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Intervention de Josef Schovanec dans le cadre de la conférence "les bonheurs de ma vie d’autiste" du 17 juin 2023.
Transcription
00:00 Merci beaucoup, merci. Je suis très touché d'être là, merci d'avoir bien voulu m'inviter.
00:07 J'avoue être toujours surpris qu'on me tolère encore.
00:12 Il faut me demander est-ce qu'on va me tolérer encore une fois de plus par rapport aux âneries que j'ai pu dire précédemment.
00:22 Il peut être qu'il y a des mondes qui n'existent plus, il y a des mondes qui sont peut-être uniquement dans le souvenir.
00:34 Parmi ce monde-là, il y a le monde des exilés politiques d'Europe de l'Est.
00:42 C'est un peu ce monde-là dans lequel s'est déroulé mon enfance.
00:47 Alors dans l'univers des réfugiés politiques d'Europe de l'Est, il y avait une hiérarchie.
00:53 La hiérarchie, c'était le nombre d'années sur une dalle de béton en Sibérie.
00:59 Et donc quand, je m'en souviens encore, quand j'étais petit et que mes parents me présentaient un tel,
01:07 à la gueule le nom n'était pas important. Ce qui était important c'était "5 ans de dalle de béton".
01:14 Voilà, un autre visa. L'élite évidemment c'était les anciens condamnés à mort.
01:21 On en parlait avec le plus grand respect. Ces gens-là sont morts évidemment, comme mes parents aussi.
01:29 Mais ce qui me reste peut-être en termes de souvenir, c'est lorsque tous ces gens évoquaient les années de Sibérie, de Goulag.
01:39 Il y avait un bonheur. Il y avait un bonheur dans ce qu'ils disaient. C'est très choquant, je sais.
01:45 Je sais que c'est très choquant. Mais souvent les souvenirs les plus touchants que ces gens-là avaient,
01:53 c'était justement ces années de dalle de béton en Sibérie.
01:58 Et je ne sais pas comment le dire, mais mes parents aussi, mon père a fait le Goulag, hein, c'est pas un secret.
02:06 Et donc évidemment qu'ils étaient à fond engagés dans la lutte contre le communisme, peu importe le détail.
02:13 Mais néanmoins, lorsque dans le jeu des souvenirs venait une chanson pro-communiste, les larmes venaient aux yeux quand même.
02:22 Vous comprenez ? Parce que c'est très étrange ce sentiment du bonheur qui vient des pires moments.
02:29 Et finalement, quand on y réfléchit, on retrouve cette idée largement au-delà.
02:38 On retrouve cette idée largement au-delà du cas particulier de telle ou telle personne venue de Champs-Élysées.
02:46 Quand on est en voyage, c'est-à-dire, j'espère pour vous tout le temps, quand on est en voyage,
02:53 et quand on arrive dans des pays parfois extrêmement difficiles sur le plan économique, on est frappé par le bonheur déjà.
03:03 Alors une fois, on prend ça pour une anecdote, une deuxième fois on dit c'est peut-être un curieux hasard,
03:10 mais à la sacrée quête, mon 200e pharaon, je finis par se dire que finalement les plus malheureux ce sont les Occidentaux.
03:19 Je n'ai jamais réussi à me départir de cette idée.
03:24 Alors peut-être que, également, on peut invoquer telle ou tel biais cognitif,
03:29 on peut invoquer dans le cadre des souvenirs de Sibérie, je sais qu'un distortion mnésique, c'est pas possible,
03:36 mais néanmoins, peut-être qu'on peut ajouter un petit cran dans la réflexion.
03:43 Pour cela, permettez-moi de mentionner un nom, le nom de Snöden.
03:49 Ça fait maintenant un peu plus de dix ans, c'était il y a quelques jours le 10e anniversaire, que l'affaire Snöden éclatait.
03:56 Je ne vais pas vous refaire cette histoire, c'est n'importe quoi.
03:59 Mais donc il y a eu un peu plus de dix ans, la terre entière, toute l'actualité, vibrait des mésaventures de ce jeune homme bizarre
04:08 qui avait sacrifié sa carrière, peut-être sa vie, parce qu'il n'en était pas vu de très peu,
04:16 pour révéler des choses qui ne sont pas contestées sur le fond.
04:22 Mais moi, ce qui me tracasse le plus dans tout ça, c'est qu'à côté de Snöden,
04:27 il y avait des milliers et des milliers d'autres personnes, des personnes éminentes,
04:31 qui avaient toutes juré de faire ce qui est juste et bien, et bien qui n'ont pas fait ce que Snöden a fait.
04:40 En fait, dans l'écrasante majorité des gens, la vérité c'est ce qui convient pour l'argent, pour la carrière.
04:49 Voyez, cet objet-là, c'est un cube vert. Vous êtes d'accord ? C'est bien un cube vert.
04:56 Si vous confirmez scientifiquement que c'est un cube vert, vous avez une grande carrière de professeur
05:03 et vous avez 100 millions pour financer vos recherches. C'est bien un cube vert, vous êtes d'accord ?
05:09 Et 99,9% des gens diront que c'est un cube vert, évidemment.
05:15 Et par contre, il y a une petite minorité de gens qui diront non, c'est un stylo.
05:22 En fait, cette minorité est très faible. Je ne sais pas si Snöden est autiste, je ne l'ai jamais rencontré,
05:28 mais on dit que oui, bon, après, peut-être, oui, peut-être, non, je ne suis pas d'accord.
05:32 Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il y a une minorité de gens bizarres qui diront que ceci est un stylo.
05:39 Et c'est une très faible minorité. Ne jouons pas aux héros. Je sais, moi-même, je dirais que c'est un cube vert.
05:48 Donc, il y a une toute petite minorité de gens qui diront que c'est un stylo, comme Snöden.
05:55 Et ce qui est très curieux, c'est que ces gens-là, alors même que tout le monde se rend compte que c'est bien un stylo,
06:01 eh bien, ces gens-là seront méprisés et tout le monde va se liguer contre eux.
06:08 C'est un peu d'ailleurs le destin des quelques rares, comme on dit, dissidents du RSS qui sont toujours en vie.
06:16 La meilleure chose qui ait pu arriver aux dissidents de l'ex-Bandelest, c'est de mourir.
06:21 Parce que ceux qui sont encore en vie aujourd'hui sont parmi les pires des parias.
06:28 Alors que théoriquement, leurs idées ont gagné.
06:31 Ça prouve que dans nos sociétés humaines, on a tendance à rejeter ce qui dit société hostile.
06:39 C'est comme ça que toute société humaine fonctionne.
06:43 Alors, peut-être continuons encore un petit temps dans la réflexion.
06:46 C'est là qu'on va mettre en plein les pieds dans le plan de l'autisme.
06:50 Le nom de Judy Singer ne nous est pas inconnu.
06:54 Judy Singer, c'est celle qui a forgé, qui a créé le terme de neurodiversité.
06:59 Tout le monde utilise le terme de neurodiversité, mais les gens ont oublié Judy.
07:05 Donc, Judy qui aujourd'hui vit dans la pauvreté.
07:09 C'est toujours comme ça, quand vous faites des choses formidables,
07:13 vous serez totalement viré de ce que vous avez réalisé.
07:17 Au Moyen-Âge, on faisait toujours remarquer que les fondateurs des ordres monastiques
07:22 se faisaient toujours chasser de leur propre ordre monastique.
07:26 Ça n'a pas changé. Le monde a très peu changé.
07:29 Comme disait l'autre, l'être humain a très peu évolué.
07:32 Nous, on s'en est abandonné.
07:34 J'avais eu une longue discussion avec Judy qui m'a amené sur un sujet
07:41 auquel je n'avais pas réellement pensé.
07:44 Judy Singer, comme c'est une personne bien de chez nous,
07:47 on se comprend, je pense, dans l'expression,
07:50 elle a une très forte érudition, une très forte connaissance
07:55 par rapport à ce qu'on peut appeler les études juives.
07:58 Elle m'a longuement détaillé, et en fait, très curieusement,
08:02 les figures, on peut parler prophètes ou autres,
08:06 par exemple dans la Bible hébraïque ou dans certains testaments,
08:10 c'est au fait des gens plus que curieux.
08:14 Ce sont des gens qui vivent reclus dans une grotte.
08:19 Et des gens qui sont très lourdement persécutés.
08:23 Ça, c'est encore une fois l'affaire du stylo.
08:26 Lorsque la reine Jézabel, pour prendre un exemple,
08:29 parmi nous, dit "ceci est un cul vert",
08:32 tout le monde dit "c'est un cul vert"
08:34 parce que personne ne veut finir dans la chambre à torture.
08:38 Sauf qu'il y a un type qui dit "c'est un stylo".
08:42 Et donc, évidemment, il y a toutes les armées de la reine Jézabel
08:45 qui essayent en va-t-elle de le traquer.
08:49 Et il y a quelque chose de très troublant
08:51 qu'en fait, quasiment toutes les figures mises en avant
08:55 dans les textes anciens,
08:57 mises en avant peut-être le roi David ou le roi Salomon,
09:01 en fait ce sont des figures,
09:03 on va dire, avec un profil psychiatrique bien connu.
09:07 Et aussi, c'est un sujet quelque peu glissant,
09:13 mais ce qui est frappant,
09:15 c'est que pendant des millénaires,
09:17 dans les facultés de théologie,
09:20 on s'était dédisputé pour savoir
09:23 quel était l'effet sur du prophète, etc.
09:26 Pourquoi en fait le prophète était choisi
09:29 alors que son efficacité à diffuser le message est minime.
09:33 Pourquoi est-ce que Dieu n'a pas choisi Kim Kardashian
09:36 pour diffuser ses idées.
09:39 Donc Dieu choisit les pires volets pour diffuser ses idées.
09:43 Ça donne quand même beaucoup à réfléchir.
09:47 Donc, de ces choses-là et d'autres,
09:49 j'ai un peu discuté avec Judith,
09:51 mais en fait, la marginalité actuelle de Judith,
09:55 Judith ne s'en la montre pas.
09:58 Parce que précisément dans le rejet,
10:01 alors que c'est elle-même qui a fait finalement
10:04 le terme que tout le monde utilise,
10:06 il y a une sorte de sérénité, de félicité,
10:10 que sait-je, que elle trouve.
10:13 Il y a une phrase, une phrase qui est à peu près épouvantable,
10:17 comme peut d'ailleurs tous l'écrivait cet auteur,
10:19 d'Émile Cioran.
10:21 J'ai mentionné son nom déjà la fois précédente.
10:25 Émile Cioran, c'était un auteur roumain
10:28 qui vivait à Paris, en Pleuchart presque.
10:31 Et donc, je cite de mémoire l'une de ses phrases,
10:35 c'est que, imaginez un ancêtre
10:38 qui passe toute sa vie à se mortifier gravement.
10:42 Et juste avant de mourir,
10:45 il comprend que tout ça s'était en vain.
10:48 Et donc c'est à ce moment-là, en fait,
10:51 qu'il atteint réellement le bonheur.
10:54 Parce que précédemment, ce qu'il faisait,
10:56 c'était dans une optique de calcul.
10:58 Par exemple, je me mortifie maintenant
11:00 et j'espère plus tard avoir une récompense.
11:03 Parce qu'il comprend que tout s'était en vain,
11:07 pour Cioran, c'était un petit peu, on va dire,
11:10 cette idée qu'en vérité, le bonheur,
11:13 il vient aussi, peut-être même plus intensément encore,
11:18 justement de l'échec du rejet.
11:22 Lorsque tout le monde vous crache dessus,
11:25 lorsque tout le monde vous tabasse,
11:28 c'est peut-être là qu'il y a des très curieux moments
11:32 qui se passent psychologiquement.
11:35 Et j'ai écouté avec une grande attention
11:38 ce que disait mon ami Jérôme,
11:41 et on aura une discussion à cet égard-là.
11:44 Dans certaines, je dirais, traditions culturelles et intellectuelles,
11:48 on a poussé, si j'ose dire, la réflexion
11:51 jusqu'à imaginer des stratégies d'échec.
11:55 C'est-à-dire des systèmes que la personne
11:58 met délibérément en place pour se faire haïr.
12:01 C'est en fait l'inverse de l'influenceur.
12:04 L'influenceur, en ce sens on va dire moderne,
12:08 comme dirait l'autre décadent,
12:11 l'influenceur cherche à satirer les sympathies de grandes fous.
12:15 Dans d'autres systèmes de pensée, c'est exactement l'inverse.
12:19 Par exemple, les maîtres bouddhistes en Chine,
12:23 notamment, on va dire en bouddhisme "Kyam",
12:26 qu'en japonais on dirait "Zen",
12:29 avec les différences de prononciation,
12:32 il y a toutes sortes de techniques
12:35 qui sont très loin des lieux habités
12:38 pour qu'il y ait le moins possible de gens qui viennent vous voir.
12:42 Il faut se mettre sur une montagne
12:45 pour que ça ne fasse souffrir les gens qui veulent venir vous voir.
12:49 Et lorsque quelqu'un finit par se pointer devant vous,
12:52 il faut être aussi désagréable et vulgaire que possible.
12:56 Tout ça pour se faire haïr, évidemment.
12:59 Et c'est de là que vient peut-être,
13:02 et je ne sais pas comment le former de façon très simple,
13:05 c'est de là que viennent les aphorismes
13:08 qui font de la sagesse du bouddhisme "Zen" ou "Kyam",
13:12 si vous le dites à la chinoise.
13:15 Donc, ces aphorismes,
13:18 termes techniques, si vous parlez japonais c'est "Koan",
13:21 si vous parlez chinois c'est "Gong'en".
13:25 Et donc, ces aphorismes-là,
13:28 ce sont en fait des petites phrases provocatrices
13:31 que les maîtres disent.
13:33 Parfois vous n'en avez qu'une seule dans votre vie,
13:36 et qui est destinée à vous faire travailler mentalement.
13:40 Donc imaginez, la scène c'est une histoire vraie,
13:43 peu importe la référence.
13:45 Il y a le grand maître Zen qui est quelque part dans les montagnes,
13:49 et un disciple qui fait un trajet absolument épouvantable
13:53 pour rencontrer le maître.
13:55 Le disciple est totalement épuisé, crevé,
13:58 dans tous ses états.
14:00 Et le disciple arrive enfin auprès du grand maître,
14:03 et le disciple pose la question qui tue au maître bouddhiste,
14:07 et lui demande "Qui est le Bouddha ?"
14:10 À l'équivalent chrétien, la question ce serait "Qui est Dieu ?"
14:15 Ou "Fais-moi voir Dieu."
14:17 C'est en fait la question suprême aussi, je veux dire.
14:20 Et donc le maître bouddhiste répond,
14:23 "C'est un bâton à sécher la merde."
14:27 Ça c'est exact, c'est vraiment pas comme ça que ça concerne,
14:31 le bouddhisme en général.
14:33 Donc la réponse la plus choquante, la plus provocatrice,
14:37 la plus idiote.
14:39 Alors c'est à la fois destiné à mal se faire marre,
14:42 donc en d'autres termes à ce qu'on voulait ça,
14:45 mais aussi à ce que ça fasse une telle impression sur le disciple
14:49 qu'il va méditer ça toute sa vie.
14:52 Et donc il y a quelque chose d'assez étonnant.
14:57 Et ça nous pose sur le plan purement concret, pratique, matériel,
15:01 une question essentielle.
15:04 Est-ce qu'on peut rencontrer des gens intéressants, intelligents,
15:08 plein de sagesse ?
15:10 Si vous réfléchissez comme des occidentaux,
15:13 vous me direz "Mais à l'université, pardi quoi, enfoiré,
15:16 mais est-ce que c'est vrai quoi ?
15:19 Il faut que je... tant qu'à me proposer, je travaille à l'université,
15:23 donc il ne faut pas que je mange à la fin du matin,
15:26 mais moi je fais ça."
15:28 Ce que je veux dire par là, ce n'est pas forcément exact.
15:32 Les gens qui m'ont le plus appris dans ma petite vie,
15:36 en fait c'était souvent des gens qui n'ont jamais mis les pieds à l'école.
15:41 Et d'une certaine façon, ce sont souvent les gens les plus exclus,
15:47 les gens les plus marginaux.
15:50 Oui, j'ai pu aller par exemple à Rome, ou je ne sais où,
15:55 donc c'est un lieu un peu emblématique de sagesse occidentale.
16:00 Comme mes parents étaient des, on va dire, je ne veux pas dire des bourreaux,
16:04 mais en tout cas des militants anticommunistes,
16:07 genre pour eux, nous invitaient de temps en temps.
16:10 Mais en fait, le moment où on voit, on va dire,
16:16 des gens qui, à mon avis, sont davantage portants de sagesse,
16:22 ce n'est pas dans la Florence, on va dire, lettrée d'un certain siècle,
16:28 mais ce sont peut-être dans les petites grottes d'ermites au Fafon,
16:33 je ne sais pas, du désert égyptien, du Liban, de que sais-je.
16:38 Ça donne peut-être beaucoup à réfléchir.
16:42 Il y a un peu une œuvre parodique, si vous aimez les lettres grecques,
16:47 il y a un bouquin qui s'appelle "Le Banquet",
16:50 ce n'est pas le banquet de Sothop, c'est le banquet de Lucien,
16:55 Lucien de Samosa.
16:57 Imaginez la scène, c'est hyper marrant à lire.
17:00 Donc Lucien, c'était un homme, on va dire, fortuné,
17:03 et il veut faire une soirée particulièrement athénom.
17:08 Donc il fait venir la crème de la crème des intellectuels.
17:12 Aujourd'hui, on dirait qu'il n'y a que des prix Nobel à la soirée.
17:16 Dans le Banquet de Lucien, il y a vraiment le top du top,
17:20 et encore un peu plus que ça.
17:22 Donc les légendes intellectuelles de son époque
17:25 se retrouvent au Banquet de Lucien.
17:28 Sauf qu'évidemment, ça dérape totalement,
17:31 et à un moment donné, il y a une bagarre de l'ordre qui éclate,
17:35 alors on renverse la lampe,
17:38 et donc le stoïcien qui disait que la douleur n'est rien
17:43 se met à hurler de douleur parce qu'on vient d'effoncer les temps,
17:46 et je passe les détails.
17:48 Donc ça finit très mal, c'est très rigolo à lire,
17:51 mais en fait, ça montre, le Banquet de Lucien montre
17:54 que ces gens-là n'ont aucune sagesse.
17:57 C'est assez étonnant.
18:00 Et donc, petit à petit, on en vient peut-être à une figure,
18:05 peut-être provocatrice,
18:07 mais la figure de l'exclu ou du vagabond,
18:11 on peut le voir ainsi,
18:14 et je danserais que j'ai peut-être de façon pathologique
18:18 que c'est une certaine attirance pour cette figure,
18:22 on va dire, de certains vagabonds.
18:25 Et peut-être des souvenirs aussi,
18:28 mais en tout cas certains constats.
18:31 Peut-être que le nom de Jack Kerouac est connu.
18:34 Ce qui était Jack Kerouac, c'était l'auteur emblématique
18:37 de la génération hippie.
18:40 Il a écrit notamment, "Homme de l'ombre", "Monsieur Marouche",
18:43 je crois, en français,
18:45 mais il a surtout écrit un deuxième livre
18:47 qui à mon avis est plus intéressant,
18:49 il s'appelle "Les Clochards célestes".
18:51 Pendant ces années de vagabondage,
18:54 il a rencontré des profils, on va dire, intéressants,
18:57 et souvent d'ailleurs qui auraient aujourd'hui été diagnostiqués autistes, je crois.
19:01 Et donc ces gens-là, c'était l'époque,
19:04 ils avaient comme une particularité de fumer,
19:07 pas de cigarettes, c'est presque petit.
19:10 Et donc en fait, la véritable illumination,
19:14 la véritable sagesse,
19:16 c'est pas celle qu'on tire évidemment de telle ou telle substance,
19:20 non, non, non, c'est pas ça,
19:22 mais c'est la sagesse que l'on tire du rejet social
19:25 dû au fait qu'on passe pour un junkie.
19:28 C'est ça le mécanisme.
19:31 Et à mon avis, sur ce point-là,
19:35 Jacques Quiroy a mis le doigt
19:38 sur quelque chose de particulièrement étonnant.
19:43 Cette thématique-là,
19:45 que les gens, on va dire, entre guillemets,
19:48 portent de sagesse,
19:50 ce sont les plus exous, les plus vagabonds,
19:53 on va trouver ça dans tantité, on va dire,
19:56 de tradition, etc.
19:58 Envoyer, on pourrait, par exemple,
20:00 juste pour le plaisir, c'est une sélection tout à fait aléatoire,
20:04 par exemple, dans les cultures de langue arabe,
20:08 citer sans doute l'un des tout plus anciens poètes de langue arabe,
20:14 c'est bien avant l'Ismaïl,
20:16 il s'appelait Shamfara,
20:18 alors c'était un poète errant,
20:20 on l'avait chassé de sa tribu.
20:22 À l'époque, dans une société du désert,
20:25 être chassé de sa tribu, c'est pire que la mort.
20:28 Et donc, lui a été chassé de sa tribu,
20:31 et il a écrit dans son érance,
20:34 au milieu de Beth Fond,
20:37 il a écrit le poème qui est devenu fondateur d'identité arabe,
20:42 donc la langue arabe,
20:44 où littéralement, je vais y s'érigner par la lettre L,
20:50 c'est un peu dans une langue archaïque,
20:54 mais en gros, il dit,
20:56 "Mais heureusement que j'ai été chassé de ma tribu,
20:59 maintenant ma famille..."
21:01 alors je déforme un peu dans ma non-extraduction,
21:04 "Ma famille, c'est le loup rapide,
21:07 le léopard avec ses tâches,
21:10 et l'aliène, le poil, le loup."
21:13 Et c'est quand même peut-être ce bonhomme-là,
21:18 qui est quand même quasiment le fondateur,
21:22 on va dire, de la culture,
21:25 de l'immense culture en arabe classique.
21:28 Et on retrouve cette idée un peu plus tard,
21:31 il y a plusieurs surapes du Coran,
21:34 qui vont nous faire aimer des émous,
21:37 on peut peut-être en mentionner une ou deux.
21:40 Il y a, si je ne me trompe pas, c'est la surape de la Génisse,
21:43 qui dit, "Donc, que les éliminés,
21:46 ce sont ceux qui ont l'herbe pour maintenant,
21:50 le ciel pour toi, toi, Nyo, ta féodité."
21:54 Donc c'est un même arbre,
21:57 "Wa alla bija'al alakoum al-adhafila asham
22:01 wa as-samaa bi-na'an."
22:04 Donc cette idée, que c'est l'errance,
22:07 le nomadisme qui crée la véritable situation de bonheur,
22:12 ça c'est une idée que l'on a profondément dans les cultures humaines,
22:18 mais qu'aujourd'hui on a totalement perdu dans le monde occidental.
22:23 J'ai été très long et très bavard, mes excuses pour cela.
22:28 Mais je me dis que finalement, la jalousie,
22:32 enfin on peut dire que l'histoire de l'humanité,
22:35 c'est une histoire de jalousie que les sédentaires font contre les nomads.
22:40 Et d'une certaine façon, il y a des profils psychologiques qui correspondent,
22:47 je n'oserais pas bien nous y plaindiquer,
22:50 mais il y avait des profils psychologiques qui, à mon petit avis,
22:54 correspondaient à tel ou tel choix de vie ou pas.
22:58 Donc vous connaissez un peu,
23:01 et je vais former cette messe,
23:04 vous connaissez un peu ce qui commence tous les récits fondateurs de civilisation,
23:12 c'est une mise à distance.
23:15 Vous retrouvez ça dans les grands poèmes épiques en Inde,
23:20 dans Mahabharata en Inde,
23:23 vous retrouvez ça aussi dans la culture grecque.
23:27 En fait, si Agamemnon avait préféré la cliétude de son palais royal,
23:34 et s'il s'était dit pourquoi est-ce que moi j'irais à Troyes,
23:38 peut-être qu'il aurait eu une vie plus paisible,
23:41 mais nous on serait bien venus,
23:44 on serait bien démunis sur le plan culturel.
23:48 Alors il y a la fameuse phrase qu'on entend,
23:51 il y a une toute sorte de glosse tamudique sur cette phrase,
23:55 "Va pour toi", qu'entend Abraham,
23:58 va pour toi, quitte ton pays, quitte ta patrie,
24:03 quitte la maison de ton père, voyez ?
24:06 "Lech lecha meach tsecha ou me molladetcha ou nubey avecha,
24:11 el haaretz asher ahecha"
24:13 "Revers le pays que je te montrerai"
24:16 En fait, ce qui est fascinant, il y a deux choses dans cela,
24:20 c'est que n'importe qui d'autre aurait dû me dire,
24:23 "Je suis bien chez moi", voyez ?
24:26 Il faut avoir quand même un tant qu'amour bizarre,
24:29 ou alors être victime d'amour d'exclusion,
24:32 pour obéir à ce genre d'instruction.
24:35 Surtout qu'à l'époque il n'y avait pas beaucoup,
24:38 comme pour réserver votre chambre la nuit à venir,
24:42 voyez, c'est la nuit à venir,
24:46 elle se passera probablement, comme on disait,
24:49 avec les hyènes dans le poêlon, dans le désert quelque part.
24:54 Et donc, vous avez peut-être piqué sur une curiosité,
24:59 la phrase n'est pas basique,
25:02 elle est bas pour toi, c'est dans ton intérêt à toi,
25:07 en fin de compte, c'est peut-être,
25:10 cette curiosité, il y a une particularité,
25:13 c'est un geste amusique, sur ce point là,
25:16 finalement on se dit que la société humaine,
25:21 pour exister, a besoin de ces gens bizarres.
25:25 Et c'est peut-être à mon avis pour cela
25:29 qu'existe le handicap.
25:31 Je ne sais pas si vous avez déjà posé la question,
25:34 pourquoi le handicap existe ?
25:36 C'est une vraie question, en fait, tout le monde.
25:39 Alors, si vous posez la question à un médecin,
25:42 peut-être que le médecin vous répondra,
25:45 alors avec beaucoup de politesse,
25:48 peut-être que le médecin vous répondra
25:51 le handicap existe parce que tout processus biologique
25:54 peut l'éraper.
25:56 Il est quand même un peu plus public,
25:59 un peu plus immense,
26:01 mais l'idée à mon avis,
26:03 ce sera celle-ci dans sa réponse.
26:06 La véritable question à mon avis,
26:09 c'est que ce n'est pas la bonne réponse.
26:12 Parce que, si vous voulez un exemple un peu provocateur,
26:16 c'est celui du cancer et de l'éléphant.
26:19 Le cancer, c'est quand il vous s'en va,
26:22 plus vous avez de cellules,
26:25 plus vous avez de risque d'attraper le cancer.
26:28 Donc un éléphant ou une baleine,
26:30 qui sont des bestioles énormes,
26:32 devraient choper le cancer au bout de quelques semaines,
26:35 nous sommes d'accord.
26:37 Vous avez raté, les éléphants n'ont jamais le cancer.
26:40 Justement parce que, comme ils étaient à risque de cancer,
26:43 ils ont un système pour éliminer très efficacement
26:46 les cellules canceroses.
26:48 Donc le simple fait qu'un processus biologique puisse déraper,
26:52 ça n'explique pas l'existence ou l'inexistence de ceci ou cela.
26:57 Peut-être qu'au contraire, le handicap existe
27:01 parce que la société humaine ne pourrait pas exister
27:05 sans cela.
27:08 J'ai été très bavard,
27:11 si vous permettez ma dernière phrase.
27:14 Vous savez, à la fin, il faut toujours se ridiculiser.
27:17 Rien de mieux que de passer pour un illuminé.
27:20 C'est ce que je vais tenter de faire.
27:23 Vous connaissez sans doute le yoga.
27:26 Le yoga est, disons, lancé, initié par un texte,
27:32 le traité du yoga, le Yoga Sutra,
27:36 écrit ou attribué à Patanjali,
27:39 parce que le problème de paternité dans ce livre n'est pas là.
27:44 En tout cas, ce qui nous apporte ici,
27:46 c'est qu'il y a une très belle phrase, vraiment,
27:49 dans le Yoga Sutra,
27:51 que peut-être on peut se dire.
27:54 Vous voyez,
27:57 "Asteya pratishtha, sarvaratna upasthana"
28:02 Généralement, on la traduit comme ci.
28:05 "Lorsque le désir de posséder disparaît,
28:10 les joyaux apparaissent."
28:12 Vous voyez, ça sort bien en français.
28:15 "Lorsque le désir de posséder disparaît,
28:17 les joyaux apparaissent."
28:19 La phrase, en tant que telle, est plus précise que ça,
28:22 parce qu'elle dit, en fait,
28:23 "Tous les présents dans sarvaratna"
28:26 Donc, en quelque sorte, c'est plus fort encore que l'introduction,
28:30 mais ça rime vraiment avec quoi, vous voyez.
28:32 Donc, il est quand même état, donc, niveau occidental.
28:37 "Nous en soyons réduits à un modèle
28:39 qui en manque au superfice du bonheur."
28:43 Alors, même que, je dirais,
28:45 à travers toute l'aventure presque humaine,
28:48 je journalise peut-être un peu,
28:50 en tout cas, à travers beaucoup de passages
28:53 et de l'aventure humaine,
28:55 c'était un modèle, quand même, relativement inversé
28:58 qui prévalait pas.
28:59 Et c'est là, peut-être, quand la boucle est bouclée
29:02 et qu'on a un petit fragment,
29:04 une tentative d'explication de ce que j'essayais d'énoncer au début,
29:08 en fait, pourquoi les Occidentaux sont tellement tristes,
29:11 pourquoi il y a tant de tête-pouille,
29:14 de tête-pression, spécifiquement en Occident,
29:17 et peut-être que, tout simplement,
29:20 nous avons fait fausse route
29:22 par rapport à notre perception,
29:25 aux mauvaises perceptions, justement, du bonheur
29:29 et de comment nous, nous autres, être humains,
29:32 nous construire et puis, peut-être,
29:35 envisager aussi toutes les autres personnes
29:39 et puis, aussi, peut-être, réfléchir.
29:42 Parce que, finalement,
29:44 que reste-t-il de notre bref passage d'ici-bas
29:48 sinon, peut-être, une forme de réflexion,
29:52 de maturation personnelle
29:54 et puis, on peut espérer aussi, peut-être,
29:57 des moments de découverte, de nouvelles avancées.
30:00 Merci beaucoup de m'avoir écouté.
30:02 (Applaudissements)

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