qu'il avait bravé la police,
03:13 ce qui est quand même un acte d'exploit dans les quartiers.
03:16 - Il est un héros dans les cités ?
03:19 - Oui, je pense qu'il a été à un moment un héros,
03:22 et il a été le héros, celui qui...
03:25 - Et donc à partir, puisqu'il est tombé sous les balles de la police.
03:27 - Oui, d'une certaine façon on peut dire les choses comme ça.
03:29 - Pour aller vite.
03:30 - Oui, on peut dire les choses comme ça,
03:32 donc le phénomène est un phénomène d'émotion collective,
03:36 irrationnel, complètement irrationnel,
03:38 et donc du coup difficile à encadrer.
03:40 - Alors, une phrase entendue à la télévision m'a laissé perplexe,
03:44 Michel Auboin, je voudrais vous faire réagir.
03:46 C'est une femme qui connaissait le jeune Nahel,
03:48 donc elle l'interviewait à Nanterre, le micro lui est tendu par un journaliste,
03:51 et elle dit, cette femme, "c'est un enfant, il était en règle dans le quartier".
03:55 Il était en règle dans le quartier.
03:58 Sous-entendu, il y a une loi du quartier,
04:00 et Nahel la respectait,
04:02 mais semble-t-il, la loi en général, c'était pas forcément le cas.
04:05 - Oui, mais c'est tout à fait intéressant,
04:07 parce que c'est en fait, c'est bien ça le sujet.
04:09 On avait écrit il y a quelques années,
04:12 les territoires perdus de la République,
04:14 mais c'est pas vraiment des territoires perdus de la République,
04:17 c'est des territoires qui relèvent d'un droit
04:21 qui n'est pas celui du droit de la République.
04:23 C'est plutôt ça le sujet, c'est-à-dire que
04:25 ce sont créés à l'intérieur de ces quartiers, des règles,
04:29 qu'effectivement chacun respecte,
04:31 mais qui sont pas du tout nos règles de vie commune.
04:34 - Évidemment, on fait tous le parallèle depuis trois jours
04:37 avec les émeutes de 2005,
04:40 Michel Auboin, vous les avez vécues au plus près à l'époque.
04:42 Ça vous paraît opérant, cette comparaison ?
04:45 Est-ce que c'est plus grave aujourd'hui qu'il y a 18 ans ?
04:47 - C'est en fait, depuis qu'on étudie ces phénomènes d'émeutes urbaines,
04:52 c'est-à-dire depuis le milieu des années 90,
04:55 parce que nous on avait sorti un rapport au ministère de l'Intérieur en 95
04:58 sur le sujet, depuis c'est toujours le même schéma,
05:02 donc les mêmes causes qui produisent les mêmes effets.
05:04 Donc là, là-dessus, il était absolument prévisible
05:08 qu'après la mort de ce garçon et dans ces circonstances-là,
05:10 on aurait une suite d'émeutes.
05:12 - Alors les causes, quelles sont les causes, justement ?
05:14 - Les causes, c'est toujours une cause émotionnelle,
05:17 c'est ce qu'une sociologue avait qualifié d'émeute de la mort,
05:21 c'est-à-dire la mort d'un jeune provoque aussitôt une émotion,
05:24 irrationnelle d'une certaine façon,
05:26 mais une émotion très forte dans le milieu des jeunes,
05:30 et aussitôt le quartier s'enflamme.
05:32 - Mais est-ce que ça a vraiment un lien ?
05:34 Je vous pose la question parce que Pascal Bruckner dans le Figaro
05:37 dit que la mort tragique du jeune Nael n'est qu'un prétexte,
05:39 quand on voit que cette nuit on va piller des magasins Nike,
05:43 on va piller un McDonald's,
05:45 on va voler des motos dans une concession Yamaha,
05:47 enfin franchement ça n'a plus rien à voir avec Nael.
05:49 - Oui, mais parce que c'est pas une revendication,
05:51 je pense qu'il y a une lecture politique qui est fausse du sujet,
05:53 c'est pas une revendication.
05:55 Et quand ils vont piller un magasin de motos en dehors des émeutes,
05:59 ils pillent aussi,
06:01 donc d'une certaine façon ça amplifie le phénomène.
06:04 - Mais là il y a des opportunités plus grandes.
06:06 - Des voitures volées il y en a quand même toutes les nuits en France,
06:08 donc là il y a une opportunité,
06:10 et c'est d'une façon de s'exprimer,
06:12 pas profondément stupide,
06:14 mais c'est une façon de s'exprimer.
06:16 Pour finir de répondre à la question,
06:18 qu'est-ce qui a changé depuis 2005 ?
06:20 C'est l'éparpillement des quartiers,
06:24 y compris dans les villes moyennes de province.
06:26 - En 2005 on voyait pas ça dans des villes de 10 à 15 000 habitants ?
06:29 - Non, en 2005 ce qui a fait la cohésion du groupe,
06:33 c'est le téléphone portable qui s'était généralisé dans les quartiers,
06:36 et donc en fait c'est des réseaux ou familiaux ou des réseaux de business
06:40 qui ont fait que les jeunes étaient en contact les uns avec les autres.
06:43 Aujourd'hui c'est TikTok et les réseaux sociaux
06:46 qui font le lien entre les quartiers,
06:48 et des quartiers on en a partout en France,
06:50 et donc le feu va prendre dans tous les territoires.
06:52 - On a l'impression que les cités aujourd'hui tiennent sur deux jambes,
06:55 Michel Auboin, l'islam,
06:57 et le crime organisé, je disais à un policier,
07:00 dire que les quartiers les plus en pointe, comme par hasard,
07:02 sont ceux où l'action policière est la plus résolue
07:04 contre le trafic de drogue.
07:06 C'est caricatural ce que je viens de dire ?
07:08 - Non, non, c'est pas caricatural.
07:11 Alors les deux phénomènes sont pas liés,
07:13 l'islam d'un côté et le trafic de drogue de l'autre.
07:15 Le trafic de drogue, c'est une calamité française.
07:19 Et à un moment ou un autre, il faudra quand même faire quelque chose
07:22 pour y mettre fin, ou en tout cas le réguler.
07:24 - Pas seulement, on est en Belgique, aux Pays-Bas, partout.
07:26 - Oui mais on est quand même les champions d'Europe
07:28 de la consommation de drogue dure,
07:30 et en particulier de cocaïne,
07:32 et c'est ça qui est en train de pourrir la vie des quartiers aujourd'hui.
07:35 Donc ça, il faudra qu'à un moment ou un autre,
07:37 on mette en place des actions comme d'autres pays l'ont fait.
07:39 Je ne veux pas dire qu'ailleurs, aux Etats-Unis en particulier,
07:41 on ait réussi avec la DEA,
07:43 mais il n'empêche que nous, on n'a même pas le système
07:45 qui permettrait de lutter contre ces drogues.
07:48 Ces trafics qui génèrent des milliards de revenus annuels,
07:52 ça c'est le premier sujet.
07:54 L'islam est un autre sujet, et il n'est pas lié quartier par quartier.
07:58 - Et comment vous voyez la...
08:00 Est-ce que nos institutions sont capables aujourd'hui
08:03 de régler ces problèmes-là ?
08:05 Ils sont immenses, on n'a pas eu le temps de parler du logement aussi.
08:08 Et cette croyance, qui a été d'ailleurs vue encore,
08:11 Emmanuel Macron en a fait preuve cette semaine,
08:14 que tous les problèmes des banlieues sont solubles dans les milliards d'argent public.
08:17 - Oui, ce qui est une énorme bêtise,
08:19 parce qu'on a utilisé ces moyens,
08:22 on a mis des milliards effectivement dans la rénovation urbaine,
08:25 dans la politique de la ville, on voit les résultats.
08:28 Non, non, mais c'est une réflexion qu'il faudrait conduire,
08:31 que personne ne conduit, parce qu'elle a trait au logement,
08:36 à la politique française du logement social,
08:38 elle a trait à l'éducation, elle a trait à l'immigration aussi,
08:42 et elle a trait à l'animation, à l'éducation,
08:46 c'est un projet complexe, c'est pas forcément global,
08:49 mais c'est en tout cas très complexe,
08:50 et donc il faudrait qu'un jour, quelqu'un s'en occupe au niveau central.
08:53 - Oui, mais pas tout seul, parce que visiblement, c'est une tâche de titan.
08:56 Merci d'être venu sur Europe 1 ce matin,
08:58 Michel Auboin, je rappelle vos deux ouvrages,
09:01 le dernier, "Le défi d'être français", qui parle de l'intégration,
09:04 et le précédent, 2019, qui mériterait peut-être une mise à jour,
09:07 mais en l'occurrence, ça se lie encore extrêmement bien,
09:09 on y apprend plein de choses,
09:10 "40 ans dans les cités", les deux parus aux éditions presse de la Cité.
09:13 Bonne journée à vous, Michel Auboin.

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