Mémoire ouvrière

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La France est l'un des pays du monde dont les droits des travailleurs sont les plus avancés. Ils sont le fruit de luttes ouvrières menées depuis le XIXème siècle. Nous irons à Lyon revivre les combats des canuts, les ouvriers de la soie. Ensuite, direction le Nord-Pas-de-Calais. L'épopée industrielle du bassin minier raconte l'histoire sociale d'une France ouvrière, de la découverte de cet or noir au XVIIIème siècle jusqu'au déclin des exploitations dans les années 1990... Année de Production : 2023

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00:41 - Entre Saône et Rhône,
00:43 Lyon se déploie le long des berges,
00:45 en direction des collines de Fourvière et de la Croix-Rousse.
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00:52 Carrefour et dernier grand comptoir avant les Alpes,
00:55 la cité a été au XIXe siècle
00:58 la capitale mondiale de la soie.
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01:03 Lyon a prospéré grâce à cette luxueuse industrie
01:07 venue d'Italie, avec ses riches patrons, les soyeux,
01:11 et ses ouvriers, les canuts,
01:13 qui vont écrire l'histoire de la ville et la dessiner.
01:16 (Générique)
01:17 Tout un pan des hauteurs de la ville de Lyon
01:20 a été construit pour loger les canuts,
01:22 qui travaillaient chez eux sur leur métier à tisser.
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01:31 Et un autre quartier, en contrebas dans la vieille ville,
01:36 a été érigé par et pour les soyeux.
01:38 Une soie qui est aussi étroitement mêlée
01:42 à la célèbre marionnette guignol.
01:44 Une soie qui croise aussi sur son chemin la cuisine locale.
01:49 Lyon ne serait pas Lyon
01:51 si elle ne s'était livrée toute entière
01:54 à cette précieuse étoffe.
01:56 - Je pense qu'il n'y a pas un Lyonnais
01:59 qui n'a pas dans sa famille
02:01 un père, un oncle, une tante, une cousine,
02:04 qui n'a pas travaillé dans la soirée.
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02:14 - Pour retracer les origines de cette industrie,
02:17 il faut se rendre dans le Vieux Lyon,
02:20 là où, à la Renaissance,
02:23 les tout premiers ateliers de tissage se sont créés.
02:26 A Saint-Georges, le coeur historique de la cité,
02:29 les plus anciennes maisons de la ville
02:32 côtoient les actuelles boutiques et les restaurants.
02:35 ---
02:38 Au XVe siècle,
02:40 Lyon, idéalement situé
02:43 entre l'Europe méridionale et orientale,
02:46 accueille à chaque saison de grandes foires.
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02:51 - Il faut imaginer, 4 fois par an,
02:53 toutes ces marchandises qui s'échangent,
02:57 toutes ces sommes d'argent qui changent de poche,
03:00 qui créent une effervescence et font de Lyon
03:03 une capitale commerciale très importante.
03:06 L'idée, c'était de faire venir les marchands à Lyon,
03:09 pour que le commerce se passe ici
03:13 et que la France puisse en retirer un avantage financier.
03:17 Mais, petit problème, les marchands repartaient
03:20 avec l'argent dans leur poche.
03:22 François 1er voulait arrêter cette fuite de capitaux.
03:26 Il les trouvait, notamment les marchands italiens,
03:30 en leur disant, au lieu de faire du commerce entre Lyon et l'Italie,
03:34 "Venez à Lyon, installez-vous à Lyon."
03:37 Pour ceux qui faisaient ça, il leur a dit,
03:40 "Pas de taxes, pas d'impôts pour vous et vos descendants."
03:44 C'est comme ça que 2 tisseurs italiens,
03:48 qui étaient en 1966, nous apprennent à tisser la soie.
03:52 -Dans les rues pavées du vieux Lyon,
03:55 de cette époque lointaine,
03:57 il reste ces arcades,
03:59 vestiges des anciennes échoppes,
04:03 et des rues aux noms chantants,
04:06 comme celui du 1er marchand fabriquant italien, Turchetti.
04:10 C'est ici qu'est née la soirée lyonnaise,
04:13 qui, pendant plus de 400 ans,
04:17 a transformé la vie des habitants.
04:20 -Mon arrière-grand-père a commencé comme Brasse Roquet,
04:24 celui qui faisait le tri entre les bobines
04:27 pour faire la chaîne ou la trame.
04:29 Il a commencé comme ça, puis il est devenu commis,
04:32 puis commercial, puis il a monté sa maison de soirée en 1890.
04:37 Musique douce
04:40 -Mais il faut prendre de la hauteur
04:43 pour entrer dans le coeur de cette histoire.
04:46 Au-dessus de sa colline, le quartier de la Croix-Rousse
04:49 offre une vue imprenable sur la presqu'île.
04:53 Dans ce quartier autrefois populaire,
04:56 le souvenir des canuts reste omniprésent.
04:59 Au début du 19e siècle,
05:01 Joseph-Marie Jacquard, un artisan de la soie,
05:04 invente une machine à tisser
05:07 qui révolutionne cette industrie en plein essor.
05:10 ...
05:12 Ses nouveaux métiers à tisser
05:14 font près de 4 m de haut.
05:16 Impossible de les installer dans le Vieux-Lyon
05:20 où vivent les ouvriers.
05:22 La Croix-Rousse est alors un village en pleine campagne.
05:26 Celle que l'on appellera bientôt "la colline qui travaille"
05:30 est choisie pour construire les immeubles ateliers
05:33 des tisseurs de soie.
05:36 Ils vont y vivre et y travailler.
05:39 ...
05:42 -On reconnaît les immeubles canuts
05:44 parce qu'ils ont entre 4 et 5 étages,
05:47 avec beaucoup de fenêtres.
05:49 On a construit de façon simple, mais pour autant solide,
05:53 pour pouvoir supporter le poids des métiers
05:56 et encaisser les vibrations.
05:59 ...
06:08 Voilà à quoi ressemble un plafond canut.
06:11 Ou dit à la française, avec les solives,
06:14 qui permettait de supporter le poids des métiers.
06:18 Le nombre de métiers dépend du nombre de fenêtres.
06:22 Chez nous, on a 3 fenêtres.
06:24 C'était un atelier où, vraisemblablement,
06:27 il y avait 3 métiers à tisser.
06:29 Les canuts habitent et travaillent au même endroit.
06:33 C'est pour ça qu'en général, on a une seule pièce,
06:38 la pièce à vivre, mais surtout la pièce à travailler,
06:41 parce qu'on a un fourneau, une table pour casser la croûte.
06:45 Pour loger les enfants, on avait ce qu'on appelle la suspente,
06:49 aujourd'hui, on l'appelle une mezzanine.
06:52 Ca a du sens d'habiter dans un immeuble de canuts
06:56 car on sent que cette histoire est imprégnée dans les murs.
07:00 On entend presque le bruit des métiers,
07:03 on imagine presque le bruit et toute cette activité.
07:07 -Avec l'arrivée des canuts,
07:10 la Croix-Rousse devient le nouveau poumon ouvrier de la ville.
07:14 Au pied de cette colline s'installent les soyeux.
07:17 Issus de la bourgeoisie lyonnaise, ces marchands fabricants
07:21 fournissent la matière première venue d'Extrême-Orient
07:25 et du sud de la France et commandent aux ouvriers,
07:29 au canut, la fabrication des tissus.
07:32 En bas des pentes de la Croix-Rousse,
07:35 l'architecture des immeubles est à l'image de leurs propriétaires.
07:39 Bourgeoise, cossue, mais sans ostentation.
07:42 Musique de tension
07:45 ...
07:49 -Il se différencie par le dessin de la façade
07:53 par des portes qui sont beaucoup plus larges
07:56 parce que c'est des portes d'allées, comme on dit à Lyon.
07:59 C'est plus la petite porte du canut.
08:02 Très souvent, ils ont des lambrequins qui sont en fonte,
08:05 extrêmement travaillés.
08:07 C'est un patrimoine de la ville lyonnaise qu'il faudrait garder
08:10 qui, au fil des réhabilitations d'immeubles, disparaissent.
08:13 ...
08:14 -Au milieu de ces élégants immeubles,
08:17 un bâtiment qui abrite aujourd'hui une bibliothèque
08:20 témoigne tout particulièrement
08:22 de l'organisation du commerce de la soie au XIXe siècle.
08:25 -La condition des soies, c'est un organisme
08:28 qui est chargé de contrôler le poids d'humidité de la soie
08:32 quand elle arrive de ces pays d'Extrême-Orient
08:35 ou simplement de ces verres à soie.
08:38 Le taux d'humidité doit être de 11 %.
08:41 Dès que vous rajoutez de l'eau, vous rajoutez du poids,
08:44 et comme la soie est un produit très cher qui s'achète au poids,
08:48 il fallait absolument contrôler tout ça.
08:50 C'est un héritage parce que c'est un bel immeuble de 1814,
08:55 début du XIXe siècle,
08:57 et parce que la porte avait été conçue avec un linteau,
09:00 avec des feuilles de murier et des verres à soie.
09:03 Quand on détaille le total,
09:05 c'est un vestige de cette époque de la soie assez touchant.
09:09 -Une fois contrôlée, la soie était confiée aux canuts,
09:15 qui s'empressaient de la ramener dans leurs ateliers pour la tisser.
09:19 Pour rejoindre le haut de la colline le plus vite possible,
09:22 les ouvriers passaient par les traboules.
09:25 -Les traboules ont été prévues à la construction de l'immeuble
09:32 en étant des passages abrités pour faire passer ces flux incessants
09:37 de soie ou de tissu fini entre le haut et le bas de la croix-rouge.
09:41 -Habitants et promeneurs empruntent toujours ces raccourcis.
09:48 Ils sont une particularité architecturale de la ville de Lyon,
09:52 à tel point qu'ici, on se plaît à utiliser le verbe "trabouler".
09:56 -Ca vient du latin "transambulare", "passer à travers".
10:01 J'aime bien "trabouler" parce que c'est rentrer un peu
10:05 dans l'âme lyonnaise, évidemment.
10:07 Voilà, on est au coeur de la croix-rouge et de ses passages secrets.
10:13 -Ces galeries ont surtout abrité les allées et venues clandestines
10:18 des canuts pendant les insurrections des années 1830,
10:22 considérées en France comme les premières grandes luttes sociales.
10:25 Soumises à plus de 15 heures de travail par jour,
10:28 les ouvriers s'insurgent.
10:30 Etroitement liées aux événements qui ont rythmé l'histoire
10:34 des travailleurs de la soie, la cour des Voraces tire son nom
10:37 du groupe d'ouvriers à l'origine de la dernière insurrection,
10:41 celle de 1848.
10:42 L'émeute va influencer les grands mouvements de pensée sociale,
10:46 de Joseph Proudhon à Karl Marx.
10:48 Célèbre pour son escalier monumental de pierre,
10:52 la cour des Voraces aurait servi de refuge aux canuts
10:55 et de siège aux luttes ouvrières.
10:58 Musique de suspens
11:00 ...
11:03 Au même moment, une marionnette à destination des adultes
11:07 devient le messager de la ville.
11:09 C'est la grande époque des caricaturistes.
11:11 Le gendarme est alors la cible préférée de cette personnalité
11:15 frondeuse à la parole insolente.
11:17 C'est la naissance de Guignol, une marionnette qui va se permettre
11:21 de dire tout haut ce que les ouvriers de la soie pensent tout bas.
11:25 Musique de suspens
11:27 Aujourd'hui, au parc de la Tête d'or,
11:29 ce sont les plus jeunes qui viennent rire avec lui,
11:32 un héritage lyonnais, car Guignol est bien fils de canut.
11:36 -Laurent Mourguet est un ouvrier en soie.
11:39 Et la crise économique dans Soirie se fait sentir,
11:43 et il va être obligé d'abandonner la soie.
11:46 Et puis, il va devenir arracheur de dents.
11:49 Arracheur de dents, ça fait pas bien courir les foules.
11:52 Donc, il va se servir de polychinelle pour attirer la clientèle.
11:56 Il y aura un certain succès, et il a l'idée ingénieuse
12:01 de créer une marionnette à son image,
12:04 au caractère bien lyonnais, Guignol.
12:06 -Bonjour, l'école. Ca va, tout le monde ?
12:10 -Oui. -Bonjour, Guignol.
12:12 -Guignol va devenir très rapidement célèbre,
12:14 parce que Guignol incarne le peuple.
12:17 Ce personnage à la tête de bois va clamer bien haut la misère du peuple,
12:21 qui, lui, ne peut pas défiler dans la rue comme on fait aujourd'hui.
12:25 -Moi, j'aime Guignol parce qu'il a versé mon enfance.
12:28 Il illustre le caractère des Lyonnais, il illustre son accent.
12:33 C'est un patrimoine. C'est un patrimoine vivant.
12:37 ...
12:44 -Sur la presse-qu'île de Lyon, se sont installés des bouchons,
12:48 ces restaurants typiquement lyonnais.
12:51 À la carte, quenelles, tripes ou pieds de mouton,
12:55 des ingrédients modestes que les ouvriers savaient agrémenter.
12:59 Comme l'une des recettes les plus emblématiques de cette époque,
13:02 appelée cervelle de canut, un plat au non-trompeur.
13:06 Un simple fromage frais aux fines herbes,
13:09 des spécialités locales héritées du monde ouvrier
13:12 et servies ici depuis 1870.
13:14 ...
13:18 Lyon va vivre au rythme des canuts jusqu'à la fin du XIXe siècle.
13:23 Peu à peu, les nouveaux textiles remplacent les précieuses étoffes.
13:28 La croix rousse va s'embourgeoiser,
13:30 mais partout, du haut de la colline jusqu'à la presse-qu'île,
13:34 Lyon raconte ce qu'elle doit à la soie et à ses artisans.
13:38 ...
13:49 ...
13:54 Le charbon, le vert des Térrilles et le rouge des cités minières.
14:00 Le bassin minier de la frontière belge aux collines de l'Artois
14:05 porte les couleurs d'une aventure humaine aussi émouvante que cruelle.
14:08 ...
14:11 Au début du XVIIIe siècle,
14:13 la découverte d'un charbon nommé houille dans la région
14:17 va transformer son destin.
14:19 La production s'organise autour de gigantesques installations industrielles,
14:24 de cités.
14:25 Après les souffrances des conditions de travail,
14:28 viendront celles de la fermeture des mines.
14:31 -On est sur un territoire où la fierté a été blessée, en quelque sorte.
14:36 C'était très important que l'ensemble des habitants
14:39 retrouve cette sensation de fierté,
14:41 qui était la leur du temps de l'exploitation minière,
14:44 fierté d'être d'ici.
14:45 ...
14:47 -Le bassin minier et son charbon, une grande épopée industrielle.
14:52 Un chapitre majeur de l'histoire sociale de la France
14:56 qui continue de s'écrire.
14:57 ...
15:01 -Allez, Biquette ! Gauche, passe !
15:03 -A Rieulet, village situé entre Douai et Valenciennes,
15:08 un poumon vert colonisé par des milliers de bouleaux
15:11 surplombe une vaste étendue d'eau.
15:14 ...
15:16 Allez, les filles !
15:17 -Difficile d'imaginer qu'il s'agit d'un ancien terril,
15:20 sombre colline où l'on stocke à des pierres,
15:23 les roches stériles des mines, mêlées de quelques charbons.
15:27 ...
15:29 -C'est la raison pour laquelle il y a un terril ici,
15:32 pour laquelle, aujourd'hui, il y a des promeneurs et des Biquettes.
15:36 C'est des gaillettes, des petites pépites de charbon.
15:39 ...
15:41 -Au 19e siècle, la production intensive des sites miniers
15:45 a vite posé un problème.
15:47 On ne savait que faire des restes de pierres
15:49 issues du triage du charbon.
15:51 Des montagnes ont alors émergé dans tout le bassin minier,
15:55 dessinant un horizon reconnaissable entre tous,
15:58 les terrils, dont celui des argales.
16:01 -Hé, hé, hé !
16:02 Oui ! Allez, pousse, pousse !
16:04 Ah, c'est magnifique !
16:06 Pourtant, c'est complètement artificiel.
16:09 C'est ça qui est beau, aussi.
16:11 On sait faire des belles choses, aussi.
16:14 Ce qui est hallucinant, c'est qu'on est à 50 m d'altitude,
16:17 sur un site qui fait une centaine d'hectares.
16:20 On se croirait dans le Vercors,
16:22 mais non, c'est une montagne créée par l'homme,
16:25 et chaque caillou est passé entre les mains d'un mineur,
16:28 ou dans sa pelle, ou dans le wagon manœuvré par les mineurs.
16:31 Allez, les Biquettes, on y va !
16:33 Les terrils, pour les gens de la région,
16:36 ça représente leur maison.
16:38 Quand on rentre de vacances sur l'autoroute
16:40 et qu'on voit les triangles, on sait qu'on arrive à la maison.
16:44 Ca fait partie du paysage.
16:46 Et aujourd'hui, c'est plus que du paysage,
16:48 c'est aussi des zones où on vient y faire des activités sportives.
16:52 Il y a des gens qui s'entraînent pour des courses de montagne.
16:56 Et puis de savoir qu'on a nos anciens, nos ancêtres,
16:59 qui ont travaillé dur là-dessous, tous les accidents qu'il y a eu.
17:03 Donc c'est un hommage qu'on leur rend.
17:06 -Un hommage à la hauteur du labeur fourni par les mineurs
17:10 pour extraire la roche.
17:11 Car pour avoir des terrils, il faut des puits de charbon.
17:15 A quelques minutes du terril des Argales,
17:18 dans le village de Leward, une ancienne mine se visite.
17:22 -Le mineur arrive dans la salle de bain
17:32 avec ses vêtements de bain,
17:34 dans la salle de bain avec ses vêtements civils.
17:37 Il se dirige vers sa corde,
17:39 qui est toujours la même puisqu'il a un numéro.
17:42 Donc il baisse cette corde.
17:45 Il enlève ses vêtements de travail,
17:48 met ses vêtements civils à la place,
17:51 et il remonte la corde.
17:53 Les vestiaires suspendus ont plusieurs avantages.
17:56 D'abord, un gain de place,
17:58 puisqu'il y avait 1 000 mineurs qui travaillaient ici, dans cette fosse.
18:02 Et puis, ça permettait aussi de sécher les vêtements très facilement.
18:06 Une fois qu'ils ont revêtu leurs tenues de travail,
18:09 ils viennent chercher leurs lampes.
18:12 Ici, dans ce lieu, ce sont surtout, jusque dans les années 50,
18:15 des femmes qui travaillent pour préparer les lampes
18:19 avant la descente.
18:20 Les préparer, ça veut dire régler la hauteur de la flamme
18:24 qui permet de détecter la présence de grisou.
18:26 -Le grisou, un gaz invisible se dégageant des couches de charbon
18:31 et provoquant des explosions.
18:33 -Lorsque les mineurs arrivent pour prendre leurs lampes,
18:36 ce sont à des cadences élevées, donc elles doivent travailler très vite.
18:40 Dans un endroit où il fait chaud l'été, froid l'hiver,
18:44 donc c'était un métier pénible pour les lampistes.
18:47 ...
18:52 -Si la précieuse houille est repérée dans le nord de la France
18:55 au XVIIIe siècle,
18:57 c'est pour ne plus dépendre de la Belgique et de son charbon.
19:01 Il faut attendre un siècle avant que les compagnies de mines
19:04 ne prolifèrent et ne se révèlent très prospères.
19:07 Mais les conditions de travail des ouvriers, elles, sont terribles.
19:11 ...
19:14 -Les veines de charbon étaient toujours très minces,
19:17 entre 50 cm et 1,20 m.
19:18 Les mineurs ne travaillaient jamais debout,
19:21 ils étaient toujours accroupis, assis, voire allongés,
19:24 et aussi dans des chantiers où il faisait extrêmement chaud.
19:27 Les mineurs ont toujours respiré de la poussière,
19:30 ils avaient des charges très lourdes, travaillaient dans le bruit.
19:34 Le métier est toujours resté très difficile,
19:37 notamment avec des maladies professionnelles
19:39 comme la silicose, qui en a atteint beaucoup.
19:42 ...
19:44 -Pour attirer les mineurs, les compagnies leur construisent
19:48 des logements.
19:49 De l'autre côté du bassin minier, dans la ville de Bruel à Buissières,
19:53 une cité accueille à l'époque jusqu'à 43 familles.
19:57 Jocelyne Péry y a grandi
20:00 et nous ouvre son album de famille.
20:03 ...
20:05 -Alors ici, c'est la maison de ma grand-mère.
20:08 L'avantage, c'est qu'elle n'habitait pas très loin de chez nous.
20:12 Numéro 12, voilà, où j'ai passé mon enfance.
20:16 Cette fameuse pierre, c'est ce qu'on appelait, nous, la pierre,
20:20 où les hommes, souvent, je vais vous montrer...
20:24 Les hommes étaient bien assis, en train de fumer leur cigarette
20:27 et discuter un peu le coup entre voisins.
20:30 Les enfants, nous, on était là.
20:32 Combien de fois j'ai joué aux osselets, ici ?
20:35 Ca, c'était bien.
20:36 Ce pignon-là que mes parents avaient mis en couleur blanc
20:40 pour pouvoir avoir le reflet, un peu de lumière dans la maison,
20:44 parce que sinon, ça fait un peu tristonner.
20:47 Donc on jouait à 1, 2, 3 soleils, etc., à la balle.
20:51 Il y a eu des moments où il faisait très chaud aussi.
20:54 Le goudron fondait.
20:56 Alors, ce que je m'amusais, c'est avec un bâton,
20:59 je prenais le goudron et je commençais déjà à taguer.
21:02 Donc j'avais tagué ici mes initiales.
21:06 Et voilà, c'est resté longtemps.
21:09 Puis, ça fait un an que c'est disparu.
21:11 On était beaucoup dehors, c'est ce qui donnait cette allure de communauté,
21:15 de solidarité aussi, parce que tout ce qui se passait à l'extérieur,
21:19 s'il y avait un petit souci,
21:21 on savait qu'on pouvait compter les uns sur les autres.
21:25 C'était un bon terrain de leçons de vie.
21:28 Pour les jeunes qui étaient là.
21:31 -Dans la cité, les familles vivent dans des maisons collées les unes aux autres.
21:38 -L'origine de cette architecture, ça vient au départ des cordes fermes.
21:44 Donc, elles sont construites un peu comme ce que vous voyez autour de moi,
21:48 c'est-à-dire repliées en forme de U.
21:51 Ce modèle est repris et devient un modèle qui va se répéter
21:55 de compagnie en compagnie, c'est ce qu'on appelle les courants.
21:58 -Toutes les cités minières, on peut dire, se ressemblent,
22:01 mais en réalité, elles sont toutes différentes.
22:03 Déjà parce qu'au départ, chaque compagnie va chercher à poser sa patte.
22:07 Alors, chez nous, ça se voit notamment au niveau des couleurs.
22:10 Donc, vous voyez ici des murs rouges
22:13 et également un entourage de fenêtres et de portes blancs.
22:16 -Ici, chaque logement possède un jardin potager,
22:21 un moyen pour les patrons de soutenir sans trop de frais le budget des familles.
22:25 -C'est pas trop sec pour les carottes ?
22:28 -Non, c'est dur, le terrain est paillé.
22:31 -Oui, ça va pleuvoir ce soir, donc ça devrait aller.
22:34 C'est aussi un moyen de contrôle de la population ouvrière.
22:38 Les mineurs vont avoir l'obligation d'entretenir leur jardin
22:42 et de ce fait, vont forcément, dans leur temps libre,
22:45 avoir tout un temps qui va être dédié à ce jardin.
22:49 Et ça, c'est aussi, bien sûr, pour éviter les rassemblements sociaux,
22:53 les mouvements de grève, grosso modo la revendication,
22:56 qui se concentrait à l'époque dans les staminets.
22:59 La compagnie, elle surveille en permanence ces mineurs,
23:04 de la naissance à la mort, quasiment.
23:06 Ça passe par les ingénieurs, qui ont des maisons à proximité
23:10 de la cité des Écrissiens et qui ont une vue à distance
23:13 sur ce qui se passe à l'intérieur de la cité.
23:15 Et en proximité, ça se passe par la présence d'un garde,
23:18 dont un des rôles est de surveiller tout ce qui se passe à l'intérieur.
23:26 -Durant les années 30, les idées sociales du Front populaire
23:30 promeuvent les sports et les loisirs pour tous.
23:33 Juste à côté de la cité, la municipalité de Bruet
23:37 fait construire en 1936 une piscine art déco.
23:41 A l'époque, la Société des Mines de la région
23:44 exploite 18 puits de charbon
23:47 et possède plus de 80 % du territoire communal.
23:50 Et le paternalisme règne en maître.
23:52 Mais l'arrivée de figures politiques de gauche
23:56 impose bientôt un contre-pouvoir inédit.
23:59 -A Bruet, la Compagnie des Mines,
24:02 c'est comme une seigneurie du Moyen Âge.
24:04 Je reprends les mots des journalistes de l'époque.
24:07 C'est un autre monde.
24:08 La Compagnie emploie une grande partie de la population.
24:12 Elle a beaucoup de pouvoir économique sur la ville.
24:15 Dans les années 30, à Bruet, il y a une grande rivalité
24:18 entre la mairie socialiste et la Compagnie des Mines.
24:21 Le maire Henri Cadot ne veut pas être en reste
24:25 et décide de faire construire une grande infrastructure
24:28 qui va être constituée d'un stade et d'une piscine.
24:31 -Pour rivaliser avec la Société des Mines,
24:37 il faut faire grand et beau.
24:39 La piscine Art Déco, avec ses airs de paquebots,
24:42 surprend par sa modernité.
24:44 -Cette piscine a tout de suite beaucoup de succès.
24:51 C'est l'année des congés payés,
24:54 et c'est une manière pour les mineurs de s'évader.
24:56 D'autant que quand on va sur le sonarium,
24:59 on voit les terries au loin, on voit l'échevalement des mines.
25:02 Donc on sait que demain, il faudra y retourner.
25:05 -Et ils y sont retournés, le jour et les années suivantes,
25:09 jusqu'aux années 60.
25:11 C'est alors que s'amorce le lent déclin de l'industrie minière
25:19 jusqu'à la fermeture de la dernière fosse en 1990.
25:23 Avec le sentiment de la perte d'une famille,
25:26 malgré le travail ardu.
25:28 S'en suivent des politiques de reconversion du territoire.
25:33 Puis, en 2004, une ancienne fosse de la mine de Lens
25:43 est retenue comme site d'accueil du nouveau Louvre.
25:51 -Je suis très attachée à ce que Louvre-Lens ne soit pas
25:54 quelque chose de parachuté, comme si c'était installé
25:57 dans un territoire où il n'y aurait rien eu avant.
25:59 Ici, le Louvre-Lens, au quotidien, il s'inspire de ce territoire.
26:03 -A commencer par le jardin.
26:05 -Vous trouvez cet étrange petit chemin qui va tout droit
26:08 et qui s'enfonce dans la prairie, dans le bois.
26:10 Ca évoque les cavaliers des mines.
26:12 C'étaient ces petits chemins de fer privés
26:15 qui reliaient les sites miniers
26:17 aux grands sites des chemins de fer nationaux.
26:20 Par exemple, un petit peu partout sur le site,
26:23 ces esplanades de béton, un peu étranges,
26:26 vous voyez qu'elles sont jalonnées par des pierres noires
26:29 qui évoquent le schiste.
26:31 On est vraiment sur ce territoire de charbon,
26:34 ce territoire énergétique.
26:36 Ca nous confère cette espèce de conscience
26:38 de l'énergie qui nous vient du sol,
26:41 qui, je trouve, est assez unique dans ce territoire.
26:44 -L'esprit des lieux de cet ancien puits minier
26:47 se retrouve dans l'intérieur de ce Louvre.
26:50 70 % des visiteurs proviennent de la région.
26:55 -La Galerie du Temps, elle incarne la culture pour tous,
27:01 elle incarne aussi la culture de tous.
27:03 C'est un lieu de transmission,
27:06 c'est un lieu où cette fierté retrouvée,
27:08 on a la chance de la partager avec ceux qu'on aime
27:11 et en particulier de la transmettre à ses enfants.
27:15 Ce qui me peine le plus, parfois, c'est quand on me dit
27:18 "Vous êtes sûrs, vous êtes bien ici, pourtant, il n'y a rien."
27:22 C'est pas vrai, ici, il y a une culture profonde,
27:25 une identité profonde qui a dessiné le paysage,
27:28 qui a dessiné l'architecture.
27:30 Il y a, au moment de la fermeture des mines,
27:33 un mouvement un peu de rejet de la mémoire.
27:35 D'abord, on a souffert dans les mines,
27:38 ensuite, on souffre de la fermeture des mines,
27:41 et puis, il y a très vite un mouvement qui va se constituer
27:44 et dire "Attendez, c'est nous, c'est notre histoire."
27:47 On ne peut pas inventer un avenir, même différent,
27:50 si on ne s'appuie pas là-dessus.
27:53 Sous-titrage ST' 501
27:57 ...
28:08 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

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