Climat : "Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est ce que nous anticipons depuis 40 ans", selon Jean Jouzel

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00:00 On va évidemment aller plus loin et poursuivre sur cette page climat avec notre invité du jour, c'est vous Jean-Josel, bonjour.
00:07 Merci d'être avec nous, vous êtes climatologue, ancien président du groupe scientifique Le GIEC, auteur par ailleurs de "Climat, parlons vrai".
00:14 Alors on va peut-être revenir sur cette déclaration Copernicus qui estime que la saison juin, juillet, août, la saison estivale 2023,
00:23 a été de loin la plus chaude jamais enregistrée dans le monde et ce depuis le début de l'histoire de l'humanité.
00:31 Oui, bonjour Elisabeth Allain, bien sûr, cette année 2023 est la plus chaude, nous avons connu depuis, en tout cas, des relevés météorologiques,
00:42 ça c'est très clair, c'est une affirmation qu'on peut avoir, c'est même très net par rapport aux records précédents, et c'est ça qui est assez impressionnant.
00:50 Alors quand on regarde un peu plus loin, effectivement, en tout cas, je ne sais pas si c'est depuis 120 000 ans peut-être,
00:58 mais il y a peut-être eu des étés aussi chauds, mais je crois effectivement que c'est important de noter que la dernière décennie est la plus chaude,
01:07 en tout cas des deux derniers millénaires, et très probablement des 10 000 dernières années, et un peu au-delà, ce qu'affirme Copernicus.
01:13 Donc c'est effectivement un tournant, et disons qu'en tonneau gutéresse par défondrement, ce que nous vivons aujourd'hui,
01:22 c'est quand même, il faut bien noter ce que nous anticipons depuis une quarantaine d'années en termes d'intensification des événements extrêmes,
01:29 de rythme de réchauffement, il ne faut pas être trop surpris, ce qui me surprend c'est la surprise dont certains médias font état,
01:37 c'est plutôt cela, dans le sens inverse la surprise.
01:39 Alors je ne sais pas si vous voyez de la surprise dans nos propos, à nous en tout cas, mais c'est vrai qu'on a décidé,
01:44 vu l'actualité très largement consacrée au climat en ce début d'année, de développer en tout cas cette page,
01:53 je ne pense pas que vous allez nous contredire, c'est important.
01:55 On va peut-être regarder une courbe tout de suite qui nous vient de Copernicus, et qui nous montre l'augmentation d'année en année des températures.
02:02 On a le sentiment, alors je ne vais rien vous apprendre à vous, mais peut-être nous expliquer, on a le sentiment d'une accélération dans la hausse de ces températures.
02:11 La température moyenne cette année c'était 16,7 degrés, c'était 0,6 degré de plus, ça peut paraître peu, c'est beaucoup.
02:19 Oui c'est beaucoup, c'était le cas en France également, c'est le cas au niveau mondial,
02:25 d'avoir battu le précédent record d'un demi-degré c'est quelque chose d'extrêmement impressionnant, et ce n'est pas vraiment ce à quoi on s'attend.
02:33 L'été dernier par exemple, dans certaines stations, Brest en France, le record de température a été battu de 4 degrés, dans d'autres stations également.
02:42 Ce sont des choses, on rentre vraiment, mais on le sent bien, vous avez raison Elisabeth Allain, on le sent bien,
02:47 c'est-à-dire qu'on rentre dans un monde différent du point de vue du climat et de notre environnement.
02:53 Mais pour rebondir sur l'intervention que vous avez présentée, je dirais mon regret, ce ne sont que les prémices de ce qui nous attend,
03:02 et surtout de ce qui attend les jeunes d'aujourd'hui dans la deuxième partie de ce siècle,
03:06 si nous ne faisons rien aujourd'hui pour lutter contre ce réchauffement.
03:09 Vous avez accordé ce week-end un entretien aux Échos, impossible de ne pas revenir dessus,
03:14 qui fait beaucoup parler, dans lequel vous reveniez sur l'accueil glacial,
03:18 ce sont vos mots qui vous ont été réservés aux universités d'été du Medef fin août,
03:23 alors que vous tentiez d'alerter devant un parterre d'entrepreneurs sur l'inexorable augmentation des émissions de gaz à effet de serre,
03:30 le patron de Total Energy vous avait répondu ceci,
03:33 "Cette transition, je suis désolée Jean, elle prendra du temps, je respecte l'avis des scientifiques,
03:37 mais il y a la vie réelle, je dois assurer la sécurité d'approvisionnement au coût le plus efficace".
03:43 On a le sentiment d'un dialogue de sourds, de deux réalités qui se confondent, qui s'entrechoquent, irréconciliable.
03:49 C'est le même sentiment que vous avez aujourd'hui ?
03:51 Oui, j'ai un peu ça, c'est-à-dire que Patrick Pouyanné, disons, ne dit pas du tout que nous avons tort,
03:57 notre communauté, j'en suis le porte-parole dans cette table ronde, mais il y a deux choses importantes.
04:03 La première chose, c'est la transition prendra du temps.
04:06 On comprend bien dans son point de vue, mais la réalité, c'est qu'en disant cela,
04:10 il accepte implicitement que les jeunes d'aujourd'hui connaissent +3, +4 degrés en France dans la deuxième partie de ce siècle, c'est très clair.
04:17 Le deuxième point, c'est la vie réelle.
04:19 Mais la vie réelle, c'est aussi ce que vous montrez aujourd'hui, c'est-à-dire des conséquences.
04:25 Vous avez montré en Grèce, c'est extrêmement dramatique.
04:28 27 morts au Brésil, on vient de l'apprendre avec ces inondations, c'est valable un peu partout dans le monde.
04:34 La vie réelle, ce sont aussi les feux de forêt qui se multiplient, ce sont ces vagues de chaleur, ces inondations en répétition,
04:41 donc des conséquences extrêmement importantes.
04:43 Dans quelques décennies, ce sera l'élévation du niveau de la mer qui touche de plus en plus de côtes.
04:47 Donc la vie réelle, c'est aussi cela.
04:49 Et donc, c'est un peu, je dirais égoïste de n'évoquer la vie réelle qu'à travers la capacité à vendre du pétrole et des combustibles fossiles.
04:59 Parce que, disons que le constat, c'est que les émissions liées à notre utilisation de combustible fossile ont augmenté au niveau planétaire, mais également en France.
05:09 Donc, voilà, on ne sait pas, nous sommes loin du compte dans notre pays.
05:13 Voilà, ce n'est pas du tout personnel vis-à-vis de Patrick Pouyanné, mais c'est clairement, ils ont une autre direction que nous prenons.
05:20 Et les entreprises, si elles continuent sur ce tempo, vont vraiment nous emmener vers un climat à +3°C dans la deuxième partie du XXIe siècle.
05:30 Et ça, ce sont, je le redis, des conséquences très importantes au niveau des vagues de chaleur.
05:36 On pourrait atteindre pas loin de 50°C en France.
05:39 Et c'est quelque chose qu'il faut vraiment tout faire pour éviter.
05:41 C'est aujourd'hui qu'il faut agir. C'est ça le message.
05:43 Est-ce qu'il n'y a pas une incompatibilité aujourd'hui, c'est peut-être un constat qu'il faut faire, entre l'économie, ses intérêts économiques.
05:52 On sent bien cette volonté, malgré un constat commun, de continuer dans cette voie.
05:58 Et la rapidité que vous prenez, vous, à agir.
06:01 Vous dites, pour limiter le réchauffement à 1,5°C, on n'a plus que 5 ans d'émissions au rythme actuel, un peu moins de 15 ans si on veut limiter à 2°C.
06:10 Vous vous y croyez encore, la limitation de la hausse des températures, vraiment ?
06:14 Non, je ne suis pas trop optimiste, même pour les 2°C.
06:18 Le problème est que, contrairement à ce que, disons, il y a quelque chose qui est pensé généralement,
06:27 au contraire, réaliser cette transition, elle est inéluctable, puisqu'on ne peut pas accepter que le climat se réchauffe indéfiniment.
06:34 Eh bien, disons que c'est synonyme de dynamisme économique, d'innovation, de recherche.
06:40 Voilà, donc, au contraire, je crois que si on s'engouffrait, et c'est ce qu'essaye de faire l'Europe, soyons clairs,
06:46 en France, on a un peu de retard par rapport à nos objectifs, mais disons, cette transition, au contraire,
06:52 elle pourrait être synonyme de dynamisme économique, d'innovation, de recherche, d'attractivité, de création, d'emploi.
07:00 C'est là qu'il faut s'engouffrer. Donc, c'est cela qui est faux.
07:04 Je crois que dans la mesure où cette transition, elle est inéluctable, ce sont les secteurs d'activité,
07:09 les pays qui s'y impliqueront les premiers, qui gagneront économiquement.
07:14 Donc, ça, c'est le point. Je connais la difficulté d'une transition à court terme, mais je vous assure que si on l'envisage à moyen et long terme,
07:23 et c'est aussi le rôle des entreprises, le rôle des entrepreneurs de la regarder à l'échéance de 10-15 ans, de 20 ans,
07:29 elle sera gagnante, y compris économiquement.
07:32 Voilà, ce potentiel de croissance verte. Est-ce que prônent certains, depuis trois jours, à Nairobi ?
07:38 Restez avec nous, Jean Jouzel, parce que l'Afrique vit cette semaine son premier sommet africain pour le climat,
07:45 et en croire le président Kenyon, il y en aura désormais tous les deux ans.
07:49 C'est l'une des annonces faites en ce début d'après-midi. Nous sommes donc au troisième jour de négociations historiques,
07:55 une annonce parfois forcément complexe, les intérêts des 54 Etats représentés étant sur certains points divergents.
08:01 Il faut s'entendre à l'issue de cette ultime journée pour tracer une voie commune face au réchauffement climatique.
08:07 Malgré les difficultés remontées, les participants devraient parvenir aujourd'hui à une déclaration finale.
08:13 C'est ce que nous expliquait un peu plus tôt Bastien Renouilh, il est sur place pour nous, écoutez-le.
08:17 Comment faire en sorte que l'Afrique s'unisse et parvienne à parler d'une même voie ?
08:22 Comment faire en sorte que toutes les délégations acceptent de signer la déclaration néerobie qui doit être adoptée à l'issue du sommet ?
08:27 C'était tout l'enjeu des discussions qu'il y a eu ici au cours des trois derniers jours, et il y a eu des frictions entre délégations.
08:32 Certains ne comprenaient pas comment il pouvait seulement y avoir des grandes lignes, des grandes idées,
08:36 dans le texte qui était proposé lundi, mais pas de ligne directrice qui disait clairement comment parvenir à ses objectifs
08:44 de développement des énergies vertes, de réduction de la pollution sur le continent.
08:48 Ce n'est pas grave, nous explique le chef de la délégation nigériane, je vous propose de l'écouter.
08:52 Pour lui, cela n'empêchera pas l'adoption de la déclaration.
08:55 Nos plans de transition énergétique n'ont pas à être les mêmes pour tous les pays.
09:00 Les investissements auxquels nous allons procéder en Afrique du Sud, par exemple, doivent servir à diminuer la dépendance au charbon.
09:07 Alors que pour le Nigeria, il faut que nous remplacions les générateurs qui utilisent du diesel et du pétrole.
09:14 Donc le type d'investissement auquel nous allons procéder dépend de la situation.
09:19 Ils doivent correspondre aux problématiques rencontrées par chaque pays pour être une solution efficace.
09:25 Peu importe pour lui que chaque pays explique clairement comment il va parvenir à respecter les objectifs de la déclaration de Nairobi.
09:31 L'objectif final, c'est que tous les pays s'entendent pour aller dans un même sens à long terme.
09:37 L'objectif affiché par tous les chefs d'Etat, c'est qu'il y ait une seule voie africaine, notamment lors des grands sommets internationaux,
09:44 notamment lors de la COP28 qui aura lieu au mois de novembre à Dubaï.
09:48 De manière à pouvoir lever plus de financement pour faire en sorte que l'Afrique ne soit pas une victime du changement climatique,
09:54 mais bel et bien une solution globale à ce problème.
09:57 Jean Jouzel, un mot peut-être de ce sommet qui doit se conclure aujourd'hui sur une déclaration commune.
10:03 On y est presque, on nous dit en coulisses. Il y a le président Kenyan, William Ruto, qui a appelé à saisir, je le cite,
10:08 l'opportunité sans équivalent pour les pays africains.
10:12 Ça vous rejoint de tirer profit économiquement du développement des énergies propres,
10:15 tout en participant à la lutte contre le réchauffement climatique. On va dans le bon sens selon vous ?
10:21 Oui, cette déclaration va dans le bon sens. L'Afrique, elle est triplement concernée par le réchauffement climatique.
10:27 Bien sûr, elle l'est parce qu'elle n'y a pas beaucoup contribué jusque là.
10:32 Elle l'est parce qu'elle est quand même extrêmement vulnérable par rapport à certaines conséquences de ce réchauffement climatique.
10:39 Si on prend 3 degrés à l'échelle planétaire, l'Afrique prendra 3 degrés.
10:43 Il y a vraiment des régions qui deviendront quasiment invivables.
10:46 Elle l'est concernée parce que notre futur à l'échelle planétaire dépend effectivement de ce vers quoi l'Afrique.
10:53 C'est-à-dire que si l'Afrique va se développer, on parle d'un doublement de la population d'ici 2050 ou un peu au-delà,
10:59 ce n'est pas très grave, mais elle va se développer et c'est très bien.
11:02 Mais si elle se développe autour des combustibles fossiles, elle en a les moyens.
11:07 Il y a presque tout ce qu'il faut en termes de charbon, de gaz, de pétrole.
11:12 On a perdu. Si elle se développe autour des énergies renouvelables, et en termes d'énergie renouvelable, l'Afrique est bénie des dieux.
11:18 Il y a toutes les ressources que l'on peut souhaiter en termes d'éolien, en termes de solaire en premier lieu,
11:23 en termes de biomasse dans certaines régions, en termes d'hydraulique dans l'autre.
11:27 Tout cela, c'est le chemin qu'il faut prendre pour l'Afrique, d'un développement construit autour des énergies renouvelables.
11:35 C'est ce que nous dit cette déclaration et j'y suis quand même, je pense que c'est bien.
11:39 Et c'est important aussi que l'Afrique, à travers cette réunion, soit jouée un rôle clé dans les conférences climat et en particulier à la COP28.
11:48 Ce sont vraiment des partenaires essentiels de la lutte contre le réchauffement climatique et évidemment de l'adaptation.
11:54 L'Afrique qui souhaite être placée au cœur de la solution, ça elle l'a déjà érodie par le passé.
11:59 Si je vous suis bien à ce que vous venez de déclarer, vous faites partie de ceux qui estiment qu'un succès à l'issue de ce premier sommet pour le climat en Afrique
12:08 pourrait inspirer, contaminer dans le bon sens les autres et donner un bon élan, un élan positif à trois mois de la COP28 ?
12:15 Oui, si, disons, bien sûr, on peut penser que cet accord, ces engagements vont être présentés par les pays africains qui font partie des pays, disons,
12:28 les pays dits en développement dans le cadre du GIEC, mais il y a beaucoup d'autres pays.
12:35 Bon, disons, ça peut effectivement jouer un rôle extrêmement important parce que jusqu'ici, ces pays n'ont pas pris d'engagement chiffré
12:43 et ce serait important, disons, en tout cas, que ce développement des énergies renouvelables soit mis, disons, comme une priorité de développement en Afrique.
12:52 C'est, je crois, la première fois que j'entends cela et, disons, mettre ça, parce que ce dont on va parler à Dubaï, c'est vraiment,
12:59 quand peut-on envisager la fin de l'utilisation des combustibles fossiles ? Vraiment, peut-on réellement l'envisager à l'horizon 2050 ou non ?
13:07 Et c'est absolument important et l'Afrique est évidemment concernée au premier chef, je le redis, à travers un développement qui est souhaitable,
13:15 mais dont il est souhaitable qu'il se construise autour des énergies renouvelables.
13:20 Merci beaucoup, Jean Jouzel, climatologue, ancien vice-président du GIEC. Merci d'avoir consacré à nos côtés...

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