• l’année dernière
Dans notre monde ultra-militarisé, où les dépenses militaires ont recommencé à augmenter de manière complètement folle, qu’est-ce qui au final décide des combats et consacre les hégémonies ? L’arme nucléaire ? Les chars de guerre ? Le nombre de fantassins ? L’histoire retiendra peut-être que le premier gros coup qui a été fait à Vladimir Poutine depuis le début de sa guerre en Ukraine n’a pas été causé par les livraisons massives d’armes occidentales à l’Ukraine de Volodymyr Zelensky mais par la mutinerie ou le mouvement d’humeur de Evgueni Prigojine, le patron de la société militaire privée Wagner. Qu’est-ce que cela nous dit de notre monde tel qu’il va et tel qu’il ne va pas ?

Théophile Kouamouo aborde ce sujet avec le politiste et spécialiste des relations internationales Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris. Ils évoquent également la dernière initiative d’Emmanuel Macron sur le plan international, le sommet pour un pacte financier mondial, qui a eu lieu les 22 et 23 juin derniers. Coup d’épée dans l’eau ou vraie percée ? La France peut-elle encore peser sur le cours des choses à l’international ? C’est le premier épisode de la nouvelle version de l’émission “Le Monde n’a pas de centre”.

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00:04 Dans notre monde ultra militarisé, où les dépenses militaires ont recommencé à augmenter
00:10 de manière complètement folle, qu'est-ce qui au final décide des combats et consacre
00:16 les hégémonies ? L'arme nucléaire, les chars de guerre, le nombre de fantassins.
00:21 L'histoire retiendra peut-être que le premier gros coup qui a été fait à Vladimir Poutine
00:26 depuis le début de sa guerre en Ukraine n'a pas été causé par les livraisons massives
00:30 d'armes occidentales à l'Ukraine de Volodymyr Zelensky, mais par la mutinerie ou le mouvement
00:35 d'humeur de Evgeny Prigojin, le patron de la société militaire privée Wagner.
00:40 Qu'est-ce que cela nous dit de notre monde tel qu'il va et tel qu'il ne va pas ? J'aborderai
00:45 ce sujet avec le politiste et spécialiste des relations internationales Bertrand Baddy,
00:50 professeur émérite à Sciences Po Paris.
00:52 On parlera également de la dernière initiative d'Emmanuel Macron sur le plan international,
00:57 le sommet pour un pacte financier mondial qui a eu lieu les 22 et 23 juin dernier.
01:03 Coup d'épée dans l'eau ouvrait percées, la France peut-elle encore peser sur le cours
01:08 des choses à l'international ? C'est le premier épisode de la nouvelle version de
01:12 l'émission "Le Monde n'a pas de centre".
01:14 Bonjour Bertrand Baddy.
01:24 Bonjour.
01:25 Avant de commencer notre discussion, j'aimerais qu'on regarde un petit magnéto sur les derniers
01:29 développements de l'affaire Wagner-Prigojin en Russie.
01:32 Scène de liesse hier soir à Rostov en Russie, là où a démarré la rébellion de la milice
01:39 Wagner, des soldats qui prennent la pause et leur chef, Evgeny Prigojin, salué comme
01:46 un héros, il quitte la ville avec ses hommes.
01:49 La négociation s'est faite sous l'égide de la Biélorussie.
01:53 Evgeny Prigojin a reçu l'assurance que ni lui ni ses hommes ne seraient inquiétés.
01:58 Le patron de Wagner a-t-il été soutenu au sein même de l'armée russe ? D'après
02:04 le New York Times, les services de renseignement américains s'interrogent notamment sur
02:08 le rôle qu'a pu jouer cet homme.
02:11 Il s'appelle Sergeï Sourovikhin, c'est un général, un personnage important de l'état
02:16 major russe.
02:17 Il a dirigé notamment l'opération spéciale en Ukraine jusqu'au mois de janvier, moment
02:22 auquel il a été relevé de ses fonctions.
02:24 Les renseignements américains affirment que Sourovikhin a été mis au courant, qu'il
02:29 était au courant des projets d'Evgeny Prigojin.
02:32 Où se trouve le général russe Sergeï Sourovikhin ? Selon le Moscow Times, ce cadre de l'armée
02:38 aurait été arrêté après la mutinerie du groupe Wagner.
02:41 Dans cette vidéo datant de vendredi dernier, il appelait le groupe paramilitaire à discuter
02:45 avec l'armée.
02:46 Il n'a pas été vu depuis samedi, sa fille affirme qu'il est au travail et les autorités
02:51 restent silencieuses.
02:52 Alors Bertrand Bady, vous êtes l'auteur de nombreux livres, notamment d'Intersocialité,
02:57 le monde n'est plus géopolitique, aux éditions du CNRS.
03:00 Et votre thèse c'est que, et je vous cite, "l'arène internationale ne se limite pas,
03:04 ne se limite plus à une simple juxtaposition d'État, mais est sous l'emprise d'un
03:08 tissu social qui conditionne de plus en plus l'action des dirigeants, car les conflits
03:13 actuels ne sont plus dominés par le choc des armées, mais alimentés par des phénomènes
03:18 de souffrance sociale, comme la pauvreté, l'insécurité alimentaire, les rivalités
03:23 communautaires."
03:24 Est-ce que finalement, cette manière de voir ne trouve pas une confirmation dans la crise
03:29 Poutine-Prigojin en Russie ? Au final, ce sont les contradictions internes du système
03:34 et de la société russe qui l'ont vraiment fragilisé, bien plus que l'action militaire
03:38 et les sanctions occidentales.
03:39 Bien évidemment, et les contradictions, qui est un terme déjà consacré depuis bien
03:46 longtemps, elles sont à tous les niveaux.
03:49 Et c'est cette imbrication de phénomènes presque inattendus, qu'on n'a pas l'habitude
03:55 de regarder quand on est internationaliste, qui fait le défilé des images que nous connaissons
04:00 depuis un an et demi.
04:02 Prenons les éléments dans l'ordre.
04:04 L'aspect militaire, qui n'est pas forcément l'aspect dominant dans cette guerre.
04:08 L'aspect militaire, ben que voit-on ? On voit des satellites privés, le satellite
04:14 de monsieur Elon Musk, qui surveille la frontière russo-ukrainienne et qui renseigne Kiev, c'est-à-dire
04:22 un acteur privé, lequel Elon Musk, il ne faut pas l'oublier, le mois dernier, se promenait
04:28 à Pékin et a été reçu bras ouverts par les autorités chinoises, tandis que monsieur
04:33 Bill Gates le suivait et a été reçu par Xi Jinping en personne.
04:37 On pourrait continuer ces exemples qui montrent l'imbrication des économies privées avec
04:45 des États qui sont loin d'être des micro-États.
04:49 Ça, c'est un premier élément.
04:50 Deuxième paramètre, la résistance sociale ukrainienne, qui est absolument extraordinaire.
04:58 Et dont on s'accorde à considérer que c'est le principal facteur de mise en échec d'une
05:05 des plus grandes armées du monde sur le sol ukrainien.
05:08 Ça veut dire quoi, ça ? Ça veut dire quelque chose de très intéressant et qu'on n'a
05:11 pas suffisamment mis en évidence.
05:13 Nous sommes au temps de l'appropriation sociale des territoires.
05:17 Les sociétés, de plus en plus, sont affaires des peuples et surtout les territoires sont
05:24 affaires des peuples.
05:25 Alors qu'autrefois, c'était des monnaies d'échange entre monarques qui se corrélaient
05:29 et se faisait la guerre.
05:31 Aujourd'hui, les peuples n'acceptent pas que l'on modifie leurs frontières, leurs
05:36 territoires, à telle enseigne que si, vous avez remarqué, la guerre de conquête, elle
05:43 est presque terminée.
05:44 Il y a eu quelques conquêtes dans l'histoire depuis 1945, de la Cisjordanie par Israël
05:51 et d'autres exemples, mais finalement pas si nombreux que ça, par rapport à ce qui
05:55 existait auparavant.
05:56 Et même la Cisjordanie, Israël n'en est jamais arrivé au bout.
05:59 Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il y a une matrice sociale qui contrôle le jeu
06:04 international.
06:05 Alors, troisième aspect, c'est la fameuse question des sanctions.
06:09 Alors, ouvrons quelques minutes la boîte de Pandore.
06:11 On pensait que la sanction, c'était une arme d'un État ou d'un ensemble d'États
06:16 contre un autre État, c'est-à-dire en gros les puissances occidentales contre la Russie.
06:19 Mais on apprend des choses absolument extraordinaires.
06:22 Tous ces traders, tous ces acteurs économiques qui sont les principaux agents de détournement
06:31 de ces sanctions.
06:32 On apprend par exemple que Paramount, qui est un trader d'origine suisse, mais où
06:40 se mêlent quantités de nationalités, sur le marché libre de Dubaï, recycle le pétrole
06:48 russe, acheté donc sur des capitaux privés pour ensuite les redistribuer à des clients
06:55 qui permettent à la Russie de contourner les sanctions.
07:00 Et on pourrait continuer ainsi les exemples, c'est-à-dire on est dans une logique qui
07:06 est celle de la mondialisation où tout est interdépendant et où finalement le dernier
07:13 mot c'est les peuples, les sociétés, et derrière les peuples et les sociétés c'est
07:20 la grande question de la réalité des États.
07:23 Autrefois la réalité des États, elle était donnée comme un postulat.
07:28 L'État c'est l'armée, à partir du moment où il y a une armée, cet État survit.
07:33 Aujourd'hui, on a quand même vu des choses extraordinaires la semaine dernière.
07:38 On a vu une colonne de miliciens privés pouvoir parcourir 800 km en territoire russe sans
07:48 qu'il y ait même un gendarme pour les verbaliser.
07:50 C'est quand même assez extraordinaire.
07:52 Et donc on peut se poser sérieusement la question fondamentale depuis toujours, mais
07:57 qui est renouvelée aujourd'hui, quelle est la nature de cet État russe ? Et on s'aperçoit
08:02 qu'en fait d'État russe, il y a quoi ? Il y a deux choses.
08:05 Il y a d'une part une oligarchie, c'est-à-dire un petit club d'individus qui se partagent
08:12 le pouvoir et la survie du fameux glorieux État russe dépend à ce moment-là des micro-ententes,
08:20 des transactions qu'il y a entre ces oligarques.
08:22 Et là on a bien vu, est-ce que tel général va faire défection, rejoindre Pré-Gaugine
08:27 ou pas ?
08:28 Est-ce que tel service va fermer les yeux devant la mobilisation de la société Wagner
08:40 ou pas ?
08:41 Ça c'est déjà une première question.
08:42 Mais la deuxième question, c'est la question de la colère sociale.
08:45 C'est-à-dire, est-ce que la société russe va s'engager derrière des contestataires,
08:51 derrière Pré-Gaugine ?
08:52 Alors c'est intéressant.
08:53 A Rostov, qui était quand même pas n'importe quoi Rostov, c'était le QG, le centre de
08:59 commandement de l'armée russe, qui a été pris en un rien par Pré-Gaugine, on a vu
09:08 une partie de la société russe venir rendre hommage à Pré-Gaugine.
09:12 Alors qu'est-ce que ça veut dire ?
09:13 On n'en sait rien, parce qu'il n'y a pas d'institut de sondage pour nous dire si ces
09:17 gens sont représentatifs de la majorité de la population.
09:20 Mais on a bien compris que l'inquiétude était là.
09:22 Est-ce que la société russe va basculer dans le camp de la contestation ou pas ?
09:28 On a vu, alors ça n'a rien à voir, mais c'est pour montrer ce qu'est devenu notre
09:34 monde.
09:35 En Chine, à l'automne dernier, des milliers d'individus sortirent dans la rue pour mettre
09:43 fin au confinement.
09:44 Et à ce moment-là, le gouvernement chinois a cédé.
09:46 Et le confinement a été terminé.
09:49 Ça n'a pas été une décision gouvernementale.
09:51 Ça n'a été qu'une décision gouvernementale obligée par la pression populaire.
09:57 Alors, un sujet qui a été abordé, c'est la question un peu bateau.
10:03 Elle a fait la une il y a quelques jours, mais je vous la repose.
10:06 Est-ce que Vladimir Poutine est aujourd'hui plus affaibli que jamais ?
10:09 Est-ce que le roi est nu ?
10:11 Ou alors il va utiliser l'opportunité de remettre sous manteau russe les troupes de
10:20 Wagner pour être plus en contrôle ?
10:23 C'est un peu le billard à trois bandes.
10:25 C'est-à-dire que la première image qu'on a, c'est évidemment une image d'affaiblissement.
10:31 Je disais tout à l'heure, voilà une colonne qui parcourt 800 km sur le territoire russe
10:39 et qui n'est arrêtée par personne.
10:40 Évidemment, c'est un signe de fragilité.
10:45 Bon, et il ne faut pas oublier en relation internationale l'importance de l'image.
10:52 Les relations internationales, ce n'est pas les rapports de puissance.
10:55 Ça, c'est ce qu'on nous raconte.
10:57 Les relations internationales, c'est la perception par chacun, par nous, par eux,
11:03 par il, par elle, de la réalité.
11:06 Et là, l'image que Poutine a donnée de lui-même au monde entier, c'est quand même
11:11 une image d'extraordinaire faiblesse.
11:13 Et quand on voit ça en Afrique, en Europe, en Asie, effectivement, c'est toute la représentation
11:20 que l'on a de la Russie et de Poutine qui s'en trouve modifiée.
11:23 Ça, c'est incontestable.
11:24 Deuxièmement, il y a une opinion publique en Russie.
11:28 Elle est secrète, elle est cachée, elle est contenue, mais elle existe.
11:32 Elle a vu, elle a compris d'ailleurs les discours dramatisants de Poutine dès le
11:39 lendemain de ce coup de force, coup d'État, coup de gueule.
11:45 Ces images, elles sont passées.
11:49 On a vu le discours d'un Poutine inquiet.
11:53 Tout ça, effectivement, c'est un élément de fragilité.
11:57 Comme la Russie, c'est un système oligarchique, ce qui s'est passé va avoir comme conséquence
12:07 inévitable une rénégociation à l'intérieur de l'oligarchie.
12:11 L'oligarchie, c'est des individus autour d'une table qui négocient leurs morceaux
12:16 de pouvoir.
12:17 Donc là, il va falloir renégocier.
12:19 Et quand on renégocie, on est en position moins forte que quand on n'a pas besoin de
12:23 négocier.
12:24 Donc, tout ceci conduit à en faire un acteur plus faible.
12:29 Mais, et c'est en ça que je parle de plusieurs bandes, il y a deux éléments qui peuvent
12:35 retourner à son avantage.
12:37 D'abord, il semblerait, mais il faut attendre, il faut être prudent, il semblerait qu'une
12:44 partie de l'oligarchie ait craint de couper avec Poutine.
12:49 Et ça, il peut s'en servir comme instrument d'échange en disant "Vous me suivez pas,
12:55 l'alternative qui se dessinait, c'était Prigogine, à vous de décider si vous en voulez
12:58 ou si vous en voulez pas".
13:00 Je pense que ça, dans le calcul au quotidien de l'équilibre des forces à l'intérieur
13:05 de la Russie, c'est quelque chose qui va compter.
13:07 Mais il y a surtout un dernier élément, qu'on a assez peu mis en évidence, qui est que,
13:13 comme on a pu le remarquer, la plupart des États du monde, qu'il s'agisse des États
13:19 occidentaux, qu'il s'agisse des États du Sud, qu'il s'agisse même d'États proches
13:24 de Poutine, étaient assez silencieux pendant cette crise.
13:30 Et derrière ce silence, on a entendu des murmures.
13:33 Et ces murmures, c'était pour dire "Poutine, c'est peut-être pas un partenaire commode,
13:43 mais si ça avait été Prigogine, est-ce qu'on aurait pu faire quelque chose ?".
13:48 Et Poutine a une caractéristique, c'est qu'il s'est transformé ses défaites militaires
13:54 en victoires politiques ou diplomatiques.
13:56 Ses défaites militaires en Ukraine, ça a été pour lui un moyen de montrer au Sud
14:02 global qu'il est victime aussi de l'hégémonie occidentale.
14:05 Ça a été quand même un certain coup de force sur le plan diplomatique qui a marché.
14:09 Il suffit d'écouter ce qu'on dit en Afrique, en Asie, spécialement en Afrique, c'est très
14:14 intéressant.
14:15 Bon.
14:16 Finalement, l'homme défait par l'Occident ne peut pas être tout à fait mauvais.
14:21 C'est ça qui s'enclenchait.
14:23 Mais au-delà de cela, il y a la grande peur des Occidentaux qui est de dire "Poutine
14:34 n'est pas commode, mais ça fait quand même 25 ans qu'on parle, enfin presque 25 ans,
14:39 23 ans qu'on parle avec lui.
14:41 Est-ce qu'on peut parler avec Prigogine ?".
14:44 Prigogine a quand même, pour un diplomate occidental, un look extrêmement transgressif.
14:53 Et on ne parvient pas à comprendre où il est et ce qu'il fait.
14:58 Et surtout derrière Prigogine, il y a quelque chose de très important qui est cette privatisation
15:03 du militaire.
15:04 L'histoire occidentale, européenne, j'ai toujours peur quand je dis occidentale, c'est
15:11 tellement imprécis, l'histoire européenne, c'est l'histoire d'armées d'État.
15:15 Et il y a des milices privées, il y en a toujours eu dans l'histoire européenne, mais elles
15:20 sont généralement cachées.
15:22 On n'en parle pas trop.
15:23 Là, elle est au centre de ce conflit.
15:27 Elle a une certaine visibilité, notamment en Afrique ou dans certains pays africains.
15:33 Et ça fait peur.
15:34 Justement, pourquoi ? Pourquoi un État comme la Russie s'est mis plus ou moins, en partie
15:40 au moins, sous dépendance d'une société militaire privée ? Pourquoi l'Ukraine a
15:44 laissé prospérer des milices comme la sulfureuse Brigade Azov, même si celle-ci a été mise
15:49 sous le commandement militaire officiel ?
15:51 Pourquoi les États-Unis ont eux-mêmes permis plutôt le développement d'entités comme
15:55 Blackwater ?
15:56 On se souvient qu'au XVIe siècle, Machiavel mettait déjà en garde contre les troupes
16:01 mercenaires, leur lâcheté, leur caractère peu fiable.
16:04 Est-ce que c'est quelque part l'organisation de notre économie mondialisée qui explique
16:11 cela, cette sorte de retour en arrière, quasiment au Moyen-Âge, en termes de rapport entre
16:20 la force et l'État, ce qu'on a appelé le monopole de la violence légitime ?
16:23 Alors, c'est un peu cela, je suis assez d'accord avec l'analyse, mais je l'élargirais encore.
16:29 Ce n'est pas seulement l'économie mondialisée, c'est la mondialisation, c'est-à-dire le
16:35 fait que nous sommes dans un monde où tout est interdépendant.
16:39 Et la grande révélation de ce tournant de millénaire, c'est que l'État ne peut plus
16:47 faire face à cela, ni l'État américain, ni les États européens, ni l'État russe.
16:52 Qu'en est-il de l'État chinois ? Je ne m'avancerai pas jusque-là.
16:56 Aucun des États classiques ne peut couvrir toutes les ressources qu'impliquent la guerre
17:05 ou la conflictualité internationale.
17:07 Pourquoi ? Parce que…
17:09 Ou les désirs de domination.
17:10 Ou le désir de domination, tout à fait.
17:13 Pourquoi ? Parce que derrière, effectivement, le désir de domination ou les lois de l'État,
17:17 il y a une logique de conflictualité, il n'y a pas seulement la force physique, il y a le
17:23 rôle des médias.
17:24 Et là, Prigogine a eu l'intelligence de constituer un système, d'ailleurs ce n'est
17:31 pas que Prigogine, même l'État russe qui était derrière tout ça, de constituer un
17:36 système multinational mafieux qui était d'essence médiatique, c'est-à-dire la
17:44 capacité de propagande et de contrôle médiatique de Wagner est quelque chose d'absolument
17:50 extraordinaire.
17:51 Et puis il a compris aussi que si on veut contrôler des pays et avoir une existence,
18:00 une patente internationale, il faut contrôler les ressources économiques.
18:05 Et la campagne de prédation menée par Wagner en Afrique, les mines de diamants, je pense
18:12 à Diamantville par exemple en Centrafrique, les mines d'or au Soudan, je pense en particulier
18:17 à Merrow et Gould, le bois précieux en République Centrafricaine, tout ceci fait que Wagner,
18:27 c'est pas comme on le dit toujours des milices privées, c'est un énorme système mafieux.
18:32 Un système cohérent et qui s'auto-alimente.
18:34 Qui s'auto-alimente, mais attention, qui alimente aussi l'État russe.
18:39 C'est-à-dire on sait par exemple que dans cette situation d'embargo et de précarisation
18:47 des ressources en armement de la Russie, le système Wagner, transitant notamment par
18:56 l'Afrique, permet de drainer vers la Russie tout un armement qu'elle n'aurait pas autrement.
19:01 Donc Prigojin, c'est pas un piéton, Prigojin c'est pas seulement un milicien privé,
19:09 Prigojin c'est une ressource qui est indispensable à la Russie, c'est la raison pour laquelle
19:15 Poutine ne peut pas disposer de Prigojin comme il pourrait disposer de n'importe quel hiérarque
19:22 de son armée officielle.
19:25 Et donc quand tout à l'heure je disais qu'il faut regarder que Elon Musk envoie ses propres
19:34 satellites privés pour surveiller le front russo-ukrainien, ça entrait dans la même
19:38 catégorie.
19:39 L'État ne peut plus tout faire tout seul, donc il privatise.
19:43 Et comme il privatise, eh bien ces situations internationales sont désormais entre les
19:51 mains de tout un système qui va bien au-delà du prince de Machiavel et qui remet en cause
19:59 l'idée de monopole de la violence physique du XVIe.
20:01 Il y a longtemps qu'elle n'existe plus.
20:03 – Là on parle de cas spécifiques de la Russie, m'en suis rendu compte avec la guerre
20:07 en Irak que les États-Unis ont vraiment utilisé beaucoup de Blackwater.
20:11 On a vu avec la fin de l'apartheid, Executive Outcomes, la société de mercenaires sud-africains
20:17 qui essayaient de peser sur le cours des événements au Libéria ou en Sirélie.
20:21 En France aussi d'ailleurs il y a des choses qui…
20:24 – Bah, Bob Denard.
20:25 – Donc ça veut dire qu'il y a quelque part, quelque chose qui procède de l'avantage
20:33 comparatif mais aussi de la contrainte.
20:34 Puisqu'on a bien vu, notamment les mercenaires français ont souvent fait du chantage, ont
20:39 souvent gêné l'action politique de la France dans ce qu'on appelle le système
20:43 françafricain de l'État.
20:45 Et aujourd'hui on peut peut-être penser que certains États maîtrisent mieux que
20:49 d'autres les sociétés militaires privées.
20:51 On peut penser peut-être que les États-Unis les assujettissent mieux que la Russie.
20:55 – Oui, je pense que nous sommes en train d'entrer dans un monde où il ne faut pas
21:01 demander qui assujettit l'autre mais qui tient l'autre.
21:05 C'est ce petit jeu auquel on jouait quand on était enfant, je te tiens, tu me tiens
21:10 par la barbichette, etc.
21:12 On est dans cette logique de l'interdépendance forcée et donc il faut voir que dans ce
21:20 modèle-là, l'hégémonie n'est plus simple.
21:23 Il y a eu un temps, en fait assez bref dans l'histoire, d'hégémonie réelle.
21:29 Lorsque le mur est tombé, les États-Unis ont cru pendant 4-5 ans qu'ils étaient
21:35 l'hégémone du monde.
21:37 Et du temps de la guerre froide, il y avait deux hégémones en gros qui se faisaient face.
21:42 Il y avait des structures privées bien sûr mais qui n'avaient pas ce degré de pénétration
21:48 dans le jeu international.
21:50 Là maintenant, nous sommes dans ce système et j'ajoute que qu'est-ce que c'est
21:58 que l'interdépendance ? C'est le pouvoir du fort sur le faible mais c'est aussi
22:01 le pouvoir du faible sur le fort.
22:03 D'ailleurs le fort a besoin du faible.
22:05 Le fort ne peut plus se satisfaire de sa seule existence.
22:09 Il a besoin d'aller chercher le faible et ça c'est aussi une chance donnée au
22:13 peuple.
22:14 Les peuples, maintenant, on est obligé de les accepter dans l'arène.
22:18 Il a bien fallu tenir compte de la volonté du peuple ukrainien.
22:22 Il a bien fallu tenir compte des printemps arabes.
22:27 Alors ils ont pu être réprimés, écrasés dans le sang, tout ce qu'on veut mais quand
22:32 même, il a fallu en tenir compte.
22:34 De même que ce qui se passe en Iran, ce qui se passe en Chine, à chaque fois les peuples
22:40 sont là et il faut en tenir compte.
22:44 Donc autrefois, je cite toujours cette phrase d'un ministre des Affaires étrangères que
22:50 je ne nommerai pas, qui disait "admettre les peuples dans les affaires diplomatiques, ce
22:57 serait comme admettre la famille d'un patient en salle d'opération".
23:00 Ça c'est fini.
23:01 Alors, Wagner a été mis au pas, en tout cas Prigozhin a été mis au pas puisqu'il
23:06 est parti en Biélorussie mais est-ce que quelque part le groupe ne va pas continuer
23:10 à servir les intérêts du Kremlin, notamment en Afrique ?
23:14 Vous avez expliqué leur efficacité, leur cohérence dans de tels contextes et le fait
23:22 qu'ils permettent à la Russie à peu de frais d'exister dans les endroits très
23:26 stratégiques du monde, même s'ils sont très pauvres.
23:28 Est-ce qu'on peut imaginer un Wagner déprigogynisé ?
23:32 C'est effectivement une question à laquelle il est extrêmement difficile de répondre.
23:37 Vous savez, je crois qu'en science politique, il faut d'abord avoir la modestie et admettre
23:44 qu'il n'y a pas d'horoscope possible.
23:46 Imaginez, on m'aurait interviewé la semaine dernière, est-ce que j'aurais prévu ce
23:50 qui s'est passé le week-end dernier ? Il faut être très prudent.
23:54 Mais je peux quand même répondre à trois choses.
23:56 Premier élément, attention, attention, rien ne permet de dire que Prigozhin voulait prendre
24:02 le pouvoir pour lui et s'installer comme nouveau maître du Kremlin, comme nouveau
24:05 tsar.
24:06 Ce sont les projections qui étaient faites notamment par les médias, y compris en France.
24:10 Oui, oui, c'est possible, c'est possible.
24:12 Mais j'aimerais bien que ces médias m'expliquent comment ils ont vu ça dans le crâne de Prigozhin
24:18 ou dans celui de Poutine.
24:20 On n'en sait rien.
24:21 Il faut voir que les actes de déstabilisation d'un système politique ne se limitent pas
24:26 à la prise de pouvoir.
24:27 Il y a ce que j'ai appelé le coup de gueule stratégique, c'est-à-dire faire un coup
24:32 de force, pas un coup d'état, mais un coup de force pour dire "eh dis donc, j'existe".
24:37 Et si c'est ça, je pense que l'homme ne disparaîtra pas dans la trappe, comme on
24:41 le dit un peu trop rapidement, en prêtant à monsieur Loukachenko les vertus du grand
24:46 gardien, etc.
24:47 C'est peut-être plus compliqué que ça.
24:50 Si maintenant Prigozhin disparaît, il y a aussi une autre question qu'il faut se poser.
24:56 Est-ce que les gouvernements africains qui font confiance à Wagner, je pense notamment
25:02 au Mali, à la République centrafricaine, un peu au Soudan et à la Libye, là c'est
25:08 pas un gouvernement mais c'est le général Maréchal Haftar, est-ce qu'ils vont continuer
25:14 à miser sur Wagner ? C'est une grande inconnue.
25:18 Et là il faudra suivre les choses très attentivement.
25:21 Troisièmement, on ne sait pas encore de façon très exacte si Prigozhin est un patron privatif
25:30 de Wagner et que les hommes de Wagner suivent leur patron, ou est-ce que Wagner est une
25:38 création ex nihilo du Kremlin comme bras séculier et que de ce point de vue, Prigozhin
25:47 à la tête de Wagner n'est rien d'autre qu'un employé du Kremlin.
25:50 En fait, personne ne peut répondre à cette question parce qu'il y a toujours cette
25:53 part de mystère sur un système qui est très compliqué.
25:56 Parce que quand je disais que c'est un système mafieux, c'est beaucoup plus compliqué
25:59 que ça parce qu'il y a une quantité de sociétés plus ou moins occultes qui sont
26:04 derrière tout cela.
26:05 On ne sait pas, il faut effectivement suivre ce qui va se produire, mais une chose est
26:11 sûre, c'est que cette nouvelle distribution de force, elle n'a pas disparu.
26:16 Alors Bertrand Badi, je voudrais qu'on évoque désormais l'initiative d'Emmanuel Macron
26:20 qui a organisé à Paris les 22 et 23 juin un sommet pour un nouveau pacte financier
26:26 mondial.
26:27 Regardons un petit magnéto.
26:28 Alors lorsqu'Emmanuel Macron souligne qu'il y a beaucoup d'argent, il parle en particulier
26:34 du privé.
26:35 Pas suffisamment d'argent arrive dans les pays qui en ont besoin pour faire face au
26:41 réchauffement climatique et en quelque sorte, il a aussi souligné qu'il fallait créer
26:45 les conditions de la confiance pour que le secteur privé investisse plus dans ces pays.
26:50 Mais il a aussi souligné le rôle des Etats et notamment des organismes publics.
26:56 Il faisait sans doute référence à certaines banques publiques qui ont été souvent très
27:01 efficaces lorsqu'il a fallu répondre à des crises, notamment à celles du Covid.
27:06 Des banques qui sont capables de réagir et Emmanuel Macron voudrait qu'elles soient
27:10 peut-être plus proactives.
27:12 Il a encore une fois répété que ces pays du sud, ces pays en difficulté qui doivent
27:16 affronter le réchauffement climatique et qui souvent sont dans des situations économiques
27:21 difficiles, souvent endettés, ne doivent pas choisir entre combattre la pauvreté et
27:27 combattre le réchauffement climatique.
27:30 Il a aussi souligné que dans cette volonté de remettre à plat l'architecture financière
27:35 mondiale, il fallait créer un nouveau consensus.
27:39 Un consensus a existé par le passé, issu des accords de Bretton Woods, mais aujourd'hui,
27:45 ces pays du sud, ces pays en développement ont été trop longtemps laissés en dehors
27:51 de ces discussions, de ces dialogues, notamment sur les questions financières.
27:56 Et ce consensus aujourd'hui doit se construire avec eux.
27:59 Ce que vous dites est bon, mais ce n'est pas ce que vous dites.
28:02 Nous avons besoin d'une taxe de transaction financière à un niveau global, où même des pays comme le Kenya payent.
28:11 Nous ne voulons rien pour gratuit.
28:13 Vous allez payer plus éventuellement parce que vous avez une économie plus grande.
28:17 Nous allons payer un taux commensal pour notre économie.
28:21 Et nous voulons ces ressources contrôlées, pas par l'IMF et la Banque mondiale.
28:27 Parce que l'IMF et la Banque mondiale, vous avez le final.
28:29 Nous n'avons pas de taxe.
28:31 Nous voulons une autre organisation de l'égalité, où vous avez autant de taxes parce que vous payez,
28:38 autant que nous, parce que nous payons aussi.
28:41 C'est l'organisation que nous cherchons.
28:43 Et c'est pourquoi nous disons qu'il nous faut une nouvelle architecture financière, où
28:49 la gouvernance, où le pouvoir n'est pas dans les mains d'un peu de gens.
28:55 Emmanuel Macron a convoqué ce sommet avec une certaine assurance et un sentiment de
28:59 bonne volonté.
29:00 Mais il a été apostrophé par le président kenyan William Ruto, qui a remis en cause
29:05 l'implication des institutions de Bretton Woods, FMI et Banque mondiale, dans tout le
29:10 processus visant à trouver des financements pour décarboner les économies africaines.
29:15 Le problème c'est, une fois de plus, les institutions globales, nées pendant la période
29:19 coloniale, sont désormais inadaptées.
29:22 Et Emmanuel Macron n'y avait pas pensé, même s'il avait évoqué la nécessité
29:26 d'impliquer plus en avant les pays africains.
29:28 Oui, en relation internationale, la chose la plus difficile, c'est de savoir changer
29:33 à temps de logiciel.
29:34 Or, le vieux logiciel est mort.
29:37 Et on est en train de découvrir quelque chose d'absolument majeur.
29:41 Moi, ça fait un temps que je me bats pour habiliter cette idée, à savoir que l'on
29:46 n'a pas su tirer toutes les conséquences de ce phénomène extraordinaire qu'était
29:50 la décolonisation.
29:51 Extraordinaire parce que ça a été brutalement l'inversion des forces.
29:55 C'est le faible qui a vaincu le fort et on n'a pas compris tout ce qu'il y avait
29:59 derrière tout cela.
30:00 Et notamment, ce qu'il y a derrière tout cela, c'est la revendication mécanique
30:05 du faible qui a réussi à s'émanciper de participer à la gouvernance du monde.
30:10 Or, tout ce qui a été fait entre la grande vague de décolonisation et maintenant, n'a
30:15 que très très parcimonieusement rejoint ce vœu de co-gouvernance.
30:22 Alors, il y a eu quelques institutions qui ont été créées.
30:26 La CNUSED en 1964.
30:28 L'année suivante, ça a été le PNUD, qui sont d'ailleurs des institutions respectables,
30:32 surtout le PNUD.
30:33 Mais à l'échelle de ce bouleversement du monde, ces deux institutions ne pèsent pas
30:39 très lourd.
30:40 Et Bretton Woods, qu'est-ce que c'est ?
30:42 Ce sont des institutions, le FMI et la Banque mondiale notamment, qui ont été créées
30:48 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec en mémoire, non pas les questions de
30:53 développement, mais la crise de 1929.
30:55 C'est-à-dire, comment renflouer les économies du Nord si jamais elles venaient à nouveau
31:00 à chuter ?
31:01 Et il n'était pas question de développement, le mot n'était même pas prononcé.
31:04 Donc effectivement, il faut tout repenser et notamment faire glisser, et je crois que
31:09 c'est ça l'attente profonde en Afrique, faire glisser la conception caritative du
31:16 développement à une conception de cogérence du développement.
31:20 Ça, on ne comprend pas.
31:22 Développement, il suffit de faire un micro-trottoir dans la tête des gens, ça veut dire aider
31:27 les pauvres, ça veut dire donner son obol, ça veut dire avoir pitié.
31:32 Il y a aussi une grande hypocrisie parce que quand Emmanuel Macron s'avance sur ce domaine,
31:37 il pense également au marché, qu'il peut y avoir des entreprises comme EDF, dans le
31:42 vaste chantier de décarbonation des économies africaines, des entreprises aussi comme peut-être
31:47 Total dans sa stratégie de modification des…
31:50 C'est toute l'équation de la conception post-coloniale du développement.
31:56 Il faut maintenant concevoir dans la ligne de ce que je disais tout à l'heure, c'est
32:02 on est dans une situation d'interdépendance.
32:04 Notre survie, je vais parler en termes très cyniques, notre survie ici au nord dépend
32:11 de la capacité des sociétés du sud de pouvoir gérer leur évolution et leur transformation.
32:18 Si elles ne le font pas ou si elles le font mal ou si elles ne peuvent pas le faire, c'est
32:26 tout le système global qui va s'effondrer.
32:28 Donc il faut penser la gouvernance globale.
32:32 C'est le terme fondamental.
32:34 Or qu'est-ce qu'on a créé pour gouverner le monde ? Un conseil de sécurité hyper-oligarchique
32:38 dans lequel le sud n'est pratiquement pas représenté, un G7 où le sud est complètement
32:45 exclu, un G20 qui passe et très vite passé derrière le G7.
32:51 Bref, et puis bien entendu ces institutions de Bretton Woods qui sont entièrement entre
32:56 les mains des puissances du nord.
32:57 Ce n'est plus possible.
32:58 Ça ne correspond pas à ce qu'est l'équilibre démographique, économique, politique, social
33:05 du monde actuel et ça ne fait qu'engendrer une colère sociale qui devient le moteur
33:13 des relations internationales.
33:14 En termes de colère sociale, c'est le fameux concept du sud global que vous invoquez souvent
33:21 qui peut être convoqué pour peut-être mettre un peu de clarté dans ce qui apparaît comme
33:26 un amas de pays, de gens qui ne nous ressemblent pas et qui malgré tout ce qu'on fait ne
33:30 sont pas d'accord avec nous.
33:31 Oui, mais derrière le sud global, beaucoup de gens remettent en cause ce concept.
33:36 Mais moi je le maintiens parce que qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui unit, je dirais,
33:41 la Chine à la République centrafricaine ? Totalement différente.
33:44 Tous les points de vue historique, culturel, économique, social, tout ce qu'on veut.
33:48 Bon, mais il y a quelque chose de très profond.
33:50 C'est le sentiment d'avoir été exclu de la gouvernance du monde et d'avoir été
33:57 exclu de la définition des normes internationales et cet alliage d'une volonté de participer
34:05 à la redéfinition de cette mondialisation et d'une frustration d'en avoir été exclu
34:13 qui fait qu'au lieu de gouverner, eh bien, on conteste.
34:16 Et c'est, je dirais, cet alliage, fascination, détestation, contestation, volonté de co-gouvernance,
34:28 c'est cet alliage-là qui fait le rythme des relations internationales aujourd'hui.
34:32 Donc il faut à tout prix le satisfaire.
34:34 Il faut commencer par une démarche institutionnelle qui permette effectivement à chacun d'entrer
34:43 dans le circuit.
34:44 Le monde en est aujourd'hui, en 2023, exactement là où en étaient les nations européennes
34:50 au XIXe siècle, c'est-à-dire cette opposition entre les citoyens passifs et les citoyens
34:55 actifs, eh bien, ça pouvait être tolérable à un temps.
35:00 Maintenant, ça ne l'est plus.
35:02 L'interdépendance est telle qu'on a besoin des citoyens passifs.
35:05 Les citoyens passifs le savent et ils se rebellent.
35:08 Ces citoyens passifs, c'est les États du Sud aujourd'hui.
35:10 - Une dernière question qui nécessite une réponse rapide.
35:15 La France a-t-elle encore assez d'influence internationale pour lancer des initiatives
35:19 de ce type sur le plan multilatéral et pour qu'elle soit victorieuse ?
35:23 - Alors, si on prend des initiatives, ça ne peut être que le but début.
35:28 C'est-à-dire que là où il faut changer de logiciel, ce n'est pas un État aussi vertueux
35:34 ou aussi puissant soit-il qui pourra amorcer le processus de transformation de la gouvernance
35:40 mondiale.
35:41 Parce que si un État en prend l'initiative, il va être immédiatement suspect de recycler
35:46 ses intérêts propres et de faire valoir son jeu de puissance.
35:51 Or, s'il y a un mot qui est à bannir du vocabulaire nouveau des relations internationales, c'est
35:57 le mot "ranc".
35:58 Nous sommes passés de la verticalité à l'horizontalité.
36:02 Et dès lors qu'un État se considère comme du premier rang et avoir, comme on dit, la
36:08 responsabilité de changer l'ordre international, il est immédiatement suspect d'une crise
36:15 de puissance.
36:16 Et du coup, il n'est pas crédible et il n'engendre pas la confiance.
36:20 - Merci beaucoup Bertrand Badi.
36:22 Merci de nous avoir regardés.
36:25 Restez connectés aux médias.
36:26 - Au revoir.
36:27 - Au revoir.
36:27 - Au revoir.
36:28 - Au revoir.
36:33 - Au revoir.
36:38 [SILENCE]

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