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Transcription
00:00 culture média. Thomas Hill.
00:02 - Alors Lilia Hassen, votre nouveau roman Panorama se déroule donc en
00:06 2049 précisément, dans un monde un petit peu particulier
00:10 puisque tout y est transparent, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de murs,
00:14 uniquement des vitres.
00:17 - C'est exactement ça. À la suite d'un événement
00:20 traumatisant pour la France en 2029, une sorte de nouvelle révolution française,
00:25 les citoyens décident de renoncer à une grande partie de leur liberté au nom de la sécurité
00:30 et de vivre donc dans des maisons transparentes.
00:33 - Des maisons vivariums, voilà, c'est comme ça que vous les appelez, ce qui fait que tout le monde peut se voir en permanence.
00:40 Il paraît que cette excellente idée vous est venue en faisant du shopping, c'est vrai ?
00:43 - Non, c'est pas du shopping, je sortais de la FNAC de Nice, où j'étais pour la promotion de mon précédent livre,
00:49 et en sortant, effectivement, j'ai vu une salle de bain éclairée dans la nuit,
00:53 et il y avait un lit, il y avait un évier, et j'ai vraiment imaginé que quelqu'un viendrait se brosser les dents,
00:59 et j'ai eu l'impression d'entrer dans une intimité, et c'est surtout que cette
01:04 image m'est restée pendant plusieurs jours.
01:06 Elle a tellement résisté qu'au bout d'un moment, je me suis posé des questions un peu de l'ordre de l'introspection,
01:13 pourquoi cette image ? - Pourquoi ça m'intéresse autant ?
01:16 - Oui, je pense qu'effectivement ça a percuté des questions que je me posais déjà sur la fin de l'intimité,
01:21 sur la question de la vie privée, sur les réseaux sociaux,
01:23 voilà, cette question de la transparence, elle est omniprésente en fait.
01:25 - Et c'est vrai qu'évidemment, en lisant ça, dans la première page, on se pose plein de questions très concrètes sur la possibilité
01:31 d'un tel monde transparent, et ce qui est chouette, c'est que vous y répondez très vite, pour rendre vraiment
01:37 crédible votre histoire, par exemple pour prendre sa douche ou aller aux toilettes.
01:41 - Bah oui, pas évident quand même !
01:43 - Comment ça se passe, Lilia ?
01:45 - Alors, justement, la question que je me suis posée au début,
01:49 c'était, en fait je voulais vraiment que ce soit plausible, je voulais pas que ce soit une
01:51 vraie dystopie, au sens où il y aurait vraiment des sauts technologiques,
01:55 je voulais que ce soit très proche d'aujourd'hui, que ce soit une légère anticipation, mais qu'on puisse se dire "c'est possible".
02:01 Déjà, les raisons pour lesquelles on arrive à cette situation sont des raisons qui me semblent plausibles, et ensuite ces maisons transparentes, elles
02:08 conservent quand même une part d'intimité,
02:10 notamment, effectivement, quand on va aux toilettes ou qu'on prend sa douche, on se met dans des
02:15 bacs opaques, à mi-hauteur, on voit le visage. - La tête des passes. - Voilà, la tête des passes, c'est-à-dire qu'on assure sa sécurité, mais tout en
02:21 garantissant quand même une petite part d'intimité, comme pour les relations intimes,
02:24 où c'est pas exactement la même chose, c'est que je voulais pas d'une société totalement pornographique.
02:30 - Ça c'est très intéressant aussi, pour les relations intimes, vous avez créé un... - Là, la pudeur est un faux problème !
02:35 - Oui, là vous avez créé un... - Olivier Beck et Mondevive dans ce monde !
02:38 - C'est un lit un peu particulier, là, c'est le lit sarcophage.
02:41 - Oui, j'ai pas envie de tout dévoiler non plus, parce que je me dis que c'est des petites surprises à l'écureuil lit,
02:45 mais effectivement, c'était la même chose, c'est-à-dire que dans une société où la sécurité est première,
02:52 les relations
02:55 intimes,
02:56 même si elles sont vues, ça ne suffit pas, et donc il fallait à la fois garantir,
03:02 encore une fois, une forme d'intimité, donc j'imagine une sorte de sarcophage, et puis la question du consentement,
03:08 la question centrale, et donc les deux partenaires doivent appuyer sur un bouton pour que le lit s'ouvre.
03:14 - Ah, pour valider ! - Ah oui, au moins c'est validé !
03:16 - Ah mais c'est bien, ça ! - C'est bien, c'est pas mal !
03:18 - On valide le consentement, et à l'intérieur du sarcophage, on fait la même chose.
03:21 - Non, ça manque de spontanéité, parce que si on est obligé de valider... - Oui, ça veut dire que c'est toujours au même endroit aussi.
03:26 - Quelle bande de fous !
03:28 - Allez, on va continuer à naviguer dans ce monde de fous, tout en transparence. Lilia Hassen est notre invitée jusqu'à 11h sur Europe 1. À toi !
03:35 Vous écoutez Culture Média sur Europe 1. Thomas-Yves, vous recevez Lilia Hassen pour son nouveau roman,
03:40 "Panorama". C'est l'une des sensations de cette rentrée littéraire parue chez Gallimard.
03:45 - Et alors, cette société de la transparence dont on parlait, la société que vous avez inventée,
03:49 elle n'est peut-être pas si éloignée de la nôtre, finalement. Est-ce que vous envoyez des signes à avant-coureurs, aujourd'hui ?
03:56 - Il suffit d'allumer sa télévision, de lire les journaux pour voir que ce mot revient quand même très régulièrement dans la bouche de nos hommes politiques.
04:03 Il y a eu la création de la haute autorité pour la transparence, dans les produits de consommation, le mot "transparence" est partout.
04:09 Une fois, j'ai acheté de l'huile d'olive, j'avais marqué "transparence et qualité".
04:12 Et donc, c'est vraiment une notion qui revient sur les réseaux sociaux, évidemment.
04:19 Là, c'est des petites fenêtres sur nos vies intimes, et on devient un peu les producteurs de nous-mêmes.
04:28 Dans le prolongement de la télé-réalité, où il y avait un producteur qui filmait des inconnus,
04:34 aujourd'hui, on se filme soi-même, on s'auto-produit, dans cette forme de transparence.
04:40 Et d'ailleurs, même les marques, les nouvelles start-up, elles aiment montrer les processus de fabrication,
04:49 montrer qu'elles sont plus transparentes que leurs concurrents. C'est devenu un argument marketing.
04:54 - Même les restaurants dont on parlait tout à l'heure, maintenant, les cuisines sont ouvertes, il faut voir.
04:58 - On doit tout voir, oui.
04:59 - Nous, on vit avec des open space ici, par exemple.
05:02 - Exactement, l'open space, et puis même les salles de montage qui sont de plus en plus transparentes.
05:06 Parce qu'avant, c'était des espaces clos, dans les rédactions de journalistes, et il s'y passait des choses.
05:11 Et donc, on ne veut plus d'événements, on ne veut plus de risques.
05:15 Et donc, la transparence garantit une sécurité optimale.
05:20 On est vraiment dans l'ère du "j'ai rien à cacher de toute façon".
05:24 Et c'est souvent la question, enfin quand moi je posais des questions à des jeunes gens qui s'exposaient sur les réseaux
05:29 et qui livraient leurs données personnelles, souvent la réponse c'était "mais non, moi j'ai rien à cacher".
05:33 - "J'ai rien à cacher".
05:34 - Mais alors si tu caches, tu es suspect.
05:36 - C'est ça. Mais alors vous dites que ça donne une sécurité optimale, sauf que votre livre, c'est pas un essai, c'est vraiment un roman.
05:43 Et on pense que ça fait tomber toute violence, toute criminalité, sauf que malgré cette transparence totale,
05:48 il y a une famille entière qui a disparu, et pendant tout le livre, on va suivre une gardienne de protection,
05:54 parce que ça c'est le nouveau nom des policiers, qui cherche à comprendre ce qui est arrivé à cette famille.
05:59 Elle est là l'intrigue.
06:00 - Oui, ce qui m'intéressait c'était de voir comment la violence pouvait resurgir aussi.
06:04 C'est-à-dire qu'à force de vouloir la violence zéro, la tolérance zéro, le risque zéro,
06:09 on se dit effectivement, il y a une baisse de la criminalité, moins de maltraitance.
06:13 Je voulais présenter aussi tous les côtés positifs de cette transparence dans un premier temps,
06:16 pour qu'on se dise "mais finalement c'est pas une mauvaise idée".
06:18 Effectivement, si on voyait ce qui se passait dans les abattoirs, on aurait peut-être plus envie de manger de la viande.
06:24 Effectivement, les maltraitances, les violences diminueraient de manière tout à fait logique.
06:30 La seule chose, c'est qu'est-ce qu'on perd avec tout ça.
06:34 Et effectivement, finalement, la transparence totale, est-ce qu'elle est possible ?
06:39 J'en suis pas si sûre. La seule chose, c'est que la violence revient autrement.
06:44 D'ailleurs, c'est un peu ce qu'on voit aujourd'hui, il suffit de passer deux heures sur Twitter,
06:49 sur X, pour se rendre compte qu'à travers les pseudos, de toute façon,
06:56 cette transparence absolue n'est pas possible.
07:00 La seule chose que ça produit, c'est une forme de nouvelle violence,
07:03 qui est d'autant plus violente qu'elle se cache derrière l'illusion de la transparence.
07:09 De la transparence et de la bienveillance aussi, c'est l'autre mot qui revient dans votre bouquin.
07:14 C'est le mot-clé de l'époque.
07:16 C'est le mot-clé de l'époque. On agresse personne, même dans les mots.
07:20 Ça aussi, vous avez tiré à l'extrême un phénomène qu'on observe dans la société d'aujourd'hui.
07:24 Elle vous agace, cette bienveillance permanente qu'on met à toutes les sauces aujourd'hui ?
07:29 Parce qu'elle est fausse, c'est une bienveillance,
07:33 mais qui fait même partie d'une forme de dressage des plateformes comme Instagram,
07:39 où on a ce petit cœur rose qui nous appelle pour dire qu'il y a un lag.
07:43 Et en fait, c'est vraiment humain. Il suffit de passer dix minutes sur son compte Instagram,
07:49 s'il y a un petit bouton rouge qui s'allume pour dire que quelqu'un a aimé,
07:52 on est appâté, on a envie de rester, on a envie de savoir qui c'est.
07:56 Donc c'est vraiment cette culture de la bienveillance de manière générale qu'on retrouve partout,
08:02 qui m'interpelle parce que je sais que derrière, même à travers la question du langage,
08:07 la manière dont on se parle sur les réseaux sociaux, c'est pas du tout...
08:11 Quand on dit "mes amis, mes chéries", c'est "mes loulous", c'est pas la réalité.
08:17 C'est un langage qui est un langage fabriqué pour les réseaux sociaux,
08:19 pour faire croire à une communauté virtuelle, à une fausse proximité.
08:24 Et c'est toutes ces belles idées qu'on retrouve dans Panorama de Lilia Hassen.
08:29 - Restez avec nous, Lilia Hassen, dans un instant, le premier indispensable de Culture Média,
08:34 avec Marie Gickel. Vous savez faire du beatbox, Thomas ?
08:36 - Je vais vous faire une démonstration. - Ouh là !
08:38 - Ça vaut le détour !
08:40 - Restez avec nous, vous écoutez Culture Média, jusqu'à 11h avec Thomas Hill. À tout de suite.