Les pauvres ne sont pas des cobras - La chronique de Lisa Delmoitiez

  • l’année dernière
Retrouvez la chronique de Lisa Delmoitiez dans la Bande Originale sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-lisa-delmoitiez
Transcript
00:00 Voici Lisa !
00:02 (applaudissements)
00:04 Et Lisa, ce film, en tout cas, toi tu l'aurais pas fait comme ça.
00:07 Non, vous dites vrai mon petit bonhomme, vous dites vrai.
00:09 L'intrigue d'Anti-Squad se passe sur fond de crise d'accès au logement
00:14 et c'est absolument captivant comme film.
00:16 Mais Louis Bourgoin, Nicolas Cilolle, faut prévenir quand on fait un film d'horreur, ok ?
00:20 Parce que je suis désolée, mais peu importe qui t'es, la chose la plus effrayante au monde,
00:23 c'est pas une invasion d'oiseaux, c'est pas une invasion de zombies,
00:26 non c'est une putain de recherche d'appartement.
00:28 Et si tu veux me faire peur à Halloween, range ton masque de scrim.
00:31 Tu es juste déguistoire en agent immobilier, c'est ce qu'on est en train de faire.
00:34 Parfois la nuit, j'entends des voix qui me chuchotent "Plusieurs candidats ont déjà fait une offre".
00:38 (rires)
00:39 Et Louis, vous vous incarnez Inès, donc, qui est engagée chez Anti-Squad,
00:43 cette sorte d'agence finalement qui loge des personnes dans des bureaux inoccupés
00:46 pour les protéger contre les squatteurs.
00:48 Et il faut vraiment des couilles pour faire du cinéma social.
00:51 Mais Nicolas, je vais vous dire ce que je dis à chaque scénariste qui rentre dans mon bureau.
00:54 Petit 1, restez dehors.
00:56 Mon bureau est techniquement un placard à balais.
00:58 Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
01:00 Ne grimpe pas les échelons de Radio France en claquant des doigts.
01:02 Et petit 2, surtout, si vous voulez vous faire de la max de thunasse dans le cinéma,
01:06 je vous parle de péter les scores de "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?"
01:09 Il va quand même falloir penser moins de crise du logement, plus de clavier Christian.
01:13 Parce que là, votre film, il est super flippant.
01:16 Le concept d'Anti-Squad, ça fait froid dans le dos.
01:19 Et tout reflète ça dans le film.
01:21 C'est vraiment super bien réalisé.
01:23 L'ambiance qui est froide, la photographie, les acteurs aussi.
01:26 No offense Louise, mais votre personnage n'est pas exactement un rayon de soleil.
01:30 Après, moi j'adore.
01:32 Enfin des rôles de femmes qui tirent la gueule et qui ont une moralité plus que douteuse.
01:36 Enfin des personnages auxquels je peux m'identifier.
01:40 Votre personnage, c'est un vrai humain dans toute sa complexité finalement.
01:44 Et le film, c'est la vraie vie en fait.
01:46 Parce qu'en France, il y a plus de 300 000 personnes sans domicile.
01:48 Mais en face, tu as 3 millions de logements inoccupés.
01:50 Mais quel gâchis quoi !
01:52 C'est comme quand je vois sur Tinder qu'il y a 300 000 personnes sans partenaire fixe.
01:55 Et en face, moi je suis là, inoccupée.
01:58 Pour une solution peut-être. Quel gâchis quoi !
02:00 Allez, mais viens squatter ma toche l'ami.
02:04 Au temps de la traite hivernale quoi.
02:06 Enfin je suis une mène après tout, je ne vais pas le laisser dehors.
02:09 Je ne dis pas qu'il n'y a pas des situations où le squat est problématique.
02:14 Je parle du logement ici.
02:16 Oui, on avait changé de lieu.
02:18 Mais bon, vu la crise du logement, la priorité, c'est peut-être pas d'engager des pauvres pour chasser d'autres pauvres.
02:23 Peut-être la priorité, c'est qu'il y ait moins de pauvres.
02:25 Je m'entraîne pour mon discours de Miss France. J'ai l'impression que je le tiens.
02:28 En fait, les lois anti-squats, c'est des fausses bonnes idées.
02:32 Ça ne fait qu'aggraver le problème de précarité.
02:34 C'est le fameux effet cobra.
02:36 Je vais expliquer.
02:38 Merci, c'est tout pour moi.
02:40 Alors, suivez-moi.
02:41 À une époque, en Inde, le gouvernement britannique avait offert une prime pour chaque cobra mort.
02:46 Parce qu'on avait trop à délire.
02:47 Au début, ça marche.
02:48 Mais des filous commencent à élever des cobras exprès pour les tuer et toucher la prime.
02:52 Le gouvernement annule donc la prime.
02:54 Résultat, les éleveurs relâchent tous les cobras dans des lits qui se retrouvent avec encore plus de cobras qu'au début.
02:59 L'effet cobra, c'est ça.
03:00 C'est quand ta solution est toute pétée et elle empire le problème.
03:03 Comme quand tu chasses des pauvres au lieu de garantir le droit au logement pour tous.
03:06 Voilà, vous avez capté mon message humaniste.
03:08 Même si je crois qu'il faut vraiment que j'arrête de comparer les pauvres à des animaux.
03:11 J'ai l'impression que je m'enfonce.
03:12 Ça, c'est toujours mon problème.
03:14 Je vous jure, au fond de moi, j'ai vraiment un petit cœur tout doux, mais ça sort toujours en atroce.
03:18 Par exemple, je voulais terminer la chronique en disant qu'il faut lutter contre la pauvreté.
03:22 Mais au lieu de ça, j'ai écrit "Les pauvres, c'est la seule catégorie de personnes qui te fait dire que plus tu les aimes, moins tu veux qu'il y en ait".
03:28 Bon, tout de suite, ça passe moins bien.
03:30 Ce que je veux dire, c'est que l'abbé Pierre, il aimait les pauvres, mais il luttait pour qu'il y en ait moins.
03:35 Si on prend un autre exemple, Leïla Nagui.
03:38 Moi, j'adore les arabes.
03:40 Mais je lutte pas pour qu'il y en ait moins.
03:42 Je vais arrêter là.
03:44 Je suis à deux doigts de comparer les handicapés à des crevettes.
03:47 Donc, allez plutôt voir Antisquats.
03:49 Les bons films engagés, c'est pas comme les pauvres.
03:51 Plus tu les aimes, plus tu veux qu'il y en ait.

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