Budget 2025: l'interview de Pierre Moscovici, premier président de la Cour des Comptes

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Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, était l'invité de "Tout le monde veut savoir" ce mercredi soir pour évoquer le projet de budget 2025.

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Transcription
00:00Bonsoir Pierre Moscovici.
00:01Bonsoir M. Duhamel.
00:02Merci d'être avec nous ce soir dans Tout le monde veut savoir.
00:04Vous êtes le premier président de la Cour des comptes,
00:06ancien ministre de l'Économie et des Finances,
00:07ancien commissaire européen aussi.
00:09Je voudrais commencer avec les déclarations du ministre du Budget
00:12qui datent d'aujourd'hui.
00:14Le déficit public risque de dépasser les 6% du PIB,
00:18c'est-à-dire ce qu'on produit chaque année en 2024.
00:20L'État est en faillite ?
00:21En faillite, non.
00:22La France est un pays solide, sa dette se place sur les marchés,
00:25elle trouve preneur.
00:26Le problème c'est à quel prix ?
00:28Car la question est la suivante, c'est au fond,
00:30plus nous nous endettons, plus la charge de la dette,
00:33c'est-à-dire le remboursement annuel de la dette augmente.
00:35C'était 25 milliards en 2021, c'est 50 milliards aujourd'hui,
00:38ce sera peut-être 90 milliards au train où on va en 2027.
00:41Et quand on a ça, d'une part on ne peut pas investir dans quoi que ce soit,
00:44et deuxièmement, le prix, le taux d'intérêt a augmenté.
00:48Et ce que j'observe moi c'est que nos spreads,
00:50notre taux d'intérêt aujourd'hui il est égal à celui de l'Espagne.
00:52Spread pour regarder, c'est la différence du taux d'intérêt entre...
00:54Le taux d'intérêt lui-même, il est égal à celui de l'Espagne.
00:57Très supérieur à celui du Portugal.
00:58Deux pays auxquels on ne donnait pas jusqu'à présent une note formidable.
01:02Il s'est accru à 80 points de basse, 0,8 points de taux d'intérêt,
01:05par rapport à l'Allemagne.
01:06Donc les investisseurs sont inquiets.
01:07Il a doublé par rapport à la dissolution,
01:09ce qui veut dire que oui, il y a une inquiétude,
01:12un regard sur la dette française,
01:13et on doit absolument maintenant montrer des signes de crédibilité.
01:17Bardier disait l'autre jour, il faut rester crédible aux yeux des marchés,
01:21là il a raison, car si jamais on se mettait à douter
01:25de la qualité de la signature française, à ce moment-là,
01:27ces spreads augmenteraient.
01:28Et donc il n'y aura pas de risque ?
01:29Non, ce n'est pas une question de risque,
01:31c'est que le coût de nos emprunts augmenterait,
01:33et donc le coût des investissements augmenterait,
01:36et le coût de la consommation, in fine.
01:38Nous ne devons pas décrocher sur ce terrain-là,
01:40et donc le prochain budget est un budget difficile, très difficile.
01:42Le plus difficile de la Ve République ?
01:44Probablement, parce que 6% c'est énorme,
01:46c'est la deuxième année en plus que le dérapage est considérable.
01:49Vous dites plus de 6%, c'est énorme ?
01:51Oui, c'est énorme, parce que c'est tout simplement deux fois de plus
01:54que ce que nous devrions faire en théorie en 2027,
01:56que nous ne pouvons évidemment plus faire.
01:58C'est énorme parce que la charge de la dette aura quadruplé en 6 ans,
02:02et c'est énorme, oui, je le dis,
02:05et donc il faut vraiment maintenant marquer un point d'arrêt,
02:08un point d'inflexion, réduire le déficit,
02:10et maîtriser notre dette, parce que sinon, en effet,
02:13on va porter un regard suspicieux sur la qualité de notre signature,
02:17et ça aura un impact sur l'économie réelle.
02:20Et on va rentrer dans le détail sur les possibilités
02:22pour précisément réduire ce déficit.
02:24Juste d'un mot, quand vous avez entendu le nouveau ministre,
02:26Antoine Armand, dire à la passation, je cite,
02:28je mesure la chance d'hériter d'un tel bilan économique
02:31en regardant Bruno Le Maire, vous avez eu envie de rire ou de pleurer ?
02:35Non, non, je n'ai pas du tout à commenter, ça c'est leur affaire.
02:38La seule chose que je peux dire, c'est qu'en matière de finances publiques,
02:40pour le coup, les deux dernières années et demie
02:44n'ont pas été celles de l'arrêt du quoi qu'il en coûte,
02:46n'ont pas été celles de la maîtrise de l'endettement,
02:48mais ont été au contraire celles d'un dérapage
02:50des finances publiques considérable, je le répète, énorme,
02:53qui nous amène à une dette qui est certes soutenable,
02:56mais qui devient trop chère et qu'on doit vraiment maintenant maîtriser.
03:00De ce point de vue-là, quand Bruno Le Maire s'en va en disant
03:03il faut faire 3% en 2007, ce n'est pas un cadeau.
03:06Parce que faire 3% en 2007, s'il avait dit ça en 2022, on pouvait le faire.
03:10Mais en 2024, en partant de 6%, d'une part c'est impossible,
03:15d'autre part ce n'est pas souhaitable.
03:17Vous savez, ça veut dire économiser quelques 40 milliards d'euros par an,
03:20et si on fait ça, alors c'est quand même de l'argent qu'on retire
03:23de la croissance française, et c'est très mauvais pour l'économie.
03:26Donc il faut étaler, j'allais dire malheureusement,
03:29j'ai été ministre des Finances chez les commissaires européens,
03:31je suis au regret de le dire, comme président de la Cour des comptes,
03:333% en 2027, non, il faut gagner du temps,
03:35mais pour gagner du temps, il faut aussi en contrepartie faire des vrais efforts
03:38et prendre des vraies mesures.
03:40Justement, avant de parler de ces mesures, d'un mot sur le timing.
03:42Le ministre du Budget a dit, on présentera le budget dans deux semaines.
03:45Il faut dire, c'est la loi, le budget doit vous être transmis
03:48en tant que président du Haut Conseil aux Finances Publiques.
03:50Vous vous impatientez ?
03:52Non, mais j'ai échangé avec le ministre,
03:54j'ai échangé avec le Premier sur ces sujets-là,
03:56j'ai donné les dates.
03:57Il y a du retard.
03:58De toute façon, il y a du retard, parce que ça devait être le 2 octobre,
04:01et je leur ai dit qu'en gros, en théorie, il faudrait que ce soit le 27 septembre,
04:05c'est encore acceptable le 30 septembre,
04:07je crois savoir que nous le recevrons le 30 septembre,
04:09il va falloir qu'on travaille vite, qu'on travaille bien,
04:11et j'espère que ce sera un document convaincant
04:14pour que notre avis puisse être positif.
04:16Le ministre du Budget a dit cet après-midi
04:18qu'il fallait prioritairement baisser les dépenses publiques,
04:21tout en n'excluant pas la possibilité de recourir à la fiscalité
04:25dans le cadre d'une justice fiscale.
04:26Est-ce que ça se cadre ?
04:28C'est-à-dire priorité à la baisse de la dépense
04:30tout en n'excluant pas le levier fiscal, est-ce que c'est le bon cap ?
04:33Tout est question de mesures et tout est question d'équilibre.
04:36Oui, sans aucun doute, la première chose à faire,
04:39c'est d'économiser sur les dépenses,
04:40et je veux rassurer ceux qui nous écoutent,
04:42économiser sur les dépenses publiques,
04:43ce n'est pas faire de l'austérité.
04:44Nous avons la dépense publique la plus élevée d'Europe,
04:46l'une des plus élevées du monde,
04:4757% de la dépense publique dans le PIB,
04:50et il y a toute une série de gisements d'économies,
04:53si on les trouve, on pourra le faire
04:56sans affaiblir la qualité du service public,
04:58parfois même en la renforçant,
04:59parce qu'il faut transformer le service public.
05:01Ceux qui nous écoutent savent bien quand même
05:03qu'il y a du gras et du mauvais gras,
05:06et c'est à ça qu'il faut toucher, pas aux muscles.
05:08Et ça, c'est très important, il y a un autre rapport à la croissance.
05:10Alors oui, c'est par là qu'il faut commencer,
05:12mais en effet, il ne faut pas exclure le levier fiscal,
05:14et après, vous savez, c'est le coup du pâté d'alouette.
05:17Il faudra quand même faire quelque chose sur la fiscalité.
05:20Oui, mais quoi ?
05:21Parce qu'on entend quelque chose quand on écoute Michel Barnier.
05:25La question, c'est est-ce qu'on fait trois quarts d'économie
05:28et un quart de fiscalité ?
05:29Ce que dit François Villeroy de Gallo.
05:30Ou deux tiers, un tiers, ce que disent d'autres,
05:32ou bien 90-10.
05:3490-10, c'est trop peu sans doute.
05:36Trois quarts, un quart, c'est déjà mieux.
05:39Donc il faut quand même une part significative, me semble-t-il,
05:41de fiscalité.
05:42Pourquoi ? Parce que les Français ressentent une injustice,
05:44parce qu'ils ont le sentiment qu'il y a besoin d'une forme de solidarité,
05:48et parce que pour le coup, il ne faut pas non plus trop freiner sur la dépense.
05:52Sur la question des impôts, je pense à ceux qui nous regardent
05:54et qui entendent peut-être avec inquiétude cette possibilité,
05:57le gel du barème de l'impôt sur le revenu,
06:00c'est-à-dire les cinq tranches de l'impôt qui seraient gelées
06:02et qui donc aboutiraient à ce que mécaniquement,
06:04certains contribuables, ceux qui sont assujettis à l'impôt,
06:07passent à la tranche d'au-dessus et donc payent plus d'impôts.
06:09Est-ce que ça, ça fait partie des leviers qui pourraient être utilisés ?
06:12Écoutez, moi, je ne suis pas au gouvernement.
06:14Je ne le regrette pas.
06:15Oui, on imagine dans le moment.
06:17Chacun s'accroît.
06:18Je suis très heureux à la Cour des comptes.
06:20Je jouerai mon rôle.
06:21Donc ce n'est pas à moi de faire les propositions à la part de la zone.
06:23Mais je vais prendre une mesure un peu différente.
06:25Vous savez que Jean Pisani-Ferry et Selma Mafos,
06:27deux économistes, avaient fait un rapport sur la transition écologique.
06:30Ils avaient proposé une contribution exceptionnelle
06:33sur les plus hautes fortunes pour financer la transition écologique,
06:36en l'occurrence pour réduire la dette écologique et dite financière.
06:39Voilà le type de mesure qu'on pourrait tout à fait étudier.
06:42J'ai noté que certains patrons disent oui.
06:44J'ai noté que le MEDEF lui-même est ouvert au dialogue.
06:47Donc ça, ça veut dire que, par exemple,
06:49augmenter l'impôt sur les sociétés pour les plus grandes entreprises…
06:51Ce n'est pas à moi de le dire.
06:52Encore une fois, c'est au gouvernement de faire ses propositions.
06:54Je pense simplement qu'il y a ce besoin,
06:57qui est un besoin en effet de justice fiscale,
06:59mais aussi un besoin de rendement,
07:00et qu'il faut prendre ça en compte dans l'équation.
07:03Oui, principalement sur la dépense,
07:05mais pas tout sur la dépense,
07:06et garder quand même une dépense qui permet d'avoir du muscle
07:09pour l'économie française, notamment,
07:10en matière d'investissement,
07:11et d'investissement en particulier dans la transition écologique.
07:13Évidemment, vous ne pouvez pas dire
07:15telle ou telle solution est la bonne,
07:16puisque vous n'êtes pas au gouvernement.
07:17Mais vous avez été ministre,
07:19président de la République François Hollande,
07:20qui lui-même, c'était avant qu'il ne devienne président,
07:22avait dit « on est riche à partir de 4000 euros ».
07:25Non.
07:26Je n'ai jamais pensé qu'on était riche à partir de 4000 euros.
07:28Non, mais la question que peuvent se poser ceux qui nous regardent,
07:30quand ils entendent Michel Barnier ou d'autres dire
07:32« on va augmenter les impôts des plus riches »,
07:33de se dire « mais au fond, on va finir par être concerné ».
07:35Vous auriez pu rappeler que, comme ministre,
07:37j'avais parlé du ras-le-bol fiscal.
07:38Absolument.
07:39Et je pensais justement à ceux qui, dans les classes moyennes,
07:42dans les couches populaires, à ceux qui travaillent,
07:44chaque fois qu'on parle impôts, ils se disent
07:45« ok, on dit qu'on va taper les riches, mais c'est sur moi ».
07:47Ça va commencer par les riches et ensuite ça va être pour moi.
07:49Voilà, absolument.
07:50Donc, il faut être extrêmement clair.
07:51C'est pour ça que, par exemple,
07:52sur le barème sur l'impôt des revenus,
07:53on fait ce qu'on veut,
07:54mais à l'époque, quelqu'un avait annoncé,
07:57le Premier ministre Jean-Marc Ayrault,
07:5890% des Français ne seront pas concernés
08:00par le geste fiscal.
08:01D'abord, ce n'était pas tout à fait vrai.
08:02Ensuite, ça n'avait pas été vécu comme ça.
08:04C'est pour ça que j'évoque l'idée
08:06d'une contribution exceptionnelle,
08:07parce que celle-ci, elle est quand même assez bien découpée.
08:09Ce n'est pas vous, ce n'est pas moi.
08:11Vous savez très, très bien payer à BFM,
08:12qui seront assujettis à cette taxe-là.
08:14Donc, il vaut mieux éviter le gel du barème
08:16de l'impôt sur le revenu.
08:17Je dirais que du point de vue de la perception politique,
08:20le risque que vous soulevez est quand même plus important
08:22avec le gel du barème de l'impôt sur le revenu
08:24qu'avec une contribution exceptionnelle.
08:26Pierre Moscovici, un dernier mot.
08:27Je le disais, vous avez été ministre de l'Économie et des Finances.
08:29Vous êtes donc un prédécesseur d'Antoine Armand,
08:31l'actuel ministre qui s'est fait clairement recadrer
08:33par le Premier ministère après avoir exclu
08:35le Rassemblement national de l'arc républicain.
08:37Michel Barnic, qui a carrément appelé Marine Le Pen
08:39pour clarifier les choses.
08:40Alors, bien sûr, vous avez un devoir de réserve,
08:41vous êtes président de la Cour des comptes,
08:42mais si ça vous était arrivé,
08:44comme ministre de l'Économie et des Finances,
08:46est-ce que vous aussi vous auriez dit,
08:47non, non, l'arc républicain, on ne parle pas aux députés
08:49du Rassemblement national, ou est-ce que...
08:51Je suis présent à la Cour des comptes.
08:53Chaque année, je rencontre les présidents de groupe,
08:55et je rencontre tous les présidents de groupe.
08:57Y compris du Rassemblement national.
08:58Y compris du Rassemblement national,
08:59et vous n'aurez pas échappé que cette édition du Rassemblement national,
09:01la présidente du groupe à l'Assemblée nationale
09:02s'appelle Marine Le Pen.
09:03Donc je la rencontre.
09:04C'est une rencontre courtoise et fonctionnelle.
09:07Bon, et donc, dire qu'on ne parle pas avec eux
09:10quand on parle de loi de finances,
09:12ce n'est pas juste, il faut le faire.
09:14Après, ce qu'a dit sur le fond,
09:16Antoine Armand n'est pas faux.
09:17Il y a eu un front républicain.
09:19C'est ce front républicain qui a fait élire
09:21de très nombreux députés,
09:22des députés de toutes couleurs politiques,
09:25sauf le Rassemblement national,
09:26et il ne faut pas non plus l'oublier.
09:27Est-ce que, du coup, il faut faire du zèle avec Marine Le Pen ?
09:30Ça, c'est une question sur laquelle je ne me prononcerai pas.
09:32Vous voyez, là aussi, tout est question d'équilibre.
09:34Mais le front républicain existe,
09:36le Rassemblement national est un parti représenté
09:38à l'Assemblée nationale.
09:39Mais c'est intéressant, vous utilisez de vous-même l'expression
09:41« Faut-il faire du zèle avec Marine Le Pen ? »
09:43Vous êtes un homme de gauche,
09:44même si vous avez ce devoir de réserve lié à votre fonction.
09:47Est-ce que, quand un Premier ministre,
09:49issu d'une situation où il y a eu ce front républicain,
09:52appelle Marine Le Pen pour s'assurer auprès d'elle
09:55qu'elle n'ait pas mal perçu ce qui a été dit par un de ses ministres
09:57et pour éviter d'être censurée ?
09:58Est-ce que, démocratiquement parlant,
10:00je parle des grands principes,
10:01est-ce que ça pose un problème ?
10:03Écoutez, là, vraiment, je ne fais plus de politique
10:05et je ne veux pas commenter ce geste de Michel Barnier.
10:06Chacun a sa sensibilité.
10:08J'ai bien dit ce que j'ai dit.
10:10Je pense que le zèle n'est pas tout à fait nécessaire.
10:12Et s'il l'a fait, c'est qu'il s'y sentait,
10:14d'une certaine façon, contraint par la situation.
10:16Il ne l'a sûrement pas fait par plaisir.
10:17Merci beaucoup, Pierre Moscovici,
10:19Premier Président de la Cour des Comptes.
10:21Et je retiens donc cet avertissement,
10:22suite à ce que dit le ministre du Budget.
10:24Le déficit est énorme, plus de 6 %,
10:26et il va falloir prendre des mesures pour y remédier.
10:29Merci beaucoup d'avoir été l'invité de « Tout le monde veut savoir ».

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