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Deux ans après la chute de Kaboul, Solène Chalvon-Fioriti, grand reporter et réalisatrice et Shakiba Dawod, artiste activiste afghane vivant à Paris, membre du collectif "Le bruit qui court" sont les invitées du grand entretien de France Inter ce mardi 15 août.

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Transcription
00:00 Et c'était donc il y a deux ans, jour pour jour, en Afghanistan, les talibans reprenaient
00:04 le pouvoir à Kaboul dans la foulée du départ des américains.
00:07 Les afghans, eux, devaient choisir entre rester et fuir, les afghans et les afghanes surtout.
00:14 Car c'est pour elles en particulier que la vie a radicalement changé depuis ce 15 août
00:18 2021.
00:19 Deux ans de régime taliban.
00:22 On en parle ce matin avec nos deux invités.
00:24 Solène Chalvon-Fioriti, bonjour.
00:25 Bonjour.
00:26 Vous êtes grand reporter, réalisatrice, vous connaissez très bien ce pays pour y
00:29 avoir résidé régulièrement depuis 2011 et encore très récemment.
00:33 Notamment auprès des femmes, avec en particulier deux documentaires.
00:37 Afghan, sorti en 2022 et comme tu es belle, avoir 20 ans sous les talibans, disponible
00:41 depuis ce printemps.
00:42 On va y revenir parce que vous avez pu entrer dans un salon de beauté qui est depuis fermé.
00:46 Avec nous aussi, Shakiba Davod, bonjour.
00:50 Militante afghane, réfugiée en France depuis 15 ans, membre du collectif d'artistes
00:54 Le Bruit qui court.
00:55 Vous co-organisez ce soir à Paris une marche pour le peuple afghan.
00:58 Je signale aussi que vous travaillez comme interprète à l'office français des réfugiés.
01:02 Et puis vous qui nous écoutez, bien sûr, on attend vos questions et vos réactions.
01:07 01 45 24 7000 et l'application France Inter.
01:10 D'abord peut-être un portrait un peu rapide et général, Solène Chalvon-Fioriti.
01:14 Vous étiez, tout récemment je le disais, sur place en Afghanistan.
01:18 A quoi ressemble aujourd'hui ce pays, deux ans après l'arrivée des talibans au pouvoir ?
01:23 C'est un pays méconnaissable à l'œil nu.
01:26 C'est un pays complètement transformé, notamment parce que la guerre est terminée.
01:30 La guerre civile, la guerre militaire est terminée.
01:33 C'est peut-être ce qui me vient à l'esprit.
01:35 D'abord, désormais, on peut en Afghanistan, même si le régime est extrêmement répressif
01:39 et que l'appareil sécuritaire a été considérablement grossi, on peut aller partout dans le pays.
01:45 Ce qui n'était pas du tout le cas avant.
01:47 Et ce qui est évidemment aussi très, très frappant, c'est la dégringolade économique,
01:51 la pauvreté, le fait que vous voyez des gens très pauvres partout, en ville comme à la
01:56 Chine, ce qui n'était pas non plus le cas avant.
01:58 Et autre manifestation à l'œil nu très frappante, c'est évidemment le fait que
02:02 vous ne voyez presque plus de femmes, très, très peu de femmes, quelquefois en ville.
02:05 Et enfin, là j'en reviens, j'y étais en juillet, ce qui m'a aussi beaucoup marquée,
02:09 c'est qu'avant en Afghanistan, quand on était journaliste, on travaillait énormément
02:13 sur la culture de l'opium et que là, il y a 80%, quand on regarde les images satellitaires
02:18 et les rapports, 80% de la culture de l'opium qui a quand même disparu cette année.
02:22 Donc c'est un pays totalement transformé pour la journaliste que je suis.
02:26 C'est une revendication, les mesures contre la culture de l'opium, une revendication
02:30 des talibans, on va y revenir.
02:32 Un peu la même question, Shakiba Davod, en quoi l'Afghanistan actuel est-il différent
02:36 de celui que vous avez connu il y a 15 ans quand vous êtes partie ? Que vous racontent
02:39 vos contacts sur place ?
02:40 Bonjour à vos auditeurs.
02:44 Quand je suis partie, en fait, c'était le début de l'espoir pour les femmes afghanes.
02:50 On pouvait se projeter et imaginer que dans quelques années, le pays va avoir de plus
02:57 en plus de progrès et nous pouvons affirmer notre place au sein de la société afghane.
03:03 Alors qu'aujourd'hui, 15 ans plus tard, je vois que les Afghanes ont perdu tous les
03:08 droits fondamentaux, le droit à l'éducation, au travail, à la participation sociale et
03:16 politique.
03:17 Je me suis fait perdre alors qu'un jour j'espérais pouvoir retourner en Afghanistan.
03:22 Aujourd'hui, c'est un espoir que vous n'avez plus en tout cas à ce stade.
03:26 Alors les femmes, les afghanes, bien sûr, c'est pour elles, vous le dites, que les
03:29 choses ont le plus massivement changé.
03:32 Contrairement d'ailleurs aux engagements initiaux du régime des talibans, des afghanes,
03:37 Solene Chalvon-Fioriti, progressivement banni de l'espace public, qui disparaissent, vous
03:41 le disiez, on peut le dire comme ça ?
03:42 En fait, les afghanes sont plongées dans un confinement éternel, puisqu'on se rend
03:46 bien compte que les talibans qui ont pris pas moins de 20 interdits depuis qu'ils
03:50 sont au pouvoir, ils ne s'arrêtent pas.
03:51 C'est-à-dire que tous les cinq mois, les afghanes sont aux abois à attendre ce qui
03:57 arrive, puisque en réalité, non seulement elles sont privées d'éducation après
04:01 12 ans, mais on voit bien que la liste, en fait, probablement est encore longue.
04:05 Il y a quantité d'écoles primaires, même dans le sud du pays désormais, qui sont fermées.
04:10 Il y a des interdits qui touchent le secteur privé, alors que le secteur privé, on continue
04:15 de croiser les doigts en se disant que c'est encore là, dans les ateliers de confection,
04:18 etc., que les talibans vont laisser les femmes travailler.
04:20 Et officiellement, c'est le seul préservé, normalement, où les femmes peuvent continuer
04:23 à travailler.
04:24 C'est le seul préservé, mais regardez ce qui se passe pour les salons de beauté.
04:25 Vous savez, les salons de beauté, c'est pas du tout comme chez nous.
04:26 Les afghans ont continué de le dire.
04:28 D'ailleurs, quand il y a une boulangerie en Afghanistan, il y a un salon de beauté.
04:30 Il y en avait d'abord des dizaines de milliers.
04:33 Et souvent, évidemment, les esthéticiennes qui y travaillent sont des filles qui sont
04:36 les seules à ramener l'argent au sein du foyer.
04:38 Et il faut bien comprendre qu'en plus, ces refuges qu'on a pu filmer avec Margot Ben
04:42 dans le film "Comme tu es belle", ces refuges-là étaient devenus depuis deux ans, c'est ça
04:46 aussi qui est très très triste, un endroit où se retrouvaient les filles qui étudiaient,
04:50 les filles qui voulaient continuer d'apprendre, les filles qui s'échangent des pilules contraceptives,
04:54 puisque ce sont aussi, malheureusement, des domaines maintenant qui sont très très fragiles.
04:57 Donc en fait, les talibans, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'ils ont peur des
05:01 femmes.
05:02 Et je crois que c'est ça, moi, en tant que journaliste qui connaît assez bien ce pays,
05:04 je crois que c'est ça, en fait, qui me marque le plus.
05:06 C'est la terreur des talibans face aux femmes éduquées.
05:09 Quand ils ont fermé les salons de beauté à Kaboul, j'étais là, il fallait voir
05:12 le déploiement des agents du renseignement, du GDI, devant les salons de beauté, devant
05:17 cinq esthéticiennes complètement terrifiées.
05:20 C'est-à-dire qu'on voit bien qu'ils ont peur d'elles, parce qu'ils ont peur de ce
05:24 qu'elles peuvent produire contre eux.
05:26 Et ils savent bien que pour contrôler ce pays, il faut aussi contrôler les femmes.
05:29 - Parce que c'était finalement, ces salons de beauté, un lieu de résistance des femmes
05:33 Chakibadawod, l'un des derniers lieux de résistance.
05:36 - Oui, tout à fait.
05:37 Je pense que c'était les endroits safe, c'est-à-dire les femmes pouvaient se retrouver
05:43 en sécurité, parler, échanger de leurs problèmes, trouver des solutions, concocter
05:47 ensemble des solutions.
05:49 Mais aujourd'hui, les femmes, malgré toutes ces restrictions, continuent à se battre.
05:55 Le front a reculé à la maison.
05:58 Avant, les femmes pouvaient bénéficier de l'espace public.
06:03 Et aujourd'hui, elles reculent chez eux, à la maison, mais elles continuent à résister.
06:09 Donc, elles se transforment en front officiel de résistance contre les talibans.
06:17 - Parce qu'on a vu au tout début du retour des talibans, ces manifestations très courageuses
06:22 de femmes dans la rue.
06:23 Ça veut dire qu'on en voit moins aujourd'hui, que cette résistance a changé de forme ? Ou
06:27 ça existe encore, ces cortèges ?
06:28 - Comme Solène l'a dit, je rebondis là-dessus.
06:33 En fait, elles réagissent spontanément par rapport à des nouvelles lois talibans qui
06:41 sont imposées par le régime.
06:42 Mais je pense que les réseaux sociaux, avoir la possibilité d'accéder à l'Internet
06:51 leur permet quand même de diffuser des informations, de faire des vidéos courtes, envoyer des
06:56 messages pour nous et pour les gens qui vivent à l'étranger.
07:01 - Solène Chalbant-Cherbier ?
07:02 - Oui, surtout, en fait, c'est un front, comme disait Jacques Héba, qui est clandestin.
07:06 C'est-à-dire que les afghanes, elles ont très bien compris qu'elles avaient intérêt
07:09 à bien des égards à rester extrêmement low profile dans cette résistance.
07:13 C'est-à-dire que les écoles clandestines, maintenant dans le pays, qu'on n'arrive plus
07:17 du tout à chiffrer, mais qu'on estime autour de 15 000.
07:19 - On contourne les règles ?
07:20 - On contourne les règles et surtout, on ne s'exprime pas simplement.
07:22 Parce que les réseaux sociaux, c'est l'apanage des filles des villes.
07:25 Mais dans les campagnes ou dans les périphéries urbaines, les petites classes clandestines,
07:29 ce n'est pas des classes à 150.
07:30 Voilà, c'est des petites structures.
07:33 C'est les radios communautaires, les petites radios communautaires, j'entendais la formidable
07:37 Amida Aman sur France Info tout à l'heure.
07:40 Voilà, c'est ces petites radios communautaires qui permettent, en fait, de glisser une éducation
07:44 clandestine et de continuer de former les filles.
07:47 C'est ça que font les afghanes aujourd'hui.
07:48 C'est cette résistance-là très courageuse.
07:50 Parce que vous savez, les écoles clandestines, vous voyez aussi plein de gamines qui sont
07:54 complètement… je ne sais pas comment vous dire, en fait, elles n'ont même plus de
07:57 lueur d'espoir dans les yeux.
07:58 Il n'y a plus de bouquins.
07:59 Et puis « Apprendre pourquoi ? » et puis elles ont faim.
08:02 Exactement, plus de la place des arts est aussi en train d'être complètement écrasée.
08:05 Mais l'éducation, c'est tellement important qu'elles continuent malgré tout d'apprendre,
08:10 tout en sachant qu'apprendre pourquoi ? Pour quel futur ? Parce que de toute façon, elles
08:13 ne pourront pas travailler.
08:14 Et beaucoup plus inquiétant maintenant, ce qui arrive, c'est qu'on est en train de
08:17 se rendre compte que les talibans des années 90 et ceux d'aujourd'hui, effectivement,
08:20 sur quasiment tous les points, en fait, sont en train de se rencontrer.
08:24 Puisque là, c'est l'éducation qui était leur cible première.
08:26 Et d'ailleurs, l'éducation, ça ne va pas être que l'éducation des filles.
08:29 Croyez-moi, les talibans, ils n'ont pas la culture des campus universitaires.
08:32 Donc, on voit très bien dans le Sud qu'ils commencent aussi à s'en prendre aux garçons.
08:36 Mais la santé ! Alors qu'on n'arrêtait pas de se dire « bon, au moins, ils laissent
08:39 travailler les femmes médecins ». Là, il y a des informations qui ne parviennent
08:42 même plus en France.
08:43 Mais songez que tous les hôpitaux avocats sont obligés, comme chez nous, d'éditer
08:47 une liste chaque année des médecins qui leur manquent, des chirurgiens, des neuropsychiatres,
08:51 etc.
08:52 Cette année, aucun hôpital n'a demandé de gynécologue dans un pays qui reste parmi
08:57 les pires au monde pour accoucher.
08:58 Et ça, c'est le ministère de la Santé qui vous le dit, qui est un ministre taliban
09:02 qui vous regarde dans les yeux quand vous lui parlez.
09:04 Vous voyez qu'il est un homme plutôt modéré.
09:05 Et il suit la ligne rigide, centralisée du régime Akandar.
09:10 Au-delà des hôpitaux, il faut le rappeler que c'est quasiment dans toute la fonction
09:13 publique que les femmes ont disparues.
09:15 Les femmes condamnées à rester chez elles, vous le disiez, avec les nouveaux dangers
09:18 que ça engendre.
09:19 Je pense aux violences domestiques, aux taux de suicide chez Akiba Davod.
09:23 Oui, bien sûr.
09:25 Alors, vous savez, les afghanes sont obligées à la fois de se battre contre les talibans
09:31 qui sont à l'extérieur de chez elles, mais en même temps, les pensées aux talibanistes
09:41 qui existent au sein de leur foyer avec le père, le frère, les oncles, tout le monde
09:50 qui nous prend pour leur honneur.
09:52 Et cette question de crime d'honneur continue à persister malheureusement en Afghanistan.
09:59 Les femmes qui passent une fois au commissariat ou aux prisons talibans, une fois retournées
10:06 à la maison, soit elles décident de se suicider, soit elles sont tuées par leur propre famille
10:13 parce qu'elles font tâche à l'honneur de la famille.
10:16 Malheureusement, cette culture patriarcale qui persiste en Afghanistan continue à prendre
10:25 des victimes chez les femmes afghanes.
10:27 Dans un contexte économique exsangue, depuis deux ans, la pauvreté explose.
10:33 85% de la population sous le seuil de pauvreté, une production économique en chute libre,
10:37 15 millions d'Afghans qui ne vivent qu'avec un repas par jour.
10:40 Solène Chalvon-Fioretti, comment les Afghans tiennent au quotidien ?
10:44 Ils tiennent très difficilement.
10:47 Il y a 28 millions d'Afghans sur 39 millions qui ont besoin d'une aide d'urgence quotidienne.
10:53 Et peut-être que c'est vraiment le débat économique qu'il faut avoir.
10:59 Ce que nous ont prouvé les talibans récemment, à travers l'éradication de la culture
11:04 de l'opium, c'est qu'ils se tirent une balle dans le pied économiquement avec
11:11 la fermeture des salons de beauté, avec la suppression de l'opium.
11:15 Il y a un dialogue qu'on peut continuer, qu'on peut avoir sur la question économique
11:21 puisque aujourd'hui, deux tiers des entreprises n'existent plus.
11:24 On l'a dit, les femmes sont complètement... ça coûte 5 millions de dollars à l'Afghanistan
11:29 d'avoir les femmes effacées complètement de la vie économique.
11:32 Et en fait, sur cette question-là, on peut encore discuter avec les talibans.
11:35 C'est un danger pour le régime, la faillite économique ?
11:37 C'est un danger mais vous savez, là encore, les talibans vous étonnerez parce que les
11:41 talibans ont quand même quasiment mis fin à un système de corruption extraordinaire
11:45 de l'ancienne république sur les douanes.
11:47 Ils ont quand même réussi quasiment à stabiliser la monnaie alors qu'ils ont des voisins
11:51 comme le Pakistan qui n'y arrivent pas du tout.
11:52 En réalité, les talibans, c'est-à-dire que je n'ai pas envie de le dire comme ça
11:56 parce que ce serait évidemment trop cynique et trop cruel, mais hormis sur la question
12:00 bouleversante, foudroyante d'apartheid sexuel des femmes, il y a quand même des points
12:05 sur lesquels on aurait intérêt à discuter avec eux.
12:07 Sur la migration, sur l'opium typiquement et surtout sur ces sanctions économiques
12:13 dont on n'arrête pas de dire que les premières victimes sont les femmes et les filles.
12:17 C'est-à-dire que nous-mêmes en Europe, ce n'est pas que les américains qui décident
12:20 de geler les avoirs de la banque centrale et d'imposer ce système de transactions
12:27 financières qui sont arrêtées.
12:28 C'est nous aussi.
12:29 On a 2 milliards qui sont bloqués en Europe, on ne le réinjecte pas du tout en Afghanistan
12:33 et du coup on paralyse le secteur privé de ce pays.
12:36 Donc on contribue à affamer les afghans et les afghanes.
12:39 Crise économique, crise humanitaire majeure, dit l'ONU, Chahakila Davod, ça se sent,
12:46 ça se ressent dans les témoignages que vous collectez, que vous recevez en provenance
12:49 d'Afghanistan.
12:50 Oui bien sûr.
12:51 Avant, je pense qu'il y avait tous les ans une quantité précise des afghans qui prenaient
13:00 les chemins clandestins pour arriver jusqu'en France ou dans les pays européens où ils
13:05 pouvaient déposer une demande d'asile.
13:07 Mais depuis la chute de Kaboul, beaucoup d'afghans sont partis dans les pays limitrophes comme
13:14 Pakistan et l'Iran, certains au Tadjikistan, mais quand même beaucoup de gens qui viennent,
13:20 qui arrivent quand même à venir jusqu'en France en prenant les chemins clandestins.
13:25 Ça d'autant plus que les pays étrangers, notamment les pays occidentaux, se sont engagés
13:32 à exfiltrer une certaine catégorie des gens dont les journalistes, les artistes, les activistes
13:38 et les gens qui ont travaillé au sein de l'administration afghane ou les militaires.
13:45 Donc on voit vraiment une augmentation des réfugiés afghans en demande d'asile dans
13:51 les pays étrangers.
13:52 37% de hausse des demandes en France depuis deux ans.
13:55 Vous parliez, Solene Chalvon, sur Ety, je ne sais pas si on peut le dire comme ça,
14:00 mais de réussite talibane, entre guillemets.
14:02 Vous avez parlé de la lutte contre la culture de l'opium.
14:05 Sur la sécurité, beaucoup d'Afghans mettent ça au crédit des talibans.
14:11 Le retour au calme, la chute des attentats, c'est ce qui fonde le soutien d'une partie
14:16 de la population.
14:17 Parce qu'il ne faudrait pas voir d'ici que personne ne soutient les talibans.
14:19 Les talibans ont un soutien clair au sein de la population.
14:22 Alors je ne dirais pas réussite talibane, je ne pourrais pas employer ce mot.
14:26 Mais j'entends ce que vous dites.
14:27 J'entends ce que vous dites.
14:28 Alors oui et non, parce que les talibans sont aussi, sur la question d'abord de l'éducation
14:32 des filles, sont très impopulaires dans toutes les villes.
14:34 Donc c'est quand même pas bon pour eux.
14:35 Et puis les talibans lèvent l'impôt, un impôt très fort.
14:39 Les talibans exercent une préférence ethnique hallucinante.
14:43 C'est-à-dire que moi, où que j'aille, là en Afghanistan, si j'ai envie de discuter
14:46 avec des autorités talibanes, il vaut bien mieux que je sois accompagnée d'un homme
14:49 qui soit pas ch'tou parce que sinon je ne vais pas arriver à obtenir ce que je veux.
14:51 Donc ils sont quand même, en fait ils ont gagné.
14:55 Ils ont gagné.
14:56 C'est-à-dire qu'eux se voient comme des vainqueurs.
14:59 Alors bien sûr c'est une dictature, bien sûr c'est un coup de force.
15:01 Mais il y a effectivement dans les campagnes, quantité d'Afghans qui quand même reconnaissent
15:06 aux talibans le fait d'avoir réussi à mettre fin à 40 ans de guerre.
15:09 Maintenant, je rappelle que pour les femmes, effectivement les femmes c'est la moitié
15:14 de la population, c'est pas une minorité.
15:16 C'est ces 20 ans d'acquis qu'on est en train de perdre complètement.
15:20 Je veux dire, on discutait avec Shakiba dehors.
15:21 Pensez à ces filles qui ont travaillé, qui ont fait 7 ans de médecine, 5 ans de polytechnique,
15:27 qui se retrouvent sans rien aujourd'hui.
15:28 Il faut bien que ces filles continuent de se former.
15:31 Il faudra bien que ces filles assurent, si vous voulez, demain une génération de femmes
15:35 éduquées.
15:36 Et donc il y a un collectif ici, Accueillir les Afghanes, qui se bat depuis 2 ans pour
15:40 que la France donne l'asile systématique sur la seule question du genre aux Afghanes
15:45 qui le demandent au Pakistan.
15:47 Est-ce que la France est à la hauteur de l'accueil depuis 2 ans ?
15:49 Je peux vous dire, s'il y a bien une chose que je sais, c'est que le gouvernement de
15:52 M. Macron a raté une très grande occasion, alors qu'on nous avait parlé, Mme Colonna
15:57 notamment, de diplomatie féministe, a raté une très grande occasion de porter secours
16:01 aux Afghanes, alors que ça ne leur coûtait pas très cher, puisque les Afghanes ne peuvent
16:05 pas voyager, elles ne peuvent pas sortir du pays, elles sont enfermées dans leur pays
16:08 les Afghanes.
16:09 Et donc elles arrivent au compte-goutte au Pakistan, celles qui sont sorties, c'est
16:13 celles qui ne pouvaient plus étudier, celles qui ne pouvaient plus bosser, celles que vous
16:15 voyez étudier par terre dans les rues d'Islamabad, et pour lesquelles, alors que nous avons une
16:21 grande ambassade au Pakistan, avec franchement un ambassadeur qui est un grand humaniste,
16:24 qui a fait en sorte qu'on accueille les femmes vulnérables et les femmes seules en
16:28 priorité.
16:29 5 000 Afghans et Afghanes accueillis en urgence depuis août 2021.
16:31 Alors beaucoup, beaucoup d'épouses au départ, très peu de femmes seules, les femmes seules
16:35 qui travaillaient sont arrivées sur la faim, mais le problème c'est les délais d'obtention
16:39 ensuite ici.
16:40 M. Darmanin n'a rien fait pour les Afghanes, les Afghanes continuent de dormir dehors,
16:45 alors que nous avons été en capacité d'accueillir 100 000 Ukrainiens, surtout des Ukrainiennes,
16:49 et moi je m'en réjouis, et de développer des outils pour protéger ces populations
16:52 qui sont particulièrement vulnérables.
16:54 Les Afghanes, ils n'en veulent pas.
16:56 On va faire un détour par le Standard pour rejoindre Daniel, bonjour.
16:59 Oui bonjour.
17:00 Je vous laisse poser votre question.
17:02 Eh bien écoutez, ma question elle est simple et compliquée à la fois, c'est-à-dire
17:08 qu'est-ce que la communauté internationale peut faire ? Qu'est-ce qu'on peut faire
17:12 vraiment ? Parce que en dehors des sanctions économiques, des interventions militaires
17:18 qui ont été un véritable fiasco, parce que quand on voit le lâchage des Américains
17:24 c'est absolument lamentable, à moins de la presse de pouvoir par les femmes, je vois
17:31 pas, y a-t-il une opposition sous-jacente, enfin souterraine plutôt, qui pourrait se
17:39 développer ? Je ne sais pas.
17:40 Merci Daniel.
17:41 Alors il y a deux choses dans votre question.
17:43 Il y a d'abord la réaction et l'attitude de la communauté internationale et des Occidentaux.
17:47 Shakiba Davod, comment vous la jugeriez au-delà de l'accueil des réfugiés dont on a parlé.
17:52 On voit que les Etats-Unis commencent à reprendre langue un peu avec les talibans, avec des
17:56 discussions en juillet.
17:58 Comment vous la jugeriez, la qualifieriez cette attitude des Occidentaux ?
18:02 Malheureusement, je pense que les attitudes de la communauté internationale n'est pas
18:07 à la hauteur de l'attente que les Afghanes ou les Afghans réfugiés attendaient de la
18:14 communauté internationale, des instances et tout ça.
18:17 Mais nous voyons également que le monde est attaqué par plusieurs crises de différentes
18:26 directions.
18:27 Il y a la guerre en Ukraine, il y avait la révolution de Massad Amini, la fin de la
18:33 liberté en Iran.
18:34 Donc l'attention était portée sur différentes directions et au milieu, les Afghans ont été
18:43 abandonnés.
18:44 Je pense qu'il faudrait faire un recensement médiatique sur les sujets importants de notre
18:50 époque.
18:51 Je rebondis sur ce que Solène a dit, il y a beaucoup d'Afghans qui arrivent, mais la
18:58 condition d'accueil, le gouvernement Macron, M.
19:02 Darmanin, je pense que déjà nous ne sommes pas prêts à accueillir peut-être dignement
19:11 tous ces réfugiés.
19:12 Mais pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas une volonté politique sérieuse pour pouvoir
19:19 s'occuper de ces problèmes comme il faut.
19:21 Et sur la deuxième partie de la question de notre auditeur, à savoir, est-ce qu'il
19:25 existe, est-ce qu'il peut exister une forme d'opposition locale ? J'ai une autre
19:28 question de Patricia qui nous écrit depuis Nantes, qui nous demande si ce régime est
19:31 vraiment uni, comme les talibans le revendiquent.
19:35 Ce qui est certain, c'est que franchement sur place, les formes de mobilisation se
19:37 sont beaucoup pétiolées.
19:39 C'est-à-dire qu'à nouveau, il y a une résistance des femmes via les réseaux d'éducation
19:42 clandestins, c'est clair.
19:43 Mais pour le reste, non, il n'y a pas d'opposition.
19:45 Les talibans, c'est vrai, ont quand même vraiment sécurisé ce pays avec une centralisation
19:50 du pouvoir extrêmement forte.
19:52 Et en plus, ils envoient dans les provinces où vous avez des gouverneurs talibans qui
19:55 par moments sont un tout petit peu plus souples, ils envoient des conseils de religieux qui
19:59 en ce moment rédifient extrêmement les sociologies internes.
20:03 Donc à moins que, et c'est évidemment ce que moi j'espère, à moins qu'on voit
20:07 émerger dans des dynamiques locales, régionales, très particulières, qu'on voit émerger
20:12 des talibans un peu plus dissidents.
20:14 Mais en fait, on voit bien au bout de deux ans qu'à chaque fois qu'il y a des prises
20:17 de parole un peu en faveur de l'éducation des filles, elles font ch*te.
20:20 Je pense qu'il n'arrivera rien.
20:21 En revanche, à nouveau, sur la question des sanctions, on peut débattre ici.
20:25 On peut insister auprès de nos politiques pour accueillir les afghanes systématiquement.
20:30 Et surtout, garder le contact avec les talibans, ça ne va jamais les aider.
20:32 Je veux dire, les afghanes d'être encore plus isolées qu'elles le sont déjà, elles
20:35 sont enfermées.
20:36 Gardez le contact, pourquoi pas réouvrir des ambassades sur place et arrêter de suivre
20:40 les talibans.
20:41 - Mais ça ne vous choque pas que les Etats-Unis continuent de discuter, par exemple, à Doha
20:42 avec des délégations de talibans ?
20:43 - Pas du tout, mais moi je voudrais que l'Union Européenne arrête de suivre le positionnement
20:46 des Etats-Unis et discute de front avec les talibans, encore une fois.
20:50 Nous avons des sujets communs.
20:51 - Et puis à l'enjeu de la médiatisation, vous le disiez, c'est un pays devenu quasi
20:54 inaccessible aux ONG, aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.
20:57 Un trou noir de l'information.
20:59 Sans entrer dans les détails, bien sûr, Solène Chalvon-Fioritti, comment vous parvenez
21:03 à vous rendre encore en Afghanistan ?
21:06 - C'est très compliqué.
21:07 C'est très compliqué.
21:08 C'est très compliqué.
21:09 Et d'ailleurs, c'est très compliqué.
21:10 - On ne va pas entrer dans les détails.
21:11 Pas officiellement en tant que journaliste.
21:12 - On sait que désormais, maintenant, les services de renseignement, comme je vous disais,
21:17 ont explosé.
21:18 Il y en a un dans chaque coin de rue.
21:19 Notre confrère Murtaza Behboudi en a fait les frais, puisque ça fait sept mois.
21:23 - Journaliste franco-afghan en détention.
21:25 - Journaliste franco-afghan, grand journaliste, grand humaniste, qui est encore enfermé
21:28 aujourd'hui en Afghanistan.
21:29 Ça fait plus de sept mois.
21:31 Et ce sont ces services-là.
21:32 Ce sont les services de renseignement qui ont mis la main sur lui.
21:34 - On a des nouvelles d'ailleurs.
21:36 - On a des nouvelles qui sont plus encourageantes qu'elles ne l'étaient il y a quelques mois.
21:40 Mais ça reste fragile.
21:42 Et surtout, c'est une accusation.
21:44 C'est une farce macabre, en réalité, puisqu'il a été interrogé dix minutes en six mois.
21:48 - Merci beaucoup Solène Chalvion-Fioritti.
21:50 Je rappelle notamment ce documentaire, toujours disponible en ligne, « Comme tu es belle ».
21:54 Et puis votre livre aussi, « La femme qui s'est éveillée.
21:56 Une histoire afghane », aux éditions Flammarion.
21:58 Shakiba Davod, merci à vous.
22:00 Et donc cette marche que vous organisez à Paris ce soir à partir de 19h30, je crois
22:04 au départ, dans la place de Stalingrad, dans le dixième arrondissement de Paris, marche
22:09 en solidarité avec le peuple afghan.
22:11 Merci à toutes les deux.

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