Christophe Boissier, futur ex-directeur de l'école Georges Bruguier, à Nîmes.
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00:00 Ici c'est le 6/9 de France Bleu-Garloser.
00:04 7h45, Quentin Pérez de Tudela, un invité exceptionnel ce matin.
00:09 Pré-retraité dans l'enseignement, comme on disait jadis, un hussard de la République
00:13 qui va raccrocher la blouse dans une semaine après 40 ans de carrière durant lesquels
00:18 il a eu de cesse de défendre les valeurs de la démocratie républicaine dans les quartiers
00:23 populaires nîmois où il a incarné malgré lui une forme de résistance face aux dealers.
00:27 Quentin, votre invité, le futur ex-directeur de l'école Jean-Georges Bruguet.
00:31 Bonjour Christophe Wassier, merci d'être en studio avec nous jusqu'à 8h30 parce que
00:37 vous avez pas mal de choses à nous dire, votre parcours d'instit d'abord qui a démarré
00:43 je crois par un crash, vous avez eu paraît-il 4 de moyenne au bac.
00:47 C'est vrai ça ou c'est une légende ? Non, non, c'est pas une légende, c'était
00:53 mon premier bac, j'ai des excuses, j'étais en sport études et donc j'étais pas souvent
00:57 sur les cahiers, j'étais souvent sur les skis et puis voilà je m'intéressais qu'au
01:01 sport, au sport à la montagne déjà et donc je travaillais pas beaucoup, j'étais en
01:05 terminale C et ça a pas loupé.
01:07 La terminale C c'était à l'époque scientifique.
01:09 La scientifique, maths et sciences quoi.
01:11 Et donc voilà je me suis étalé, j'ai eu un en maths, deux en physique, ça a été
01:17 la catastrophe et donc mes parents m'ont proposé de revenir sur Nîmes pour passer
01:21 le bac et repartir là-haut puisque j'étais bien dans les altitudes et puis voilà je
01:26 suis revenu et je ne suis jamais reparti.
01:28 Vous avez fait comme au ski en fait, vous êtes tombé mais vous êtes relevé finalement.
01:32 Oui, oui, je suis souvent tombé et je me suis toujours relevé donc je dois avoir une
01:37 bonne étoile.
01:38 C'est un bon message d'espoir quand même ça pour les candidats du bac qui vont bientôt
01:42 découvrir leurs résultats.
01:44 Il y en a pour qui ces résultats-là seront pas bons, quel conseil vous leur donneriez
01:49 à ces élèves-là ? De jamais renoncer.
01:51 J'ai un bon exemple, c'est ma grande-fille qui avait arrêté les études après le bac
01:57 et qui les reprend maintenant à 35 ans.
02:00 Donc voilà, jamais arrêter, ne jamais renoncer à ses rêves, les mettre en pause peut-être
02:03 mais en tous les cas toujours y croire et puis saisir les chances quand elles se présentent.
02:08 Ça peut être un enseignant, ça peut être un éducateur, ça peut être un copain, ça
02:11 peut être un parent.
02:12 Donc ne jamais lâcher.
02:13 Ne jamais dramatiser aussi ? Ah oui, ne jamais dramatiser, revendiquer mais pas se plaindre.
02:17 Prendre ses responsabilités et puis les assumer et aller de l'avant.
02:24 Des candidats qui seront peut-être en difficulté.
02:27 Vous, vous en avez connu beaucoup des élèves en difficulté.
02:31 Dans ce cas-là, j'imagine dans les écoles des quartiers populaires de Nîmes où vous
02:34 avez fait l'essentiel de votre carrière.
02:36 Pourquoi d'ailleurs vous avez choisi d'enseigner uniquement dans ces endroits-là ?
02:40 Au début, ce n'était pas ce que j'avais choisi.
02:45 Au début, j'étais enseignant à Saint-Gilles, j'étais enseignant à Galicia, à Besous.
02:49 Donc voilà, c'était assez tranquille.
02:51 Je me suis très vite rendu compte qu'il y a des enfants pour lesquels on n'a pas besoin
02:56 de faire grand-chose.
02:57 Ils vont au musée, ils partent en vacances, on les ouvre sur le monde et puis il y en
03:02 a d'autres pour lesquels c'est un peu plus compliqué.
03:04 Soit parce qu'ils ont eu moins de chance dans la vie, soit parce qu'ils n'ont pas les moyens
03:12 qui leur permettraient de réussir à tout prix.
03:14 C'est cela qui m'a ému, c'est cela que j'ai eu envie d'aider.
03:17 Parce que c'est très bien que suivant où on vit, suivant dans quel cadre on est éduqué,
03:23 on n'a pas les mêmes réussites dans la vie.
03:26 Donc voilà, je me suis tout de suite intéressé à ces gamins.
03:29 Et puis de plus en plus, j'ai fait des choix qui allaient vers ces enfants cabossés.
03:34 L'école Breguier notamment ? Je crois que c'est l'école où vous avez passé le plus
03:37 de temps sans doute, non ? 12 ans ?
03:39 Oui, ce sera l'école dans laquelle j'ai passé le plus de temps.
03:41 C'est un hasard, c'était le quartier de mes grands-parents, je ne pensais pas y revenir
03:47 comme ça.
03:48 Et ces 12 belles années.
03:49 Et en effet, dans cette école de Breguier, comme dans beaucoup d'autres, il y a des enfants
03:54 qui ont besoin de plus d'attention et qui ont besoin qu'on se creuse la tête pour les
04:00 faire réussir.
04:01 On y arrive souvent, pas toujours.
04:03 Et quand on y arrive, c'est assez grisant.
04:06 Pour en revenir à l'école Georges Breguier, pourquoi vous y avez passé 12 ans ? Qu'est-ce
04:11 qui vous a décidé d'y passer autant de temps ?
04:13 Je n'ai rien décidé, c'est-à-dire qu'une équipe s'est créée, une équipe s'est formée.
04:20 Quand je dis une équipe, c'est les collègues enseignants, mes soeurs qui sont des copains.
04:24 Ils me le rendent bien tous les jours pour faire en sorte que je ne les regrette pas,
04:27 ils me font des misères à tous les jours.
04:28 Mais voilà, une équipe extraordinaire d'enseignants, une équipe au sens large avec les partenaires,
04:34 avec les parents qui aussi me montrent à quel point, semble-t-il, on a bien fait le boulot.
04:40 On était bien et on s'est tous très bien entendus, on a tous fait des consensus.
04:49 Parce que quand on est une trentaine, c'est quand même difficile de faire des choix.
04:52 Mais on a toujours eu la même envie, le même souhait d'aller dans la même direction,
04:57 d'aider les enfants.
04:58 Donc ça roule, ça marche, ça rigole, ça plaisante, mais ça bosse et c'est super.
05:03 Vous l'aimez cette école ?
05:04 La première chose que vous avez dit en rentrant dans ce studio, c'est que ça m'embête
05:08 de ne pas être là à 6h30 à l'école.
05:10 J'aime pas ne pas être là quand les enfants arrivent.
05:13 Oui, parce que s'il se passe quelque chose, d'abord c'est moi qui suis responsable.
05:16 Alors j'ai eu l'autorisation de la hiérarchie pour être dans vos locaux, mais oui, c'est
05:20 toujours la crainte.
05:21 Quand je suis en réunion ou même quand je suis malade, j'ai toujours peur que quelque
05:24 chose se passe et que je ne puisse pas gérer les choses.
05:27 Il va falloir que ce sentiment disparaisse parce que le 4 septembre, les gosses sont
05:31 à l'école et moi non.
05:32 Parce que ça n'a pas toujours été simple dans cette école, Jean-Lebrugier ?
05:35 Non, mais est-ce qu'il y a des vies qui sont simples ?
05:37 Est-ce qu'il y a des vies professionnelles qui sont simples ?
05:39 Est-ce qu'il y a des vies professionnelles sans accidents, sans difficultés ?
05:42 Et je vous avouerai que les difficultés, j'aime ça, donc ça allait bien.
05:46 Vous êtes devenu dans cette école, malgré vous, si on peut dire, un héros aux yeux
05:49 des médias, le directeur qui a résisté aux dealers.
05:53 C'est ce que vous avez incarné.
05:54 C'était il n'y a pas si longtemps d'ailleurs, c'était il y a deux ans et demi.
05:57 Comment vous l'avez vécu cette période-là ?
05:58 Alors, je veux rectifier.
06:01 Moi, je n'étais pas le directeur face aux dealers.
06:03 J'étais le directeur face aux gens qui pénétraient dans l'école et qui nous empêchaient de
06:07 faire ce qu'il se passe autour de l'école.
06:08 C'était des dealers ?
06:09 Oui, oui, c'était des individus qui fuyaient et qui partaient en courant.
06:14 Mais ce qui se passe en dehors de l'école, ça ne me regarde pas en tant que citoyen,
06:17 bien sûr, en tant que père, oui, grand-père aussi.
06:20 Mais ce qui m'intéressait, c'était la sécurité de mes élèves, de mes enseignants,
06:24 des équipes et de pouvoir faire en sorte qu'ils travaillent correctement.
06:27 Donc oui, j'ai essayé d'assurer du mieux avec toute l'équipe parce qu'on s'est
06:32 porté mutuellement.
06:33 Mais comment vous l'avez vécu moralement ?
06:36 Je l'ai vécu…
06:37 Cette phase ?
06:38 Il y a eu deux phases.
06:39 Parce que l'école a dû être délocalisée, grâce à l'action des services de la télé.
06:43 Oui, dans un centre aéré, exactement.
06:44 Et puis moi j'emmenais les gamins avec les bus et puis je rentrais travailler à l'école.
06:47 Je l'ai vécu en deux phases, c'est-à-dire que tant que j'ai eu la tête dans le guidon,
06:50 je me suis rendu compte de rien, je prenais les épreuves les unes après les autres et
06:54 puis ça s'est très bien passé.
06:56 Et puis quand le reportage d'un voyage spécial est passé à la télé, bon je n'ai pas
07:00 la télé mais j'ai branché l'ordi, j'ai regardé ça avec ma compagne.
07:02 Là ça a été dur, ça a été dur parce que j'ai réalisé dans quelle situation on était,
07:09 dans quelle situation on vivait.
07:10 Donc je me suis arrêté deux semaines je crois.
07:12 Il a fallu vraiment que je coupe net.
07:14 Ça a été difficile.
07:16 Je vous le sens, et moi là on est heureux pas.
07:19 Ouais, ouais, parce que c'était un mauvais passage.
07:21 Et puis bon, moi là j'ai relevé la tête comme j'arrive à le faire.
07:25 Est-ce qu'à un moment donné vous vous êtes dit "j'arrête là, c'est pas possible,
07:28 j'y arriverai pas" ?
07:29 Oh non, jamais de la vie.
07:30 Non, non, non, non.
07:31 C'est un problème très émotif, donc voilà, c'était difficile de me voir comme ça.
07:34 C'était difficile surtout de voir que les gamins souffraient.
07:38 Et puis après voilà, bon, je me suis reposé, j'ai fait mon sport, je suis parti me balader.
07:43 Ma famille et ma compagne m'ont bien aidé.
07:45 Et puis voilà, je suis retourné à l'école mais comme si de rien n'était.
07:50 J'ai jamais rien craint, j'ai jamais… voilà, de nouveau j'étais en forme pour
07:54 bosser quoi.
07:55 Vous dites que les enfants souffrent de cette situation-là.
07:57 On se souvient de ce reportage d'Envoyé Spécial où on voit une enseignante qui explique
08:01 à ses élèves la manière dont il faut réagir face à ces trafiquants qui traversaient la
08:05 cour de votre école.
08:06 Ben oui, c'était des paroles et des gestes qu'on ne devrait pas avoir à tenir dans
08:12 une école.
08:13 C'est ça qui me mettait en rage et c'est ça qui a fait que je me suis battu.
08:16 Et je remercie encore la ville de Nîmes pour nous avoir délocalisés parce qu'on a…
08:20 quelques fois j'ai entendu dire qu'on en faisait trop, qu'il n'y avait pas péril
08:24 à la demeure, que les médias faisaient le buzz.
08:26 Il fallait voir la tête des gamins le lundi matin quand on savait qu'on ardait dans
08:30 le quartier.
08:31 On n'en fait jamais trop pour les enfants.
08:32 Jamais.
08:33 Christophe Boissy, on se retrouve juste après ce disque.
08:36 Vous restez avec nous sur France Bleu Garloseur.
08:38 Et puis, parole aux auditeurs de France Bleu Garloseur.
08:41 Est-ce qu'il y a un instituteur, un prof qui vous a marqué, qui vous a inspiré, qui
08:46 a changé votre vie, qui vous a peut-être donné envie d'être instituteur ou professeur ?
08:50 Appelez-nous au 04 66 21 36 37.