3 femmes abattues en plein Paris - Secret défense - Services secrets - PKK - Doc

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3 femmes abattues en plein Paris - Secret défense - Services secrets - PKK - Doc
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00:00 ...
00:06 -Trois femmes, abattues de sang-froid
00:09 dans un petit appartement en plein coeur de Paris.
00:12 ...
00:16 Un meurtrier présumé dans l'entourage des victimes.
00:19 ...
00:26 Toute une communauté ébranlée.
00:28 ...
00:34 Cela pourrait être un bon point de départ pour un Polar.
00:37 Vous ne trouvez pas ?
00:38 Pourtant, cette histoire est bien réelle.
00:42 Ce triple meurtre a été commis le 9 janvier 2013 à Paris.
00:48 Et si l'on passe au révélateur,
00:51 le profil des protagonistes se fait divers à tout
00:55 d'une affaire d'Etat.
00:56 ...
00:59 Les victimes sont trois militantes kurdes.
01:01 Sakine Janssöz, 54 ans, était l'une des fondatrices du PKK,
01:06 le parti des travailleurs du Kurdistan.
01:09 Fidan Doğan, 30 ans, s'occupait du lobbying du parti.
01:12 Leila Sailemez, 25 ans, était une jeune militante.
01:17 ...
01:20 Le suspect, Omer Güney, un Turc,
01:23 aujourd'hui emprisonné en France dans l'attente de son procès,
01:26 ne serait pas un simple meurtrier, mais un agent secret en mission.
01:30 ...
01:33 Une affaire délicate pour les autorités françaises.
01:36 ...
01:38 -Soyez assurés de la détermination
01:41 des autorités françaises
01:43 pour faire la lumière sur ces facts.
01:46 -C'est un crime politique ?
01:48 -Je vous remercie.
01:50 -M. Valls, c'est un crime politique ?
01:52 -Un crime qui impliquerait
01:54 l'un des grands alliés stratégiques de la France, la Turquie,
01:58 et son actuel président Erdogan.
02:00 -Erdogan contrôle tout.
02:01 Ca ne peut pas avoir été fait sans son feu vert.
02:04 -Les Kurdes soupçonnent un assassinat politique.
02:07 Alors, qui se cache vraiment derrière Omer Güney ?
02:11 ...
02:12 En Turquie, en France,
02:15 mais aussi en Allemagne, en Suisse et en Belgique,
02:19 nous avons mené l'enquête sur ce suspect que tout accable,
02:23 mais que ses proches défendent bec et ongle.
02:26 -Si vous me laissez me voir,
02:27 je vais vous tuer.
02:29 -Une enquête qui dérange les officiels turcs.
02:33 -Annulez le reportage.
02:35 Donnez-moi les cassettes. Ca ne va pas se passer comme ça.
02:38 -Un road movie dans 5 pays
02:40 pour tenter de découvrir
02:42 qui avait intérêt à faire disparaître ces 3 femmes.
02:46 ...
02:54 -Le triple meurtre a eu lieu début 2013,
03:01 à 200 mètres à peine de la gare du Nord.
03:04 Pour les proches des 3 femmes assassinées,
03:08 arriver ici est toujours une épreuve.
03:10 Ce matin, Selma, une jeune Kurde vivant à Paris,
03:14 accueille le frère de l'une des victimes.
03:17 -Comment ça va, toi ? -Merci. Je vais bien. Et toi ?
03:20 -Tu nous as manqué. -Toi aussi.
03:22 ...
03:27 -Tu as maigri, non ? -Oui, un peu.
03:30 ...
03:34 -Mettin Jantzeuse vit à Rotterdam.
03:37 Il est le petit frère de Sakine Jantzeuse,
03:40 l'une des 3 Kurdes abattues le 9 janvier 2013.
03:44 En 3 ans, il n'avait jamais trouvé la force
03:46 de revenir à l'endroit où sa soeur a été tuée.
03:49 Pour la 1re fois, il va franchir le pas.
03:53 ...
03:55 Sakine et ses camarades ont été retrouvés morts
03:58 au 1er étage de cet immeuble,
04:00 le bureau du mouvement kurde en France.
04:02 ...
04:14 Les scellés n'ont toujours pas été levés.
04:17 Les Kurdes ont fait de ce lieu un sanctuaire.
04:20 ...
04:31 Derrière la porte, la scène du crime est intacte.
04:35 ...
04:43 ...
04:48 -J'ai l'impression que Sakine est toute proche.
04:53 Je n'ai pas accepté sa mort.
04:56 Je ne l'accepte pas et je ne l'accepterai pas.
05:00 Sakine était la représentante d'un peuple opprimé
05:05 qu'on a voulu atteindre.
05:08 Avec les autres camarades qui étaient avec elle,
05:11 ce sont les peuples opprimés qui ont été touchés.
05:14 Ce sont les femmes.
05:16 C'est une nation que l'on a cherchée à tuer.
05:19 ...
05:23 -Cette nation, c'est la nation kurde
05:26 et Sakine en était devenue un emblème.
05:29 Elle a construit sa légende loin de Paris,
05:33 dans les montagnes du Kurdistan.
05:35 ...
05:39 Là, 35 millions de Kurdes vivent répartis
05:44 entre l'Iran, l'Irak, la Syrie et surtout la Turquie.
05:49 ...
05:51 En Turquie, les Kurdes réclament leur autonomie
05:54 et la reconnaissance de leur identité.
05:57 Mais l'Etat turc réprime violemment cette minorité.
06:01 Descentes musclées dans les zones kurdes,
06:05 arrestations arbitraires, comme ici, dans le sud-est du pays,
06:09 les Turcs vont même jusqu'à raser 3000 villages
06:13 et tuer des milliers de Kurdes.
06:16 ...
06:20 En 1978, pour combattre l'oppression,
06:23 Sakine Jantzeuz crée le parti des travailleurs du Kurdistan,
06:26 le PKK, avec Abdullah Ocalan,
06:30 le chef de la rébellion qui lui rend ici hommage.
06:33 -Tu es plus courageuse et même plus ambitieuse que moi.
06:38 -Le PKK prône la lutte armée contre l'Etat turc.
06:42 Comme tous les cadres du parti,
06:45 Sakine arpente les villages et appelle les Kurdes à se révolter.
06:49 En quelques années, le PKK inflige à l'armée turque
06:53 de sérieux revers et devient la bête noire du régime.
06:56 ...
07:02 Des milliers de Kurdes sont arrêtés.
07:04 Sakine fait partie des premiers prisonniers.
07:07 Dès 1979, elle est enfermée dans la terrible prison de Derbaker,
07:13 dans le sud-est de la Turquie.
07:15 ...
07:21 Cette prison, son frère Metin lui aussi a été enfermé.
07:25 Pendant huit ans, il a été torturé quotidiennement.
07:30 ...
07:36 -La prison de Derbaker
07:40 est une prison qui n'a pas d'équivalent.
07:43 Je crois qu'une telle barbarie n'a été vue nulle part ailleurs.
07:48 Je vous raconte un truc très simple
07:50 que nous devions subir au quotidien.
07:53 Un gardien venait,
07:56 et pour x ou y raison,
08:00 il nous demandait de tendre les mains à travers la porte.
08:03 Et là, on nous tapait dans les mains
08:06 avec des manches de pelle ou de pioche.
08:08 Et on ne savait jamais qui nous frappait
08:12 ou combien ils étaient.
08:13 Au bout d'un certain temps,
08:17 la peau entre les doigts et la paume éclatait.
08:20 On ne pouvait plus ouvrir la main.
08:23 L'une des choses qui se racontait sur Sakine,
08:28 c'était sa résistance face à l'un des geôliers
08:31 qui s'appelait Mohammad.
08:34 Il a été considéré comme l'un des plus grands bourreaux de Turquie.
08:38 Elle lui aurait dit
08:40 "Si vous n'avez pas honte de taillader la poitrine d'une femme,
08:44 "moi, en tant que révolutionnaire,
08:46 "j'ai honte de crier devant vous."
08:49 -Les années de détention, la torture,
08:52 n'ont pas entamé la détermination de Sakine.
08:55 En 1991, libérée après 12 ans de prison,
08:59 elle a été dénoncée par tous les combattants kurdes.
09:02 Mais en 2001, les Etats-Unis mettent le PKK
09:04 sur une liste d'organisations qu'ils considèrent comme terroristes.
09:08 Quand Sakine obtient son statut de réfugié politique en France,
09:12 son frère est soulagé.
09:13 -Je n'aurais jamais imaginé que ma sœur puisse être tuée en Europe.
09:17 On s'attendait à ce que se fasse tuer dans les montagnes.
09:20 De nombreux camarades sont tombés ainsi.
09:23 Mais en Europe, et en particulier à Paris,
09:25 qu'un tel massacre puisse avoir lieu
09:28 n'a jamais traversé l'esprit.
09:29 Musique douce
09:31 ...
09:35 -Pour Noursel, une figure de la communauté kurde en France,
09:39 le meurtre de ses trois camarades est un message venu de Turquie,
09:43 un message politique.
09:45 ...
09:47 -Je considère ce triple assassinat
09:49 comme un assassinat politique, mais des trois générations.
09:52 Cet assassinat politique, il visait l'histoire du peuple kurde,
09:56 la résistance du peuple kurde, donc Sakine.
09:58 ...
10:01 La voix du peuple kurde, donc Rojbin Fidan.
10:04 Il faisait beaucoup de lobbying dans les instances européennes,
10:08 au Conseil de l'Europe, notamment.
10:10 ...
10:15 Et la jeunesse, l'avenir du peuple kurde, Leyla.
10:18 -Dans cette affaire,
10:20 l'enquête de la justice française est aujourd'hui bouclée.
10:24 Un suspect turc a été placé derrière les barreaux.
10:27 Il s'appelle Omer Güney.
10:29 ...
10:31 Quelques mois avant le crime,
10:33 il s'était fait embaucher comme chauffeur par Sakine Jansöz.
10:36 Il est le dernier à avoir vu les victimes vivantes.
10:40 Des traces de poudre ont été retrouvées dans sa sacoche.
10:44 Ce qui a fait de lui le suspect numéro un,
10:47 c'est surtout son emploi du temps, le jour des meurtres.
10:51 Des allées et venues suspectes, filmées par des caméras
10:54 de vidéosurveillance que nous avons récupérées.
10:57 ...
10:59 Le matin du drame, à 10h30,
11:01 il rejoint Sakine Jansöz à la poste de Bobigny
11:05 pour la ramener à Paris en voiture.
11:07 ...
11:08 A 11h19, il s'engouffre avec elle dans un parking,
11:11 près de la gare du Nord.
11:13 ...
11:16 A 11h29, Omer Güney et Sakine Jansöz
11:20 rejoignent Fidan et Leila, les deux autres victimes,
11:23 au 147 rue Lafayette, le bureau du mouvement kurde en France.
11:27 A la main, ils tiennent une sacoche en cuir marron.
11:30 ...
11:32 Omer Güney en ressort 20 minutes plus tard,
11:34 toujours avec sa sacoche.
11:36 Seul, il retourne au parking.
11:38 ...
11:42 A 12h, on le voit s'affairer dans le coffre de sa voiture
11:45 pendant 2 minutes.
11:47 Puis, à 12h11,
11:48 il pénètre une seconde fois dans l'immeuble.
11:51 ...
11:53 Il y restera 45 minutes.
11:56 Selon les experts, c'est à ce moment-là
11:58 que les 3 militantes kurdes qui se trouvaient dans l'appartement
12:01 ont été tuées par balle.
12:03 ...
12:05 Lorsqu'Omer Güney ressort de l'immeuble vers 13h,
12:08 il dissimule étrangement sa tête sous une capuche,
12:11 alors qu'il ne pleut pas.
12:13 ...
12:16 Omer Güney ne porte plus une sacoche en cuir marron,
12:20 mais un sac en plastique blanc avec un objet sombre à l'intérieur.
12:24 ...
12:27 A 13h07, il quitte le parking seul,
12:30 au volant de sa voiture.
12:32 ...
12:33 8 jours après le triple meurtre,
12:36 Omer est placé en détention provisoire.
12:38 Depuis 2013, il attend son procès
12:41 dans sa cellule de la prison de Fresnes,
12:43 en se disant innocent.
12:45 ...
12:47 Mais qui est vraiment Omer Güney ?
12:50 Comment ce jeune Turc est-il devenu
12:52 le chauffeur de l'icône de la lutte kurde ?
12:55 ...
12:57 La 1re fois que la communauté le voit débarquer à l'automne 2011,
13:01 c'est à la maison culturelle kurde située à Villiers-le-Bel,
13:04 au nord de Paris.
13:05 Une association qui ne paye pas de mine,
13:08 mais qui voit défiler les plus hauts responsables
13:11 du mouvement kurde en Europe.
13:12 -Bien le voir. -Bonjour.
13:14 ...
13:17 -Le président de l'association se souvient encore
13:19 de l'impression que lui a laissée Omer Güney
13:22 lorsqu'il a poussé la porte de la maison culturelle kurde.
13:25 ...
13:26 -La 1re fois que je l'ai vue ici,
13:28 j'ai jamais vu ces personnes-là.
13:31 Il a plutôt une tête...
13:33 ...du Turc que de le kurde,
13:35 parce qu'on se connaît.
13:37 -Vous ne l'avez pas posé de questions ?
13:39 -Je ne l'ai pas posé de questions.
13:41 C'est pas mon genre d'avoir posé de questions
13:43 sur son religion. Je ne le pose pas de questions.
13:46 -A l'époque,
13:47 Omer Güney se présente à l'association
13:50 avec un profil rassurant,
13:51 celui d'un jeune Turc divorcé
13:54 à la recherche de ses racines kurdes.
13:57 A 30 ans, il devient très vite proche
14:00 de certains jeunes comme Bayram et Kenan.
14:03 ...
14:06 -Il nous a dit qu'il avait été mis à l'écart par sa famille.
14:09 Il disait que sa famille n'aimait pas les Kurdes,
14:12 mais que lui se sentait très proche de nous.
14:15 C'était un peu son approche générale,
14:17 et c'est comme ça qu'il s'est glissé parmi nous.
14:19 -Comment vous pourriez décrire sa personnalité ?
14:22 Il était comment ?
14:23 -Très sympa, très respectueux.
14:25 A chaque fois, il se portait volontaire
14:27 pour donner un coup de main.
14:29 Il courait sans cesse, à droite, à gauche.
14:31 ...
14:34 -Omer parle plusieurs langues.
14:35 Il s'implique énormément dans la vie de l'association.
14:39 -C'est lui, ça ?
14:41 -C'est lui.
14:42 -Il a adhéré très vite ?
14:44 -Très vite.
14:45 Très, très vite.
14:46 Il me semblait que dans la semaine où il est venu la première fois,
14:50 il a adhéré.
14:52 -Il a adhéré le 18 novembre 2011.
14:56 -C'est ça.
14:57 ...
14:59 -Rapidement, il se constitue en réseau
15:03 bien au-delà des murs de l'association de Villiers-le-Bel
15:07 et se rapproche, petit à petit,
15:11 des cadres du PKK.
15:13 Cette montée en grade,
15:15 son ex-colocataire en Seine-Saint-Denis en a été témoin.
15:18 -C'était un séducteur ?
15:19 -Oui, il savait se faire aimer.
15:21 Par là, je veux dire qu'on pouvait voir
15:24 qu'il était très attaché à la cause.
15:26 -Il vous en parlait beaucoup ?
15:28 -Il disait être amoureux de la lutte,
15:30 suivre parfaitement la ligne idéologique
15:33 et, parfois, il allait même jusqu'à dire
15:36 qu'il était le meilleur des Kurdes.
15:38 -Omer Guney,
15:40 le meilleur des Kurdes.
15:42 Pourtant, quand on gratte le vernis,
15:45 un autre visage apparaît,
15:47 bien loin de celui du sympathique militant.
15:50 ...
15:53 Pour découvrir le véritable Omer Guney,
15:56 il faut remonter sa trace,
15:58 en Turquie, sa terre natale.
16:01 ...
16:05 C'est là-bas que ses parents se sont réinstallés après le drame.
16:09 ...
16:11 A-t-il vraiment des origines kurdes,
16:13 comme ils le prétendaient ?
16:15 ...
16:16 Depuis le début de notre enquête,
16:18 nous avons proposé de les interviewer
16:21 via l'avocate d'Omer.
16:22 ...
16:24 Mais rien à faire.
16:25 Les parents du suspect numéro un refusent de s'exprimer.
16:29 Après le crime, ils ont tout perdu.
16:32 Le restaurant qu'ils tenaient en région parisienne
16:35 et surtout leur tranquillité.
16:37 ...
16:39 Par peur des représailles, ils ont quitté la France
16:42 et vivent désormais dans la banlieue d'Ankara.
16:45 ...
16:50 -C'est là.
16:51 C'est ici qu'habitent les parents d'Omer Guney.
16:54 Ils vont être ravis de nous voir.
16:56 ...
17:04 On va essayer d'attendre que quelqu'un sorte
17:06 pour rentrer.
17:08 Ah, y a du bruit. Je pense que...
17:10 On va peut-être pouvoir rentrer.
17:12 ...
17:14 -Les parents d'Omer Guney savent que nous voulons les rencontrer.
17:17 On se doute que l'accueil ne sera pas des plus chaleureux.
17:21 Nous avons donc opté pour l'option caméra discrète.
17:24 ...
17:29 C'est le père d'Omer Guney qui nous ouvre la porte.
17:32 -Bonjour. -Bonjour.
17:33 -M. Guney, Sylvain Louvet.
17:35 -Je suis à la chambre. -OK.
17:37 -Je suis à l'échec. -Pourquoi ?
17:38 -Pour le tchaba. -OK.
17:40 -C'est quoi, le délire ?
17:42 -C'est quoi, le délire ? -On est en train de nous emmerder.
17:45 -OK. -Je suis à l'échec.
17:48 -Vous n'en avez pas.
17:50 -On cherche juste à avoir des gens qui connaissaient vraiment
17:54 Omer Guney, qui puissent nous en parler.
17:56 ...
17:58 -Sa fille, puis sa femme,
18:01 essayent de calmer le jeu.
18:03 ...
18:07 Sans succès.
18:08 ...
18:32 Nous repartons d'ici sans avoir pu demander
18:35 si du sang kurde coule réellement dans les veines d'Omer Guney.
18:38 ...
18:40 Mais nous en saurons un peu plus avec l'un de ses oncles.
18:44 ...
18:51 En France, Omer Guney dit qu'il est kurde.
18:54 Est-ce que vous êtes une famille kurde ?
18:56 -Non, turc.
18:58 -Hm.
18:59 -Patriote ?
19:01 -Oui.
19:02 -L'homme ne sait pas que nous le filmons.
19:06 -Baissez votre caméra.
19:08 -Comme ça ?
19:09 -Il va nous révéler que, contrairement à ce qu'a pu affirmer Omer,
19:14 dans la famille Guney, on est plutôt turcs et fiers de l'être.
19:18 ...
19:21 -Bon, je ne sais pas ce que tu penses du PKK,
19:24 mais nous, on y est totalement opposés.
19:26 J'ai un fils unique.
19:29 Omer aussi est le fils unique de mon frère.
19:32 Si mon fils doit tomber en martyr pour la Turquie
19:35 dans cette guerre contre le PKK, je suis prêt à l'envoyer aujourd'hui.
19:38 Si la Turquie, aujourd'hui, entre en guerre avec le PKK,
19:42 notre famille sera du côté de la Turquie.
19:45 Nous soutiendrons toujours la Turquie.
19:47 ...
19:51 -Cette vision radicale, l'oncle n'est pas le seul à l'avoir.
19:55 Omer Guney, lui aussi, détesterait le PKK.
19:58 Et ça, c'est en Allemagne que nous allons le découvrir.
20:03 ...
20:06 Battult, une petite ville tranquille à une heure de Munich,
20:10 où Omer Guney a vécu entre 2004 et 2011.
20:13 Ici, la communauté turque est très soudée.
20:17 Tout le monde le connaissait.
20:19 Mais dans les cafés où il avait ses habitudes...
20:22 -Ca va ?
20:24 -Oui.
20:26 -Les Turcs semblent avoir perdu la mémoire.
20:29 ...
20:32 -Il peut brûler ?
20:33 -Non.
20:34 -Non ?
20:35 -Non.
20:36 -Si vous avez un petit sourire, vous avez entendu parler.
20:40 ...
20:43 -Après une demi-journée à faire le tour de la ville,
20:46 nous trouvons enfin quelqu'un pour nous parler d'Omer Guney.
20:49 Et pas n'importe qui.
20:51 -Bonjour. -Bonjour.
20:53 -Est-ce que vous connaissez cette personne ?
20:56 -Oui, je le connais, c'est quelqu'un d'ici.
21:00 C'était mon voisin.
21:02 -C'était votre voisin ?
21:03 -Oui.
21:04 -Oui, il vivait ici, à Battult.
21:09 Tout le monde le surnommait Okaï.
21:11 -C'était pas un militant kurde ?
21:13 -Jamais de la vie.
21:16 Il portait une bague avec trois lunes.
21:19 Il avait la moustache comme ça.
21:21 -Et voilà.
21:23 -Vous connaissez tous ces symboles ?
21:25 -Non. -Et ce geste ?
21:26 -C'est les loups, les loups gris.
21:29 C'est le symbole de ceux qui luttent contre les terroristes du PKK.
21:33 -Ca signifie quoi, les loups gris ?
21:35 Pourquoi les loups gris ?
21:37 -C'est un signe de reconnaissance, une marque.
21:40 C'est comme le lion de Peugeot pour vous, en France.
21:44 Vous, vous avez Peugeot, et eux, ils ont les loups.
21:47 -Sauf que les loups gris,
21:49 ce n'est pas vraiment une marque de voiture.
21:52 Ou alors, si c'en était une,
21:53 ce serait celle qui foncerait sur les Kurdes.
21:56 Facilement reconnaissables avec leur emblème, les trois lunes,
22:00 et leur signe distinctif de la main,
22:02 ce groupe est connu en Turquie depuis les années 60
22:05 pour être le bras armé de l'extrême droite nationaliste.
22:08 Connu pour leur violence,
22:10 les loups gris multiplient les exactions
22:12 envers la communauté kurde.
22:14 Le tout avec la bienveillance du régime turc.
22:19 Elles trouveraient donc leur source dans ce mouvement,
22:22 les vraies racines d'Omer Güney.
22:24 Ce n'est pas la seule chose qu'il avait cachée
22:27 à la communauté kurde de France.
22:29 En Allemagne, nous allons faire une autre découverte.
22:33 -Ca, c'est l'usine où travaillait Omer Güney.
22:36 -Oui, c'est ça.
22:38 -On va essayer d'aller parler à ses anciens collègues.
22:42 -Pendant cinq ans,
22:47 cet homme a été le collègue d'Omer Güney.
22:49 Il va nous révéler un autre aspect de sa personnalité,
22:53 une passion que Güney avait dissimulée aux Kurdes
22:56 de Villiers-le-Bel.
22:58 -Le truc dont je me souviens,
23:01 c'est sa passion pour les armes à feu.
23:04 -Hm-hm.
23:05 -C'est vrai ? Vous en avez parlé avec lui ?
23:08 -Oui !
23:10 Il racontait ça quand on était assis ensemble
23:13 pendant les pauses.
23:14 -Qu'est-ce qu'il disait, exactement ?
23:16 -Il était fou de ça.
23:19 Il était tellement dingue de ça
23:21 qu'il allait dans un stand de tir uniquement
23:24 pour entendre le bruit des balles.
23:26 ...
23:29 -Il a jamais dit où il était, ce stand de tir ?
23:31 -Non, c'était pas un stand de tir officiel.
23:34 Il fallait un permis pour ça.
23:38 C'était un stand de tir non officiel.
23:40 Il faisait tout illégalement.
23:43 -Tout illégalement ?
23:44 -Oui.
23:46 -Je vais vous demander de quitter les lieux.
23:48 -OK.
23:49 -L'interview est encore interrompue.
23:52 A croire qu'Omer Guney est un sujet tabou.
23:55 ...
23:58 En quittant l'Allemagne, une chose est sûre.
24:01 Le visage qu'il a offert en France à la communauté kurde
24:05 est en totale contradiction avec ce qu'il était vraiment.
24:08 Alors pourquoi ce double jeu ?
24:12 Pourquoi un amateur de tir
24:14 issu du milieu nationaliste turc
24:16 a-t-il passé près de deux ans à jouer aux militants kurdes ?
24:20 -Nous sommes tous sakinés !
24:22 -Nous sommes tous sakinés !
24:24 -Nous sommes tous ranchpies !
24:27 -Pour la communauté exilée en France,
24:29 ce double jeu est l'oeuvre d'un professionnel.
24:32 Et tous les mercredis depuis trois ans,
24:34 ils viennent le clamer haut et fort devant le lieu du crime.
24:38 -Je suis en habitude de me faire ici, madame.
24:41 -Voilà, c'est ça.
24:42 -Nous demandons à la France
24:47 de tout mettre en oeuvre
24:49 pour identifier, interpeller, juger
24:51 les auteurs et les commanditaires
24:53 de ces triples assassinats politiques.
24:56 -Pour eux, Omer Guney ne serait pas un assassin comme les autres,
25:01 mais un agent des services secrets turcs
25:04 qui se serait infiltré dans leur communauté.
25:07 -Ni les familles des victimes...
25:09 -La France sait qui c'est, nous savons qui c'est.
25:12 Quelqu'un a été capturé depuis cet attentat,
25:14 mais on sait très bien que derrière cet homme-là,
25:17 qui a fait ça, se cache la Turquie.
25:19 -La Turquie, ou plus précisément le mythe,
25:22 les services secrets turcs.
25:24 Une institution très redoutée,
25:27 l'équivalent turc de la CIA.
25:30 Dans la période qui a suivi le crime,
25:32 plusieurs indices troublants sont venus confirmer
25:35 qu'Omer Guney avait des liens avec les services turcs.
25:38 D'abord, un mail envoyé par un mystérieux individu
25:41 à la préfecture de police de Paris,
25:43 11 jours seulement après les assassinats.
25:46 -Omer Guney,
25:48 travail pour le service des renseignements turcs,
25:51 le mythe.
25:52 ...
25:56 Le 18 décembre, il est allé en Turquie durant 3 jours.
26:00 Je pense que lorsqu'il s'y trouvait,
26:02 il a reçu des ordres pour les tuer.
26:04 ...
26:06 -La police n'a pas identifié l'auteur de ce mail
26:09 accusant les services secrets turcs.
26:12 ...
26:14 Mais quelques jours après sa réception,
26:17 un nouveau témoignage va venir accréditer l'idée
26:20 qu'Omer Guney serait un agent des services turcs.
26:23 ...
26:24 Le témoignage de Murat Sahin.
26:27 ...
26:29 Trois semaines après le crime,
26:31 cet homme confie un journal kurde
26:33 qui dit que Guney avait un lien avec le mythe.
26:36 Et il sait de quoi il parle.
26:38 Il est lui-même un ancien agent turc.
26:41 ...
26:44 Réfugié en Suisse, il acceptait de nous rencontrer.
26:47 ...
26:49 Et c'est comme ça que l'on se retrouve un beau matin,
26:52 sur le quai de la gare de Zurich,
26:55 sans connaître ni le lieu,
26:57 ni l'horaire de notre rendez-vous.
27:00 Avec pour seul contact
27:02 le numéro de téléphone du père de l'ex-agent turc.
27:05 -Je viens de recevoir un nouveau message.
27:08 "Nouveau numéro, téléphone pour contacter le père de Murat Sahin."
27:12 Il est très prudent.
27:13 ...
27:15 -Allô ? -Oui, bonjour.
27:16 C'est Sylvain Louvet de Canal+.
27:18 -Oui, bonjour. -Bonjour.
27:20 Je vous appelais pour savoir comment on faisait pour se retrouver.
27:24 -Vous pouvez dire à un taxi
27:26 qu'il faut aller à Bonnissot.
27:28 Je viens de là, on va se rencontrer là,
27:31 et on va se retrouver.
27:32 -Vous voulez pas me donner une adresse où je vous retrouve ?
27:36 -Non, non, on peut aller à...
27:37 -Le père de l'ex-agent secret
27:39 nous rejoindra sur un parking, quelque part dans Zurich.
27:43 Nous voilà plongés en plein film d'espionnage.
27:47 -Sylvain, bonjour.
27:49 Comment allez-vous ?
27:50 -Il faut pas faire, moi.
27:52 -Vous voulez pas qu'il vous filme ? -Non.
27:54 -D'accord. -Pas moi.
27:56 -Non. -C'est dangereux.
27:58 -Méfiant, c'est dans sa voiture
28:01 que nous finirons le trajet.
28:02 -Un, deux, trois...
28:04 -Et ce n'est qu'en présence de son fils
28:09 que nous serons autorisés à allumer les caméras.
28:12 -Bonjour. -Salut.
28:14 -Sylvain, allô.
28:15 Musique sombre
28:18 -Mourad Chahine a été un agent du mythe
28:21 pendant près de cinq ans.
28:22 Il aurait officiellement cessé toute activité d'espionnage.
28:27 ...
28:32 -Le mythe est au courant de tout.
28:35 Pour moi, le mythe est plus fort que le Mossad
28:39 ou la CIA.
28:41 ...
28:44 Le mythe travaille très bien.
28:46 Ils savent tout.
28:49 -Après les assassinats,
28:50 lorsqu'Omer Güney est désigné comme le suspect numéro un,
28:54 une photo de lui fait le tour du monde sur Internet.
28:57 Mourad Chahine la reconnaît tout de suite.
28:59 Deux ans auparavant, l'un de ses supérieurs
29:02 lui avait montré exactement la même photo en Turquie.
29:06 -Je me suis dit,
29:08 "Ah, c'est la même qu'à Ankara."
29:10 -Vous, Mourad, votre sentiment,
29:13 c'est que Omer Güney était un agent du mythe ou non ?
29:16 -Quelle que soit la personne,
29:19 on ne dit pas qu'elle travaille avec nous.
29:22 On ne le dit pas.
29:24 C'est pas un travail normal.
29:28 Ce n'est pas comme un journaliste ou un cuisinier.
29:32 C'est autre chose.
29:34 Ca fonctionne autrement.
29:36 Mon sentiment, mon avis,
29:38 je pense qu'il avait un contact avec une personne
29:42 et qu'elle-même était en contact avec le mythe.
29:47 C'est ce que je pense.
29:52 -Pourquoi avoir accepté de nous rencontrer aujourd'hui ?
29:55 -J'ai accepté, car je voulais que tout le monde sache
30:00 ce qui se cache derrière cet attentat.
30:03 -En clair, pour cet ancien agent,
30:11 Güney était bien en lien avec les services secrets turcs.
30:14 Au-delà de ses confidences,
30:18 il existe aussi des éléments matériels,
30:21 notamment le contenu des téléphones de Güney
30:23 saisis par la justice française.
30:25 En Turquie, en 2014, un journaliste,
30:27 aujourd'hui député, a appelé les renseignements téléphoniques
30:31 pour vérifier à quoi correspondaient les numéros
30:34 du répertoire d'Omer Güney.
30:36 Et là, bingo, l'opérateur lui révèle
30:38 que l'un des numéros correspond au service secret turc.
30:41 Pour nous le prouver, il rappelle devant nous
30:44 les renseignements téléphoniques.
30:46 -Ici, les renseignements. Comment puis-je vous aider ?
30:50 -Pourriez-vous nous donner des informations sur un numéro ?
30:53 -Je vous écoute.
30:55 -0442.
30:57 -0442.
30:59 -Bip.
31:01 -1209.
31:03 -1209.
31:04 Ce numéro est enregistré au nom des services secrets à Erzurum.
31:10 -D'accord, je vous remercie.
31:12 -Vous voulez être mis en relation avec le numéro demandé ?
31:16 -Non, je vous remercie.
31:18 -C'est nous qui vous remercions.
31:20 -Ca va.
31:21 -Donc...
31:23 -Meet Erzurum.
31:25 -Erzurum, dans le nord-est du pays,
31:28 un site clé pour les services secrets turcs.
31:32 Est-ce que vous avez été surpris
31:34 de voir que cela atterrissait à Erzurum ?
31:37 -Erzurum est une zone opérationnelle.
31:41 Aujourd'hui, les réseaux régionaux de lutte contre la guerrilla kurde
31:45 sont coordonnés à partir d'Erzurum.
31:48 Pour les services secrets turcs, c'est une base stratégique.
31:51 Omer Güney a certainement été en contact
31:53 avec des gens qui ont travaillé dans cette base.
31:56 -En poursuivant notre enquête,
31:58 un autre numéro attire notre attention,
32:01 celui de Cevdet Ergen.
32:03 A Ankara, Cevdet Ergen était l'homme de confiance de la famille Güney.
32:09 Cet homme accomplissait toutes les formalités administratives
32:13 pour les parents d'Omer.
32:15 C'est à l'adresse de Cevdet
32:17 que le nouveau passeport du suspect numéro un devait être livré.
32:21 Sur ce petit bout de papier retrouvé dans ses affaires,
32:25 Güney avait même désigné Cevdet comme l'homme à prévenir
32:28 en cas de problème de santé.
32:31 La justice française n'a jamais entendu
32:33 ce mystérieux Cevdet Ergen.
32:37 Nous avons récupéré ses relevés téléphoniques.
32:42 Ils prouvent que dans les six mois précédant
32:45 le triple assassinat de Paris, il a appelé une centaine de fois
32:49 l'antenne des services secrets turcs d'Erzurum.
32:52 Ces relevés téléphoniques,
32:55 nous les avons montrés à notre député turc.
32:58 Et visiblement, vu sa réaction,
33:01 il ne les connaissait pas.
33:03 ...
33:09 -C'est très important.
33:11 Vous devez mettre ces documents en sécurité.
33:14 Si le gouvernement est au courant, vous prenez de sérieux risques.
33:18 -Pour lui, ces relevés téléphoniques
33:21 sont une preuve de plus que les services secrets turcs
33:24 sont bien derrière l'assassinat des trois militantes kurdes.
33:28 -Personne n'appelle le mythe comme ça en Turquie.
33:31 Si vous dites "je suis citoyen turc et j'appelle le mythe",
33:35 personne ne vous répondra.
33:36 Si vous appelez le mythe, et j'ai vu sur les relevés
33:39 que certains appels ont duré plus de 10 minutes,
33:42 ça veut dire que vous travaillez avec le mythe,
33:45 que vous êtes membre du mythe.
33:47 ...
33:51 Je vous le redis, faites attention, d'accord ?
33:54 Ces documents sont très importants.
33:57 ...
34:02 -Bien sûr, nous aurions aimé entendre Jeff Dettergen
34:05 sur son rôle dans cette affaire.
34:07 Mais depuis, il est décédé des suites d'un cancer.
34:12 ...
34:16 D'autres indices, découverts par la police française
34:19 dans le téléphone de Guney,
34:21 montrent qu'il agissait bien comme un espion.
34:23 Pendant ces deux ans passés au coeur de la communauté kurde,
34:27 il photographiait avec son téléphone
34:29 et transmettait des informations à un mystérieux correspondant.
34:33 ...
34:35 Par exemple, moins de 24 heures
34:37 avant l'assassinat des trois militantes kurdes,
34:40 vers minuit, Guney s'introduit dans le bureau
34:43 du président de la maison culturelle kurde de Villiers-le-Bel.
34:47 ...
34:48 Il prend en photo
34:49 ...
34:51 et transfère les fiches
34:53 des 329 adhérents de l'association.
34:56 ...
34:59 Ce n'est pas le seul acte d'espionnage qu'il a réalisé.
35:02 D'autres documents ont aussi été transmis,
35:05 comme ces notes sur le financement de l'organisation kurde.
35:08 Une véritable activité d'agent secret
35:11 mise au jour par les enquêteurs français.
35:13 Ce visage d'espion,
35:14 les Kurdes de Villiers-le-Bel ne l'ont découvert
35:17 que huit jours après les meurtres,
35:19 lorsqu'Omer Guney a été placé en détention provisoire.
35:22 Un double jeu aussi difficile à encaisser
35:25 que le meurtre en lui-même
35:27 et qui laisse un goût amer à toute la communauté.
35:30 ...
35:33 -C'est un sentiment assez choquant et perturbant.
35:38 A la fois, vous avez l'âne qui monte à l'intérieur,
35:43 mais de l'autre côté, nous, quand même,
35:45 d'une certaine manière, on est fautifs.
35:47 -Avez-vous l'impression d'avoir laissé rentrer le loup dans la bergerie ?
35:52 -Peut-être.
35:53 Mais sans savoir.
35:54 -Hm.
35:56 ...
36:02 -C'est dur à admettre,
36:04 de se dire qu'il était parmi nous
36:06 pour ensuite te poignarder dans le dos.
36:08 -Tu te demandes sans cesse
36:10 comment t'as pas pu remarquer ce fils de pute.
36:13 Excusez-moi l'expression.
36:15 En fait, tu t'effondres psychologiquement.
36:18 -Si on avait remarqué la moindre chose,
36:20 on aurait pu l'empêcher.
36:22 C'est pour ça qu'ici, tout le monde se sent coupable.
36:25 ...
36:29 -Si Omer Güney semble avoir agi comme un professionnel,
36:32 un agent en mission,
36:34 d'où venaient les ordres ?
36:36 Faut-il remonter jusqu'aux plus hautes autorités
36:39 de l'Etat turc ?
36:40 Un an après les assassinats,
36:44 deux nouveaux documents troublants vont être rendus publics.
36:47 Le premier est publié par un quotidien turc.
36:50 C'est un ordre de mission attribué aux services secrets.
36:54 Il date de quelques semaines avant le triple meurtre de Paris.
36:57 Il apparaît les noms de quatre responsables du mythe.
37:01 Il ordonne l'assassinat de Sakine Cansuz.
37:04 -La personne qui réussit à obtenir des informations
37:07 sur les activités en Europe de Sakine Cansuz
37:09 devra participer au projet de sa neutralisation.
37:12 -Le deuxième document est encore plus explosif.
37:15 C'est l'enregistrement d'une réunion
37:17 à laquelle aurait participé Omer Güney
37:20 quelques mois avant les assassinats.
37:22 Cet enregistrement a été posté anonymement sur YouTube.
37:26 -Elle a été utilisée ?
37:27 -Oui, elle a été utilisée.
37:29 -C'est la raison du jeu ?
37:31 -Les mermelades de chargement...
37:33 -C'est cette voix-là.
37:34 C'est la voix d'Omer Güney.
37:36 Elle a été authentifiée par la police scientifique de Lyon.
37:39 -Cet enregistrement de neuf minutes
37:41 serait une réunion de travail entre Güney
37:44 et deux de ses supérieurs hiérarchiques.
37:46 Ensemble, ils mettent au point un vaste plan d'exécution
37:50 de cadres européens du PKK.
37:52 Et c'est Omer Güney qui est chargé d'appuyer sur la détente.
37:55 La première cible, c'est Nedim Seven,
37:58 le numéro deux du PKK en Europe,
38:00 réfugié en France.
38:02 -Les supérieurs de Güney lui ordonnent aussi d'abattre
38:18 Güney, Siar et Soro,
38:22 deux autres cadres du PKK, eux aussi exilés en France.
38:26 Enfin, en quatrième position sur cette liste macabre,
38:30 on trouve un ancien député kurde de Turquie
38:33 réfugié en Belgique, Remzi Kartal.
38:35 -Douze heures, j'ai 22 ans.
38:38 ...
38:41 -Quelques jours après la révélation de l'enregistrement audio
38:45 et de l'ordre de mission, les services secrétaires
38:48 ont été communiqués.
38:49 Les Kurdes visés, eux, sont convaincus
39:02 que la Turquie avait bien prévu de les neutraliser.
39:05 ...
39:09 Longtemps impliqué dans les pourparlers de paix
39:12 avec les Turcs, la quatrième cible,
39:14 Remzi Kartal, vit aujourd'hui sous haute protection à Bruxelles.
39:18 ...
39:25 Nous le retrouvons derrière les murs de cet hôtel particulier,
39:29 très bien gardé.
39:31 ...
39:36 -Bonjour. -Bonjour.
39:37 -Sylva Louvet, de Canal+.
39:39 J'ai une interview avec monsieur Remzi Kartal.
39:42 -Ah oui ! Bienvenue. -Bonjour. Merci.
39:44 ...
39:48 -Pour ce chef politique du PKK,
39:50 l'enregistrement posté sur YouTube est probablement authentique,
39:54 car il recoupe des informations
39:56 qui lui avaient été transmises à l'époque.
39:58 ...
40:04 -On avait émis au courant que des commandos de la mort
40:07 avaient été envoyés en Europe pour s'en prendre
40:10 à une liste de militants politiques kurdes,
40:12 dont je fais partie.
40:14 -D'où tenez-vous cette information ?
40:17 -Ce sont des informations qui nous ont été données
40:19 par certains canaux au sein de l'appareil d'Etat turc.
40:22 ...
40:24 Par ailleurs, ces mêmes informations
40:27 nous ont aussi été communiquées par certains Etats européens.
40:30 ...
40:33 Peut-être que les tueurs n'ont tout simplement pas eu l'opportunité
40:36 de s'en prendre aux gens dont je fais partie,
40:39 se trouvant sur cette liste.
40:40 ...
40:44 -Sakini Jansons et les deux autres camarades
40:47 se sont trouvés à leur portée.
40:49 Ils n'ont pas raté l'occasion.
40:51 ...
40:55 -Au moment des assassinats,
40:57 le Premier ministre turc était Recep Tayyip Erdogan.
41:00 Et selon cet ancien numéro 2 du mythe
41:03 qui a accepté de nous faire quelques confidences,
41:06 Erdogan contrôlait totalement les services secrets.
41:09 -2000 ans plus tard,
41:12 après les années 2000,
41:16 avec les avancées vers la démocratisation en Turquie
41:20 et la levée de la tutelle militaire,
41:23 le mythe est devenu complètement dépendant
41:29 de l'autorité politique.
41:31 ...
41:36 Je peux dire qu'il est impossible
41:40 que le mythe ou des soi-disant groupes au sein du mythe
41:44 agissent en dehors du Premier ministre
41:47 et du cadrage gouvernemental.
41:49 ...
41:53 Et ça, je peux en attester.
41:56 -Est-ce que vous croyez que c'est possible
41:59 que le triple meurtre ait été ordonné
42:01 sans l'approbation d'Erdogan ?
42:03 -C'est impossible.
42:06 Ca ne peut pas avoir été fait sans son approbation.
42:09 Il est au courant de tout.
42:11 -Donc, selon vous, Erdogan est derrière ces assassinats ?
42:14 -Oui.
42:15 -Pas de doute ?
42:18 -Non.
42:19 -L'ancien numéro 2 des services turcs, lui,
42:22 en est moins convaincu, car au moment des assassinats,
42:25 Erdogan avait engagé un processus de paix avec les Kurdes.
42:28 -Il est évident que c'est un travail de professionnel.
42:33 Ca, c'est indiscutable.
42:36 Il est fort probable que des services de renseignement
42:40 soient impliqués.
42:42 Mais il ne paraît pas rationnel
42:45 que l'Etat turc puisse commanditer un tel acte
42:49 à un moment où il enclenche un processus de paix.
42:52 ...
42:56 -En Turquie, beaucoup s'interrogent sur l'implication d'Erdogan
43:00 dans ce triple meurtre.
43:02 ...
43:06 Un député l'a même interpellé officiellement au Parlement,
43:09 avec des questions très précises.
43:12 ...
43:13 -Quelle est la relation entre l'accusé Omer Gunaï et le mythe ?
43:17 Une enquête est-elle en cours sur les assassinats de Paris ?
43:20 A commencer par le mythe, une quelconque institution d'Etat
43:24 était au courant qu'une telle action serait menée à Paris ?
43:27 ...
43:30 -Toutes ces questions, le député turc les a posées par écrit,
43:34 à l'Assemblée.
43:35 ...
43:38 -Est-ce qu'Erdogan vous a répondu ?
43:41 -Non.
43:42 Normalement, Erdogan avait 90 jours pour répondre.
43:46 ...
43:48 Mais là, nous sommes à plus de deux ans, et toujours rien.
43:51 ...
43:54 -En réalité, dans cette affaire,
43:56 Recep Tayyip Erdogan a répondu plusieurs fois.
43:59 Dans "Les jours qui suivent les assassinats",
44:01 il émet l'hypothèse d'un crime interne au PKK.
44:05 -Dans ses affaires,
44:06 une telle terrorisme peut être considéré.
44:11 -Quand l'enregistrement et l'ordre de mission
44:13 impliquant les services turcs sont publiés,
44:16 Erdogan n'évoque plus la piste du règlement de compte.
44:19 Derrière ces assassinats,
44:21 perpétrés en plein processus de paix avec les Kurdes,
44:24 il ne voit plus que la main de son principal rival politique,
44:27 Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis.
44:30 ...
44:32 -Ce sabotage,
44:33 il y a des gens qui sont derrière
44:37 la chèque de Pennsylvania.
44:38 -En clair, selon Erdogan,
44:42 les assassinats de Paris ont été commandités
44:44 par des proches de Fethullah Gülen, infiltrés au sein du mythe,
44:48 et qui ont voulu l'empêcher de faire la paix avec les Kurdes.
44:51 Pour Hamzik Artal, peu importe,
44:53 les crimes auraient été commis dans le but de faire plier
44:57 durant les pourparlers de paix.
44:58 -En fait, Erdogan a cru
45:04 qu'il pourrait obtenir certaines choses des Kurdes
45:07 si, d'un côté, il engageait des discussions,
45:09 c'est-à-dire des négociations de paix,
45:12 et que, de l'autre, il leur mettait la pression
45:16 en commettant ces assassinats.
45:18 ...
45:23 -Élu président en 2014,
45:25 Erdogan ne s'est jamais engagé à faire la lumière sur cette affaire.
45:29 ...
45:31 Il a par contre oeuvré pour que ces agents du mythe
45:34 ne puissent plus être inquiétés par la justice,
45:38 en faisant tout simplement modifier la loi sur le renseignement.
45:42 ...
45:44 -Avant, théoriquement,
45:48 un procureur pouvait poursuivre pendant un certain temps
45:51 les responsables de tels actes.
45:53 Mais la nouvelle loi ne le permet plus du tout,
45:57 y compris pour les assassinats de Paris.
46:01 Le but était clair,
46:04 éviter que tous les agents du mythe impliqués dans une affaire
46:07 ne puissent être jugés.
46:09 Désormais, une enquête ne peut être ouverte
46:13 que sur autorisation du Premier ministre.
46:15 Et d'ailleurs, le dossier ne pourrait être suivi qu'à Ankara,
46:19 par des juges et des procureurs,
46:21 préalablement triés sur le volet.
46:24 ...
46:26 -Pour protéger ses services, Erdogan a vraiment pensé à tout.
46:30 Si aujourd'hui, la justice ne peut plus enquêter
46:33 sur les affaires liées au mythe, la presse non plus.
46:36 Avec la nouvelle loi,
46:39 les journalistes qui s'intéressent aux affaires jugées sensibles
46:43 par les services turcs...
46:44 -Je relève son identité ou je vous l'amène directement ?
46:48 -OK.
46:50 ...sont désormais passibles de 10 ans de prison.
46:53 Alors on va pas se mentir, on n'était pas vraiment rassurés
46:56 à l'idée d'aller à notre prochain rendez-vous.
46:59 ...
47:04 Après des dizaines de mails et de coups de fil,
47:06 on a enfin réussi à décrocher un entretien à Ankara
47:09 avec un conseiller du Premier ministre turc.
47:12 ...
47:17 -Est-ce que vous pourriez nous dire si vous avez, vous,
47:20 essayé de savoir si Omer Güney était un agent du mythe ou non ?
47:24 -Je peux vous dire sincèrement
47:26 que ces allégations sont absolument fausses.
47:29 Et puis il n'y a aucune preuve qui montre
47:32 que cette personne appartienne au mythe.
47:34 Ce n'est rien d'autre que de la spéculation et de la propagande.
47:38 -Donc vous pouvez nous affirmer aujourd'hui
47:40 qu'Omer Güney n'est pas un agent du mythe ?
47:43 -Je ne sais pas s'il est impliqué ou pas,
47:45 mais ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas un agent du mythe.
47:49 -Nous décidons alors de lui montrer la fameuse lettre de mission
47:52 mettant en cause les services secrets turcs.
47:55 Et l'entretien va prendre une toute autre tournure.
47:59 -Qu'est-ce que vous pensez, vous, de cette lettre ?
48:02 -Une seconde, une seconde.
48:04 Ce papier n'a aucune valeur. Ce n'est qu'un bout de papier.
48:07 -Dans cette lettre de mission, on peut lire notamment
48:10 l'assassinat de Sakine Cansu et Komandite
48:13 et signé par la main de Mambouch.
48:15 Ce document n'a aucune valeur.
48:16 -Vous en pensez quoi, de ça ? -A quoi vous jouez, là ?
48:19 -C'est important d'entendre un point de vue officiel,
48:22 puisque le mythe est sous la responsabilité de l'Etat turc.
48:26 Et aujourd'hui, Omer Güney est suspecté d'être un membre du mythe.
48:30 -Combien de fois dois-je vous le dire ?
48:33 Ce n'est pas de mon ressort.
48:34 Si vous insistez, je vais devoir mettre fin à l'interview.
48:38 Annulons tout le reportage et donnez-nous les cassettes,
48:41 parce que ça ne va pas se passer comme ça.
48:43 -Je vous dis que ces images ne seront pas utilisées.
48:46 -Est-ce qu'il serait possible... -Coupez la caméra.
48:50 -Est-ce qu'il serait...
48:52 -Si vous soumettez un bout de papier,
48:55 est-ce que c'est coupé ?
48:56 Musique angoissante
48:59 -OK.
49:00 -Nous obtemperons, mais le son continue de tourner.
49:04 -Ecoutez, ce que je vais vous dire va rester entre nous.
49:07 Si nous voulons vraiment tuer des leaders du PKK,
49:11 on en a des centaines en Irak ou dans différentes parties d'Europe.
49:15 Pourquoi en France ? Pourquoi Paris ?
49:18 Musique angoissante
49:20 -Finalement... -On a frôlé la crise diplomatique.
49:24 -Nous quitterons la Turquie avec nos images,
49:27 mais sans nos réponses.
49:29 Et nous ne sommes pas les seuls.
49:32 En trois ans, la Turquie n'a pas dénié répondre
49:35 à la commission rogatoire de la justice française
49:39 sur le meurtre de Sakine, Fidan et Leila.
49:42 Il faut dire que nos politiques n'ont pas beaucoup insisté
49:46 pour demander des comptes à leurs alliés turcs.
49:49 RéalPolitik oblige.
49:51 En tout cas, au printemps 2013,
49:53 trois mois après les assassinats,
49:55 Airbus vendait 117 avions à Turkey Airlines
49:58 et 75 à la compagnie aérienne low-cost Pegasus.
50:02 Dans le même temps,
50:04 Areva et GDF Suez remportaient la construction
50:07 d'une nouvelle centrale nucléaire,
50:09 un marché à 15 milliards d'euros,
50:11 largement de quoi inciter François Hollande
50:14 à apprendre quelques mots de turc...
50:16 -Azker. -Han !
50:17 -Le temps d'un voyage officiel
50:19 chez son nouvel ami Erdogan.
50:21 Dans cette affaire, souvenez-vous,
50:24 Manuel Valls avait pourtant promis la transparence.
50:28 -Soyez assurés de la détermination
50:31 des autorités françaises
50:33 pour faire la lumière sur ces facteurs.
50:37 -Malgré nos nombreuses sollicitations,
50:39 le Premier ministre n'a jamais souhaité répondre à nos questions.
50:43 -N'hésitez pas à rappeler, mais pour l'instant,
50:46 on n'a pas de retour. -OK, je relance.
50:48 Pas de souci.
50:49 -Même lorsqu'on a été le chercher en janvier 2016,
50:54 lors de l'un de ses déplacements à Paris.
50:57 Musique intrigante
50:59 -Aujourd'hui, la France a donc les moyens
51:01 de créer plus de croissants...
51:03 -Ce jour-là, on a d'abord
51:05 des militants kurdes. -Ce jour-là,
51:07 on avait pourtant tout tenté.
51:09 ...
51:13 -M. Valls, il y a 3 ans, vous promettiez
51:15 de faire toute la lumière sur l'assassinat
51:18 de 3 militants kurdes à Paris.
51:20 L'enquête montre l'implication de la Turquie.
51:23 Et je... Non, mais je... C'est important.
51:26 -Je répondrai à une question. -C'est important.
51:29 Ca fait des mois qu'on court après vous.
51:31 Pourquoi le gouvernement français n'a pas demandé
51:34 de faire des comptes ? -Pourquoi vous ne souhaitez pas
51:37 vous exprimer sur ce sujet ?
51:38 Est-ce que c'est la réelle politique française
51:41 qui empêche de demander des comptes à la Turquie ?
51:44 ...
51:46 L'assassinat des 3 militants kurdes,
51:48 c'est un sujet important, M. Valls.
51:50 ...
51:56 -Les réponses, nous les aurons peut-être
51:59 lorsque le procès d'Omer Güney s'ouvrira à Paris.
52:02 Depuis sa cellule à Frennes,
52:04 le suspect numéro un clame son innocence.
52:07 Mais il n'a manifestement pas très envie
52:09 de comparaître devant la justice française.
52:12 En janvier 2014, lors d'un parloir,
52:15 il demande à l'un de ses proches d'organiser son évasion.
52:18 Pour cela, il lui donne l'adresse d'un mystérieux contact
52:21 à Ankara sans savoir que la justice française
52:24 enregistre la conversation.
52:26 Nous sommes allés vérifier à quoi correspondait cette adresse.
52:29 Et devinez quoi ? Voilà où l'on tombe.
52:33 Au siège des services secrets turcs.
52:37 ...
52:41 ...
52:58 [SILENCE]

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