De la fumisterie de la finance verte aux innovations non régulables [Franck Aggeri]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Franck Aggeri, professeur à Mines Paris PSL, pour parler du darkside de l'innovation qui est alimenté par la finance et le management. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour, Franck Agéry.
00:09 Bonjour, Jean-Philippe.
00:11 Franck Agéry, professeur Minpari PSL.
00:14 Vous publiez l'innovation, mais pourquoi faire ?
00:17 Essai sur un mythe économique, social et managérial, édition du Seuil.
00:21 Franck Agéry, comment rendre visibles les effets négatifs de l'innovation ?
00:27 L'innovation, l'heure du doute, vous nous dites, et vous nous expliquez,
00:30 vous travaillez vraiment en profondeur ces effets négatifs.
00:33 Et notamment, il y a un acteur majeur, c'est la finance.
00:38 Le fameux "mon ennemi, c'est la finance", il n'est peut-être pas totalement tort,
00:41 François Hollande.
00:42 La tragédie des horizons est une formule qui a été popularisée en 2015
00:47 par Mac Carney, le directeur de la Banque d'Angleterre.
00:49 La tragédie des horizons, comment la finance alimente le dark side
00:54 de l'innovation, et je devrais dire la finance et le management.
00:57 Alors effectivement, la finance a une responsabilité très importante
01:00 dans la crise que nous traversons, et alimente la course à l'innovation.
01:05 Alors le problème, c'est qu'elle l'alimente, elle l'oriente
01:09 sur des enjeux de court terme.
01:10 C'est-à-dire que ce qui est demandé par les actionnaires
01:14 et par les marchés financiers, ce sont des rendements exorbitants.
01:17 Souvent, on parle de 15 %, donc on sélectionne des projets
01:21 d'innovation qui vont avoir des rendements à très court terme.
01:24 Or, les enjeux de la transition écologique sont des enjeux de long terme.
01:28 Et plus généralement... - C'est la fameuse tragédie des horizons.
01:30 - Voilà, c'est la tragédie des horizons, c'est-à-dire que
01:33 avec les critères financiers actuels, on ne peut pas
01:36 rationnellement s'engager dans des projets qui ont une rentabilité,
01:42 certes plus faible, mais qui sont soutenables sur le long terme.
01:45 - Alors je me fais l'avocat du diable, mais vous y avez déjà répondu
01:48 dans l'ouvrage, il y a quand même la finance verte.
01:51 - Alors effectivement, il y a ce terme de finance verte qui connaît un essor,
01:57 notamment à la fois chez les praticiens et dans les médias,
02:00 mais qui est, on va dire, une vaste fumisterie.
02:03 Donc, il y a toute une série d'ouvrages et d'articles très sérieux
02:06 qui démontent cette illusion de la finance verte.
02:12 Parce que, en fait, pour toute une série de mécanismes,
02:16 notamment réglementaires et législatifs,
02:19 on ne peut pas accorder de primes particulières aux projets verts.
02:25 Notamment, prenons le cas d'une grande entreprise
02:28 qui aurait à la fois des activités carbonées, par exemple,
02:31 et des projets verts.
02:35 Par exemple, dans l'entreprise pétrolière.
02:37 - Vous la citez, nommément, dans l'ouvrage.
02:40 - Si vous voulez, aux États-Unis, il y a une règle qui est le devoir fiduciaire,
02:47 c'est-à-dire que vous n'avez pas le droit, en tant qu'entreprise,
02:51 d'avoir des prêts qui ont des taux différents.
02:56 C'est-à-dire que la banque a l'obligation de vous prêter au même taux,
03:02 que les projets soient verts ou non verts.
03:04 Alors, que font les entreprises, par exemple, pétrolières ?
03:08 C'est qu'elles ont des montagnes de cash.
03:10 Donc, en fait, elles financent leurs investissements en brun avec du cash,
03:16 s'autofinancent, et elles financent les investissements verts par la dette.
03:22 Et elles annoncent que 100% de leurs dettes sont vertes.
03:26 Mais c'est un pur artefact de présentation.
03:29 Donc, ça, c'est un premier point.
03:31 Puis, il y a un deuxième aspect.
03:33 Donc, c'est cette idée que la finance produit un certain nombre d'effets.
03:37 Alors, la financiarisation a transformé, ça, c'est la thèse de Fabien Mugneza,
03:41 toutes les activités en actifs financiers sur lesquels on spécule.
03:45 Donc, le blé est devenu un actif financier,
03:48 le coton est un actif financier, les métaux sont des actifs.
03:51 Tout est actif financier et donc objet de spéculation.
03:54 Ça, c'est le premier point.
03:56 L'autre point, c'est qu'en fait, il y a des innovations financières par ailleurs.
03:59 Alors, ces innovations financières sont extrêmement techniques.
04:03 Ce sont des modèles mathématiques très sophistiqués qui cherchent à valoriser,
04:09 donc à fabriquer des produits financiers qui vont valoriser des micro variations de marché.
04:14 Et c'est tellement pointu que ces innovations échappent complètement
04:19 au contrôle et à la compréhension du régulateur qui est systématiquement en retard.
04:23 Et ce que montre Nicolas Boulot, qui est un financier réputé dans un ouvrage
04:28 il y a quelques années, c'est que ces innovations financières
04:32 produisent une volatilité accrue des marchés
04:36 et accroissent la survenue de risques de crise systémique.
04:41 L'innovation, mais pour quoi faire ? Et c'est sur un mythe économique, social et managerial.
04:45 Édition du Seuil. Merci Franck Agéry.
04:47 Merci Jean-Philippe.
04:48 Merci à tous.
04:49 [Musique]

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