• l’année dernière

Category

📺
TV
Transcription
00:00 Bonjour à toutes et à tous. Nous avons le plaisir de recevoir à l'occasion de cette rencontre des entrepreneurs de France le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.
00:13 Bonjour, Pierre Moscovici. Bonjour, Pierre Moscovici. En cette rentrée, il y a un débat fiscal qui agite le gouvernement et notamment celui de la baisse éventuelle des impôts et des impôts des entreprises.
00:24 Le ministre de l'économie ce matin ici à l'AREF a dit qu'il allait poursuivre, même s'il y a un certain ralentissement sur une cotisation qu'on appelle la CVAE, la baisse d'impôt des entreprises.
00:37 Alors la Cour des comptes est la vigie de l'état de nos finances publiques. Est-ce que c'est raisonnable de continuer des baisses d'impôts ?
00:46 Moi, je ne suis pas ministre et je ne suis pas entrepreneur. Mais en effet, ce que nous essayons d'analyser à la Cour des comptes, c'est les grands équilibres.
00:55 Et c'est la capacité que nous avons à diminuer notre endettement et à réduire nos déficits. De ce point de vue-là, il y a plusieurs leviers. On les connaît.
01:04 La croissance est limitée. Les économies de dépenses, c'est indispensable. Et il y a la fiscalité, sur laquelle nous ne sommes pas spécialement compétents au sens de...
01:14 Ce n'est pas notre fond de métier, mais sur laquelle nous avons quand même un avis. Et je vais vous donner le mien. Je suis favorable à la stabilité.
01:22 Il est aujourd'hui difficile, je disais il y a 10 ans, à ras-le-bol fiscal, d'augmenter les impôts. Quand on a 45,4% de prélèvement obligatoire, ça n'est pas raisonnable.
01:30 On reste à un niveau record de prélèvement obligatoire. Malgré des baisses d'impôts.
01:34 Oui, malgré 50 milliards de baisses d'impôts. Ce qui veut dire qu'il y a un dynamisme de la recette qui est sans précédent. Ce qui veut dire aussi qu'il y a un dynamisme de la dépense qui est extrêmement important.
01:41 Puisque ça ne suffit pas à faire baisser le déficit, qui reste à 4,7% en 2023 et qui montera peut-être en 2022 et qui sera à 4,9% probablement en 2023.
01:52 Je ne sais pas qu'il devrait baisser à 4,4% en 2024. Donc nous diminuons lentement notre réduction des déficits.
01:59 Alors que faire sur la fiscalité ? J'ai dit pas d'augmentation. Je pense qu'il est aussi compliqué globalement de baisser les impôts.
02:07 Parce que si vous baissez les impôts alors que vous avez un déficit très important et que vous n'avez pas de croissance, c'est-à-dire que vous augmentez encore le déficit.
02:15 Donc vous augmentez votre dette et vous diminuez la capacité d'action.
02:18 Mais j'ai entendu le raisonnement du ministre de l'économie qui dit quand on baisse les impôts, en fait, on augmente les recettes parce qu'on crée de l'activité.
02:26 C'était ça son raisonnement. Ça n'est pas faux, mais il ne faut pas non plus que ce soit une forme, comment dire, de pensée magique.
02:32 Nous ne sommes pas à l'aube de 30 glorieuses. Nous avons une croissance qui est faible et qui va le rester pendant quelques années.
02:38 C'est ce que disent tous les prévisionnistes. Donc il faut quand même être prudent là-dessus.
02:42 Et mon slogan personnel, c'est pas de baisse d'impôts qui ne soit pas compensée par une hausse d'autres prélèvements ou bien par des économies supplémentaires.
02:54 Autrement dit, c'est pas à moi de dire il faut baisser la fiscalité des entreprises ou pas. Il faut la baisser dans quelle proportion ou pas.
03:01 Il faut la baisser au rythme. Je dis simplement que si on continue à la baisser, il faut trouver d'autres formes de ressources, soit à travers d'autres impôts qu'on augmenterait, soit à travers des économies supplémentaires.
03:15 Et c'est comme ça qu'on confectionne le budget. Le ministre de l'économie et des Finances, je l'ai été en mon temps, le sait parfaitement.
03:21 Et il construit le budget. Il nous dit qu'il y aura une baisse des dépenses de l'État de 3% en volume. Ça, ça va quand même dans le sens de ce que dit la Cour des comptes.
03:29 Tout à fait. Nous nous disons que sur 5 ans, il faut baisser les dépenses publiques ou faire des économies, si vous voulez, pour parler différemment, qui soient de l'ordre de 60 milliards d'euros, une douzaine de milliards par an.
03:41 C'est un effort absolument considérable.
03:43 Et c'est possible ? C'est possible sans faire souffrir les Français ?
03:47 Ça, c'est une question de méthode qui est tout à fait fondamentale. Je ne crois pas l'austérité. Je ne crois pas la technique qu'on appelle le rabot.
03:54 Je ne crois pas non plus qu'il s'agit d'enfoncer des marteaux ici ou là. Je pense que pour faire de l'économie dans la durée et intelligente, il faut faire différemment.
04:02 Il faut faire ce qu'on appelle des revues de dépenses publiques. Il faut analyser les politiques publiques. Il faut soulever le capot des politiques publiques, voir ce qui marche, voir ce qui ne marche pas
04:10 et faire de la transformation publique. Et de cette transformation publique, naîtront des économies.
04:16 Si on se fixe juste un quantum d'économie, on peut y arriver un an, on peut y arriver deux ans, on n'y arrivera pas pendant cinq ans.
04:22 Et surtout, on ne change rien à la qualité de la dépense publique dont nos concitoyens, assez légitimement d'ailleurs ou logiquement, ne sont pas satisfaits.
04:30 Mais d'ailleurs, là, le gouvernement, alors ça concerne les dépenses sociales, a dit qu'il allait travailler sur les arrêts maladie. Il me semble que c'est quelque chose que prône la Cour des comptes depuis assez longtemps.
04:40 Parce que la dépense sociale pèse beaucoup dans la dépense publique.
04:43 Oui, c'est exact. Mais là encore, ce qu'il s'agit de faire, ce n'est pas d'aller taper ici ou là. C'est de modifier la qualité de la dépense sociale sans toucher à une préférence collective pour la dépense
04:56 qui correspond aussi à l'attachement des Français à un certain modèle de protection sociale.
05:01 Et tout ça, ça le sert dans une forme, encore une fois, d'analyse intelligente et de convictions partagées.
05:07 Parce qu'on sent bien aujourd'hui une crise démocratique assez forte, un doute, les émeutes du mois de juillet, des violences urbaines, la tentation du populisme qui est très forte à l'étranger, mais en France aussi.
05:20 Est-ce qu'on peut mener une politique sérieuse de dépense publique tout en luttant contre ces formes de défiance démocratique ?
05:28 Mais je dirais même que les deux vont ensemble. Vous savez, les Français ne sont pas idiots. Ils sont très lucides.
05:35 Ils voient d'un côté qu'il y a 58% de dépense publique dans le PIB, c'est-à-dire le taux le plus élevé du monde.
05:40 Si on ne peut pas y toucher, alors c'est que nous aurons quand même un problème collectif. D'autant qu'ils voient aussi, les Français, que la dépense publique n'est pas de qualité.
05:49 Je vais prendre deux exemples. L'éducation nationale. Nous dépensons 100 milliards d'euros pour notre éducation. Je n'ai rien à dire là-dessus.
05:56 Nous y sommes très attachés. Mais je constate que dans ce qu'on appelle les classements PISA, nous cessons de nous enfoncer, de reculer.
06:03 C'est donc qu'il ne s'agit pas d'y penser moins. Il faut dépenser mieux. Et donc, il faut que ça fonctionne davantage.
06:08 Alors peut-être davantage d'autonomie, de décentralisation, une gestion différente de la ressource humaine.
06:13 — Gano, ministre de l'Éducation, ça, c'est l'annonce de cette bonne augure ? — Je ne commente pas ce que fait le gouvernement.
06:20 C'est pas mon rôle. Je commente ce qu'il a fait, parfois, son action passée. Mais je suis pas dans la politique.
06:25 Deuxième exemple, le logement. Voilà une politique publique qui coûte 30 à 35 milliards d'euros chez nous, 2 fois plus que dans n'importe quel pays de la zone euro.
06:33 Est-ce qu'elle fonctionne ? Non. Je vais prendre deux exemples là encore. On ne construit pas de logement en France aujourd'hui.
06:40 C'est une crise du logement sans précédent. Les entrepreneurs le savent. Deuxième exemple, le logement social.
06:45 Est-ce qu'il y a des rotations dans le logement social ? Non. Donc on sait qu'il y a beaucoup de foyers qui s'y installent.
06:49 Ils sont jeunes. Ils font des enfants. Ils sont dans le logement social. Les enfants s'en vont. Ils sont toujours là.
06:55 Et donc si vous avez ces deux objectifs principaux qui ne sont pas atteints, à quoi ça sert ? Je dis pas qu'il faut supprimer cette politique.
07:02 Je dis simplement qu'il faut la réformer pour qu'elle soit plus efficace. Et je pense que si on a ce type de raisonnement,
07:07 politique publique par politique publique, on parviendra à faire des économies, j'allais dire, assez stupéfiantes et beaucoup plus intelligentes
07:13 qu'en se disant on va raboter, on va limer, on va diminuer le soutien public et du coup aussi le soutien du public.
07:21 Alors la Cour des comptes essaie de faire beaucoup de pédagogie sur ces questions. C'est utile pour vous dans le débat démocratique ?
07:28 Qui est cette pédagogie ? Ce que je constate, c'est que la Cour des comptes est une institution publique inscrite dans la Constitution.
07:34 Que 90% des Français la connaissent, que 70% la respectent, que nous sommes, je ne tiens pas toujours à entendre, ça je suis bien conscient.
07:42 Certains disent pas beaucoup même. On suit quand même 75% de nos recommandations, ce qui n'est pas si mal.
07:47 Nous avons un dialogue constant et avec le politique et avec l'administration. Et nous avons incontestablement une influence.
07:53 En tout cas, notre rôle à nous, tel que je le conçois, c'est d'informer les citoyens. C'est une noble tâche.
07:59 Je pense qu'elle est très importante. Et dans la période que nous connaissons de crise, crise économique, crise écologique, crise sociale,
08:06 crise des banlieues, crise démocratique, il faut avoir des institutions de cette nature-là qui jouent un rôle de vigie, d'éclaireur,
08:14 qui servent de référence, non pas que tout ce que nous disions soit indiscutable, c'est pas vrai, c'est un élément du débat, mais ça nourrit le débat.
08:22 Et vous savez, à l'époque des fake news, vous savez ce que c'est, avoir des gens qui travaillent sur des chiffres, des faits, évalués, quantifiés,
08:31 qui ne disent pas n'importe quoi et qui sont crus par les Français, c'est assez précieux. Donc oui, je pense que cette institution est extraordinairement utile.
08:39 – Et est-ce qu'un journal comme celui de Capital, par exemple, qui essaie de faire de la pédagogie de l'économie,
08:43 ça vous paraît aussi utile pour l'information démocratique des Français ?
08:48 – Bien sûr, je pense que l'information du citoyen, elle passe par toute une série de canaux, pas par une parole officielle, mais par un débat démocratique.
08:56 Encore faut-il que ce débat soit éclairé, qu'il soit pluraliste, qu'il ne cède pas au populisme et qu'il ait le goût de la vérité.
09:06 Je vous souhaite de promouvoir tout ça.
09:09 – Merci beaucoup Pierre Moscovici, Premier Président de la Cour des Comptes et invité aujourd'hui sur Capital.fr à l'occasion de la REF 2023.

Recommandations