Invité du Grand Entretien de France Inter ce vendredi 1er septembre, l'ancien Premier ministre Lionel Jospin a dénoncé les propos "honteux et dangereux" de l'ancien Président Nicolas Sarkozy sur la guerre en Ukraine.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00 L'invité du grand entretien de la matinale avec Marion Lourdes, nous recevons un homme
00:03 dont la parole est rare.
00:05 Ancien Premier ministre, ancien membre du Conseil constitutionnel, posez-lui toutes
00:09 vos questions au 01 45 24 7000 ou sur l'application France Inter.
00:14 Bonjour Lionel Jospin.
00:15 Bonjour.
00:16 Et bienvenue, merci infiniment d'avoir accepté notre invitation.
00:19 On va revenir longuement sur l'actualité, l'actualité internationale, l'actualité
00:23 française aussi, puisque vous êtes un observateur averti.
00:27 On vous avait depuis longtemps considéré comme un peu en retrait de la vie politique.
00:33 Et puis là, on a vu que vous pouviez prendre la plume pour frapper, frapper fort sur un
00:38 sujet qui vous tient à cœur.
00:40 L'actualité, c'est évidemment la guerre en Ukraine qui n'en finit pas.
00:42 Plus de 500 jours maintenant.
00:44 Et vous êtes sorti de votre silence pour fustiger les propos de l'ancien président
00:48 Nicolas Sarkozy au Figaro.
00:50 Je rappelle que Nicolas Sarkozy appelait à la diplomatie, à la discussion, à l'échange
00:56 avec la Russie et l'Ukraine.
00:58 Seul moyen à ses yeux de trouver une solution acceptable pour lui.
01:01 Qu'est-ce qui vous a indigné dans ses propos Lionel Jospin ?
01:04 Ce n'est sûrement pas l'appel à la négociation, à la diplomatie.
01:11 Le problème c'est quand elle intervient et sur quelle base, et sur quels principes.
01:18 Ce qui m'a choqué, surpris d'abord, choqué ensuite, c'est qu'un ancien président
01:24 de la République permet une position diamétralement opposée à la position officielle de son
01:30 pays, la France, qui soutient l'Ukraine et combat, si l'on peut dire d'une certaine
01:38 façon, la Russie.
01:39 Si on doit qualifier la position de Nicolas Sarkozy, vous la qualifieriez de pro-russe,
01:46 pour le dire tout simplement.
01:47 Oui, je l'ai dit, effectivement.
01:50 C'est-à-dire que Nicolas Sarkozy d'abord semble oublier ce qui s'est passé lors de
01:57 l'invasion de l'Ukraine en février 2022.
02:03 L'objectif n'était pas de récupérer le don Basse, le don Aix ou la Crimée, puisque
02:09 la Russie avait déjà mis la main dessus.
02:11 L'objectif était qu'un corps expéditionnaire aille à Kiev, fasse tomber les autorités
02:18 légitimes, peut-être les élimine, et que l'Ukraine se retrouve sous la coupe de la
02:25 Russie, et qu'accessoirement la Russie se retrouve aux frontières de la Pologne.
02:29 C'est ça l'origine.
02:30 Mais en clair, Lionel Jospin, ça veut dire que soit on soutient inconditionnellement
02:33 le régime ukrainien, soit on est pro-russe ?
02:35 Je ne comprends pas très bien les termes de votre alternative.
02:39 Est-ce que l'alternative se pose comme ça ?
02:41 Il y a un peuple agressé qui se bat, qui ne menaçait en rien la Russie de Poutine,
02:49 et puis il y a un agresseur.
02:50 Le deuxième aspect qui m'a frappé dans l'intervention de Nicolas Sarkozy, c'est
02:54 que le mot « crime de guerre » qui est attaché à la politique et à la façon d'agir
03:02 des soldats ou des militiains du régime russe actuel, il n'en dit pas un mot, si vous
03:09 voulez.
03:10 Et le régime actuel soutient assez, d'après vous, le régime ukrainien ?
03:12 Elle le soutient avec les Européens et avec les Américains.
03:17 Je pense qu'on peut toujours discuter de la façon dont elle intervient.
03:21 En tout cas, sur les principes, elle sait qu'il faut que Poutine ne gagne pas la guerre.
03:29 Moi, mon espoir, et on revient sur les mots de négociation, c'est que je me dis que
03:34 seul un échec de Poutine en Ukraine, dans le conflit actuel, à court terme ou à moyen
03:41 terme, parce que la guerre dure, seul cet échec ouvrira une possibilité de négociation.
03:47 Et la deuxième chose que je souhaite, c'est qu'à plus long terme, nous retrouvions
03:54 dans la Russie, sinon un partenaire, au moins un interlocuteur, je rappelle que là aussi,
04:02 M. Sarkozy a l'air d'oublier que Poutine se comporte comme un ennemi de la France.
04:09 Les diatribles contre l'Occident et contre la France, les opérations de cyber à l'occasion
04:17 des élections, par exemple, ou bien même l'organisation de cette mise en scène essayant
04:23 de faire croire à un massacre de troupes françaises au Mali.
04:28 Donc c'est cette réalité, si vous voulez, que Nicolas Sarkozy nie.
04:33 Et quand il dit "on ne reviendra pas en arrière", quand il parle de référendum à organiser,
04:40 encrimer, mais pour revenir, pour rester dans l'état de fait antérieur, on est devant
04:45 quelque chose que je trouve personnellement, et honteux, et dangereux.
04:50 Et comment l'expliquez-vous ? Comment expliquez-vous cette position ?
04:52 Au mieux, c'est une actualisation d'un vieux thème, qui ne m'a pas d'ailleurs été étranger,
05:04 sur la relation franco-russe.
05:06 Mais on ne peut pas comparer avec la période de la guerre froide et de l'Union soviétique.
05:10 On est face à un régime extrêmement particulier en Russie.
05:14 La façon dont a été assassiné celui qui était un des proches de Valémir Poutine.
05:22 Et clair sur la nature de ce régime qui est opaque, qui est mafieux, qui est violent,
05:28 qui est agressif à l'égard de l'Europe, et oppressif à l'égard des Russes.
05:35 Et donc c'est un véritable enjeu de civilisation qui se joue aujourd'hui.
05:40 Et je le répète, c'est seulement si les Ukrainiens, qui se battent avec un immense
05:47 courage dans la population civile, sont martyrisés par les bombes.
05:50 C'est seulement si les Ukrainiens déstabilisent l'armée russe, que l'on pourra faire bouger
05:58 ce régime.
05:59 Est-ce que la France en fait assez pour soutenir les Ukrainiens justement Lionel Jospin ?
06:02 Je pense que l'Europe en général, et la France en fait partie, a plutôt eu un temps
06:08 de retard.
06:09 C'est-à-dire qu'elle fait ce qu'on lui demande avec un délai qui en réduit l'efficacité.
06:15 C'est aujourd'hui, on va changer de tout autre sujet, on va passer à la réforme des
06:20 retraites, puisqu'elle rentre en vigueur aujourd'hui, pour rééquilibrer le régime.
06:25 Cette réforme qui allonge le temps de travail et qui recule l'âge de départ à la retraite.
06:30 Est-ce que c'est une bonne réforme ? Est-ce que vous auriez fait la même ?
06:33 Non, certainement pas.
06:35 J'ai créé, quand j'étais au gouvernement, le conseil d'orientation des retraites.
06:40 Le COR qui existe toujours.
06:41 Le COR qui a fait le diagnostic.
06:43 Qui est très controversé aujourd'hui.
06:44 Je ne sais pas par qui il est controversé, mais à l'époque, c'était fait pour faire
06:49 travailler ensemble, à la fois les fonctionnaires de l'État, les grands organismes de sécurité
06:54 sociale, les syndicats.
06:56 On recherchait un consensus pour faire évoluer la retraite, puisqu'il y a un problème démographique.
07:02 La démarche qui a été suivie depuis, et notamment, pas seulement par la droite, d'une
07:08 part, aussi aujourd'hui par Macron, tourne le dos à cette méthode consensuelle.
07:13 Qu'on n'ait pas essayé de dialoguer avec Laurent Berger, par exemple, est à mon avis
07:19 révélateur d'un désintérêt pour les corps intermédiaires.
07:23 Et donc, non, je suis personnellement opposé à cette réforme.
07:29 Non pas à une réforme des retraites, mais à celle qui a été...
07:32 A cette réforme-là, elle vous semble injuste ?
07:33 Oui, bien sûr.
07:34 Oui, bien sûr.
07:35 Oui.
07:36 Vous n'êtes pas.
07:37 Non, mais c'est juste pour comprendre votre position, puisque c'est vrai qu'on a rarement
07:41 vu une réforme aussi contestée depuis les dix dernières années, et pourtant elle est
07:47 présentée comme nécessaire, comme indispensable par le pouvoir.
07:51 Mais il n'est pas indispensable d'être injuste.
07:54 Donc vous auriez vu quoi ? Une réforme qui a été soutenue par Laurent Berger, l'ancien
07:59 patron de la CFDT, avec une réforme par points, une réforme systémique en quelque sorte ?
08:02 Honnêtement, je ne suis pas sûr.
08:06 Je fais allusion à l'actualité, puisque vous l'évoquez, je dis que je suis contre
08:11 ce système de retraite, mais je ne suis pas venu ici, aujourd'hui, pour parler d'une
08:17 réforme, Jospin, du système de retraite.
08:19 Non, mais vous avez un avis éclairé sur la question.
08:21 Donc je vous ai répondu clairement à votre question.
08:23 Et vous avez aussi le sens de l'état, Lionel Jospin, et c'est l'une des raisons pour lesquelles
08:27 votre regard est si important, parce que vous avez connu, vous avez affronté certaines
08:31 difficultés qui font écho, aujourd'hui, des années après votre passage au pouvoir.
08:37 Si l'on en vient maintenant à l'éducation, dont vous avez été le ministre...
08:41 Puisque vous me relancez sur ce sujet, je rappelle que je n'ai pas simplement créé
08:44 le Conseil d'orientation des retraites.
08:46 Vous avez créé un fonds de réserve.
08:47 Un fonds de réserve.
08:48 Un fonds de réserve.
08:49 Qui s'il avait continué à être abondé, comme nous l'avons fait nous-mêmes, aurait
08:54 permis, comme on dit, de lisser, c'est-à-dire de rendre moins nécessaire une réforme à
08:59 l'éducation.
09:00 Il aurait évité cette réforme ? Il aurait évité qu'elle soit injuste.
09:05 Parce qu'on aurait un acquis, si vous voulez, de sommes qu'on aurait rassemblées et qui
09:12 permettraient de lisser la réforme, comme on dit.
09:14 Alors, c'est la rentrée des classes et je le disais, vous avez été non seulement ministre
09:18 de l'éducation, vous avez été Premier ministre, c'est un sujet qui vous tient à
09:21 cœur, l'éducation, Lionel Jospin, et vous avez été ministre de l'éducation au moment
09:26 de l'affaire de Creil.
09:28 C'est la première fois que la question du foulard portée par des collégiennes dans
09:32 un collège était posée de manière aussi brutale et frontale, non seulement dans l'espace
09:38 public, mais c'était une question, une interpellation au pouvoir.
09:42 34 ans après, le ministre de l'éducation nationale prend la parole, Gabriel Attal,
09:47 pour dire qu'il veut mettre fin au port de la baïa à l'école.
09:52 On est passé du voile à la baïa et aux camises pour les garçons.
09:56 On ne doit pas pouvoir distinguer ou identifier la religion des élèves en les regardant.
10:02 Cette position, elle n'est pas celle que vous aviez soutenue en 1989 où vous laissiez
10:07 la responsabilité au chef d'établissement.
10:09 On a l'impression que les choses se sont durcies et que la France n'arrive pas à
10:12 régler ce problème, Lionel Jospin.
10:15 Alors, rappelons d'abord que ce à quoi vous faites allusion, ça a plus de 30 ans.
10:22 Oui, 34 ans.
10:24 Depuis, il y a eu l'islamisme violent, l'islamisme terroriste, un prosélytisme islamiste.
10:32 Et donc sur ces questions, personnellement, j'ai évolué.
10:35 Donc la décision initiale se fait dans un tout autre contexte que celui que nous avons
10:40 devant nous maintenant.
10:41 La baïa, regardez, qu'est-ce que c'est la baïa ? C'est un vêtement traditionnel
10:49 bédouin que les femmes portent pour se protéger des vents du désert.
10:54 Vous pensez que ça a un rapport direct avec le climat en France et avec la façon de vivre.
11:03 Donc, je pense personnellement que l'idée que la baïa n'est pas sa place à l'école,
11:10 à partir du moment où sur les réseaux sociaux, on voit un prosélytisme qui pousse à porter
11:19 des jeunes filles, toujours des jeunes filles qu'on met en avant, à porter ce vêtement,
11:26 effectivement les distingue de la majorité de leurs camarades, quel qu'en soit par ailleurs
11:30 leur nombre.
11:31 Et donc le fait, on verra bien ce que dira le Conseil d'État, mais le fait que ce vêtement
11:37 ne soit pas porté à l'école, même si d'autres auront envie de le porter dans la rue, ça
11:41 c'est autre chose, on ne légifère pas, me paraît être plutôt une bonne chose.
11:45 Et en tout cas, je pense que sur ce sujet, ça n'est pas au chef d'établissement de
11:52 décider.
11:53 Non, ça n'est pas au chef d'établissement de décider, non pas qu'on veut les priver
11:59 d'un droit ou d'un pouvoir, mais parce qu'on veut les protéger.
12:02 Laïcité est une question fondamentale en France dont la règle doit être établie
12:11 par l'État, par le pouvoir légitime et il ne faut pas qu'on puisse dire, notamment
12:16 ceux qui sont favorables au port de cette tenue qui est faite au fond pour discriminer,
12:23 si vous voulez, il ne faut pas qu'on puisse dire tel chef d'établissement l'autorise,
12:32 tel autre chef ne l'autorise pas et donc c'est à l'État de fixer la règle.
12:36 Nous verrons ce qu'il en soit.
12:38 Et quant à certains partis de gauche sur ce sujet, moi j'ai envie de dire, sans trancher
12:44 leur place, j'ai envie de dire, reprenez votre fonction, mission d'éducation populaire.
12:52 S'il y a des combats que vous devez inciter les jeunes à mener, c'est la lutte contre
12:57 les, je ne trouve pas le terme, les contrôles d'identité au faciès.
13:07 C'est la lutte contre les inégalités selon l'endroit où on est né.
13:11 C'est la lutte contre le racisme.
13:13 Mais ne soyez pas naïfs par rapport au prosélytisme islamiste.
13:18 Vous le dites aux socialistes ?
13:19 Les socialistes sont à cet égard, d'après ce que j'ai lu, sur une position qui me
13:25 paraît bonne, c'est d'ailleurs aussi le cas du Parti Communiste.
13:29 Donc la France Insoumise ? C'est à eux que vous parlez quand vous tenez ces propos ?
13:33 Je peux penser à eux, oui, aussi.
13:37 Michel est en ligne avec nous, il a parole aux auditeurs en cette matinale.
13:42 Bonjour Michel, vous nous appelez de courbe voix et vous avez une question pour Lionel
13:46 Jospin.
13:47 Oui bonjour, une question mais qui a été en partie, j'ai eu la réponse.
13:51 Ma question était un petit peu désagréable, excusez-moi Monsieur le Premier Ministre,
13:58 mais justement, ne pensez-vous pas que vous reveniez sur ce que vous aviez dit à l'époque,
14:03 que vous avez une responsabilité dans la mesure où vous avez accepté et vous avez
14:09 reporté la responsabilité sur les responsables des écoles de se porter de signes religieux.
14:17 Dès le départ, l'État aurait dû être ferme, vous auriez dû être ferme.
14:21 Et effectivement, je suis d'accord avec vous, moi je suis de gauche et je ne comprends
14:25 pas la position de certains membres de gauche, je ne les citerai pas, qui acceptent qu'il
14:30 y ait un salon à Villepeinte uniquement réservé aux gens de couleur et qu'on accepte effectivement
14:37 ces ports de signes religieux dans l'espace public.
14:41 Mais ne pensez-vous pas, vous avez évolué heureusement aujourd'hui, que vous avez
14:45 une responsabilité de ne pas avoir pris une position ferme à l'époque et de dire
14:50 que c'est l'État qui va décider de ne pas laisser cette charge au chef d'établissement.
14:57 Alors Lionel Jospin va vous répondre, merci Michel pour votre intervention.
15:00 Oui, elle ne me gêne pas du tout cette intervention, elle est légitime, effectivement je l'ai
15:06 dit, j'ai bougé, mais c'est surtout le monde qui a bougé.
15:08 En 1989, quand j'étais ministre de l'éducation, il n'y avait pas eu le 11 septembre, il n'y
15:18 avait pas eu l'État islamique, il n'y avait pas eu un développement du terrorisme massif,
15:22 donc on pouvait être dans une vision, et j'ai respecté les indications qui avaient
15:28 été données par le Conseil d'État à l'époque.
15:31 Je pense que le contexte a absolument changé.
15:34 Mais même à l'époque, Madame, c'est ce seul point que je me permettrais de vous reprendre,
15:39 pour le reste je ne suis pas gêné, c'est même sur ce point les chefs d'établissement
15:44 prenaient leurs décisions sur critères qui lui avaient été fixés.
15:48 Totalement le respect des matières, des enseignements, de la discipline, mais quand le monde change,
15:57 il faut aussi savoir changer, à condition que ce soit sur les mêmes principes.
16:01 Parce que la laïcité, ce n'est pas seulement le rapport entre l'État et les religions,
16:08 entre l'école et les religions, c'est aussi une certaine conception du vivre ensemble.
16:13 Et quand on se distingue de façon prosélyste, avec une intention politique, on s'éloigne
16:24 de la communauté nationale, et moi je pense au contraire que dans le respect et en luttant
16:29 contre les inégalités et contre le racisme, il faut se retrouver dans la communauté nationale.
16:35 Alors puisque vous parlez justement de la communauté nationale et de la République,
16:39 ce sont des sujets auxquels vous avez beaucoup réfléchi.
16:42 Emmanuel Macron déclarait devant les représentants des partis de gauche qu'il recevait dans
16:47 la nuit d'hier « c'est une connerie » pardon pour mon langage, mais je cite le président
16:52 de la République, Lionel Jospin, « c'est une connerie de ne pas pouvoir être réélu
16:57 après deux mandats présidentiels, dès lors qu'on ne peut plus se représenter,
17:01 il y a une perte d'autorité ». Êtes-vous d'accord ?
17:04 J'ai entendu ce qu'on disait tout à l'heure sur un certain nombre de chefs d'État
17:09 africains qui se prolongent.
17:11 Ce que disait Pierre Askin ?
17:12 J'ai vu comment la Constitution a été changée en Russie pour permettre à M.
17:18 Poutine de se présenter à nouveau.
17:20 Donc honnêtement, je ne m'engagerais pas dans cette voie-là, même si je comprends
17:26 que le rapport au pouvoir, la délectation ressentie au pouvoir par le président de
17:31 la République créent peut-être chez lui potentiellement une future frustration.
17:35 Vous pensez qu'il se délecte d'être président de la République ?
17:38 Je pense qu'il est…
17:40 Que c'est une forme de jouissance ?
17:42 J'abandonne ce terrain, mais je pense que c'est certainement le président de la
17:48 République sous la Ve République qui a eu la pratique la plus personnelle des institutions.
17:55 Parce que la réforme du quinquennat, vous l'avez en partie initiée, elle a conduit
17:58 à présidentialiser la vie politique, à marginaliser le gouvernement et ses ministres,
18:03 nous dit Claudine, qui nous écrit sur l'application France Inter, et elle conclut notre vie publique
18:09 est navrante.
18:10 Ne regrettez-vous pas cette réforme, justement, celle du quinquennat ?
18:13 Eh bien, quand je vois l'opinion qui était celle des Français à l'issue du quinquennat
18:22 de M. Nicolas Sarkozy, voire pour certains à l'issue du quinquennat de François Hollande,
18:29 pour d'autres bien sûr, pour à la fin du quinquennat de M. Macron, je pense que
18:35 cette mesure a été salutaire et salubre pour la démocratie en France.
18:41 Donc non, je ne le regrette pas.
18:43 Je pense qu'une respiration démocratique régulière tous les cinq ans, comme ça existe
18:48 dans tous les pays européens par exemple, est préférable à ces longs mandats présidentiels
18:55 qui auraient accentué les défauts que nous constatons actuellement.
18:58 Lionel Jospin, vous étiez l'artisan de la gauche...
19:01 Vous pouvez m'appeler Lionel, monsieur.
19:03 Non, on n'est pas amis à la ville, je précise.
19:05 Monsieur le Premier ministre.
19:06 Monsieur le Premier ministre, Lionel Jospin.
19:08 Il y a un débat à gauche en ce moment, ce qui est le débat de l'Union.
19:12 Vous, vous avez été l'artisan à l'époque de la gauche plurielle.
19:15 Aujourd'hui, la France Insoumise, Emmanuel Bompard et puis aussi Ségolène Royal, aimeraient
19:20 une liste d'union pour aller aux élections européennes.
19:24 Les écologistes par exemple, ils sont opposés.
19:26 Comment vous voyez les choses ? Est-ce qu'il faut une liste d'union de la gauche ? D'après
19:30 vous, c'est ça qui est le plus efficace ?
19:31 Vous savez, je suis sorti du silence.
19:36 On m'a rappelé que ça faisait trois ans que je n'étais pas venu sur France Inter.
19:39 Vous nous avez manqué.
19:40 Non, mais simplement, je n'ai pas souhaité venir.
19:43 Donc, je m'exprime peu.
19:46 Je ne serais pas venu pour commenter les problèmes de l'union à gauche.
19:50 Honnêtement, je suis venu tout à fait sur un autre sujet.
19:53 Vous l'évoquez, j'ai toujours été favorable à l'union, mais je pense en même temps
19:58 que dans cette union, la force provisoirement dominante, ça a été le Parti Socialiste,
20:06 c'est aujourd'hui peut-être les Insoumis, doit être respectueuse de ses partenaires.
20:11 Donc, la gauche plurielle, elle insistait sur le pluralisme.
20:17 Et je pense que c'est ainsi qu'on pourra effectivement reconstituer une gauche.
20:26 Et en même temps, je pense que pendant ce temps-là, lui, le Parti Socialiste, doit
20:30 travailler à ses propres positions, reconstruire son identité et sa force.
20:36 Donc, je n'oppose pas, comme d'ailleurs François Mitterrand le faisait, comme je
20:41 me suis efforcé de le faire, je n'oppose pas la perspective unitaire et la volonté
20:46 aussi que le courant du socialisme démocratique s'affirme à nouveau dans notre pays, disons
20:54 que je l'espère.
20:55 Mais vous n'imaginez pas le nombre d'auditeurs qui ont justement envie de vous interpeller
20:59 sur la question à la fois de la gauche, de votre rapport au pouvoir, qui ont envie d'avoir
21:03 votre regard sur l'actualité politique.
21:06 C'est le cas de Caroline, qui nous appelle depuis le Salon de Provence.
21:10 Bonjour Caroline.
21:11 Bonjour.
21:12 Vous avez une question pour Lionel Jospin.
21:13 Oui, monsieur Jospin, bonjour.
21:15 Bonjour.
21:16 En fait, ce n'est pas vraiment une question, mais je reste très très en colère de votre
21:21 départ de la scène politique en 2001.
21:24 Et j'estime que depuis que vous êtes parti, en fait, on n'a plus de leader.
21:31 Il y a eu des grandes figures socialistes, évidemment, dont M.
21:35 Hollande, qui a été élu, etc.
21:36 C'est Golenroyal et d'autres.
21:38 Mais ça a été terrible que vous partiez comme ça.
21:42 En 2002, pas en 2001.
21:45 2002, oui.
21:46 2002.
21:47 Franchement, moi et d'autres, ce n'est pas qu'on ne s'en est pas remis, parce que ça
21:51 fait très grandiloquent de dire ça, mais vous nous avez abandonnés, monsieur.
21:55 Et moi, ça me dégoûte.
21:57 Et quand je vous écoute la parler, vous dites des choses très intéressantes.
22:00 Vous êtes un fond pas possible.
22:01 Enfin, vraiment, vous êtes Lionel Jospin.
22:03 Mais vous n'avez plus fait profiter le monde politique, en quelque sorte, parce que vous
22:10 n'étiez plus à l'avant de la scène.
22:12 Alors, laissez Lionel Jospin vous répondre, Caroline, parce que vos mots sont extrêmement
22:16 forts.
22:17 Et au-delà du compliment, il y a ces mots très durs.
22:19 Vous nous avez abandonnés, Lionel Jospin.
22:22 Qui a abandonné qui ? Cette question pourrait être posée.
22:26 Et ce n'est pas moi qui me suis éliminé du second tour de l'élection présidentielle.
22:32 Il y a eu un vote.
22:33 C'était le vote du peuple français.
22:35 Si la majorité plurielle, qui avait plutôt bien gouverné, à laquelle on se réfère
22:42 encore aujourd'hui, ne s'était pas bêtement divisée au moment de l'élection, si elle
22:48 n'avait pas eu cinq candidats des cinq partis qui la composaient, j'aurais été présent
22:54 au second tour et le sort de l'élection présidentielle aurait peut-être été différent.
22:59 Donc c'est vous qui vivez le syndrome de l'abandon, davantage que les électeurs socialistes
23:02 comme Caroline qui nous rejoignent.
23:05 Je suis profondément républicain et démocrate.
23:08 Le peuple m'a écarté, je m'écarte.
23:11 A l'époque, on se rappelle, en 2002, c'est Jean-Marie Le Pen qui était arrivé au second
23:16 tour.
23:17 Aujourd'hui, c'est Marine Le Pen dont la victoire est jugée probable, assez probable
23:22 par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.
23:23 Il parle d'une victoire assez probable en 2027 si la majorité ne parle pas, dit-il,
23:27 davantage aux classes moyennes.
23:29 Est-ce que vous partagez cette analyse ?
23:30 Comment dirais-je ? Le risque existe.
23:37 Le président de la République actuelle a été élu deux fois contre Marine Le Pen au
23:48 second tour.
23:49 Je constate qu'au cœur de son second quinquennat, cette menace qui aurait dû être éradiquée
23:59 existe.
24:00 Je pense que c'est à l'ensemble des forces politiques, la majorité actuelle à laquelle
24:06 je n'appartiens pas, bien sûr, aux forces de la droite républicaine et aux forces de
24:13 gauche, bien sûr, de faire en sorte que ce risque soit conjuré.
24:17 Vous y croyez ?
24:18 À cette possibilité ?
24:20 À la possibilité de le conjurer, oui.
24:23 Absolument.
24:24 Et à la possibilité que Marine Le Pen arrive à accèder au pouvoir ?
24:27 Probabilité même, pour reprendre le mot de Gérald Darmanin ?
24:32 Il est ministre de l'Intérieur, c'est sa politique qu'il juge.
24:36 Si au bout de cinq ans de la politique au cœur de laquelle il est, lui-même insiste
24:44 sur la probabilité, moi je parle de risque et je parle de risque à conjurer.
24:48 Notre entretien arrive à son terme, Lionel Jospin.
24:51 Est-ce que vous êtes heureux de vivre dans notre époque ?
24:55 Je pense qu'on rentre dans une nouvelle période historique.
25:00 On a vécu depuis la guerre, la guerre froide d'abord, dans l'équilibre de la terreur,
25:11 dans la crainte du risque nucléaire.
25:13 Heureusement, ce risque a été conjuré.
25:16 Mais pour conjurer ce risque, il suffisait de ne pas faire, c'est-à-dire de ne pas
25:23 utiliser l'arme nucléaire.
25:24 De ne pas appuyer sur le bouton.
25:26 Dont, accessoirement, Vladimir Poutine agite la possibilité.
25:31 Aujourd'hui, nous sommes dans la période historique, longue, qui va être celle du
25:37 réchauffement climatique.
25:38 C'est les conditions de vie de l'humanité sur Terre qui sont en cause.
25:42 Ce contexte devrait conduire les grandes puissances et tous les États, d'une certaine
25:48 façon, au travail en commun.
25:51 C'est pourquoi le dérèglement qu'introduit, par la nature de son pouvoir oppressif et
25:58 par le caractère agressif de sa politique à l'égard de l'Europe, un régime comme
26:03 celui de Poutine, est de ce point de vue-là déstabilisant.
26:06 C'est pourquoi ce risque-là aussi, il faut le conjurer.
26:09 Donc, il y a une nécessité de faire face à ce risque du réchauffement climatique.
26:17 Et j'espère que l'ensemble des pays, et que la France y prendra sa place, arriveront
26:24 à limiter les conséquences de ce risque.
26:26 Donc, à défaut d'être heureux, vous gardez au moins espoir.
26:29 Merci infiniment Lionel Jospin d'avoir été l'invité de France Inter.
26:31 Merci.
26:32 Je pense qu'il ne vous attendra pas trois ans avant de vous recevoir de nouveau.
26:36 Passez une excellente journée et merci d'avoir été l'invité du Grand Entretien.